La traduction hébraïque du Commentaire Moyen d’Averroès à la Poétique d’Aristote

Le Be’ur Sefer ha-Shir dans le contexte philosophique de la Provence du XIVe siècle

L’œuvre de Todros Todrosi d’Arles s’inscrit dans l’histoire intellectuelle du monde juif provençal du XIVe siècle. Grâce à son activité de traducteur de l’arabe à l’hébreu, plusieurs textes et commentaires aux traités d’Aristote, jusqu’alors inconnus, ont pénétré la pensée philosophique juive. Son œuvre de traduction, extrêmement originale, illustre bien le dynamisme intellectuel qui caractérisa la philosophie juive au cours d’une période allant de la conclusion de la polémique antimaïmonidienne (1304-1306) à l’année 1391, première vague des politiques répressives qui, en 1492, finiront par conduire à l’expulsion des Juifs d’Espagne. A partir de cette date, s’ouvre une nouvelle page de la pensée philosophique juive du XVe siècle. Toutefois, comme les dynamiques de transmission du Commentaire Moyen à la Poétique le démontrent, en dépit des contingences dramatiques de l’histoire juive de cette époque , la philosophie hébraïque, sous sa configuration particulière du XIVe siècle, se poursuivit encore au XVe siècle, en l’Italie.

L’assimilation progressive de la pensée grecque, arabe et latine, à travers la traduction de textes originaux ou de commentaires à ces ouvrages, fait de la Provence des XIIIe-XIVe siècles un des principaux centres de la pensée hébraïque de l’Europe médiévale. Dans un premier moment, on traduisit en hébreu les classiques, rédigés en langue arabe, de la pensée religieuse et philosophique juive. La pensée de Maïmonide ouvrit les portes à la pensée philosophique aristotélicienne qui fut immédiatement reçue et assimilée par les milieux des intellectuels juifs provençaux, philosophes, médecins, scientifiques, ouverts à l’intégration des sciences modernes dans le curriculum d’études classiques. C’est grâce à la traduction de l’œuvre de Maïmonide, que l’on assista à l’entrée du rationalisme aristotélicien et de la pensée philosophique néo-platonicienne judéo-arabe dans la culture provençale, ce qui détermina la nécessité de traduire en hébreu les commentaires philosophiques arabes à l’œuvre d’Aristote. Au début du XIIIe siècle, à l’ouverture du judaïsme arabophone d’Espagne et des pays de langue d’Oc, faisait écho une forte opposition de la part des milieux religieux de Catalogne et de Provence, ce qui suscita la polémique anti-maïmonidienne, qui investit le monde juif de 1230 à 1306. Elle concernait surtout la condamnation de l’introduction de la philosophie et des sciences étrangères dans la tradition juive. En utilisant un vocabulaire emprunté à l’historiographie islamique, les traditionalistes, défenseurs et conservateurs de la tradition, voyaient dans les philosophes, des innovateurs (des traditionnistes, ou fondateurs de traditions nouvelles) et dans la philosophie, une science dangereuse pour la conservation de la tradition. A cette époque, la forte hostilité des milieux traditionnels envers les sciences philosophiques a des traits en commun avec la dispute de Paris qui agita le monde latin de 1205 à 1277. La dispute de Paris, concernait en fait les livres de philosophie naturelle d’Aristote. Elle se conclut par l’interdiction de l’étude de ces derniers, ainsi que des commentaires d’Averroès à Aristote. Mais, même si la philosophie d’Aristote, et en particulier ses livres Logiques furent bientôt au centre des interdictions rabbiniques, cette situation n’empêcha pas la philosophie de pénétrer les milieux intellectuels juifs philosophiques et pas uniquement ceux « purement » philosophiques.

Deux aspects fondamentaux caractérisent la pensée philosophique juive provençale du XIVe siècle : 1. d’une part, la poursuite des expériences intellectuelles développées durant le siècle précédent, entre assimilation de la philosophie rationnelle et religieuse judéo-arabe, développement d’une réflexion philosophique originelle en langue hébraïque et émergence de la kabbale ; 2. D’autre part, l’intérêt majeur des intellectuels juifs envers l’étude de la Logique, aussi bien, grâce à l’étude des commentaires arabes de Fārābī et Averroès, qu’à l’introduction des commentaires anciens de Thémistius, Alexandre d’Aphrodise, et un intérêt nouveau pour l’œuvre philosophique d’Avicenne, d’abord connu pour son Livre sur la médecine, al-Qanūn fī-Tīb et les ouvrages d’alGhazali. En outre, au XIVe siècle, le monde juif commençait à s’ouvrir aux influences de la scolastique latine, en particulier en ce qui concerne les études scientifiques, notamment la Physique et la Métaphysique, ainsi qu’aux études logiques.

La tradition de la Poétique d’Aristote dans le monde juif médiéval

La Poétique a été le dernier texte des livres de l’Organon à être traduit, commenté et transmis, en terre d’Islam d’abord, et en Provence et dans le Languedoc ensuite, où la tradition scientifique et philosophique gréco-arabe continuait à être étudiée via les traductions de l’arabe au latin et à l’hébreu. En fait, le texte de la Poétique, que ce soit lors de sa première traduction en langue arabe, ou lors de la traduction hébraïque du Commentaire Moyen d’Averroès à la Poétique, a été, à chaque fois, traduit en tant que dernier livre et bien après les autres livres de la Logique. La Poétique et ses commentaires, partagent par ailleurs le même destin que le texte de la Rhétorique. Les deux livres étaient considérés comme faisant partie d’un corpus unique concernant les genres du discours non démonstratif, ils appartenaient plus à la sphère de la philosophie pratique de l’éthique et de la politique qu’à celle de la philosophie théorétique. D’ailleurs, un texte comme la Poétique était étudié plutôt pour ses aspects littéraires que pour ses aspects spéculatifs à cause de sa dimension apparemment moins philosophique. Il nous semble que le contenu philosophique du texte, plutôt lié à l’éthique et à la réflexion sur la fonction de l’imagination au sein de la théorie poétique développée par la tradition classique arabe d’un côté, et juive de l’autre, a déterminé la manière dont ce texte a été absorbé par leurs contextes culturels respectifs. Tobi, qui a été le seul à avoir étudié directement la question de la réception de la Poétique et du Commentaire Moyen d’Averroès dans la tradition poétique juive, limite très fortement, avec raison, l’influence de la poétique hellénisante gréco-arabe sur la poésie du monde juif.

Noyaux de la Poétique d’Aristote

Dans le peri poiētikēs, ou la Poétique, Aristote élabore son interprétation de l’art poétique et définit les formes, les genres et les structures que le poète doit suivre pour bien construire son récit. Comme l’analyse de Halliwell l’a mis en lumière, dans son ensemble le texte se déroule selon trois dimensions qui le caractérisent : une dimension historique de la littérature grecque, une autre théorique de la pensée d’Aristote sur le rôle de la littérature et, enfin une dimension philosophique. La lecture d’Homère, d’Hésiode, puis celle des tragiques, était au centre de la paideia de la Grèce ancienne. Les poètes avaient créé un répertoire de formes linguistiques et d’images littéraires qui constituaient la matière à la base de l’épopée traditionnelle, où confluait justement la pensée archaïque réélaborée par la mythologie homérique et la théologie d’Hésiode. L’œuvre d’Homère en particulier, surtout lorsqu’on la considère sous ses aspects rhétoriques et linguistiques, constitue la reconstruction philologique du passé mythique de la Grèce archaïque, et la fondation du présent politique et éthique de la Grèce à l’âge classique. L’art poétique, selon un des caractères principaux de la tradition poétique et littéraire grecque, était considéré comme une partie de la politique et du système pédagogique des citoyens grecs. Sa fonction était didactique, liée à la réalité sociale, politique et religieuse et s’exprimait par les formes et les images du mythe qui était l’objet privilégié de la poésie narrative et dramatique ancienne .

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Table des matières

Introduction
I Première Partie
1.Le Be’ur Sefer ha-Shir dans le contexte philosophique de la Provence du XIVe siècle
1.1.La tradition de la Poétique d’Aristote dans le monde juif médiéval
1.2 Description de l’ouvrage
1.2.2Noyaux de la Poétique d’Aristote
1.2.3Les développements conceptuels du Be’ur Sefer ha-Shir
2.Todros Todrosi traducteur-philosophe provençal du XIVe siècle
2.1Todros Todrosi d’Arles : un esquisse historique et sociale
2.2Le corpus des traductions de Todrosi
2.3L’Art Poétique d’Aristote dans la littérature juive médiévale : entre esthétique
littéraire et pédagogie de l’action
II Deuxième Partie
3.La tradition textuelle du Commentaire Moyen à la Poétique : une inclusion tardive parmi les livres logiques
3.1La tradition de l’antiquité tardive
3.2. La tradition syro-arabe
3.3. La tradition hébraïque
4. La traduction de Todros Todrosi
4.1De l’arabe à l’hébreu : le contexte des traductions philosophiques
4.2La méthode de travail : l’haqdamah de Todrosi et le Kitāb al-ʿayn
4.3Le lexique du Be’ur Sefer ha-Shir : les termes clés et la grammarie philosophique
III Troisième Partie
5. Critères de l’édition critique et de traduction
5.1 Description des manuscrits, colophons et histoire textuelle
5.2 Les colophons
5.3 Analyse philologiques des manuscrits et stemma codicum
Le Be’ur Sefer ha-Shir
Edition du texte hébreu et traduction critique en langue française
6. Analyse des chapitres
Pereq rishon
Pereq sheni
Pereq shelishi
Pereq revʿi
Pereq ḥamishi
Pereq Shishi
Pereq shivʿi
Glossaire hébreu-arabe-français
Appendice
Bibliographie

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