La thermodynamique de la bord interne de la zone morte dans les disques protoplanétaires

Observations

              La première contrainte sur la masse totale des disques et sur sa répartition dans le disque est suggérée par l’observation de notre propre système solaire. Lorsque l’on extrapole la masse qu’aurait chaque planète si les proportions d’éléments légers (Hélium et Hydrogène) par rapport aux éléments lourds étaient identiques aux proportions solaires, on réalise que la masse diminue avec le rayon en suivant approximativement la loi de puissance : R−3/2 (Weidenschilling 1977). Si, comme Laplace, on suppose qu’une planète est le produit de la concentration d’un anneau de matière du disque alors la densité de surface dans le disque suit la loi Σ ∝ R−3/2. La constante de proportionnalité est fixée par la masse totale du disque : MD. La limite inférieure de la masse du disque est égale a la somme des masses extrapolées des planètes, c’est la Minimum Mass Solar Nebula (MMSN). Aujourd’hui, la présence de disques autour d’étoiles en formation ne fait plus aucun doute. Les campagnes d’observation du ciel dans les longueurs d’onde infrarouges, millimétriques et sub-millimétriques ont montré que 90% des étoiles jeunes sont entourées d’un disque constitué de gaz et de poussière (Duchêne 2011) plus massif que les planètes du système solaire réunies (Weintraub et al. 1991). La preuve la plus spectaculaire de la présence d’un disque autour d’étoiles jeunes est apportée par les images de disques vus par la tranche, ou plus précisément de leur négatif, prises par le télescope spatial Hubble. Sur ces clichés (comme ceux de la figure 1.1 obtenus avec les caméras NICMOS et WFPC2 de Hubble) le disque apparaît comme une ligne sombre sur le fond brillant de la nébuleuse. Ces observations ont montré que l’ouverture angulaire du disque est petite H/R ∼ 0.05 − 0.1 et par conséquent que la rotation est supersonique (voir Eq.1.16). Les campagnes d’observation avec les télescope spatiaux Spitzer et Hershel ont ensuite largement étendu le catalogue des disques observés, ouvrant la voie à une étude statistique des propriétés des disques. Il en ressort que les disques ont une taille typique de l’ordre de plusieurs centaines à un millier d’unités astronomiques (Lodato 2008, Williams et Cieza 2011). La mesure directe de la masse des disques n’est pas possible car le dihydrogène, qui est le composant majoritaire dans le nuage moléculaire, est invisible sur la plus grande partie du disque. La masse totale d’un disque est extrapolée à partir de la mesure la masse de poussière qu’il contient et du rapport de la densité du gaz et de la poussière mesuré dans le milieu interstellaire : Rp/g ∼ 0.01 (Lodato 2008). La masse des disques varie entre 0.1% et 10% de la masse de l’étoile centrale. Les images de disques dans une gamme de longueur d’onde millimétrique montrent que la distribution de masse dans le disque suit approximativement le profil de la MMSN (Williams et Cieza 2011). Le profil de rotation du disque est mesuré via le décalage Doppler des bandes d’émission du monoxyde de carbone, le gaz le plus abondant après le dihydrogène. Les cartes de vitesse ont confirmé que la rotation des molécules de CO est proche de la rotation képlérienne (Dutrey et al. 1994). Les fluctuations de vitesse par rapport à la rotation moyenne sont mesurées via l’élargissement des raies des molécules de CO et CS. La largeur des bandes du monoxyde de carbone suggèrent que l’écoulement est turbulent et que les fluctuations de vitesse sont supersoniques (Carr et al. 2004, Hughes et al. 2011). Ce résultat n’est valable que pour les couches externes du disque car celui ci est très opaque dans ce domaine de fréquence. La mesure sur les bandes de la molécules CS, pour lesquelles le disque est optiquement fin 1 montre que la turbulence au delà de 100 ua est subsonique (0.5cs , Guilloteau et al. 2012). Ces mesures sont difficiles et les incertitudes sont grandes car l’élargissement des raies par la turbulence se combine avec l’élargissement thermique.

Sources d’ionisation

          Le paragraphe précédent souligne le fait que l’instabilité magnéto-rotationnelle de l’écoulement requiert un bon couplage entre le champ magnétique et le fluide. L’ionisation des particules est donc un paramètre crucial de la stabilité des disques. On distingue deux types de phénomènes d’ionisation dans les disques protoplanétaires : l’ionisation par l’absorption d’un rayonnement ou de particules énergétiques (tels que les rayons cosmiques) et l’ionisation thermique 12. L’ionisation thermique est importante dans les parties internes du disque, à une distance inférieure à 0.1−1 ua de l’étoile 13. Dans les régions centrales, les rayons X et UV ionisants émis par l’étoile sont absorbés à la surface du disque (Igea et Glassgold 1999, Perez-Becker et Chiang 2011). Les régions plus excentrées, qui sont moins denses, sont optiquement fines : le rayonnement peut pénétrer en profondeur dans le disque et ioniser le gaz. Les rayons cosmiques sont une autre source potentielle d’ionisation mais on ignore s’ils parviennent à franchir le barrage du champ magnétique et du vent stellaire (Cleeves et al. 2013). La désintégration des isotopes radioactifs à courte période comme l’26Al pourrait contribuer à l’ionisation du gaz mais ces éléments sont contenus dans des grains de poussière qui écrante leur rayonnement (Umebayashi et al. 2013). La recombinaison des ions et des électrons peut se faire directement ou par l’intermédiaire d’une autre espèce. En particulier, la présence de grains de poussière aide la rencontre des espèces chargées et favorise la recombinaison (Sano et al. 2000). Le taux d’ionisation à un endroit du disque résulte de la compétition entre les processus d’ionisation et de recombinaison.

Le concept de zone morte

                Les considérations précédentes ont amené Gammie (1996) à introduire le concept de zone morte. La zone morte (région foncée sur la gure 2) est une région au coeur du disque où l’agitation thermique est faible et où les rayons ionisants ne pénètrent pas. Dans cette région, la recombinaison domine l’ionisation. La zone morte est la région où l’écoulement est stabilisé par les processus dissipatifs : Λ < 1. L’appellation zone morte rappelle que cette région n’est probablement pas turbulente puisque la MRI n’opère pas. Par opposition, une zone est active si elle est instable (Λ > 1). Le transport de moment cinétique est a priori inexistant dans la zone morte. Cette zone agit comme un bouchon qui compromet l’accrétion de matière sur l’étoile. On estime qu’elle s’étend sur 10 − 20 ua, suivant le modèle de disque considéré. En particulier, l’impact des différents phénomènes de dissipation magnétique dépend de l’intensité du champ magnétique ainsi que de la quantité d’ions, de neutres et d’électrons locale dont le calcul nécessite la prise en compte d’un réseau de réactions chimiques très complexe (Ilgner et Nelson 2006, Bai 2011). Le titre de la thèse fait mention du bord interne de la zone morte. Cette expression désigne la frontière entre la région ionisée par l’agitation thermique et la zone morte (en rouge sur la figure 2). La zone morte est cernée par deux couches de gaz à la surface du disque ionisées par le rayonnement stellaire. Si la MRI entretient la turbulence de ces deux couches de surface alors, l’accrétion de matière suit cette voie. C’est le phénomène d’accrétion en couche. Les simulations de type shearing box qui modélisent la variation verticale du taux d’ionisation par la variation verticale de la résistivité Ohmique reproduisent ce phénomène (ΛO < 1 au voisinage du plan médian et ΛO > 1 en altitude). Elles montrent aussi que l’accrétion n’est pas strictement nulle dans la zone morte. La turbulence de surface excite des ondes dans la zone morte (Fleming et Stone 2003) qui maintiennent le transport de moment cinétique autour de α ∼ 10−6 . La présence d’un champ magnétique à grande échelle aide aussi le transport de moment cinétique dans la zone morte (Turner et Sano 2008) : α ∼ 10−4. La diffusion ambipolaire et l’effet Hall peuvent aussi avoir leur importance dans cette région où l’ionisation est un paramètre critique. Les simulations shearing box de modèles de la zone morte qui incluent le processus de diffusion Ohmique et le processus de diffusion ambipolaire montrent que la diffusion ambipolaire inhibe la MRI dans les couches de surface (Bai et Stone 2013b, Bai 2013). L’accrétion de matière est bloquée sur toute la hauteur du disque s’il n’est pas traversé par un flux net de champ magnétique vertical. Dans le cas contraire, les particules chargées à la surface du disque sont éjectées du plan du disque. Ce vent extrait efficacement du moment cinétique. Il prend le relais du transport de moment cinétique dans la zone morte. Les simulations shearing box de modèles de la zone morte qui incluent tous les processus dissipatifs montrent que, dans les cas les plus favorables, l’effet Hall compense l’effet stabilisateur de la résistivité Ohmique et déclenche la MRI dans la zone morte (Lesur et al. 2014). L’écoulement reste laminaire mais la MRI produit un champ magnétique orthoradial à grande échelle qui assure le transport de moment cinétique à travers la zone morte (α ∼ 10−2).

Convergence dans les simulations MHD de disques

           Le temps nécessaire à un processeur pour calculer l’évolution d’un modèle sur un pas de temps dépend de la résolution : le nombre d’opérations à réaliser est proportionnel au nombre de cellules dans chaque direction. Le pas de temps est limité par le critère CFL, il doit être plus petit que le temps de traversée d’une cellule par le phénomène physique le plus rapide. Si la résolution est doublée dans la direction de propagation de ce phénomène, le pas de temps est divisé par 2. Ainsi, doubler la résolution d’une simulation dans toutes les directions multiplie par 16 le temps nécessaire au processeur pour calculer l’évolution du modèle sur la même période. Le temps de calcul disponible (3 ans de thèse par exemple) limite donc la résolution et/ou le nombre d’itérations des simulations planifiées pour une étude. Les simulations de disques d’accrétion les plus gourmandes en temps de calcul publiées à ce jour comptent un nombre de cellules proche de 5003 (500 cellules dans chaque direction, Fromang 2010). Les progrès techniques récents permettent aux équipes de recherche de réaliser des simulations de nouvelle génération : quelques 10003 cellules pour un temps de calcul 16 fois plus long. On a vu à la section 1.2.4 qu’il existe deux grands types de simulations. Les simulations shearing box qui calculent l’évolution d’une petite région du disque et les simulations globales. Les simulations shearing box sont intrinsèquement plus précises puisque la taille physique d’une cellule est, à nombre de cellules identique (donc coût numérique identique), beaucoup plus petite que dans une simulation globale : ∆X global/NX >> ∆sh−boxX/NX . Pour affirmer qu’un résultat issu d’une simulation est convergé, en pratique, on reproduit celle ci à plus haute résolution. Les résultats des simulations shearing box d’un modèle de disque traversé par un champ magnétique avec un flux net sont convergés (Guan et al. 2009, Simon et al. 2009). En revanche, le flux de moment cinétique mesuré dans des simulations MHD idéale de disques non stratifiés sans flux net diminue à mesure que la résolution augmente (Fromang et Papaloizou 2007, Pessah et al. 2007). Cette dérive ne semble pas s’atténuer à haute résolution. La convergence est retrouvée si le disque est stratifié (Guan et al. 2009, Simon et al. 2009, Davis et al. 2010, Shi et al. 2010). La question de la convergence numérique est encore plus problématique pour les simulations globales puisqu’elles sont, par définition, moins précises que les simulations shearing box. Les ressources nécessaires pour obtenir la saturation de la MRI sur la totalité du domaine et la convergence sont donc bien plus importantes que dans le cas des simulations shearing box. On assiste actuellement aux débuts de l’étude de la convergence numérique dans les simulations globales (Hawley et al. 2011, Sorathia et al. 2012). Toutes ces simulations (shearing box et globales), mettent en avant l’importance des processus diffusifs, aussi bien physiques que numériques, sur le transport de moment cinétique dans les simulations MHD de disques.

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Table des matières

Introduction
I Contexte scientifique et outils 
1 Accrétion dans le disque protoplanétaire 
Introduction
Formation du disque
Observations
Ordres de grandeur
1.1 Le problème du transport de moment cinétique
1.1.1 Transport visqueux
1.1.2 Jets et vents de disque
1.1.3 Modèle α
1.2 Turbulence de l’écoulement
1.2.1 Stabilité hydrodynamique du disque
1.2.2 Instabilité magnéto-rotationnelle
1.2.3 Turbulence MHD et transport
1.2.4 Simulations numériques
1.3 Zone morte
1.3.1 MRI et dissipation
1.3.2 Sources d’ionisation
1.3.3 Le concept de zone morte
1.3.4 Contraintes observationnelles
2 Formation de planétésimaux 
Introduction
2.1 Dynamique des grains
2.1.1 Sédimentation
2.1.2 Migration
2.2 Les obstacles de la formation des planétésimaux
2.2.1 Barrière de migration
2.2.2 Barrière de rebond et de fragmentation
2.2.3 Là ou l’individu échoue, le collectif peut réussir. Ou pas
2.2.4 Pièges à poussière
3 Le rôle de la zone morte 
3.1 La formation de structures au bord interne de la zone morte
3.1.1 Accumulation de la masse au bord interne de la zone morte
3.1.2 Vortex dans les disques
3.2 Position du bord interne
3.2.1 Ionisation thermique
3.2.2 Disque passif
3.2.3 Disque actif
3.2.4 La zone bi-stable
3.3 Bi-stabilité de la région autour du bord interne de la zone morte
3.3.1 Modèle 1D
3.3.2 Dynamique du bord interne de la zone morte
3.4 Objectifs de la thèse
4 Simulations numériques 
Introduction
4.1 Résolution numérique d’équations différentielles
4.1.1 Notion de stabilité
4.1.2 Méthode des volumes finis
4.1.3 Problème de Riemann
4.1.4 Convergence dans les simulations MHD de disques
4.2 Simulations MHD globales de disques non-localement isothermes
4.2.1 Équations MHD
4.2.2 Problème de la conservation de l’énergie thermique
4.2.3 Conditions initiales
4.2.4 Paramètres numériques
II Thermodynamique de la zone morte 
5 Dynamique du bord interne de la zone morte 
5.1 Thermodynamics of the dead zone inner edge in protoplanetary disks
5.2 Résultats
5.2.1 Thermodynamique du disque turbulent
5.2.2 Thermodynamique de la zone morte
5.2.3 Fronts de MRI
5.3 Conclusions, discussion et perspectives
5.3.1 Convergence numérique
5.3.2 Fluctuations turbulentes
5.3.3 Dynamique du bord interne de la zone morte
6 Le cycle des vortex 
6.1 Vortex cycle at the inner edge of dead zones in protoplanetary disks
6.2 Résultats
6.2.1 Simulations MHD
6.2.2 Modèle visqueux de la région du bord interne de la zone morte
6.3 Conclusions, discussion et perspectives
6.3.1 Processus de migration
6.3.2 Formation de planétésimaux
Conclusion

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