Les méthodes de prospection électrique regroupent des méthodes actives basées sur l’injection d’un courant dans le sous-sol (e.g. résistivité électrique et polarisation provoquée) et des méthodes passives mesurant, par exemple, le champ électrique résultant de l’existence de courants électriques naturels présents dans le sous-sol (potentiel spontané).
Dans ce travail de thèse, nous nous sommes concentrés sur deux méthodes géoélectriques, la résistivité électrique et la méthode de potentiel spontané (PS). Le paragraphe suivant présente un état de l’art de ces deux méthodes ainsi que la méthode de polarisation provoquée (PP). Même si cette dernière n’a pas été utilisée durant cette thèse, elle reste néanmoins une méthode très complémentaire et de plus en plus utilisée pour la détection de contaminants (Aal et al. (2004), Briggs et al. (2004), Daily & Ramirez (2004) et Grimm & Olhoeft (2004)).
La Tomographie de Résistivité Électrique–ERT
Principe de la méthode
Pour la plupart des roches, la conductivité électrique est de nature électrolytique. En effet, les ions contenus dans l’eau porale transportent des charges sous l’effet du champ électrique et en conséquence la roche conduit le courant électrique. D’autre part, la surface des minéraux est le siège de phénomènes électro-chimiques connus sous le nom de double couche électrique. Celle-ci est responsable d’une conductivité électrique dite de surface au voisinage de l’interface entre l’eau porale et les minéraux. Cette conductivité joue un rôle majeur lorsque la surface spécifique de la roche est importante, comme dans le cas de minéraux argileux. Le passage du courant peut également se faire par déplacement d’électrons. On parle de conductibilité électronique ou métallique. Elle n’est réellement importante que pour certains gisements de minerai tels que les sulfures, les oxydes ou le graphite.
La résistivité électrique du sous-sol dépend essentiellement de la teneur en eau de la roche (fonction de la porosité et de la saturation), de la salinité de l’eau interstitielle et de la teneur en argile des roches. Le principe de la méthode repose sur la mesure de différences de potentiel électrique associées à l’injection d’un courant électrique (figure 1.1). La loi d’Ohm permet de calculer la résistivité électrique dite apparente. Cette valeur résulte de la contribution de toutes les portions du milieu qui sont traversées par le courant émis en surface. Ainsi, la mesure représente une valeur qui intègre les résistivités sur un certain volume du sous-sol. La technique d’acquisition consiste à réaliser des profils en augmentant régulièrement l’espace entre les électrodes. Les mesures de terrain permettent ainsi d’obtenir une pseudo-section de la résistivité électrique apparente du sous-sol.
Matériel d’acquisition et traitement des données
Dans le cadre de cette thèse, nous avons utilisé le résistivimètre Terrameter SAS4000 et le système de panneaux électrique LUND développés par l’ABEM.
Le traitement des données est effectué à partir de logiciels d’inversion pour déterminer les résistivités électriques vraies à partir de la pseudo-section obtenue sur le terrain. Nous avons utilisé le programme d’inversion RES2DINV de Loke & Barker (1996) basé sur une méthode d’optimisation par moindres carrés généralisés. La pseudo-section obtenue avec les données de terrain est divisée en un certain nombre de blocs rectangulaires dont la taille augmente avec la profondeur (figure 1.3). Cette augmentation est généralement de 10 à 25 % selon le type d’acquisition (Wenner, Schlumberger, Pôle-Pôle …).
A chaque bloc est associé une valeur de résistivité apparente. De façon itérative, en ajustant la résistivité vraie de chaque bloc du modèle, le logiciel d’inversion tente de minimiser une fonction coût basée sur l’écart entre les valeurs calculées et mesurées de résistivité apparente. Cette minimisation peut se faire selon une norme L1 ou L2. L’erreur RMS (Root-Mean-Square) donne une estimation de cette différence. Ce paramètre est une bonne indication de la qualité d’un profil, cependant ce n’est pas l’itération qui présente une valeur RMS la plus faible qui donne le modèle le plus juste. Quatre à six itérations suffisent habituellement pour converger vers le modèle de résistivité électrique vrai qui rend le mieux compte des observations de terrain. Sur un microprocesseur Pentium, l’inversion d’une pseudo-section prend quelques minutes avec RES2DINV. L’inversion reste malgré tout non-univoque. La non-unicité de la solution a été discuté par Gibert & Pessel (2001) qui présentent une méthode plus élaborée de tomographie de données de résistivité électrique. Différents modèles peuvent expliquer les mesures de terrain et il est parfois difficile de savoir lequel correspond à la réalité en l’absence d’information complémentaire. La connaissance préalable du terrain est donc souhaitable pour déterminer le modèle le plus fiable.
Applications
Les applications de la méthode de résistivité électrique sur des sites contaminés sont nombreuses :
– En se basant sur le contraste de conductivité entre l’eau saline et l’eau douce, Nowroozi et al. (1999), Yang et al. (1999) et Nimmer & Osiensky (2002) ont suivi l’évolution d’un panache d’eau saline dans un aquifère par tomographie de résistivité électrique.
– La détection d’hydrocarbures dans les aquifères peut également être observée. Lorsque le panache est jeune, celui-ci est caractérisé par de fortes valeurs de résistivité électrique dues au caractère isolant des hydrocarbures (Benson et al. (1997) ; Buselli & Lu (2001) ; de la Vega et al. (2003)). Lorsque le panache est plus mature (plusieurs dizaines d’années), il présente de faibles valeurs de résistivité électrique (Atekwana et al. (2000), Werkema et al. (2003)). Cette différence a été attribuée à la dégradation par les micro-organismes des hydrocarbures (Sauck (2000), Werkema et al. (2003) et Atekwana et al. (2004)). Les bactéries qui colonisent la surface des minéraux, produisent des acides carboniques et organiques au cours de la biodégradation de la matière organique. Elles participent ainsi à l’altération de la surface des minéraux et à la minéralisation de l’eau porale. Dans la zone de production de ces acides, les eaux de formation ont une force ionique élevée qui augmente ainsi la conductivité électrique de la formation. Vichabian et al. (1999) ont montré que la présence de bactéries sous forme de biofilms à la surface des minéraux engendre le plus souvent une diminution de la porosité et donc une diminution de la perméabilité de la roche (phénomène de colmatage).
Les zones qui présentent de fortes valeurs de conductivité électrique peuvent donc s’expliquer par une forte biodégradation. Les zones de forte conductivité sont localisées en limite des zones contaminées où les deux facteurs limitant pour le développement des bactéries (quantité d’hydrocarbures et accepteurs d’électrons terminaux) sont tout deux présents en quantité suffisante.
– Les panaches de contamination organique sont généralement caractérisés par des valeurs de conductivité du fluide élevées dues au nombre important d’ions présents dans la solution porale. Ainsi, ces panaches peuvent être caractérisés par de faibles valeurs de résistivité électrique (Aristodemou & Thomas-Betts (2000) ; Naudet et al. (2004)).
Guérin et al. (2004) ont utilisé la méthode Slingram de cartographie électromagnétique, le sondage électrique et l’imagerie électrique sur une décharge recouverte, dans laquelle les lixiviats sont réinjectés dans la masse de déchets pour accentuer la biodégradation (système de bioréacteur). Leur objectif était de tester l’efficacité de ces méthodes comme outil de surveillance du bioréacteur. Les méthodes de résistivité électrique leur ont permis de suivre l’évolution de la saturation en eau dans le massif de déchets, ainsi que la diffusion des lixiviats. Des études supplémentaires en laboratoire sont nécessaire pour comprendre le lien entre la résistivité, la saturation en eau et la température des déchets.
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Table des matières
Introduction
1 État de l’art des méthodes géoélectriques : principes et applications
1.1 Introduction
1.2 La Tomographie de Résistivité Électrique–ERT
1.2.1 Principe de la méthode
1.2.2 Matériel d’acquisition et traitement des données
1.2.3 Applications
1.3 La Polarisation Provoquée –PP
1.3.1 Les Mécanismes de polarisation
1.3.2 Principe de la méthode
1.3.3 Applications
1.4 Le Potentiel Spontané–PS
1.4.1 Origine du phénomène
1.4.2 Principe de la méthode
1.4.3 Les sources de bruit
1.4.4 Équipement
1.4.5 Méthodologie des mesures
1.4.6 Applications
1.4.7 L’interprétation des signaux PS
1.5 Conclusion
2 Le phénomène d’électrofiltration
2.1 La force électromotrice
2.2 Origine du phénomène : la double couche électrique
2.2.1 Un excès de charges
2.2.2 La double couche électrique
2.2.3 L’écoulement de l’eau
2.3 Quantification de l’électrofiltration
2.3.1 L’équation d’Helmholtz-Smoluchowski
2.3.2 Les équations constitutives
2.3.3 L’équation de Poisson
2.3.4 Expression finale du potentiel spontané
2.3.5 Influence de la conductivité électrique du sol
2.4 Le coefficient de couplage électrocinétique
2.4.1 Sa gamme de variation
2.4.2 Paramètres influençant le phénomène d’électrofiltration
2.5 Conclusion
3 L’inversion des sources électrocinétiques
3.1 Introduction
3.2 Localiser la source du potentiel spontané
3.2.1 La méthode de Patella
3.2.2 La tomographie dipolaire
3.3 Caractériser les écoulements
3.3.1 La méthode SPS d’Aubert
3.3.2 La méthode de Fournier et de Birch
3.3.3 Les méthodes électrographiques
3.3.4 L’inversion couplée hydro-électrique
3.4 Conclusion
4 Le phénomène électro-rédox
4.1 Introduction
4.2 Les gisements de minerai
4.3 Les panaches de contamination
4.3.1 La dégradation de la matière organique
4.3.2 Les zones rédox
4.3.3 Le rôle des bactéries
4.3.4 Les bactéries produisent un courant électrique ?
4.3.5 Le modèle de (bio)-géobatterie
4.4 Conclusion
Conclusion