La transformation de la perception du voyage et l’adaptation des messages de la SNCF

La transformation de la perception du voyage et l’adaptation des messages de la SNCF 

La première ligne de chemin de fer destinée aux voyageurs est inaugurée en 1837. C’est cent ans plus tard, en 1938, que se crée la SNCF de la fusion des cinq compagnies ferroviaires auparavant propriétaires du réseau ferré français. Le train a permis le développement du voyage et sa démocratisation : de la révolution industrielle aux records de vitesse du premier Train à Grande Vitesse (TGV) en 1981. Il s’est adapté aux pratiques, des « retraites d’aristocrates », aux « trains de plaisir » à destination des classes plus modestes et a traversé les grandes crises mondiales de 1914-1918 et de 1939-1945. Face aux progrès, la SNCF a toujours communiqué sur ses innovations et sur la poursuite du confort des voyageurs, pour s’assortir aux nouvelles perceptions et aux derniers besoins de ses clients. Les pratiques, croyances et mythes entourant la notion de voyage se sont transmises et transformées durant son développement. Afin de contextualiser les difficultés qu’a rencontré l’entreprise, nous analyserons dans cette partie l’imaginaire du voyage avant la pandémie en rappelant les grands mouvements historiques qui ont construit les représentations du voyage. Nous verrons ensuite comment les désirs des voyageurs ont dû s’adapter à cette « rupture » en empruntant de nouvelles médiations pour repenser des voyages auparavant synonyme de liberté. Face à la déconstruction d’un mythe, nous observerons comment la SNCF tente de redonner du sens et de réenchanter la pratique par la promotion d’un voyage virtuel, rêvé, fantasmé. Nous chercherons ainsi à vérifier notre première hypothèse : la SNCF adapte ses messages à la nouvelle perception du voyage.

La crise sanitaire a transformé notre rapport au voyage 

L’imaginaire du voyage avant la pandémie

Nous effectuons ici un retour historique de la genèse du voyage en liant les pratiques qui ont émergé à l’époque aux représentations actuelles de ces grands motifs. Pour aborder la notion d’imaginaire, nous nous appuierons sur des approches issues de la psychologie. Carl Gustave Jung théorise la notion « d’inconscient collectif » comme un ensemble d’archétypes qui aurait un caractère universel. Il explique que cet inconscient se manifeste à travers des représentations, des images présentent depuis toujours. La psychologue clinicienne Florence Giust-Desprairies  développe la notion d’ « imaginaire collectif » qu’elle définit comme étant « l’ensemble des éléments qui dans un groupe donné s’organisent en une unité significative pour le groupe à son insu. (…) (l’imaginaire collectif) se présente comme un principe d’ordonnancement, une force liante déterminante pour le fonctionnement du groupe. (…) Il est ce à partir de quoi le groupe détermine ses conduites et oriente sa praxis.». Nous utiliserons le terme d’imaginaire collectif d’après ces deux définitions, comme un ensemble d’images qui participent à l’élaboration de repères culturels, de références communes qui guident et influent sur nos pratiques. Pour l’anthropologue Jean Didier Urbain, ces imaginaires « génèrent, orientent et redéfinissent sans cesse en fonction des contexte historiques, des inflexions ou des transformations de notre vision du monde et de l’influence de ces variables sur la psychologie collective » . Nous verrons donc comment ces représentations ont construit des catégories de désirs qui motivent aujourd’hui le voyage. Pour comprendre et décrire les imaginaires, nous approfondirons notamment les usages du voyage au XIXème siècle en les classant thématiquement. Ce siècle est considéré par l’historien Sylvain Venayre dans son oeuvre Panorama du voyage (1780-1920) comme celui où le voyage s’est le plus transformé. Nous verrons comment les différentes pratiques qui se sont inventées au cours de ces années ont construit nos représentations et ont participé à la construction d’une culture du voyage occidentale, influente jusqu’à aujourd’hui sur les actions et désirs des voyageurs.

Il est important de mentionner cependant que les premiers grands voyages inscrits dans notre imaginaire collectif sont ceux des explorateurs du XVème siècle : Christophe Colomb et son arrivée en Amérique en 1492, Vasco de Gama et sa découverte d’une nouvelle route vers les Indes en 1498 et Fernand de Magellan et sa traversée de l’océan Pacifique en 1519. Les récits produits suite à ces périples sont épiques et font émerger la figure de « l’explorateur héroïque » valorisé pour son courage et sa participation à l’agrandissement du monde aux yeux de la société occidentale. Mais c’est à partir du XIXème qu’on commence à ne plus parler d’explorateur, mais plus simplement, de voyageur.

Le voyage et la connaissance 

Dans le sillon des explorateurs, au XIXème, le voyage se lie à la connaissance. Apparaît notamment la tradition du voyage éducatif pour la jeunesse à travers la pratique aristocratique du Grand Tour français. Le Grand Tour renvoie à une conception du voyage comme gage d’apprentissage. Les jeunes aristocrates récemment diplômés étaient encouragés à entamer ce voyage pour compléter le cycle d’étude et vérifier sur le terrain les connaissances acquises. Cette perception persiste aujourd’hui avec le développement de l’année de césure, très pratiquée en Grande-Bretagne ou plus globalement en Europe à travers le programme Erasmus voté par la Commission européenne en 1987. Albert Dauzat dans son essai « Pour qu’on voyage : Essai sur l’art de bien voyager » plébiscite une des plus vieilles conceptions du voyage : un voyage serait une source d’apprentissage par l’expérience acquise, l’occasion d’apprendre ce qu’on aurait pu apprendre nul par ailleurs. Le voyage comme espace où l’expérience serait accélérée par la confrontation avec l’autre est très représenté notamment au cinéma. Le film L’Auberge Espagnole dirigé par Cédric Klapisch sorti en salle en 2002 fait l’éloge de ces rencontres à travers l’histoire de Xavier, 25 ans, qui décide de partir vivre à Barcelone pour achever sa dernière année d’étude. Xavier fait la connaissance d’étudiants d’autres nationalités, découvre une nouvelle culture et cela lui permet à son retour de percevoir autrement son quotidien et de mieux comprendre ses désirs. Nicolas Bouvier affirme que « le voyage vous fait ou vous défait », c’est ce qu’illustre ce film en participant à la construction de la fascination du public pour ce type de voyage initiatique.

Les compagnons de France se développent parallèlement au XIXème et portent une philosophie différente, bien que toujours liée à une forme de recherche de connaissance. Après la révolution française de 1789 c’est la tentative de faire du voyage le moyen de l’accomplissement de la démocratie. C’est la révolution qui permet l’abolition des passeports et péages sur le territoire, car avant les citoyens ne voyageaient pas. S’est développée l’idée que parce que le corps de la nation n’était plus le roi, il fallait trouver une nouvelle identité et que les paysages français pouvaient permettre de signifier une unification patriotique de la nation. Nous retrouvons donc ici la perception du voyage émancipateur par le biais de l’apprentissage.

Se développe aussi après la révolution, avec une amplification au XIXème, des voyages à objectif scientifique qui entraînent la multiplication et le développement des institutions d’encadrement : les ministères, les académies et les musées. C’est la période des voyages anthropologiques et archéologiques. Ces sciences cherchent à découvrir les vestiges du passé mais aussi à percer les secrets des civilisations en développant la rencontre avec l’autre et en s’immergeant dans la société observée. La démarche anthropologique est une tentative du dépassement du voyage, la volonté de quitter une forme d’idéalisation en se sédentarisant avec plutôt que à côté. Les émissions Rendez-vous en Terre inconnue, diffusé depuis 2004 sur France 2 et France 5 ou encore Pékin Express diffusé depuis 2006 sur M6, sont les lointaines héritières de cette représentation du voyage en immersion. Rester « chez l’habitant » est valorisé comme étant la façon noble de voyager. Découvrir un nouvel environnement sans entrer en échange avec les personnes qui l’habitent serait une découverte artificielle. C’est la naissance d’un désir de voyage que Jean Didier Urbain nomme « Le songe altruiste » : un voyage entièrement tourné vers l’autre où est privilégiée la découverte du peuple et de la culture « locale ».

Le voyage, le corps et l’esprit

Le voyage au-delà du développement de l’intellect est aussi une affaire de corps. L’historien Sylvain Venayre le décrit en traitant des voyages conçus dans une «quête de santé ». Il explique que le voyage se « médicalise » au XIXème siècle, durant le courant « néo hypocratique ». La pensée majoritaire était alors que tous nos maux résultent d’un dérèglement entre le corps et son environnement et que ce déséquilibre se manifestait par la maladie. Ce courant alertait sur les mauvaises odeurs, symboles d’une mauvaise circulation de l’air : c’est l’apogée des cures médicales et du pèlerinage. Dans l’œuvre de Flaubert, le médecin Charles Bovary, prescrit pour soigner la « maladie nerveuse de sa femme » de la « changer d’air ». L’historien analyse ces pratiques comme un désir global du voyageur de trouver une forme de jouissance à travers le voyage. Cette quête de jouissance devient une raison en soi de voyager. Ces pratiques ont traversé les siècles, accompagnant le progrès de la médecine. Le voyage, au-delà du corps, est aussi représenté comme bénéfique pour l’esprit. Le voyageur peut être motivé par un « appel du désert », c’est-à-dire le désir de se retirer dans des espaces vides, dépouillés d’autres humains (déserts, montagnes, etc) pour jouir de la solitude dans l’isolement et la méditation. C’est la tentation de l’exploration solitaire. Des villes thermales qui se sont construites à cette époque autour de cette économie comptent toujours sur des voyageurs réguliers. Ces nouvelles raisons de se déplacer amènent progressivement à une conception d’un voyage qui serait bon pour la santé. De plus, il entre dans les mœurs que certaines saisons se prêtent aux bains, ou à la montagne, et la notion de saisonnalité commence à s’ancrer.

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Table des matières

Introduction
Chronologie de la réduction des mobilités en France durant la pandémie
Intérêt du sujet
Problématique
Hypothèses
Corpus, méthodologie et limites
1. La transformation de la perception du voyage et l’adaptation des messages de la SNCF
1.A La crise sanitaire a transformé notre rapport au voyage
1a.1 L’imaginaire du voyage avant la pandémie
1a.2 Le voyage et la connaissance
1a.3 Le voyage, le corps et l’esprit
1a.4 Le voyage et le récit
1a.5 Le voyage et l’ailleurs
1a.6 Le tourisme et le voyage pour tous
1.B L’adaptation des voyageurs au désenchantement
1b.1 La reconstruction du mythe
Conclusion partielle
2. Le renouvellement des ambiances en gare par les dispositifs et les voyageurs
2.A Des réaménagements du mobilier et des dispositifs en gare qui prennent le contrepied des stratégies précédemment adoptées : de la gare loisir à l’idéal de la gare « sûre »
2a.1 Le développement historique des gares
2a.2 Méthodologie d’observation
2a. 3 Des dispositifs, des messages et des consignes
2.B. La SNCF incite les voyageurs à co-construire ce changement d’ambiance à travers le contrôle des corps et la modification des habitus
2b.1 Des corps soumis à un nouveaux tempo et de nouvelles façades
2b.2 Le voyageur responsable
Conclusion partielle
3. D’une fidélisation par la communication marchande à un récit institutionnel inspirant la confiance
3.A Le défi du maintien de la fidélité des voyageurs malgré l’impossibilité du service : le recours au marketing relationnel et à l’émotion
3.a.1 Les enjeux de la fidélité et de l’attachement pour la SNCF
3.a.2 Les ressorts de l’humilité, l’intégrité et la bienveillance
3.B Des promesses et de la communauté
3.b.1 S’inscrire dans la durée
3.b.2 Maintenir et soutenir la communauté
Conclusion partielle
Conclusion

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