La théâtralité des fêtes et des salons : les autres comme public, soi comme acteur

La conscience de soi

Si La Princesse de Clèvesest un outil privilégié pour l’examen du problème de la coexistence contradictoire du sujet du savoir positif, que l’on vient d’appeler sujet de type cartésien, et du sujet réel, sujet chaotique ou sujet de type nietzschéen, c’est que le sujet n’y apparait pas comme l’évidence et le toujours déjà-là de l’être pensant, mais au contraire au cours, et comme le résultat de, l’activité pensante de l’être en question. Ce qui serait déjà beaucoup si cette activité ne se présentait pas en plus comme quelque chose de pénible, véritable labeur, travail souvent forcé d’une matière ; et c’est la douleur même de ce travail l’objet sur lequel porte l’attention du narrateur, entant que ce qui constitue le sujet, ce n’est pas la matière transformée, mais la réflexion dans la conscience du travail nécessaire à sa transformation. En somme, il y aurait une étymologie fantaisiste, mais éclairante, du terme « élaboration » : ce serait le processus par lequel quelque chose sort (e) du travail (labor). Or, ce qui sort de ce travail , c’est le sentiment d’être l’esprit qui y travaille, c’est-à-dire que, sinon n’importe quel travail, du moins le travail dela Princesse de Clèves, produit toujours au moins deux choses : 1) une transformation de la matière et 2) la conscience de soi. Que ces deux choses soient distinctes (en soi et/ou pour nous), qu’elles soient du même ordre, qu’elles interagissent, c’est ce qui n’est pas clair tant qu’on ne les a pas décrites phénoménologiquement.
Ce qu’on a déjà vu, c’est que ce genre de descriptions n’est pas simple, et pour se faciliter la tâche, on s’est déjà proposé de diffracter les phénomènes grâce au prisme de l’espace.
Seulement, même diffractés les rayons présenteront l’ambivalence du travail, si bien que pour travailler tout à fait calmement, il faut pour l’instant formuler une hypothèse heuristique qui est que la conscience de soi prime sur la transformation de la matière. Hypothèse pas tout à fait gratuite dans la mesure où dans la transformation quelque chose se conserve (la matière) alors que la conscience de soi produit quelque chose, le sujet. On verra donc d’abord la matière dans sa prédisposition (1.1), puis dans sa phénoménalité (1.2) et enfin dans sa réflexion dans la conscience (1.3).

L’existence sociale comme existence fondamentale : l’espace curial

Le moyen le plus simple de décrire la matière qui se présente au travail, et dont le travail par la Princesse mène à l’élaboration de la conscience de soi, c’est de dire où elle se trouve. On ne fait en cela que suivre le mouvement du texte, carce qui s’y présente d’abord, c’est la matière s’y prédisposant ; ce n’est que cette matière prédisposée (la vie curiale) dans son espace propre (la Cour) que la Princesse travaillera. Quand je dis que l’on trouve dans les premières pages de la nouvelle « la matière s’y prédisposant », je ne voudrais pas donner l’impression d’adhérer à la formule de Benveniste : « Personne ne parle ici,les évènements semblent se raconter d’euxmêmes » . Au contraire, il est remarquable qu’il s’agisse de la seule section de la nouvelle où le narrateur se personnalise. C’est justement ce rôle de disposition du narrateur qui distingue lediscours que la critique littéraire peut tenir sur la société de Cour (dans La Princesse de Clèves) et celui que tient l’historiographe.

Quelques observations sur la correspondance de Madame de La Fayette

On comprend bien que cette première approche est à la fois facile et difficile. Elle est facile dans la mesure où l’absence du sujet dontil est question (la Princesse de Clèves) évite toute complication phénoménale de la matière ; elle est difficile dans lamesure où le document est rare. Le document, c’est-à-dire le texte où la matière se présente, si j’ose dire, pure du sujet , n’est constitué en effet que des endroits où la Princesse n’est pas, de toutes les histoires dont elle n’est pas le protagoniste ce qui regroupedeux cas : 1) les premières pages où elle n’est pas encore présente et 2) les histoires dont elle n’est que la destinataire. Or, le deuxième cas présente la difficulté de mettre en jeu un narrateur second qui fait apparaitre la matière au sujet qui va l’élaborer, si bien que l’on se trouve déjà dans les cas que j’évoquerai en 1.2. Il est néanmoins possible d’exploiter ce type de document en le fractionnant : disjoints, ses éléments perdent beaucoup de leur pouvoir théâtral (voir 1.2.2) et peuvent valoir comme données élémentaires. On verra ce traitement spécifique en1.1.2. Le premier cas n’est pas non plus sans poser de problème. La critique a souvent décrit ces pages comme un « tableau de la cour ».
L’expression est assez juste, car tout y semble immobile. Or, en voyant le territoire ainsi immobile, sans sortie ni entrée, il est impossible de sentir les contours que rendent sensibles les mouvements de territorialisation et de déterritorialisation . Pour que se manifeste la prédisposition de la matière, c’est-à-dire l’action du narrateur constitutive du réel de son personnage, nous sommes donc contraints de faire appel à des documents connexes, en veillant à choisir ceux qui sont les plus proches de notre œuvre première.

Le problème de l’attribution

La discrétion du narrateur de La Princesse de Clèves, son impersonnalité, diminuent l’intérêt qu’il y aurait à distendre les liens qui unissent nécessairement le narrateur et l’auteur.
Ce n’est pas qu’un narrateur externe non seulement à l’histoire qu’il raconte, mais à toute histoire racontée au sein de l’œuvre, soit nécessairement la même personne que l’auteur, et pour La Princesse de Clèves, ce n’est même nécessairement pas le cas, puisque nous avons vu que son narrateur n’était pas une personne (et donc, en particulier, pas l’auteur). Néanmoins, entre ce que dit un auteur et ce qui dit un narrateur quin’est pas une personne autonome au sein d’une fiction (c’est-à-dire un personnage), il n’y a pas de raison de soupçonner une distance aussi grande que celle qui existe, par exemple, entre Honoré de Balzac et Félix de Vandenesse. Ainsi, si ce que dit le narrateur n’est pas nécessairementce que dit l’auteur, on croit ne pas se tromper souvent en affirmant que ce que lenarrateur dit, l’auteur pourrait l’avoir dit. Si bien que lorsque l’on cherche à combler la discrétion d’un tel narrateur, c’est aux textes où son auteur se laisse voir que l’on doit s’adresser de préférence, c’est-à-dire à son journal intime et/ou à sa correspondance. On ne connait à Marie-Madeleine Pioche de la Vergne, comtesse de Lafayette,qu’une correspondance.
Or, de cette correspondance28 , surgissent un problème gênant et une aventure critique fascinante. On sait que de son vivant, et sousson nom, la comtesse de Lafayette n’a jamais publié qu’un portrait de Madame deSévigné, son amie et sa parente, dans un recueil de portraits dirigé par Mademoiselle de Montpensier . Mais, après les aveux parfois conjoints, parfois contradictoires, de Huet et de Segrais, et comme de son vivant déjà on lui disait un talent d’écrivain, il n’a pas été difficile de lui attribuer d’autres œuvres, qu’elles fussent parues de son vivant ou bien après son décès . Ces aveux n’ont pas été sans soulever des discussions, qu’il se fût agi, par exemple, d’inscrire Zaïdeà la bibliographie de Segrais ou La Princesse de Clèves à celle de La Rochefoucauld. Discussions encoreanimées, au dix-neuvième siècle, par la découverte de telle ou telle série de lettres, et au vingtième siècle par les tentatives d’attribution d’autres œuvres . Cela dit, quelque discussion qu’il y eût, la critique s’est toujours cru fondée à parler de l’œuvre (fondatrice) deMadame de La Fayette. Maisun ouvrage, celui que Geneviève Mouligneau a fait paraître en 1980 , semblait susceptible de renverser ces certitudes ; on peuttrouver très étonnant qu’il ne l’ait pas effectivement fait.

Entrer et sortir de la cour : le cas de l’exil

L’analyse du document plus abondant de la correspondance a permis de dégager les traits distinctifs de la prédisposition de la matière au sein de l’espace curial, dont il s’agit à présent de s’assurer qu’ils concordent en effet avec le texte que l’on se propose d’étudier. C’està-dire qu’on cherche désormais à savoir si dans La Princesse de Clèvesaussi, ce qui compte (what matters) c’est Paris, n’être pas à Paris, c’est ne plus exister, etc. On peut s’en assurer à deux endroits au moins, qui bienentendu n’engagent pas la Princesse de Clèves. Il s’agit de deux cas d’exil (celui de l’amant de Diane de Poitiers puis de Diane de Poitiers elle-même).

Les allers et venues du Maréchal de Brissac

Brissac, d’abord comte, puis maréchal, apparaît à deux endroitsde la nouvelle, comme personnage de deux récits seconds faits à Madame de Clèves, le premier par la mère de celle-ci et le second par l’époux. Dans le récit de Madamede Chartres, il occupe toute la fin, qu’il n’est pas inutile de citer ici intégralement :
Le comte de Taix, grand maître de l’artillerie, qui ne l’aimait pas [la Duchesse de Valentinois], ne put s’empêcher de parler de ses galanteries, et surtout de celle du comte de Brissac, dont le roi avait déjà eu beaucoup de jalousie. Néanmoins, elle fit si bien que le comte de Taix fut disgracié ; on lui ôta sa charge ; et, ce qui est presque incroyable, elle la fit donner au comte de Brissac et l’a fait ensuite maréchal de France. La jalousie du roi augmenta néanmoins d’une telle sorte qu’il ne put souffrir que ce maréchal demeurât à la Cour ; mais la jalousie, qui est aigre et violente en tous les autres, est douce et modérée en lui par l’extrême respect qu’il a pour sa maîtresse ; en sorte qu’il n’osa éloigner son rival que sur le prétexte de lui donner le gouvernement de Piémont. Il y a passé plusieurs années ; il revint, l’hiver dernier, sur le prétexte de demander des troupes et d’autres choses nécessaires pour l’armée qu’il commande. Le désir de revoir madame de Valentinois, et la crainte d’en être oublié, avaient peut-être beaucoup de part à ce voyage. Le roi le reçut avec une grandefroideur. Messieurs de Guise, qui ne l’aiment pas, mais qui n’osent le témoigner à cause de madame de Valentinois, se servirent de monsieur le vidame [de Chartres], qui est son ennemi déclaré, pourempêcher qu’il n’obtînt aucune des choses qu’il était venu demander. Il n’était pas difficile de lui nuire : le roi le haïssait, et sa présence lui donnait de l’inquiétude ; de sorte qu’il fut contraint de s’en retourner sans remporter aucun fruit de son voyage, que d’avoir peut-être rallumé dans le cœur de madame de Valentinois des sentiments que l’absence commençait d’éteindre.

La reconnaissance de l’autre et la reconnaissance par l’autre

Maintenant que nous avons bien compris de quelle manière la matière était prédisposée, nous pouvons entreprendre de saisir son être phénoménologique, c’est-à-dire son apparition à la Princesse, dans la mesure où cette apparition donnera lieu au travail de la matière, c’est-à-dire à l’élaboration 1) d’une transformation de cette matière et 2) de la conscience de soi de la Princesse. J’ai déjà dit que je tenais ici la transformation de la matière comme incidente.
Toujours est-il que pour l’heure, il faut procéder en trois temps : 1) saisir la place de Mademoiselle de Chartres par rapport à la matière et avant tout travail (1.2.1), 2) envisager le travail sur la matière non-spécifiée, c’est-à-dire les autres (1.2.2) et 3) envisager le travail sur la matière spécifiée, c’est-à-dire tel autre (1.2.3). Bien souvent, au cours de cette section, on aura l’impression que plutôt que la Princesse travaille lamatière, c’est la matière qui travaille la Princesse. Cette impression est familière à la langue française, qui permet de dire : « ça me travaille ». Cette expression, qui ne laisse que peu de part à ce que je fais de ce qui me travaille, fausse le concept que je peux avoir de moi-même, c’est pourquoi lui sera préférée l’expression de travail forcé, dans laquelle ça metravaille mais j’y prends part.

Mademoiselle de Chartres avant Madame de Clèves

Peut-être faut-il, avant toute chose, sinon justifier, du moins rappeler ce qui semble évident, c’est-à-dire le présupposé qui fonde toute l’analyse que l’on espère mener dans cette étude, savoir que le sujet dont il s’agit de parler, c’est la Princesse de Clèves. La suite de cette étude (2) pourra donner l’impression que c’est par militantisme que parmi tous les sujets possibles, c’est Madame de Clèves que l’on ait choisie. D’autres l’ont fait, on le verra. Mais ce n’est nullement mon cas (je crois), et j’espère que lasuite de la suite (3) le prouvera. Si Madame de Clèves est le sujet de cette étude, c’est pour deux raisons et deux raisons seulement : 1) le document la concernant est le plus abondant et2) sa position par rapport à la matière est tout à fait particulière. On se convaincra assez aisément de la premièreraison en comptant les pages, aussi vais-je me concentrer sur la seconde, qui demande à être soutenue.
Qu’il faille dire quelle est la position de Madame de Clèves par rapport à la matière est évident, dans la mesure où l’on ne peut prétendre étudier son travail sur cette matière qu’après avoir estimé le moment où il commençait.
C’est ce devenir de la science en général, ou du savoir, que la présente Phénoménologie de l’esprit, comme première partie de son système, expose. Le savoir tel qu’il est d’abord, ou encore, l’esprit immédiat, est la conscience sans esprit, ou encore la conscience sensible. Pour devenir savoir proprement dit, ou pour engendrer l’élément de la science qui est le pur concept de celle-ci, il doit se frayer un long et laborieux chemin.
Ceci cité non pour dire que l’on prétende ici à une phénoménologie de l’esprit, tant s’en faut, et pas même à l’un de ses éléments, puisque le « devenir de la science en général», je ne le vise ni ne le rêve, mais pour souligner que la conscience graduelle est l’effet d’une histoire dont la phénoménologie est en quelque sorte l’écriture. Imaginons que la narration embrasse Madame de Clèves alors qu’elle est déjà mariée, déjà au travail, si l’on peut dire, de la matière : il manquerait le début de ce travail, et nous serions contraints soit de laisser notre histoire amputée, soit de la combler en inférant de ce que nous avons ce qui a été, dont nous ne serions pas alorsaussi assurés. C’est donc au moins pour cette raison qu’il nous faut dire ce qu’il en est.
A vrai dire, nous sommes tout de suite rassurés, parce que notre sujet n’apparaît pas dans les pages dont nous avons dit que la matière s’y prédisposait. Elle échappe à cette prédisposition , et ce peut être pour deux raisons : 1) elle n’a pas part à cette matière ou 2) elle y a part mais le narrateur ne la prédispose pas. La célèbre phrase « Il parut une beauté à la Cour […] » indique que c’est la première des deux raisons qui est la bonne. A partir de là,Mademoiselle de Chartres, puisque c’est d’elle dont il s’agit, va noussembler de moins en moins assimilable à la matière prédisposée. Le signe que l’existence de la jeune femme n’est pas du même genre que l’existence de la matièreprédisposée, c’est que l’espace dans lequel elle peut être dite exister est sensiblement plus large que l’espace proprement curial, que nous avons déjà identifié (1.1). Trois élargissements peuvent être notés sur deux pages . Le premier : Après avoir perdu son mari, elle [Madame deChartres] avait passé plusieurs années sans revenir à la Cour. Pendant cette absence,elle avait donné ses soins à l’éducation de sa fille […].

L’individualité de l’autre à l’œuvre dans la conscience

L’étude du travail de la matière non-spécifiée nous a déjà menés très loin dans l’élaboration de la conscience de soi, et siloin, même, que nous sommes en droit de nous demander si l’étude du travail de la matière spécifiée nous fera encore avancer, ne serait-ce qu’un peu. Cette hésitation revient à se demander s’il y a une distance entre l’effectivité de lamatière non-spécifiée et l’effectivité de la matière spécifiée. Posée en ces termes, il semble que la difficulté puisse déjà se lever : en effet, ce qui sépare la matière non-spécifiée et la matière spécifiée, c’est que les déterminités de la matière non-spécifiée sont négligeables, dans la mesure où ses éléments sont interchangeables, tandis que ce sont justement les déterminités de la matière spécifiée qui font sa spécification.Mais quelles différences phénoménales ces déterminités font-elles pour la conscience de soi ? Telle est la question à laquelle nous allons tenter de répondre. Fort heureusement, nous disposons pour ce faire d’un document incroyablement riche, qui est la très complexe scène du bal où se rencontrent, pour la première fois, Madame de Clèves et Monsieur de Nemours.
Ce document, en raison de sa richesse et de sa complexité, suffira largement à notre étude, et pour cela il est utile de le citer intégralement, malgré sa longueur :
Elle avait ouï parler de ce prince à tout le monde comme de ce qu’il y avait de mieux fait et de plus agréable à la Cour ; et surtout madame la dauphine le lui avait dépeint d’une sorte, et lui en avait parlé tant de fois, qu’elle lui avait donné de la curiosité, et même de l’impatience de le voir.
Elle passa tout le jour des fiançailles chez elle à se parer, pour se trouver le soir au bal et au festin royal qui se faisait au Louvre. Lorsqu’elle arriva, l’on admira sa beauté et sa parure ; le bal commença et, comme elle dansait avec Monsieur de Guise, il se fit un assez grand bruit vers la porte de la salle, comme de quelqu’un qui entrait, et à qui on faisait place. Madame de Clèves acheva de danser et, pendant qu’elle cherchait des yeux quelqu’un qu’elle avait dessein de prendre, le roi lui cria de prendre celui qui arrivait. Elle se tourna et vit un homme qu’elle crut d’abord ne pouvoir être que Monsieur de Nemours, qui passait par-dessus quelque siège pour arriver où l’on dansait.
Ce prince était fait d’une sorte qu’il était difficile de n’être pas surprise de le voir quand on ne l’avait jamais vu, surtout ce soir-là, où le soin qu’il avait pris de se parer augmentait encore l’air brillant qui était dans sa personne ; mais il était difficile aussi de voir madame de Clèves pour la première fois sans avoir un grand étonnement.

Le sujet réfléchi dans la solitude

On a proposé plus haut que cette troisième section soit celle où serait étudiée la réflexion de la matière dans la conscience après qu’elle s’est à elle présenté phénoménalement ; on peut dire désormais, à la lumière de nos nouvelles découvertes, et afin d’être plus précis, que ce qui se réfléchit dans la conscience, ce n’est plus vraiment la matière, mais ce que la matière a engendré déjà dans sa phénoménalité, savoir l’individu se disposant. On a dit aussi que l’espace serait le prisme qui, dans cette étude, diffracterait les faisceaux constitutifs de situations trop complexes pour qu’on puisse les décrire dès l’abord ; on voit bien que c’est un peu plus que cela, puisque l’individuation, c’est la scission de la substance simple d’avec elle-même, c’est-à-dire d’avec son essence qui est la vie universelle. Dès lors, l’observation de la solitude effective du sujet individué est un moins outil herméneutique que le signe même qu’il s’agit d’interpréter. Ainsi, étudier cette solitude en tant que telle, c’est être certain que l’on en viendra, de la sorte, au sujet que l’on poursuit de notre étude. Ce qui peut se faire en deux temps : 1) l’entrée en solitude ou la reterritorialisation (1.3.1) puis 2) la solitude comme site d’énonciation (1.3.2)

Le territoire du cabinet et la réflexion du regard

Pour saisir ce qui se joue de la position de l’individualité à l’individu posé et réfléchi, c’est-à-dire ce qu’est la distance entre ces deux moments de l’élaboration de soi, il est important de décrire le mouvement du sujet qui parcourt cette distance. Or, cette description est facilitée, on va le voir, parce que nous ne suivons pas le mouvement du texte : ce qui est pour notre sujet un inconnu est pour nous déjà cerné dans sa solitude ; en effet, nous avons déjà déduit que c’est dans la solitude que se joue la réflexion. Noussommes donc d’ores et déjà capables de choisir notre document : il sera constitué de toutes les entrées en solitude de Madame de Clèves, c’est à dire de toutes les fois où d’elle-même elle se retire de la compagnie pour rejoindre une pièce où elle est seule. Ce mouvement a souvent été remarqué par la critique ; il me semble que c’est

Woshinsky qui l’éclaire le mieux

Montaigne often uses metaphors of shelter to refer to his inner self, such as arrièreboutique toute nôtreand chez nous au dedans. For their part, Mme de Lafayette’s characters feel the same necessity to withdrawinto themselves in the face of social pressures, and Mme de Lafayette even expresses this withdrawal with a metaphor akin to Montaigne’s. For Montaigne’s rather bourgeois arrière-boutique, Mme de Lafayette substitutes an aristocratic cabinet, but the sense remains similar. By shutting herself up in her cabinet, Mme de Clèves, like Montaigne, symbolically seeks refuge within herself from a world which repels and threatens her.
On le voit, l’étude de B. Woshinsky a l’immense mérite de restituer à La Princesse de Clèves une atmosphère intellectuelle dans laquelle l’œuvre cesse d’être la première championne de la subjectivité moderne et un repère temporel un peu trop commode pour la périodisation de l’histoire des idées. Car l’étude de Barbara Woshinsky prétend non faire du sujet de La Princesse de Clèvesun sujet montaignien mais un sujet au moins aussi complexe que le sujet de Montaigne.

La relation amoureuse

D’une certaine manière, les pages qui précèdent pourraient former une étude indépendante et une étude qui, par son indépendance, jouirait de bien plus de cohérence que celle que nous allons constitueren conjuguant une nouvelle séquence avec les séquences précédentes. De l’élaboration de la conscience de soi, il n’y aurait en effet guère plus à dire, et ce que nous en avons dit suffit à une compréhension intuitive de l’œuvre. Mais là n’était pas d’abord notre exigence, et ce que nous nous étions proposé, c’était la résolution conjointe de deux problèmes : 1) la confrontation de deux conceptions du sujet à première vue antagonistes et 2) la description de l’éthique de la Princesse de Clèves. Notre séquence phénoménologique nous a permis d’avancer beaucoup cette résolution,mais non de la mener à son terme ; elle a permis la description du sujet tel qu’il se présente à lui-même, malgré le processus de sa formation. C’est ce « malgré » qui nous arrêteà présent, c’est-à-dire l’observation d’un nonrecouvrement par la conscience du sujet de soi-même, ou si l’on veut le dire encore d’une autre manière, dont nous commençons de percevoir la pertinence, par l’inadéquation des trois termes que sont « subjectivité », « assujettissement » et « sujet ». Pour le dire encore d’une dernière façon, qui porte la trace du vocabulaire phénoménologique, le sujet se conçoit comme déjà-là, et ne saisit pas totalement ses déterminités, telles qu’elles ont été disposées au cours de l’élaboration de sa conscience de soi. Si nouscommençons à changer un peu de vocabulaire, nous disons que ces déterminités lui sont inconscientes. Ce changement de vocabulaire peut surprendre, et le passage de la phénoménologie à la psychanalyse déstabiliser. C’est qu’échanger la rigoureuse description phénoménologique de l’élaboration de la conscience de soi pour les interprétations psychanalytiques plus fantasques ne se présente pas d’abord comme un progrès très net. Est-ce à dire que phénoménologie et psychanalyse sont hermétiques l’une à l’autre ? Ce peut être en une certaine manière, mais il y a au moins une personne pour qui cela n’a pas été, savoir Gaston Bachelard. La lecture comparée des premières pages de la Psychanalyse du feu, par exemple, et de la Poétique de l’espace, conduirait seule à distinguer la démarche des deux œuvres, l’une comme se rattachant à la psychanalyse (le mot est dans le titre), l’autre à la phénoménologie (le mot est dansle texte). En revanche, les développements des deux études sont eux semblables, si bien quedans une certaine mesure, les termes de psychanalyse et de phénoménologie semblent pouvoir s’intervertir. C’est, pourrait-on objecter, que la manière dont Bachelard entend la psychanalyse n’a pas grand-chose à voir, quant à la théorie, avec celle dont la psychanalyse elle-même s’entend. Indubitablement : Bachelard fait à peu près abstraction de toute la psycho-pathologie psychanalytique, c’est-à-dire de tous les endroits par lesquels la psychanalyse tient encoreà la psychiatrie. Il y a sans doute là réduction de la psychanalyse à un moyen, et par cette réduction disparaissent la thérapeutique, d’un côté, et la théorie, de l’autre. Nous voyons bien quel profit nous pouvons tirerde cette approche par Bachelard. Puisque nous conjuguons la séquence psychanalytique après en avoir déjà beaucoup dit, il est probable que pour réaliser la jonction de cette séquence avec nos séquences préalables, nous devions réduire sa spécificité. De sorte que s’il nous était commode de nous appuyer sur le vocabulaire et les observationsdes premières pages de la Phénoménologie de l’esprit, il sera moins aisé de faire corps avec le corpus freudien, ou quelque corpus psychanalytique que l’on se propose d’utiliser. Loin de devoir nous alarmer,cette perte peut nous rassurer en écartant une crainte soulignée par Maurice Laugaa.

Le rapport de stage ou le pfe est un document d’analyse, de synthèse et d’évaluation de votre apprentissage, c’est pour cela chatpfe.com propose le téléchargement des modèles complet de projet de fin d’étude, rapport de stage, mémoire, pfe, thèse, pour connaître la méthodologie à avoir et savoir comment construire les parties d’un projet de fin d’étude.

Table des matières
Remerciements 
Introduction
1. La conscience de soi 
1.1. L’existence sociale comme existence fondamentale : l’espace curial
1.1.1. Quelques observations sur la correspondance de Madame de La Fayette
1.1.2. Entrer et sortir de la cour : le cas de l’exil
1.2. La reconnaissance de l’autre etla reconnaissance par l’autre
1.2.1. Mademoiselle de Chartres avant Madame de Clèves
1.2.2. La théâtralité des fêtes et des salons : les autres comme public, soi comme acteur
1.2.3. L’individualité de l’autre à l’œuvre dans la conscience
1.3. Le sujet réfléchi dans la solitude
1.3.1 Le territoire du cabinet et la réflexion du regard
1.3.2. La solitude comme site d’énonciation
Conclusion partielle
2. La relation amoureuse 
2.1. Mythologie de la relation amoureuse
2.1.1. La Princesse de Clèveset Mélusine
2.1.2. Poliorcétique amoureuse
2.2. Psychologie de la relation amoureuse
2.2.1. Topologie du sujet
2.2.2. Le complexe de castration
2.2.3. Etre et avoir le phallus
Conclusion partielle
3. L’ordre social
3.1. Le sujet psychanalytique et sa société
3.1.1. La forclusion du Nom-du-Père
3.1.2. L’épreuve du phallus lesbien
3.2. La matrice hétérosexiste du sujet
3.2.1. L’intérieur et l’extérieur
3.2.2. L’amour et la guerre
3.2.3. Subjectivité et assujettissement
Conclusion partielle
Conclusion
ANNEXE – Relevé des lieux
Bibliographie

Lire le rapport complet

Télécharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *