La théorie de la hiérarchie et des systèmes emboités
Si la notion d’hétérogénéité soulève l’importance de l’organisation ou de la composition dans le déroulement des phénomènes écologiques, celle d’échelle est à mettre en lien direct avec la théorie de la hiérarchie d’Allen & Starr (1982). Elle est définie comme “a theory that applies hierarchy to organize concepts and interpret ecological complexity” (Ahl & Allen 1996). Elle renvoie à la dimension spatiale d’un objet ou d’un processus. Le choix des échelles dans l’étude d’un processus est primordial car cela permet de bien décrire le phénomène observé, ses causes et effets (Dumas 2006). La théorie de la hiérarchie permet d’appréhender, par une approche multiscalaire, la notion de système, et donc ici de paysage. Selon Allen et Starr (1982), le paysage résulte des interactions existant entre les différents éléments des niveaux inférieures qui le composent. Grâce à la théorie de la hiérarchie, étudier un phénomène écologique pourra se faire à plusieurs niveaux, permettant ainsi de le comprendre de manière holistique plutôt qu’analytique.
Cette théorie de la hiérarchie repose sur le fait qu’il existe une corrélation entre les échelles de temps et d’espace. Chaque événement se déroule à une échelle spatio‐ temporelle déterminée, la rapidité de chaque événement permettant de les hiérarchiser. Ainsi les processus lents seront assimilés à de hauts niveaux d’organisation tandis que les phénomènes rapides, à des niveaux inférieurs. Cette vitesse est caractéristique de chaque niveau d’organisation. Les phénomènes avec des vitesses de réalisation très différentes n’interagissent que peu entre eux (Burel & Baudry 1999).
Les niveaux supérieurs sont donc composés d’entités larges animées de mouvements lents, alors qu’elles sont de petites tailles et rapides pour les niveaux inférieurs, ce qui explique le caractère taille‐dépendance de la dynamique de réalisation du processus. Ces systèmes hiérarchisés possèdent deux structures : une verticale et une horizontale (Wu 1999). La structure verticale est asymétrique : les niveaux supérieurs jouent un rôle de contraintes, en fixant un cadre au déroulement du phénomène, alors que les niveaux inférieurs peuvent être définis comme étant les conditions limitantes, liées par exemple à la nature des éléments dans une hiérarchie emboitée. Ces conditions sont définies par O’Neill et al. (1989) comme étant le potentiel biotique des composants. Tandis que la structure horizontale est symétrique et peut se différencier selon la force des interactions exercées entre deux entités. En se basant sur les principes de cette théorie et sur “the Triadic Structure” (O’Neill et al. 1989), un système écologique doit généralement être étudié à trois niveaux d’organisation pour comprendre son fonctionnement. En effet, si un phénomène se déroule à un niveau n, il est également indispensable de l’étudier au niveau n+1 afin d’être en mesure de prendre en compte le ou les mécanismes à l’origine de ce dernier et de s’intéresser au niveau n‐1 pour comprendre les conséquences de celui‐ci.
Dans notre étude, l’analyse de la structure du paysage (n+1) est donc essentielle pour comprendre les causes de la prolifération de la ronce au niveau de la communauté végétale (n) et ses conséquences sur les populations de plantes qui composent cette communauté dont la dynamique de l’espèce envahissante (n‐1).
L’écologie des communautés
Cette discipline étudie les processus et mécanismes liés à la diversité, l’abondance et la composition d’une communauté, soit un ensemble d’espèces partageant un environnement commun. Pour Gibson (2009) la communauté est ainsi le niveau d’organisation supérieur à la population et inférieur à celui de l’écosystème. L’organisation d’une communauté est le résultat d’interaction abiotiques, biotiques et de régimes de perturbations. Les espèces apparaissent et coexistent. Deux approches du concept de communauté se sont longtemps opposées. A la vision Clémentienne qui la considérait comme une organisation holistique et déterminée évoluant vers un état unique stable, le climax (Clements 1916, 1936), s’opposait celle de du concept individualistique de Gleason (1926, 1939) qui considérait la communauté comme le résultat de la somme de la dynamique des populations, déterminées par les caractéristiques de chaque espèce. La communauté est désormais communément acceptée comme “an assemblage of populations of living organisms in a prescribed area or habitat” donc à un compromis entre ces deux visions (Krebs 1972). Elle est donc un système dynamique ouvert dans le temps et dans l’espace, reflétant la croissance des différentes espèces qui la composent et leurs réponses face aux perturbations (Gibson 2009). Elle peut ainsi évoluer de façon continue ou en suivant des états successifs d’équilibre stable et temporaire (Sutherland 1974).
Les successions sont les changements d’espèces qui ont lieu au sein d’une communauté végétale au cours du temps (Clements 1916; Walker & Del Moral 2003). Il en existe deux grandes catégories : les successions dites primaires qui ont lieu sur des milieux nouvellement formés, avec un substrat stérile ou un niveau de nutriments limitant (Walker & Del Moral 2003) et les successions dites secondaires qui ont lieu suite à une perturbation, un stress ou encore un changement dans les facteurs agissant sur la structure de la végétation. Le milieu dans ce cas est riche en matière organique et les nutriments ne sont pas des facteurs limitant au développement de la nouvelle végétation (Mesléard & Lepart 1991; Hobbs & Cramer 2007).
Sous l’action de facteurs abiotiques et biotiques, la végétation évolue et passe par différents stades intermédiaires, plus ou moins stables dans le temps (Sutherland 1974). Cette succession d’états est appelée trajectoire. Elle est d’autant plus difficile à prédire que les facteurs agissant sur l’organisation de la végétation sont stochastiques. Les régimes de perturbations et de stress sont non seulement des composants importants dans la structuration des communautés végétales mais aussi dans la direction de leur trajectoire (Gibson 2009).
Dans le cas des pelouses sèches méditerranéennes, ces communautés végétales sont souvent considérées comme un stade régressif de successions allogéniques (liées aux facteurs abiotiques) issues du défrichement de stades forestiers anciens dont la dynamique autogénique secondaire (liées aux interactions uniquement biotiques) est actuellement contrôlée par les régimes de perturbation (pâturage et incendies pastoraux). Elles sont cependant aussi considérées en tant que stade de successions autogéniques bloqué par des conditions limitantes stationnelles (un substrat oligotrophe perméable) dont le niveau de forçage est augmenté par les pratiques d’exploitation traditionnelle.
Dans la plaine de la Crau, l’origine de la communauté végétale est encore controversée. Considérée par les phytosociologues (Moliner & Tallon 1950) et les palynologues (Triat‐Laval 1975) comme un stade ultime de régression de la forêt de chênes verts (encore présents sur les costières au sud de la pseudo‐steppe), des études pédo‐anthracologiques récentes n’ont cependant pas permis de le confirmer (Henry 2009). Aucun ancien charbon de bois d’espèces ligneuses n’a ainsi été retrouvé, et cela notamment dans le centre de la Crau (Henry 2009 ; Henry et al. 2010). La communauté végétale de pelouse sèche de Crau pourrait donc correspondre à un stade dit « sub‐climacique » (Devaux et al. 1983). Ainsi, même si le retrait du pâturage ovin traditionnel et des régimes d’incendies pastoraux pourrait induire des changements de composition, de richesse et de structure de la strate herbacée, celui‐ci n’impliquerait cependant pas une colonisation par des ligneux car elle serait bloquée par les conditions de sécheresse climatique et édaphique (Henry 2009) .
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Table des matières
Introduction générale
I.1 Contexte et objectifs
I.2 Cadre conceptuel
I.2.1 L’écologie du paysage
I.2.2 La théorie de la hiérarchie et des systèmes emboités
I.2.3 L’écologie des communautés
I.2.4 Stress et perturbation
I.2.5 Les populations
I.3 Cadre appliqué
I.3.1 Les invasions et les proliférations
I.3.2 Ecologie de la Restauration et restauration écologique
I.4 Questions principales et organisation de la thèse
I.5 Site d’étude : La plaine de la Crau
I.5.1 Géologie et formation de la plaine de la Crau
I.5.2 Le Climat de la plaine de la Crau
I.5.3 Le pastoralisme en Crau
I.5.4 La Crau, un milieu unique au monde
I.5.5 L’agriculture et l’irrigation dans la plaine de la Crau
I.5.6 Autres activités
I.5.7 L’envahissement de la plaine de la Crau par une espèce envahissante semi‐ arbustive
I.5.8 Cas du Coussoul d’Ase
Partie I Impacts des changements d’usages au niveau paysager et parcellaire : causes et conséquences de l’envahissement de la plaine de la Crau par R. ulmifolius Schott
Chapter 1 Influence of Landscape composition and structure on the colonization dynamics of R. ulmifolius Schoot
1.1. Abstract
1.2. Introduction
1.3. Methods
1.4. Results
1.5. Discussion
1.6. Conclusion
Chapter 2 Impacts of water stress removal and disturbance regimes on Mediterranean dry grasslands diversity and their succession
2.1. Abstract
2.2. Introduction
2.3. Methods
2.4. Results
2.5. Discussion
2.6. Conclusion
Partie II Premiers résultats d’opérations de restauration écologique pour contrôler l’expansion de R.ulmifolius dans la plaine de la Crau
Chapter 3 Using shrubclearing, draining and herbivory to control bramble (Rubus ulmifolius Schott) for the conservation of a Mediterranean dry grassland (La Crau, southeastern France)
3.1. Abstract
3.2. Introduction
3.3. Materials and methods
3.4. Results
3.5. Discussion
3.6. Conclusion
Chapter 4 Disentangling the effects of clearing, grazing and draining on an encroaching species, the elmleaf bramble: responses of water potential and morphological traits
4.1. Abstract
4.2. Introduction
4.3. Materials and Methods
4.4. Results
4.5. Discussion
4.6. Perspectives
4.7. Conclusion
Discussion générale
D.1 Contribution à la compréhension du phénomène d’envahissement par une espèce apophyte
D.1.1 Les enjeux du paysage sur la dynamique de R. ulmifolius
D.1.2 Envahissement et communauté végétale steppique
D.1.3 R. ulmifolius, perturbations et stress
D.2 Gestion de l’envahissement et restauration écologique
D.2.1 A l’échelle de la plaine de la Crau
D.2.2 Faut‐il lutter contre l’envahissement de la végétation sub‐steppique et des friches culturales par R. ulmifolius?
D.3 Perspectives de recherche
D.3.1 Mieux comprendre l’importance de la matrice paysagère
D.3.2 Etudier les interactions plante‐plante
D.3.3 Etudier les interactions plante ‐ animal
D.3.4 Perspectives pour les populations de Rubus
Conclusion Générale