La température et ses effets sur les matériaux cimentaires

Le comportement des matériaux cimentaires en température, état de l’art

Rappel sur les matériaux cimentaires 

Le ciment Portland
Le ciment Portland est une poudre de grains anhydres essentiellement composée de clinker et de sulfate de calcium dans un rapport massique d’environ 95-5 %. Le clinker est obtenu par cuisson à 1450°C d’un mélange d’argile et de calcaire dans une proportion de 20-80%. C’est donc un mélange anhydre. Les quatre phases majeures se formant pendant la cuisson du clinker sont les suivantes (Taylor 1997):
– l’alite (C3S), représentant en proportion 50 à 70 % massique du clinker
– la bélite (C2S), 15 à 30%
– l’aluminate tricalcique (C3A), 5 à 10 %
– la ferrite, 5 à 15%, regroupant une solution solide entre un pôle C2F et C6A2F souvent approximée par la brownmillérite (C4AF) (Taylor 1964).

Des fillers calcaires, du calcaire finement broyé, peuvent être ajoutés au ciment Portland dans la limite de 5% du mélange clinker/filler. Les fillers sont considérés comme inertes et quasi insolubles en milieu neutre ou alcalin. La part de clinker peut être réduite au profit d’ajouts tels que de la fumée de silice, des cendres volantes, de la pouzzolane ou bien des laitiers de haut fourneau. Ces ajouts viennent modifier les propriétés du matériau. Selon la proportion de clinker et le type d’ajout, les ciments sont classés en 5 grandes catégories, de CEM I à CEM V (norme EN 197-1). Certains CEM II ne comportant que des ajouts calcaires (entre 6 et 35 %) sont relativement proches du CEM I. Leur comportement peut être comparé à celui des CEM I.

L’hydratation du ciment

Le mélange du ciment avec de l’eau provoque la dissolution des anhydres du ciment jusqu’à la sursaturation des hydrates qui, moins solubles que les anhydres, précipitent. La pâte obtenue est appelée pâte de ciment durcie. Ce processus est bien le résultat d’un ensemble de réactions chimiques.

HYDRATATION DES SILICATES DE CALCIUM, C3S ET C2S
En solution, le C3S se dissout libérant des ions calcium et hydroxyde ainsi que du silicium. Une fois la limite de solubilité des C-S-H atteinte, ces derniers précipitent avec en moyenne un rapport calcium sur silicium (C/S) de 1,7 pour un ciment de Portland (Taylor 1997). Cette réaction, limitée par le silicium, ne consomme pas tous les ions calcium en solution. Une fois la limite de solubilité de l’hydroxyde de calcium atteinte, ce dernier précipite sous la forme de portlandite. L’ensemble de ces réactions peut être résumé par l’équation bilan suivante (Eq 1-1).
C3S + H ⇒ C-S-H(1,7) + 1,3 CH Eq 1-1

Suivant le même processus, la dissolution du C2S conduit également à la précipitation de C-S-H et de portlandite. Apportant moins de calcium en solution, la précipitation de portlandite est plus faible en comparaison avec la même quantité de départ de C3S. L’équation bilan Eq 1-2 résume ce processus.
C2S + H ⇒ C-S-H(1,7) + 0,3 CH Eq 1-2

Ces réactions sont exothermiques et catalysent la suite de l’hydratation du ciment.

HYDRATATION DES ALUMINATES DE CALCIUM, C3A ET C4AF
Le C3A est l’anhydre du clinker le plus réactif. L’ajout de sulfate de calcium, généralement du gypse (sulfate de calcium dihydraté), au clinker favorise la précipitation de sulfoaluminates hydratés dont la limite de solubilités est plus basse que celles des phases aluminate de calcium hydratés. La phase la moins soluble est ainsi le trisulfoaluminate de calcium aussi appelé ettringite. L’équation bilan Eq 1-3 résume ce processus.
3C3A + 3CS̅H2 + 26H ⇒ C6AS̅3H32 Eq 1-3

Les ions aluminates non consommés par cette réaction interviennent dans la précipitation des aluminates de calcium hydratés et, en présence de carbonates, du monocarboaluminate de calcium. Si les aluminates de calcium anhydres sont en excès par rapport au gypse, les ions sulfate font défaut. L’ettringite formée se dissout au profit du monosulfoaluminate de calcium selon l’équation bilan Eq 1-4.
2C3A + C6AS̅3H32 + 4H ⇒ 3C4AS̅H12 Eq 1-4

Le gypse agit comme un régulateur de prise. Il semble que les aiguilles d’ettringite se forment autour des grains d’anhydre et ralentissent son hydratation. Une faible proportion de C3A améliore la résistance du matériau cimentaire à l’attaque sulfatique, en limitant le stock d’aluminium, élément nécessaire à la précipitation d’ettringite (Taylor 1997). Les vitesses de réaction des réactions décrites ci-dessus sont différentes, de la plus rapide à la plus lente : dissolution du C3A, du C3S, du C2S puis du C4AF (Escalante-García & Sharp 1998).

Les hydrates

LA PORTLANDITE
L’hydroxyde de calcium cristallisé ou Portlandite a pour formule Ca(OH)2 et cristallise sous la forme de cristaux hexagonaux. Sa structure cristalline est constituée de feuillets d’hydroxydes de calcium composés de plans d’ions calcium de part et d’autres desquels s’organisent des ions hydroxydes (e.g. Nonat 2008). La dissolution de la portlandite dans l’eau est exothermique (Taylor 1997), cet équilibre s’écrit de la manière suivante (Eq 1-5).
Ca(OH)2 = Ca2+ + 2OH Eq 1-5

Une augmentation de la température favorise donc sa précipitation venant diminuer sa solubilité (principe de Le Châtelier). La portlandite est la phase la plus soluble d’une pâte de ciment Portland et maintient par son équilibre avec la solution interstitielle un pH de 12,5 à 25°C.

LES SILICATES DE CALCIUM HYDRATES OU HYDROSILICATES DE CALCIUM (C-S-H) 

Les silicates de calcium hydratés constituent en volume la phase dominante des matériaux cimentaires. Ils sont semicristallins et présentent une structure nanométrique, formant des particules structurées en feuillets de l’ordre de 60*40*5 nm3 (Gauffinet et al. 1998). Les feuillets sont composés d’un double plan d’ions calcium coordonnés de part et d’autre par des chaines de tétraèdres de silicium. Suivant le rapport CaO/SiO2 des C-S-H, ces chaines de tétraèdres sont de longueur différente (e.g. Chen et al. 2004). Dans les pâtes de ciment, elles forment principalement, des dimères ou des pentamères. Plus le rapport est élevé, plus les chaînes sont sous la forme de dimères ; plus le rapport est faible, plus des tétraèdres pontant entre deux dimères se mettent en place formant alors des pentamères (Nonat 2004), voire des chaînes plus longues dans les C-S-H de synthèse. Le rapport C/S informe ainsi sur le type de C-S-H et la longueur des chaînes de tétraèdres de silicates. Il est en général de l’ordre de 1,7 dans un CEM I mais varie de 0,8 à 2,0. Il existe des phases cristallisées naturelles présentant des similitudes avec C-S-H, telles que la tobermorite 14 Å (C5S6H9). De rapport C/S faible, C/S = 0,83, elle est rapprochée des C-S-H de faible rapport C/S. Sa structure selon certains est un modèle de celle des C-S-H (e.g. Taylor 1997).

Les oxygènes non pontant au sommet des tétraèdres de silicium entrainent un déséquilibre de charge à l’origine d’une charge de surface légèrement négative. Elle est également fonction du rapport C/S du C-S-H. Un faible C/S conserve la plupart des protons des groupements silanols, -SiOH. Cependant une augmentation du rapport C/S entraine une déprotonisation des silanols, -SiO- . La charge est alors compensée par des ions présents dans l’interfeuillet tels que les ions calcium. Les C-S-H ont la capacité d’incorporer d’autres ions à leur structure. L’aluminium s’incorpore principalement dans les chaines silicatées au niveau des tétraèdres pontant ou sous la forme de third-aluminatehydrate (e.g. L’Hôpital et al. 2015). Pour les alcalins, les conclusions entre les auteurs sont divergentes. Les alcalins sont incorporés pour équilibrer les charges négatives soit à la place d’un ion Ca2+ dans l’espace interfoliaire, soit à la place d’un proton au niveau d’un groupe silanol ou bien au niveau d’un site vide (e.g. Lognot et al. 1998) mais n’interagisse pas avec la surface des C-S-H. Parmi les alcalins, seul le césium peut être spécifiquement adsorbé à leur surface (Viallis-Terrisse et al. 2001; Viallis-Terrisse et al. 2002). Selon Bach et al. (2013), la taille de l’ion solvaté joue sur l’incorporation des alcalins dans l’interfeuillet des C-S-H. En suivant ce raisonnement, le césium devrait être préférentiellement incorporé devant le potassium, le sodium puis en dernier lieu le lithium qui présente la plus large sphère de solvatation. Ceci est en accord avec les constatations de certaines études (Bach et al. 2013; Viallis-Terrisse et al. 2001), mais contradictoire avec d’autres études où le lithium est préférentiellement incorporé devant le sodium et lui-même devant le potassium (Leemann et al. 2014; Stade 1989; Taylor 1987; Tits et al. 2006). En ce qui concerne les anions, les sulfates peuvent s’adsorber spécifiquement à la surface des C-S-H alors que les bromures, chlorures et nitrates ne jouent qu’un rôle de compensateurs de charge dans la couche diffuse des particules de C-S-H. Les sulfates forment alors des ponts avec les ions calcium (e.g. Plusquellec 2014).

LES ALUMINATES DE CALCIUM HYDRATES DE TYPE HYDROGRENAT 

Les hydrogrenats sont présents dans les ciments plutôt alumineux et plus rares dans les pâtes de ciment Portland durcies. Néanmoins, en absence de calcite dans le ciment, la présence d’hydrogrenat à la place du monocarboaluminate peut être signalée (Lothenbach & Wieland 2006). Leur structure cristalline cubique est proche de celle du grenat (Ca3Al2(SiO4)3). De formule générale Ca3(AlxFe1 − x)2(SiO4)y(OH)4(3 − y), ils forment une solution solide entre 4 pôles : C3FH6, C3AH6, C3AS3 et andradite (C3FS3) en fonction du nombre de substitution de Si0 par OH, jusqu’à quatre, ou des substitutions de l’aluminium par du fer. La série C3AH6 / C3AS3 est appelée hydrogrossulaire. Plus précisément, si le rapport S/A est inférieur à 1,5 le nom de katoïte peut être utilisé, s’il est supérieur hibschite (Dilnesa, B. Z. et al. 2014; Taylor 1997).

LES ALUMINATES DE CALCIUM HYDRATES DE TYPE AFM 

Les AFm (Al203-Fe2O3-mono) ont une structure hexagonale dérivant de celle de la portlandite dans laquelle un ion Ca2+ sur trois est substitué par un ion Al3+ ou Fe3+. L’excès de charges positives est compensé par des anions mono ou divalents (OH- , Cl- , CO3 2-, SO4 2- , …) dans l’espace interfoliaire. Le monosulfoaluminate de calcium (C4AS̅H12) ou le monocarboaluminate (C4AC̅H11) en sont des exemples.

LES PHASES AFT 

Les composés de type AFt (Al203-Fe2O3-tri) désignent une famille de phases minérales de même structure cristalline dont le représentant le plus important est l’ettringite, aussi nommée trisulfoaluminate, de formule chimique C6AS̅3H32. Sa structure cristalline est constituée de colonnes hexagonales de cations entre lesquelles les ions sulfates assurent l’électroneutralité. Ces ions sulfate peuvent être remplacés par d’autres anions et du fer peut se substituer à l’aluminium.

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Table des matières

Remerciements
Table des matières
Introduction générale
La température et ses effets sur les matériaux cimentaires
Le comportement des matériaux cimentaires en température, état de l’art
Rappel sur les matériaux cimentaires
1.1.1.1. La notation cimentaire
1.1.1.2. Le ciment Portland
1.1.1.3. L’hydratation du ciment
1.1.1.4. Les hydrates
1.1.1.5. La solution interstitielle
Effet de la température sur des systèmes simplifiés
1.1.2.1. Effet de la température sur le système C-A(-S)-?-H
1.1.2.2. Effet de la température sur le système C-A-F-S-H
Effet de la température sur l’hydratation
Effet d’une augmentation de température après la cure
Conclusion
Etude du comportement chimique de la pâte de ciment Val d’Azergues entre 20 et 70°C
Protocoles
1.2.1.1. Caractérisation du solide à 20°C
1.2.1.2. Out-diffusion
1.2.1.3. Dissolution sélective
Résultats
1.2.2.1. Caractérisation du solide à 20°C
1.2.2.2. Caractérisation du solide à 70°C
1.2.2.3. Modélisation du cortège minéralogique avec CHESS
1.2.2.4. Analyses des eaux porales à 20 et 70°C
Discussion
Conclusion
Etudier les interfaces : outils analytiques et numériques, propriétés des matériaux et protocoles expérimentaux
Moyens analytiques
Analyses des phases solides
2.1.1.1. Outils d’étude de la chimie et de la minéralogie
2.1.1.2. Outils d’étude de la microstructure
Analyses des phases aqueuses
Présentation des matériaux et préparation des eaux synthétiques
Caractéristiques et propriétés de l’argilite de Tournemire
2.2.1.1. Minéralogie du solide et microstructure
2.2.1.2. L’eau porale et propriétés de diffusion
2.2.1.3. Les échanges cationiques et les sites de complexation de surface
2.2.1.4. Vérification du cortège minéralogique et de la porosité de l’argilite de Tournemire
Préparation de l’eau porale synthétique d’argilite
La pâte de ciment CEM I
Eau hyperalcaline
Protocoles expérimentaux
Expérimentation en condition in situ (CEMTEX in situ)
Expérimentation en cellule de diffusion (CEMTEX labo)
Outils numériques et bases de données
Rappels des objectifs de modélisation
Formalisme et rappels théoriques
Les codes de calculs CHESS et Hytec
2.4.3.1. Le code de géochimie CHESS
2.4.3.2. Le code de transport réactif Hytec
Choix de la base de données thermodynamiques
Modèles minéralogique des matériaux et des eaux porales
Choix des coefficients de diffusion et dépendance en température
Modèle d’échange cationique et sélection des données
Sélection des données de cinétique
Conclusion
Evolution géochimique d’une une interface béton / argile à 70°C
Conséquences des interactions entre les matériaux cimentaires et argileux sur leur minéralogie : état de
l’art
Comportement de matériaux cimentaires en contact avec une solution se rapprochant d’une eau
porale d’argilite
3.1.1.1. Evolution en solution simple
3.1.1.2. Evolution en solution multi-ionique
3.1.1.3. Effet de la température sur la lixiviation sous eau
Comportement des roches argileuses en contact avec une solution alcaline
Comportement des interfaces matériau cimentaire / roche argileuse
Modélisation des interfaces béton / argile
Caractérisation des interfaces CEM I / argilite après un an de contact en condition in situ
Localisation de l’interface initiale
Evaluation de la perturbation non minérale : l’apport de l’isotopie du strontium
Evolutions minéralogiques
3.2.3.1. Décalcification et carbonatation de la pâte de ciment
3.2.3.2. Altération des phases argileuses et dissolution partielle du quartz dans l’argilite
3.2.3.3. Précipitation de phases silicatées dans la zone d’interface
3.2.3.4. Précipitation d’ettringite dans la pâte de ciment
Conclusion sur les évolutions géochimiques des interfaces pâte de ciment CEM I / argilite à 70°C en condition in situ
Caractérisation des interfaces CEM I / argilite reproduites en laboratoire et évolution temporelle
Evolution et aspect de l’interface
3.3.1.1. Remarque sur la tenue de l’interface lors du démantèlement
3.3.1.2. Qualité de l’interface
3.3.1.3. Conséquence d’une interface initiale non jointive
Suivi temporel des évolutions minéralogiques
3.3.2.1. Décalcification et carbonatation de la pâte de ciment
3.3.2.2. Cas de l’ettringite
3.3.2.3. Possible altération des phases de l’argilite
3.3.2.4. Précipitation de phases silicatées à l’interface
3.3.2.5. Bilan et extension des évolutions minéralogiques
Suivi temporel du pH dans les réservoirs
Conclusion sur les évolutions géochimiques des interfaces reproduites en cellules de diffusion
Modélisation en transport réactif des interfaces pâte de ciment CEM I / argilite
Modélisation complète des cellules de diffusion – évolutions minéralogiques à l’interface
Extrapolation du modèle des cellules à la géométrie in situ
Discussion sur la cinétique de précipitation de la tobermorite
Discussion sur les similitudes et divergences de résultats des protocoles in situ et en cellules de diffusion,
apport de la modélisation en transport réactif – conclusions sur les évolutions géochimiques d’une interface pâte
de ciment CEM I / argilite
Conclusion générale

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