La théorie des systèmes
Cadre théorique:
Au cours des dernières années, le rôle de la recherche dans l’analyse des problèmes sociaux a fait l’objet de plusieurs réflexions. Par exemple, LeFrançois (1990) ainsi que Mayer et Ouellet (1991) ont analysé l’évolution de la recherche qualitative dans le champ du travail social et plus particulièrement dans l’analyse des problèmes sociaux (Dorvil & Mayer, 2001). Au début des années 1970, avec la réforme des services sociaux, la recherche sociale devient un outil nécessaire pour fixer les objectifs de l’intervention, la soutenir, l’analyser et la contrôler (Gendron, 2000). Pour sa part, la Commission Rochon, commission d’enquête sur les services de santé et les services sociaux propose d’accentuer la recherche empirique dans le secteur du travail social (Bélanger, 1985). Enfin, au début du XXIe siècle, les débats qui existent en matière de rapports entre l’approche qualitative et l’approche quantitative semblent se calmer. On parle alors de complémentarité des méthodes et l’on reconnaît que la compréhension des problèmes sociaux ne peut s’établir que si elle passe par l’interprétation du sens vécu par les sujets, qu’ils soient intervenants ou clients. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous avons utilisé, dans le cadre de cette étude, l’approche qualitative pour documenter le vécu des parents ayant à leur charge un enfant souffrant d’autisme .
La théorie des systèmes:
Cette approche qualitative doit reposer sur un cadre théorique qui nous permettra d’appréhender la réalité des parents d’une enfant autiste. Nous avons alors privilégié la théorie des systèmes de Bertalanffy (1973). Cet auteur a tenté d’unir les études portant sur les ensembles appelés systèmes, dont les éléments sont en interaction et constituent une totalité ne se réduisant pas à la somme des parties. Il a démontré que la notion de totalité acquiert une certaine identité par rapport à son environnement tout en ayant, avec cet environnement, des échanges. Ces échanges correspondent, selon lui, pour le système retenu, à des entrées et des sorties de matière, d’énergie et d’information. L’identité du système lui vient des changements qu’il fait subir à ces flux d’entrées, c’est-à dire des fonctions qu’il remplit. D’après Berbaum (1982), les éléments doivent être définis à la fois à partir de leurs caractères originaux, de leurs interrelations, de l’organisation à laquelle ils participent, ainsi que du tout auquel ils s’intègrent. Au-delà de son organisation interne, le système doit être alors conçu dans sa relation à son environnement dans sa relation au temps et dans sa relation à l’observateur-concepteur. Les systèmes vivants rechercheraient quant à eux une adaptation, essaieraient d’atteindre un but et manifesteraient une dépendance par rapport au futur. À cet effet, ils évoluent, se développent et croissent en se différenciant (Berbaum, 1982).
Le Moigne (1977) définit un système comme «quelque chose» (n’importe quoi d’identifiable) qui fait quelque chose (activité = fonction) et qui est doté d’une structure qui évolue dans le temps, dans quelque chose (environnement) pour quelque chose (finalité). Il considère que les trois caractéristiques du système général sont la structure, l’activité et l’évolution. Pour Ackoff et Emery (1972), un système est un ensemble d’éléments reliés entre eux dont chaque élément est associé directement ou indirectement à chacun des autres et dont chaque sous-ensemble est uni aux autres.
Dans le cadre de la présente étude, les données seront donc traitées en tant que système, c’est-à-dire comme un ensemble d’éléments en interaction. Ainsi, toute modification de l’un d’eux affectera les relations entre les autres éléments (Edmond & Picard, 2003). Comprendre un système, c’est donc analyser son fonctionnement en tenant compte de deux aspects : l’énergie, qui renvoie à la dynamique des échanges, aux forces, aux motivations, aux mobiles, aux tensions qui les meuvent et la circulation d’informations et de significations qui, par des boucles de rétroaction (feedback), assure le développement, le réglage et l’équilibre des processus fonctionnels (Edmond & Picard, 2003). L’équilibre est à ce titre une exigence fondamentale de la relation (Edmond & Picard, 2003) .
Les principes de totalité, de causalité et de régulation
Trois principes doivent être respectés dans une démarche de recherche utilisant le cadre conceptuel de l’analyse systémique, c’est-à-dire les principes de totalité, de causalité et de régulation (Edmond & Picard, 2003). Le principe de totalité implique qu’un système n’est pas une simple addition d’éléments, mais possède des caractéristiques propres, différentes de celles des éléments pris isolément. De même, l’interaction ne peut être ramenée à l’action d’un sujet sur un autre sujet. Ainsi la relation mère-enfant ne peut pas être comprise uniquement comme l’influence du comportement des parents sur celui de leur enfant, mais comme un ajustement réciproque, resitué dans le contexte familial, c’est à-dire dans l’ensemble des interactions entre les membres de la famille. Le deuxième aspect, la causalité circulaire, résulte de cette perspective. C’est ainsi que les comportements des parents ne peuvent expliquer à eux seuls celui de leur enfant. Il signifie que le comportement de chacun est pris dans un jeu complexe d’implications mutuelles, d’actions et de rétroactions. On distingue alors deux types de rétroactions, les rétroactions positives, qui conduisent à accentuer un processus et les rétroactions négatives qui tendent à amortir ce processus. Finalement, le principe de régulation consiste à déterminer qu’un minimum de règles tendent à stabiliser l’interaction et à privilégier les situations d’équilibre alors que d’autres forces poussent, au contraire, à la dérégulation, au changement et à l’innovation (Edmond & Picard, 2003).
Concrètement, en lien avec le sujet de cette recherche, nous allons vérifier comment se structurent et fonctionnent les familles vivant avec un enfant autiste et nous essaierons de documenter la dynamique qui est présente au sein de ces familles. Nous allons également analyser le système familial de ces familles, qui se subdivise en trois soussystèmes, soit les sous-systèmes conjugal, parental et fraternel (Minuchin, 1979). À ce sujet, Minuchin (1979) met l’accent sur le développement des sous-systèmes relatifs à la famille et sur des concepts indissociables à l’approche familiale structurelle tels que ceux de structure, de frontière et d’adaptation au stress. Nous aborderons également cette notion, c’est-à-dire la notion du stress qui a une influence sur la population visée dans cette étude. Selon Minuchin (1979), le stress pesant sur un système familial peut provenir de quatre sources différentes : 1) le contact d’un membre ou; 2) de toute la famille avec des agents extra-familiaux; 3) les périodes de transition dans l’évolution de la famille et enfin; 4) les problèmes particuliers. Il sera intéressant de voir comment, à l’intérieur des sous-systèmes, les familles qui vivent avec un enfant autiste composent avec cette problématique en tenant compte des éléments que nous venons de µµ mentionner.
Les familles vivant avec un enfant autiste doivent apprendre à vivre avec la condition de leur enfant. Plusieurs facteurs influencent les mécanismes d’adaptation utilisés par ces familles afin d’atteindre un équilibre convenable. Il importe alors que cette étude permette de bien analyser la structure des systèmes familiaux ciblés en lien avec la problématique de l’autisme et d’identifier les facteurs qui font partie prenante de cette analyse. Afin d’approfondir davantage cette notion et les composantes des acteurs en cause, il est important de comprendre en quoi consiste le terme structure. Piaget (1975) présente la structure comme étant d’abord et essentiellement un faisceau de transformations ou un système de transformations qui comporte des lois en tant que système et qui se conserve ou s’enrichit par le jeu même de ses transformations, sans que celles-ci aboutissent en dehors de ses frontières ou fassent appel à des éléments extérieurs.
Les notions de transformation et d’autorégulation
En ce qui a trait à la transformation et à l’autorégulation d’un système, Lerbet (1984) considère que pour assurer son évolution et sa survie un système doit combiner nécessairement transformation et autorégulation4 . La figure 2 démontre bien ce phénomène. La perspective let 2 correspond à une croissance vers un palier d’équilibre plus élevé (équilibration majorante). Le système a alors commencé, pendant sa croissance, à tirer des richesses de l’environnement puis, en recourant à des modalités de contrôle accru, il opère une régulation négative et se stabilise (plus ou moins provisoirement) à un niveau d’organisation plus élevé. Contrairement à ces deux perspectives, les types 3 et 4 reflètent que le système a commencé à prendre de plein fouet la perte que lui fait subir l’environnement, mais qu’ensuite il s’organise, par autorégulation négative, pour résister à cet inconvénient en puisant dans ses réserves d’énergie, d’organisation, etc. pour faire face à cette situation. De façon plus générale, Lerbert (1984) explique que dans sa relation à l’environnement, un système ne peut changer en profondeur que lorsqu’il recourt à des autorégulations positives et négatives et lorsque ces pratiques autorégulatrices coïncident avec un accroissement des risques de subir des variations de la part de l’environnement. Pour évoluer positivement, les systèmes doivent alors s’organiser de façon plus complexe pour moduler les rétromettances positives et négatives afin d’optimiser leur croissance selon les flux de l’environnement. Cette façon de faire permet de tirer profit des moindres circonstances pour s’adapter et pour apprendre ce qui est la marque de leur fermeté et de leur autonomie par rapport à leur environnement .
Méthodologie:
Ce chapitre apporte, entre autre, des renseignements sur les différentes étapes qui ont permis de réaliser cette étude. Tout d’abord, des informations sont apportées sur les objectifs et le type de recherche que nous avons privilégiés. Par la suite, nous traitons de la stratégie de la collecte des données, de la population à l’étude et du mode de recrutement des participants, les instruments de collecte des données, la stratégie d’analyse du discours des répondants ainsi que les considérations éthiques qui ont été respectées seront par la suite abordés.
Objectifs de la recherche
Le but général de la présente étude est d’identifier les difficultés et les défis que pose aux parents, la prise en charge d’un enfant autiste. Pour l’atteinte de ce but, trois objectifs spécifiques ont été retenus : 1) Documenter les difficultés vécues par les parents d’enfants autistes âgés de 3 à 17 ans 2) Identifier les différentes répercussions du syndrome de l’autisme sur la santé biopsychosociale des parents, sur leur vie conjugale, familiale et professionnelle. 3) Identifier les sources de soutien formel ou informel dont bénéficient les parents et ceux dont ils aimeraient bénéficier pour surmonter leurs problèmes et les difficultés liés au syndrome de leur enfant.
Type de recherche
Le type de recherche qui a été privilégié est la recherche qualitative, puisque les données sont en lien avec des phénomènes humains et sociaux (Mucchielli, 1996). Karsenti et Savoie-Zajc (2004) considèrent que ce type de recherche exprime des positions ontologiques (sa vision de la réalité) et épistémologiques (associées aux conditions de production du savoir) particulières dans la mesure où le sens attribué à la réalité est vu comme étant construit entre le chercheur, les participants à l’étude et les utilisateurs des résultats de la recherche.
Stratégie de collecte de données
Dans le cadre de la présente étude, l’utilisation de l’entrevue semi-dirigée a été privilégiée. Un certain nombre de grandes questions principales ont alors servi de points de repère. L’étudiante responsable de cette étude est par contre allée au-delà des questionspréalablement formulées afin de s’assurer d’obtenir des informations sur chacune des grandes questions posées de la part des personnes interrogées (Patton, 1980).
Population et mode de recrutement des participants
Pour effectuer cette recherche, des entrevues semi-dirigées ont été effectuées auprès de 8 parents (6 femmes, 2 hommes) d’enfants atteints du syndrome d’un trouble envahissant du développement non spécifié ou de type autiste, âgés de 3 à 17 ans. L’objectif initial de la recherche était de rencontrer 16 participants (8 mères et 8 pères vivant ensemble). Considérant le nombre restreint de participants ayant accepté de participer à la présente étude et le fait que les pères étaient moins disponibles à rencontrer un interviewer, le nombre de participants a été réduit à huit. Les parents devaient résider dans la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean et bénéficier de services du Centre de réadaptation en déficience intellectuelle et en troubles envahissants du développement du Saguenay-Lac Saint-Jean. Ces parents devaient vivre conjointement afin de limiter l’impact de certains facteurs environnementaux autres que le fait d’avoir un enfant atteint d’autisme.
Conclusion:
La présente étude s’inscrit dans une démarche visant à documenter le vécu des parents assumant les soins et l’éducation d’un enfant souffrant d’autisme, à identifier les principales difficultés qu’ils vivent et à dresser le portrait de l’aide et du soutien tant formel qu’informel que reçoivent ces parents. Cette étude, reposant sur une approche qualitative réalisée auprès de huit répondants, a permis de constater que les personnes ayant accepté de rencontrer une intervieweuse vivent différents stress continus qui peuvent avoir des répercussions sur divers aspects de leur vie, en particulier sur leur vie conjugale, familiale, sociale et professionnelle.
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Table des matières
INTRODUCTION
1. PROBLÉMATIQUE
2. RECENSION DES ÉCRITS
2.1 Définition des troubles envahissants du développement
2.2 Symptômes que peuvent présenter les enfants autistes
2.3 Symptômes de l’autisme et qualité de vie des parents
2.4 Symptômes de l’autisme et stress parental
2.5 Autres facteurs collatéraux avec lesquels doivent composer les parents
2.6 Conséquences biopsychosociales, personnelles, conjugales, familiales et
professionnelles
2.7 Soutien formel..
3. CADRE THÉORIQUE
3.1 La théorie des systèmes
3.2 Les principes de totalité, de causalité et de régulation
3.3 Les notions de transformation et d’autorégulation
4. MÉTHODOLOGIE
4.1 Objectifs de la recherche
4.2 Type de recherche
4.3 Stratégie de collecte de données
4.4 Population et mode de recrutement des participants
4.5 Instruments de cueillette de données
4.6 Analyse des données
4.7 Considérations éthiques
5. RÉSULTATS
5.1 Caractéristiques sociodémographiques des répondants
5.2 Taux de stress des répondants
5.3 Caractéristiques et symptômes des enfants atteints d’autisme
5.4 Description des types de trouble du langage
5.5 Symptômes qui ont un impact sur la vie des répondants
5.6 Symptômes qui ont un impact sur la vie de la famille nucléaire
5.7 Réactions de la famille élargie en lien avec la situation des répondants
et répercussions sur la vie des répondants
5.8 Symptômes des enfants et isolement des parents
5.9 Période pré et post-diagnostic
5.10 Répercussions du syndrome de l’autisme sur l’état de santé
biopsychosociale des répondants
5.10.1 Impacts sur la vie personnelle
5.10.2 Impacts sur la vie conjugale
5.10.3 Impacts sur la vie familiale
5.10.4 Impacts sur la vie professionnelle
5.10.5 Impacts sur la vie sociale
5.10.6 Impacts sur l’état de santé physique ou mentale
5.10.7 Soutien formel reçu
5.10.8 Soutien informel reçu
5.10.9 Services considérés comme plus utiles pour les répondants
5.10.10 Satisfaction envers les services reçus
5.11 Faits saillants
6. DISCUSSION
Difficultés vécues par les répondants
Répercussions de la prise en charge de l’enfant sur la santé
biopsychosociale, sur la vie conjugale, familiale et professionnelle
Soutiens formel et informel reçu
Forces et limites de cette recherche
Retombées de la présente étude sur la pratique du travail social
Conclusion
CONCLUSION
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