La littérature consacrée à la jeunesse est diverse et variée. Malgré tout, l’illustration semble être une condition nécessaire à la publication jeunesse. En effet, elle est partout dès lors que l’on parle de littérature dédiée à l’enfance : lorsque l’illustration ne provient pas d’une démarche de l’auteur, ce sont les maisons d’édition qui associent le texte à des images qui – semble-t-il – sont liées à la jeunesse, à la littérature et l’univers enfantins. Partant de cela, la question que l’on peut se poser est celle de la place de l’illustration dans la littérature jeunesse. Car si l’on ne connaît pas toujours le lien exact qui est fait entre le texte et l’image (sont-ils des commandes de l’auteur ? L’auteur est-il l’illustrateur ? Les images ont-elles été ajoutées ensuite par l’éditeur?), dans le cas de l’album jeunesse, l’illustration joue un rôle particulier puisqu’elle est nécessaire à sa création. Un album, en effet, n’est-ce pas cette association entre le texte et l’image qui fait sens dans son ensemble ?
A la lecture de nombreux albums destinés à la jeunesse, l’on s’aperçoit que l’illustration peut revêtir diverses formes. De nombreux théoriciens ont déjà effectué un classement des illustrations dans les albums de jeunesse. Sophie Van der Linden en propose un premier dans ses nombreux travaux de recherche.
Ainsi, dès lors qu’un texte se trouve confronté à une image, on s’aperçoit que de la stricte subordination de l’illustration au texte, à la capacité de renversement du sens que s’autorise parfois l’image, l’éventail des possibles est très large et s’organise autour de trois « pôles » : redondance (les contenus sémantiques se trouvent – totalement ou partiellement – superposés), complémentarité (texte et image participent conjointement à l’élaboration du sens), dissociation (sens du texte et de l’image divergents). (Le français aujourd’hui, n° 161, 2008/2, « Images et textes en lecture », article de Sophie Van der Linden).
L’hypothèse posée alors est que l’image dans l’album jeunesse, analysée au regard de ces trois pôles, crée une tension avec le texte, et que cette tension est l’un des éléments constitutifs essentiels de l’album de littérature jeunesse. Par ailleurs, l’on peut se demander quelle est la nature exacte de cette tension propre à l’album de jeunesse. Qu’apporte-t-elle au texte et à l’objet final qu’est l’album ? L’aspect «redondance » des images dans l’album de jeunesse, tel qu’il est proposé par Sophie Van der Linden, ne sera pas abordé dans le cadre de ce travail. Il est toutefois à prendre en compte comme une première piste de réflexion, puisqu’il semble qu’il est beaucoup moins porteur de cette tension que ce mémoire se propose d’analyser ici. Il pose donc une question – essentielle au regard de la problématique de ce travail : cette tension est-elle toujours présente dans les albums de jeunesse ? Si non, la tension n’est-elle donc pas un élément constitutif de l’essence même de l’album ? Et si non, n’y a-t-il pas un autre type de tension qui permette ce travail d’interprétation inhérent à tout texte littéraire ?
Pour aborder ce sujet, trois albums ont tout d’abord été choisis pour la place toute particulière qu’ils offrent à l’image. Il s’agit de Mon chat le plus bête du monde de Gilles Bachelet, Ami-ami de Rascal et Stéphane Girel, et Les lions ne mangent pas de croquettes d’André Bouchard. Avec le temps et l’évolution des disponibilités de mise en œuvre, le travail autour de l’album Les lions ne mangent pas de croquettes auprès de la classe de CE2 sera abandonné. Malgré tout, une analyse rapide sera proposée au cours de ce mémoire, comme un exemple supplémentaire du type d’albums permettant cette approche du travail de l’image.
Le choix des albums Les lions ne mangent pas de croquettes, Ami-ami et Mon chat le plus bête du monde se justifie essentiellement parce qu’ils sont représentatifs d’un type de tension évidente qui lie le texte à l’image. Cette tension n’est pas exactement la même dans chacun des albums : il semble en effet qu’elle soit à chaque fois liée à des éléments inhérents et constitutifs de l’album même, et qu’elle soit par conséquent uniquement et précisément rattachée à cet album. Cependant, chacun de ces albums présente un type de tension entre le texte et l’image qui tient à la fois à la complémentarité et la dissociation du texte et de l’image, pour reprendre les termes proposés par Sophie Van der Linden.
Il me semble primordial de distinguer les rapports que texte et image entretiennent, des fonctions que chacun peut remplir l’un vis-à-vis de l’autre. Cette distinction implique l’idée d’une primauté et d’une priorité du texte ou de l’image. Dans l’album, on ne peut définir une règle à priori. Chaque ouvrage propose une entrée en lecture par le texte ou l’image. Dès lors, l’un ou l’autre peut majoritairement porter la narration. Si le texte se lit avant l’image et véhicule principalement le récit, il est perçu comme prioritaire. Cette dernière, appréhendée dans un second temps, peut confirmer ou modifier le message délivré par le texte. (Sophie Van der Linden, 2008).
Sophie Van der Linden défend l’idée que puisse exister une primauté du texte sur l’image ou inversement. Pour elle, la place de chacun de ces éléments (texte ou image) dans le support, dans la page et l’un par rapport à l’autre déterminera essentiellement cette primauté. Or, Sophie Van der Linden ajoute : « Cependant, cet agencement spatial sera conforté ou contrarié en fonction de qui porte la narration ou véhicule le message principal. » Cela peut être facilement compréhensible et vérifiable dans certains cas, (dans Les lions ne mangent pas de croquettes par exemple, très rapidement, le lecteur s’aperçoit de l’ironie du texte et préfère se fier alors aux images pour confirmer ou infirmer le texte. Ainsi, ce sont effectivement les images qui portent le message de « vérité » si l’on peut le nommer ainsi. Le texte, quant à lui, véhicule un message à double sens, mais les images sont assez claires sur la réalité des faits évoqués dans l’album). Cependant il semble que certains albums soient volontairement hermétiques à ce type d’analyse. La distinction est, en effet, beaucoup moins évidente que cela ne nous semble annoncé. Ainsi, les deux albums que sont Mon chat le plus bête du monde et Ami-ami posent problème en ce sens, et c’est cette situation problème même qui constitue l’un de leurs intérêts. En effet, c’est elle qui instaure ce « jeu » évoqué par Catherine Tauveron à propos des albums et par Roland Barthes à propos des textes de façon plus générale (jeu qui sera abordé ultérieurement dans ce travail). C’est elle qui fait prendre conscience au lecteur de son rôle actif et essentiel dans la construction du sens. Car, dans le premier album cité, Mon chat le plus bête du monde, l’un des ressorts de l’album est la confusion provoquée par la contradiction évidente qui existe entre le texte et les images : le lecteur, perdu entre ces deux instances auxquelles il est habituellement tenu de faire confiance, se trouve par conséquent obligé de faire un choix. Aussi, si le lecteur ne peut plus faire confiance ni au texte, ni à l’image, ou s’il ne sait pas auquel se fier, comment déterminer qui porte le message principal ? Le lecteur tourne en rond car tout est fait pour que, justement, aucune des deux instances que sont le texte et l’image ne prime sur l’autre. Cette question de la confiance est notamment traitée par Christian Poslaniec dans Texte et images dans l’album et la bande dessinée pour enfants « De fait, l’intérêt de certains albums repose sur la non fiabilité du narrateur textuel et souvent les images jouent un rôle. » (Christian Poslaniec, 2007) .
Par ailleurs, dans le cas de l’album Ami-ami comme dans le cas d’autres albums de ce type, c’est-à-dire qui véhiculent à la fois un texte et des images ambigus, et où, par conséquent, peut être faite une double lecture, le même principe est à l’œuvre. Cette fois-ci, les images sont en double page et le texte se fraie un chemin au milieu du dessin. La place de l’image semble être la plus importante, toutefois l’album nécessite plusieurs lectures : en effet, les images et le texte sont construits sur des détails épars (de véritables indices) qui mettent le lecteur sur la piste d’une interprétation autre que celle qu’il est tenté d’avoir au premier abord. On a donc ici au moins deux lectures du texte. Cependant, les lecteurs à qui ces détails échappent sont ramenés à une interrogation brutale et plus clairement formulée à la toute fin de l’album, et ce, grâce à l’image qui laisse une réelle sensation de violence et une impression désagréable. Le lecteur est, de toute façon, poussé à se poser la question du sort du petit lapin. Et alors, il sera tenté de recommencer une lecture où, peut-être, les détails lui seront plus clairement visibles à la lueur de cette interrogation liée au devenir du lapin. Mais alors, là encore, quelle instance prime sur l’autre ? Une relecture est nécessaire, et chacun, du texte ou de l’image, semble être également ambigu.
Dans ces deux albums, la tension qui existe entre le texte et l’image dépasse par conséquent toute considération sur la place de l’un par rapport à l’autre : texte et image sont totalement imbriqués et ne semblent pas vouloir laisser l’un prendre d’espace sur l’autre. C’est justement cette impossibilité de les placer dans une catégorie – ou du moins de décider de qui, du texte ou de l’image, prime sur l’autre – qui les rend si intéressants à analyser dans le cadre de ce mémoire. Le troisième album, quant à lui, propose un autre type de tension qui, ici encore, peut prendre tout son sens dans ce travail.
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Table des matières
INTRODUCTION
I. Cadre théorique
A. Les ouvrages théoriques, la place de l’image dans la littérature jeunesse et son intérêt dans un travail en classe.
a. Le « jeu » du texte
b. Le statut de l’image dans les albums qui construisent du « jeu » entre texte et illustration.
c. Cadre didactique et contexte scolaire
B. Analyse des supports de littérature jeunesse utilisés
a. Mon chat le plus bête du monde, Gilles Bachelet
b. Ami-Ami, Rascal et Stéphane Girel,
c. Les lions ne mangent pas de croquettes, André Bouchard
C. Hypothèses de travail et protocole expérimental
II. Recueil de données et analyse des travaux d’élèves
A. Mon chat le plus bête du monde
B. Ami-Ami
Conclusion
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