La thermohydraulique des réacteurs nucléaires
Les réacteurs à eau pressurisée
Le réacteur à eau pressurisée (REP) est le réacteur électrogène le plus répandu dans le monde. Cette filière équipe l’ensemble des centrales nucléaires françaises, soit 58 réacteurs qui fournissent 80 % de l’électricité produite dans le pays. Cette électricité est produite à partir de la fission du combustible nucléaire dans le cœur du réacteur. Ce type de réacteur utilise principalement un combustible à oxyde d’uranium légèrement enrichi, ou un combustible mixte composé d’un mélange d’oxyde d’uranium appauvri ou faiblement enrichi et d’oxyde de plutonium (combustible MOX). Le cœur des REP est constitué d’une centaine d’assemblages de crayons de combustible composés chacun de pastilles fissiles. Le fluide caloporteur (eau) circulant autour de ces crayons agit également comme modérateur. Cette eau permet donc à la fois :
— de favoriser la réaction de fission en thermalisant les neutrons rapides (les neutrons ralentis ayant plus de probabilité de rencontrer un noyau d’uranium fissile),
— et de modérer la réaction de fission quand sa température augmente (plus sa température augmente et moins les neutrons sont ralentis).
Le contrôle du réacteur est assuré par des barres de contrôle et un absorbant neutronique (acide borique) présent en solution dans le caloporteur. Deux circuits fermés d’eau et un circuit ouvert sont nécessaires au fonctionnement d’un REP :
— le circuit primaire , dans lequel circule le fluide de refroidissement du cœur,
— le circuit secondaire , qui sert à la production de vapeur et à la production d’énergie mécanique à la turbine,
— Le circuit de refroidissement , qui sert à la recondensation de la vapeur du circuit secondaire.
Afin d’optimiser le rendement, il est nécessaire que la température du caloporteur soit la plus élevée possible. L’eau du circuit primaire circulant autour des assemblages, est élevée à une température d’environ 320 °C en sortie du cœur, contre environ 290 °C en entrée en fonctionnement normal, sous une pression de 155 bar pour prévenir l’ébullition. Dans ces conditions, la puissance volumique d’un REP 1300 MW est d’environ 100 MW/m3 . L’eau du circuit primaire est ensuite acheminée vers les générateurs de vapeur alimentés par un circuit secondaire d’eau à 230 °C. L’eau du circuit secondaire est soumise à une pression plus faible (72 bar pour un réacteur de type N4) de telle sorte qu’elle est portée à ébullition (Tsat ≈ 290 °C) au contact des tubes des générateurs de vapeur. La vapeur créée entraîne alors un turboalternateur produisant de l’électricité. Celle-ci est ensuite ramenée à l’état liquide grâce à un condenseur dans lequel circule l’eau du circuit de refroidissement provenant de la mer ou d’un fleuve.
La sûreté des REP est garantie par trois barrières de confinement de la radioactivité visant à prévenir tout risque de contamination de l’environnement :
— la gaine des crayons de combustible,
— la cuve du réacteur,
— le bâtiment réacteur.
C’est pourquoi il est nécessaire de prendre en compte, lors de la conception thermohydraulique des REP, tous les phénomènes possibles pouvant affecter ces barrières, en considérant tous les régimes de fonctionnement de la centrale : nominal, transitoire normal ou accidentel. La principale limitation au fonctionnement d’un réacteur nucléaire est liée aux quantités d’énergie que le fluide caloporteur peut évacuer du cœur tant en fonctionnement normal, qu’en fonctionnement accidentel.
Le dimensionnement thermique des réacteurs
Afin de garantir des marges de sécurité raisonnables, il est essentiel de mener des études de sûreté spécifiques pour chaque installation nucléaire. En effet, le cœur ainsi que les systèmes associés de refroidissement, de contrôle et de protection doivent être conçus de façon à ce que leurs limites ne soient pas atteintes dans les états de fonctionnement normaux ou incidentels . Les composants du circuit de refroidissement doivent donc être dimensionnés de façon à résister aux changements dynamiques résultant des transitoires de fonctionnement. La conception des composants doit être telle que d’une part, la défaillance des éléments internes soit peu probable et que d’autre part, les dommages résultant sur les autres entités du circuit primaire, en particulier les crayons de combustible, soient faibles. En fonctionnement normal, les limites de puissance sont déterminées essentiellement par les capacités des systèmes de production d’électricité, mais également par des règles permettant de s’assurer que la production d’énergie reste contrôlable à tout instant et que les contraintes thermiques et mécaniques sur le combustible permettent d’assurer l’intégrité de la gaine. En fonctionnement accidentel, la plupart des transitoires étudiés feront appel à la puissance dégagée par le cœur après l’arrêt du réacteur, c’est-à-dire la puissance résiduelle qui résulte de la décroissance des produits de fission après insertion des barres d’arrêt. La crise d’ébullition est l’un des phénomènes critiques qui pourrait conduire à la rupture des gaines des crayons de combustible ; elle fait l’objet d’études spécifiques lors de la conception thermohydraulique des REP.
Les problématiques scientifiques mises en jeu
Les écoulements bouillants convectifs
Cette section rappelle quelques généralités sur les configurations d’écoulements bouillants convectifs. Les écoulements bouillants convectifs peuvent être classés en plusieurs configurations. Ces configurations sont basées sur la répartition spatiale et la quantité de vapeur présente dans l’écoulement qui évolue en fonction des conditions thermohydrauliques de l’écoulement et des conditions thermiques à la paroi. Chacune des configurations d’écoulements bouillants convectifs est également caractérisée par un ou plusieurs régimes d’échange thermique à la paroi. Sur la figure 1.2, inspirée de Collier (1981), sont reproduites les différentes configurations d’écoulements rencontrées dans un tube vertical chauffé uniformément par une faible densité de flux thermique. Le tube est alimenté en entrée par un liquide sous-saturé, c’est-à-dire avec un titre thermodynamique à l’équilibre Xeq négatif et est de longueur suffisamment grande pour autoriser un écoulement de vapeur pure en sortie.
Si l’on détaille l’évolution des différents régimes, à une cote donnée de la paroi chauffante, la température de paroi devient suffisante pour déclencher l’apparition de bulles de vapeur (onset of nucleate boiling , ONB). En amont, l’écoulement est convectif monophasique liquide. A cette cote, débute l’ébullition nucléée sous-saturée et le régime d’écoulement à bulles. La température du liquide à la paroi TW,ONB est alors supérieure de quelques degrés à la température de saturation tandis que la température liquide au cœur de l’écoulement reste inférieure à la température de saturation. Au début de l’apparition de l’ébullition nucléée, on est en régime d’ébullition soussaturée partielle, les bulles se forment à la paroi sur des sites dits de nucléation actifs dont le nombre et la densité va augmenter avec le flux thermique. Ensuite, à partir du moment où les premières bulles de vapeur décollent de la paroi et envahissent la conduite, commence le régime d’ébullition sous-saturée pleinement développée. Ce point s’appelle l’OSV, (onset of significant void).
La transition entre l’ébullition nucléée sous-saturée et l’ébullition nucléée saturée survient dès que le titre thermodynamique à l’équilibre Xeq devient supérieur à zéro. L’augmentation du titre thermodynamique conduit à de nouveaux changements de configuration avec l’apparition de structures d’écoulement à poches et d’écoulement annulaire. Le transfert de chaleur par ébullition nucléée est alors remplacé par la convection forcée au travers du film liquide entraînant une diminution de son épaisseur (par vaporisation à l’interface liquide/vapeur ainsi que par arrachement). L’évaporation complète du film liquide conduit alors au phénomène d’assèchement de la paroi qui se caractérise , dans un système à flux imposé, par une augmentation de la température de paroi, et qui peut conduire au phénomène de crise d’ébullition de type assèchement (dry out). Si le film liquide a complètement disparu à la paroi, on peut en revanche encore trouver du liquide sous forme de gouttelettes présentes dans le cœur de l’écoulement.
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Table des matières
INTRODUCTION
1 Contexte scientifique et industriel
1.1 La thermohydraulique des réacteurs nucléaires
1.1.1 Les réacteurs à eau pressurisée
1.1.2 Le dimensionnement thermique des réacteurs
1.2 Les problématiques scientifiques mises en jeu
1.2.1 Les écoulements bouillants convectifs
1.2.2 La crise d’ébullition par caléfaction
1.3 Méthodologie de prédiction de la crise d’ébullition en cœur de réacteur
1.3.1 L’Approche Prédictive Locale – APL
1.3.2 Le code NEPTUNE_CFD
1.3.3 La modélisation de la turbulence en écoulement diphasique
1.4 Les objectifs de la thèse
1.4.1 Objectifs
1.4.2 Stratégie de l’étude
1.4.3 Plan du mémoire
2 Présentation du modèle 2D quasi-établi axi-symétrique en régime stationnaire
2.1 Établissement des équations du modèle 2D quasi-établi
2.1.1 Présentation du système étudié
2.1.2 Intégration des équations de bilan de quantité de mouvement et d’enthalpie du mélange
2.2 Relations de fermeture
2.2.1 Modélisation de la contrainte totale
2.2.2 Modélisation du flux de chaleur total
2.2.3 Fermeture des termes turbulents
2.3 Mise en œuvre du modèle
2.3.1 Détermination du profil de vitesse de mélange
2.3.2 Détermination du profil de température liquide
2.4 Validation sur des cas de référence
2.4.1 Cas monophasique – Données de Laufer (1954)
2.4.2 Cas diphasique adiabatique – Données de Sato et Sadatomi (1981)
2.4.3 Cas diphasique chauffant – Données de Sato et Sadatomi (1981)
2.4.4 Conclusions sur les cas tests
3 La banque de données expérimentale DEBORA
3.1 Présentation générale du dispositif et de la base de données
3.1.1 Le dispositif expérimental
3.1.2 Le domaine d’étude et les transpositions
3.1.3 La section d’essais
3.1.4 Instrumentation mise en œuvre
3.1.5 Incertitudes de mesures
3.2 Choix des essais retenus
3.2.1 Campagne C800
3.2.2 Campagne C2900
3.2.3 Campagne C3000
3.2.4 Campagne C6100/TESS
3.3 Analyses préliminaires
3.3.1 Campagne C800
3.3.2 Campagne C2900
3.3.3 Campagne C3000
3.3.4 Campagne C6100/TESS
3.4 Analyse de la cohérence de la banque de données
3.4.1 Cohérence des mesures de température de paroi
3.4.2 Cohérence des mesures de température liquide
3.4.3 Cohérence des mesures de taux de vide
3.5 Conclusions
4 Application du modèle 2D quasi-établi aux essais DEBORA
4.1 Calcul du profil de vitesse de mélange
4.1.1 Préliminaires sur les données d’entrée du système mécanique
4.1.2 Résultats de la partie mécanique
4.1.3 Étude de sensibilité
4.1.4 Conclusions sur la partie mécanique
4.2 Calcul du profil de température liquide
4.2.1 Préliminaires sur les données d’entrée du système thermique
4.2.2 Résultats thermiques monophasiques
4.2.3 Résultats thermiques diphasiques
4.2.4 Étude de sensibilité
4.2.5 Conclusions sur la partie thermique
5 Développement d’un modèle de turbulence à deux zones dans le cadre des écoulements bouillants REP
5.1 Structure du modèle
5.2 Détermination des échelles turbulentes de chaque zone
5.2.1 Estimation des constantes C1 et C2
5.2.2 Choix d’échelles turbulentes dans chaque zone
5.3 Test du modèle à deux zones sur les essais DEBORA
5.3.1 Détermination des paramètres du modèle
5.3.2 Résultats obtenus
5.3.3 Remarque sur l’analogie de Prandtl
5.4 Conclusions sur le modèle de turbulence thermique à deux zones
CONCLUSION