La thérapie génique dans le système nerveux central
Le concept de thérapie génique et ses origines
La thérapie génique recouvre toute approche visant à prévenir ou à traiter une maladie par transfert de matériel génétique. Initialement imaginé pour les maladies génétiques, le transfert de gène est désormais envisagé pour de nombreuses pathologies innées ou acquises. Le traitement consiste à exprimer un gène, qui code une protéine thérapeutique, ou une séquence nucléotidique. Deux stratégies sont envisagées pour introduire un gène thérapeutique (transgène) dans les cellules de l’individu : la thérapie génique ex vivo et la thérapie génique in vivo. La première méthode (figure 1) consiste en la greffe (préférentiellement l’autogreffe) de cellules génétiquement modifiées en culture. Le principe est de récupérer des cellules du malade à traiter, de les cultiver, et d’y transférer le gène thérapeutique. Ces cellules sont ensuite réintroduites chez le malade. La seconde approche (figure 1) est fondée sur l’introduction in vivo du gène thérapeutique dans la circulation sanguine, ou directement au sein du tissu cible, conférant ainsi directement aux cellules du malade la propriété de synthétiser le facteur thérapeutique (Kirschtein and Skirboll, 2001).
La thérapie génique a bénéficié de l’essor de la biologie moléculaire à la fin des années soixante. En 1966, Edward Tatum et Joshua Lederberg avaient émis pour la première fois la possibilité de la manipulation des gènes chez l’homme (Tatum, 1966). La première preuve expérimentale fût apportée par Paul Berg en 1972, qui tira profit du virus recombinant dérivé du virus simien, SV40 pour transférer du matériel génétique exogène dans des cellules de mammifères (Jackson et al., 1972). La découverte de matériel génétique d’origine virale au sein du génome de cellules transformées par des virus oncogènes, papovavirus et rétrovirus a ouvert la voie au transfert de gène (Sambrook et al., 1968; Hill and Hillova, 1972). Des lors, les progrès conjoints de la biologie moléculaire, de la biologie cellulaire et de la virologie ont rendu possible le transfert de gène thérapeutique dans les cellules somatiques chez l’homme pour restaurer une fonction cellulaire déficiente (Friedmann and Roblin, 1972). Le premier essai clinique de thérapie génique fut réalisé par Martin Cline en 1980 chez deux patientes atteintes de β-thalassémie grâce à une approche ex vivo. Des cellules de moelle osseuse génétiquement modifiées in vitro par un plasmide codant la β-globine humaine ont été injectées dans la circulation sanguine. Cette tentative prématurée ne donna pas de résultats probants (Wade, 1981). Les conditions éthiques insatisfaisantes dans lesquelles cet essai a été réalisé ont conduit le RAC (Recombinant Advisory Committee) à édicter en 1985 une charte soumettant les tentatives de transfert de gène chez l’homme à une réglementation très stricte et la mise en place d’une commission, le HGTS (Human Gene Therapy Subcommittee) chargée d’en évaluer la sécurité et l’acceptabilité éthique. Cette réglementation, initialement mise en place aux Etats-Unis, fut adoptée par la communauté internationale.
Les premiers essais de thérapie génique réalisés en accord avec les règles édictées par le RAC ont débuté en 1990 et concernent une maladie immunitaire grave, le déficit immunitaire combiné sévère (DICS). Deux équipes, l’une américaine et l’autre italienne ont conduit en parallèle un essai de thérapie génique contre la forme de DICS causée par un déficit en adénosine déaminase (ADA). La première équipe aux Etats-Unis a engagé un essai sur deux petites filles de 4 et 9 ans (Blaese et al., 1995). Pendant deux ans, ces deux patientes ont reçu des autogreffes de lymphocytes T modifiés à l’aide d’un vecteur rétroviral codant l’ADA humaine. L’état d’une des deux patientes s’est amélioré nettement après cette intervention. Cinq et dix ans après l’intervention, ses lymphocytes T produisaient encore l’ADA (Blaese et al., 1995; Mullen et al., 1996; Muul et al., 2003). En revanche, l’autre enfant a développé des anticorps dirigés contre les protéines contenues dans le sérum de veau foetal utilisé lors de la culture des lymphocytes T, mais également des anticorps dirigés contre l’enveloppe rétrovirale qui ont persistés pendant toute l’étude, aboutissant à un rejet des cellules greffées (Muul et al., 2003). En parallèle, l’équipe de Claudio Bordignon à Milan, a réalisé un autre protocole de thérapie génique ex vivo. Les précurseurs médullaires CD34+ des enfants atteints d’ADA-DICS ont été modifiés à l’aide de vecteurs rétroviraux murins codant l’ADA humaine et réinjectés dans la moelle osseuse (Bordignon et al., 1995). Cependant, l’efficacité de ce traitement se révéla transitoire, en raison de la faible proportion de cellules transduites greffées (Bordignon et al., 1995). L’augmentation du nombre de cellules exprimant le transgène greffées, a permis de restaurer les fonctions immunitaires des enfants traités (Aiuti et al., 2002). Ces résultats constitutent une étape importante dans le traitement des patients atteints d’ADA-SCID. Dans le même temps, L’équipe d’Alain Fischer en France (Cavazzana-Calvo et al., 2000) et celle de Thrasher au Royaume-Uni (Howe and Thrasher, 2003) ont mené avec succès un essai clinique pour une autre forme de DICS, le DICS lié au chromosome X (DICS X1). Les enfants souffrant de cette maladie présentaient des mutations du gène codant la sous unité γc, commune à plusieurs récepteurs de cytokines, conduisant à un défaut complet de développement des lymphocytes T et des cellules « natural killer ». En l’absence de greffe de moelle osseuse allogénique, la maladie est létale au cours de la première année de vie, ce qui nécessite le confinement des patients dans un environnement stérile (Cavazzana-Calvo et al., 2005). Dix patients pour la première étude et quatre pour la deuxième ont été traités par transfert ex vivo du gène γc dans leurs précurseurs médullaires CD34+ à l’aide d’un vecteur rétroviral murin. Une correction stable du déficit immunitaire a été obtenue chez sept et quatre des patients avec un recul de plus de cinq ans pour les essais les plus anciens (Cavazzana-Calvo et al., 2000; Hacein-Bey-Abina et al., 2002). Toutefois, la survenue dans l’essai d’Alain Fischer, près de trois ans après le traitement d’une prolifération clonale de lymphocytes T chez trois des enfants traités pour DICS-X1 a soulevé la question des risques inhérents à cette approche (Hacein-Bey-Abina et al., 2003a). Chez deux patients, c’est un événement de mutagenèse insertionnelle survenu au sein du locus du même proto-oncogène, LMO-2, qui est responsable de la prolifération anarchique des lymphocyte T. L’insertion du provirus dans le premier intron dans l’un des cas, et à proximité du promoteur dans l’autre, a provoqué un effet enhancer du LTR (Long Terminal Repeat) viral sur la transcription du gène LMO-2 (Hacein-Bey-Abina et al., 2003b). Chez le troisième enfant, le gène LMO-2 ne semble pas être impliqué dans la prolifération clonale (Kaiser, 2005). Cependant, plusieurs sites d’intégrations semblent être impliqués dans cette lymphoprolifération (Hacein-BeyAbina et al., 2006). Des études complémentaires sont nécessaires pour comprendre la génotoxicité du rétrovirus dans les cellules hématopoïétiques. Toutefois, les travaux de l’équipe d’Alain Fischer et d’Adrian Thrasher ont démontrés l’efficacité thérapeutique du transfert de gène et ont mis en évidence les problèmes soulevés par cette approche. Ceci nécessite de revoir le rapport bénéfice/risque pour chaque pathologie, mais également de mettre en place des méthodes thérapeutiques plus efficaces qui passent par le développement d’outils de transfert de gène plus performants et plus sûrs.
Les outils de transfert de gènes
Comme nous l’avons vu précédemment, la thérapie génique consiste à introduire un gène d’intérêt thérapeutique au sein d’une cellule ou d’un tissu cible. Ce gène peut être transféré sous forme d’ADN nu, complexé à des molécules chimiques ou intégré au sein de vecteurs dérivés de virus.
Plusieurs types de vecteurs sont aujoud’hui disponibles. Ces vecteurs sont regroupés en deux catégories, les vecteurs non viraux (ou vecteurs synthétiques) et les vecteurs viraux. Le choix de l’un ou l’autre de ces vecteurs est basé sur différents critères : la taille et le type du gène thérapeutique, la cellule dans laquelle l’expression du transgène est ciblée ainsi que la durée et le contrôle de l’expression du transgène. Il est également nécessaire de réduire au maximum toute toxicité (cytotoxicité ou réponse immunitaire) induite par le vecteur.
Les vecteurs non-viraux ou vecteurs synthétiques
Les vecteurs non-viraux sont constitués d’ADN nu, d’ADN complexé à des polymères cationiques comme la poly-lysine, ou à des lipides cationiques pour permettre le passage de l’ADN à travers la membrane cellulaire (Park et al., 2006). Leur avantage par rapport aux vecteurs viraux est d’assurer une plus grande sécurité, d’être synthétisés plus aisément à grande échelle et de pouvoir, en théorie, transférer des séquences d’ADN de plus grande taille. L’ADN nu peut être transferé dans un tissu ou un organe par injection directe (Wolff et al., 1990; Schwartz et al., 1996), par électrotransfert (ou électroporation) (Kreiss et al., 1999; Gehl, 2003), projeté dans les tissus à l’aide d’un pistolet à ADN (Jiao et al., 1993) ou encore via la circulation sanguine (Zhang et al., 1999). Cette dernière approche, bien que séduisante, s’est révélée très peu efficace en raison de la dégradation très rapide de l’ADN nu (Mahato, 1999) et d’une demi-vie plasmatique très courte (Houk et al., 2001). Vu son inocuité, le transfert d’ADN nu exprimant le VEGF (vascular endothelial growth factor) a d’ores et déjà été utilisé chez l’homme dans le cadre des affections vasculaires pour promouvoir la revascularisation (Rauh et al., 2001). L’injection directe d’ADN nu dans le muscle n’a pas permis d’obtenir un niveau d’expression suffisant pour induire un effet thérapeutique (Davis et al., 1993). C’est pourquoi, afin d’augmenter l’efficacité de transfection (in vitro ou in vivo), l’administration d’ADN nu est généralement associée à des méthodes chimiques (complexes cationiques), ou bien à des méthodes physiques (microinjection, électrotransfert…) (Trollet et al., 2006). Des progrès tangibles ont été obtenus après élecrotransfert d’ADN dans le muscle squelettique où une expression à long terme (plus d’un an) du transgène a été obtenue (Bigey et al., 2002; Deleuze et al., 2002).
L’association de l’ADN avec des polymères cationiques comme la poly(L-lysine) (Ward et al., 2001), le polyéthylénimine (PEI) (Lungwitz et al., 2005), ou des polymères lipidiques cationiques, forme des complexes chargés positivement, qui permettent de condenser l’ADN et de favoriser son passage à travers la membrane cellulaire (Hirko et al., 2003). L’utilisation de ce type de vecteurs s’est révélée particulièrement efficace in vivo et notamment dans le système nerveux central (SNC) (Abdallah et al., 1996; Li et al., 2004). Toutefois, l’injection intracérébrale d’ADN à l’aide de liposomes a une efficacité limitée quant à la stabilité de l’ADN et à l’expression du transgène (Kofler et al., 1998). Ce rendement a pu être amélioré par l’injection continue à l’aide d’une pompe osmotique (Imaoka et al., 1998; Hadaczek et al., 2006). Cependant, les risques d’infections limitent l’utilisation clinique de cette approche. Pour franchir cette limite, le gène d’intérêt peut être apporté dans le CNS par l’utilisation de liposomes protégés par du polyéthylène glycol et couplés avec des anticorps, comme l’anticorps OX26 qui reconnaît le récepteur à la transferrine de rat (Pardridge, 2002). L’injection systémique de ces complexes liposomesanticorps, permet le passage de la barrière hématoencéphalique, via la reconnaissance du récepteur transferrine, et le ciblage des cellules neurales. En dépit du fait que cette méthodologie permet une expression du transgène dans les cellules de l’ensemble du système nerveux central, elle n’offre pas la possibilité d’une expression durable, localisée et cellule spécifique du transgène.
Bien que l’efficacité de ces techniques s’améliorent quotidiennement, leur application au système nerveux central reste encore limitée et nécessite un développement accru avant de supplanter l’emploi des vecteurs viraux.
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Table des matières
INTRODUCTION
I. LA THERAPIE GENIQUE DANS LE SYSTEME NERVEUX CENTRAL
I.1. LE CONCEPT DE THERAPIE GENIQUE ET SES ORIGINES
I.2. LES OUTILS DE TRANSFERT DE GENES
I.2.1. Les vecteurs non-viraux ou vecteurs synthétiques
I.2.2. Les vecteurs viraux
I.2.2.1. Les Herpès virus (HSV)
I.2.2.2. Les Virus Associés aux Adénovirus (AAV)
I.2.2.3. Les adénovirus
I.2.2.4. Les lentivirus
I.2.2.4.1. structure
I.2.2.4.2. Cycle réplicatif des lentivirus : cas du VIH-1
I.3. OBTENTION DES VECTEURS LENTIVIRAUX DERIVES DU HIV-1
I.3.1. Caractéristiques et production
I.3.2. Pseudotypage des vecteurs lentiviraux
I.3.3. Améliorations des vecteurs lentiviraux
I.3.3.1. Amélioration de l’efficacité des vecteurs
I.3.3.2. Amélioration de la biosécurité
I.3.3.2.1. Des productions améliorées
I.3.3.2.2. Les vecteurs non intégratifs
I.3.3.2.3. Les vecteurs à intégrations ciblées
I.4. VECTEURS LENTIVIRAUX ET TRANSFERT DE GENE DANS LE SYSTEME NERVEUX CENTRAL
I.5. THERAPIE GENIQUE DES MALADIES NEURODEGENERATIVES
II. L’ARN INTERFERENCE
II.1. HISTORIQUE ET DECOUVERTE
II.2. MECANISME
II.2.1. Etape d’initiation
II.2.2. Etape effectrice
II.3. LES MICROARN
II.4. ARNI ET REGULATION DE LA TRANSCRIPTION
II.5. EXPRESSION DES SIARN
II.6. APPLICATIONS THERAPEUTIQUES
III. STRATEGIES DE REGULATION DE L’EXPRESSION D’UN GENE
III.1. PRE-REQUIS DES SYSTEMES DE REGULATION
III.2. LES SYSTEMES DE REGULATION DE L’EXPRESSION D’UN TRANSGENE
III.2.1. Régulation des promoteurs d’ARN polymérase II
III.2.1.1. Le système de régulation par la tétracycline
III.2.1.2. Le système de régulation par l’ecdysone
III.2.1.3. Le système de régulation par le mifépristone ou RU486
III.2.1.4. Le système de régulation par le tamoxifène
III.2.1.5. Le système de régulation par la rapamycine
III.2. 2. Régulation des promoteurs d’ARN polymérase III
III.2.2.1. Description des promoteurs d’ARN polymérase III
III.2.2.2. Le promoteur U6 humain
III.2.2.3.Développement de promoteurs d’ARN polymérase III régulables
IV. OBJECTIFS DE NOTRE ETUDE
RESULTATS ET COMMENTAIRES
I- CONSTRUCTION D’UN VECTEUR LENTIVIRAL POUR PERMETTRE L’EXPRESSION REGULEE D’UN TRANSGENE DANS LE CERVEAU
II- DEVELOPPEMENT D’UN SYSTEME DE REGULATION DE L’EXPRESSION DE PETITS ARN INTERFERENTS : CONSTRUCTION D’UN VECTEUR LENTIVIRAL POUR LE CONTROLE D’UN GENE ENDOGENE PAR ARN INTERFERENCE
DISCUSSION
I. CONTRAINTES ET LIMITATIONS DU SYSTEME TETRACYCLINE
I.1. CONTRAINTES POUR LA CONSTRUCTION D’UN VECTEUR UNIQUE CONTENANT LE SYSTEME TETRACYCLINE
I.1.1. Contrainte de taille
I.1.2. Risque d’interférence entre les promoteurs
I.2. CONTRAINTES DU SYSTEME TETRACYCLINE POUR UNE APPLICATION CLINIQUE
I.2.1. Contraintes liées à la dose de doxycycline
I.2.2. Risque de réponse immunitaire contre le transactivateur
II. ALTERNATIVES AU SYSTEME TETRACYCLINE
II.1. SYSTEME DE REGULATION PAR LA RAPAMYCINE
II.2. REGULATION PHYSIOLOGIQUE
II.3. REGULATION PAR LES PROTEINES EN DOIGT DE ZINC
III. CONTRAINTES ET LIMITATIONS DE L’EXPRESSION DES SHARN
III.1. RISQUE DE SATURATION DE L’ARNI
III.2. RISQUE DE REPONSE IMMUNITAIRE
III.3. RISQUE DE TOXICITE
IV. CONTRAINTES LIEES A L’UTILISATION DES VECTEURS LENTIVIRAUX EN VUE D’UNE APPLICATION CLINIQUE
V. CONSIDERATIONS ETHIQUES ET AVENIR DE LA THERAPIE GENIQUE
CONCLUSION