La technologie dans le milieu architectural étudiant: l’évidence de sa nécessité, et ses dérives.

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Posture critique et résilience numérique

Il ne s’agit pas fondamentalement du type de technologie que nous sommes amenés à utiliser, ni du moment auquel nous y sommes confrontés qui importe. Ce qui manque trop souvent au moment où l’on place l’outil numérique dans les mains de l’étudiant néophyte, c’est l’apprentissage d’une posture critique, une introduction au « pourquoi » et aux dérives potentielles des outils que nous apprenons à utiliser. Car tout l’enjeu est bien là. Si les outils numériques font miroiter aux étudiants des possibilités infinies, c’est seulement par la maîtrise des fondements architecturaux que ces outils pourront alors s’ouvrir à eux et qu’ils pourront utiliser leur potentiel. Ce constat pourrait s’apparenter à une épouvantable banalité, mais nous sous-estimons bien souvent la force avec laquelle nous sommes reliés au numérique et à quel point il peut nous être difficile de l’écarter. L’enseignement architectural doit être en mesure de faire comprendre aux étudiants que ces outils ne sont pas néfastes, si tant est qu’ils soient capables de les écarter, notamment au cours des phases de conception préliminaires. Nous pouvons donner tous les logiciels du monde aux étudiants, mais devons leur donner un crayon et du papier pour commencer, sans pour autant les forcer à ne pas utiliser leurs ordinateurs. Apprendre à jongler d’un outil à l’autre permet aussi de mieux sentir les limites de chaque outil, d’autant que la profusion de logiciels nous permet en outre de ne pas nous enfermer dans une méthode de pensée unique, façonnée à sa façon par l’éditeur d’un logiciel.
Dans un cadre plus général, tant sur les technologies que les générations concernées, on nous met pourtant en garde sur l’introduction des nouvelles technologies dans l’enseignement: « Les instances de transmission culturelle que sont l’école et les équipements culturels sont donc confrontées à des bouleversements affectant les fondements de leur action : conception du temps, des objets culturels, du lien entre savoir et culture et de ses médiateurs. Elles sont appelées à revisiter leur modèle de médiation pour l’adapter aux jeunes générations, afin de favoriser l’émergence d’une culture de demain et pour permettre la transmission d’un patrimoine culturel, lui-même en voie de redéfinition […] Ceci incite à une véritable réflexion pédagogique sur les modes de transmission, qui ne se réduise pas à l’insertion de technologies mais englobe une réflexion sur les apprentissages. »4
Bien que l’article dont est tiré cet extrait traite plutôt de l’ensemble de la génération que nous appelons aujourd’hui les « Digital Natives », c’est cette question d’une réflexion sur les apprentissages qui fait défaut, que l’on ait 10 ou 20 ans et quel que soit le domaine d’étude. Nous devons reconnaître explicitement que même si l’insertion évoquée des technologies et plus particulièrement des logiciels d’architecture est parfois le fait d’un enseignement spécifique, il n’en est pas de même pour tous les logiciels auxquels nous pouvons être confrontés. Qu’ils soient introduits à l’école ou qu’ils découlent naturellement d’un usage collectif nous devons nécessairement prolonger l’enseignement des logiciels de manière autodidacte, et par la force des choses, avec des versions piratées. Voilà une réalité bien inavouable pour l’enseignement architectural en France (et partout ailleurs), la majeure partie du savoir qui englobe les logiciels que nous utilisons au cours de nos études nous a essentiellement été inculqué par nous-mêmes et de façon illégale (L’illégalité du phénomène n’est finalement pas très importante, puisque nous finirons par payer une licence quoi qu’il arrive lorsque nous serons architectes). Les cours qui nous sont dispensés nous permettent certes de forger des bases solides sur l’emploi de certains de ces logiciels mais leur profusion et leur diversité empêche littéralement l’enseignement de balayer la totalité des logiciels tournés vers le champ de l’architecture. Nous devons pourtant jeter le problème sous le tapis afin de pouvoir avancer, en espérant que les étudiants se débrouillent par eux-mêmes, à la fois pour se fournir, mais aussi et surtout pour apprendre.
Etant donné la situation, il deviendrait alors judicieux d’envisager la mise en place de ressources permettant aux étudiants de continuer leur apprentissage par eux-mêmes, une sorte de base de données didactique, existant dans la continuité de la pédagogie initiale, d’autant plus que le rythme auquel avance chaque étudiant varie énormément de l’un à l’autre et qu’une telle base de données donnerait à chacun les moyens de combler ses lacunes ou d’avancer plus vite. Enfin, une des capacités que nous devrions acquérir, au-delà de la connaissance même des logiciels, est notre aptitude à leur faire face de façon critique, d’être en somme capable de résilience numérique. L’enseignement architectural doit dès à présent former des professionnels capables de s’adapter à tout changement numérique aussi brutal soit-il et ne jamais se laisser piéger par un outil, aussi attrayant qu’il soit.
Etant donné le fait qu’il serait impossible pour nos enseignants de contrôler la totalité de ce que nous apprenons des logiciels de CAO, il semble évident qu’une mise en place préalable d’un apprentissage critique soit nécessaire pour permettre aux étudiants d’aborder chaque nouveau logiciel avec discernement et ainsi leur éviter d’accumuler des compétences qu’ils ne sauront mettre à profit utilement. Un début de réponse pointe tout de même chez certains enseignants et prend généralement la forme d’une mise en garde générale quant aux dérives de l’utilisation de la CAO : «Méfiez-vous des outils de dessin informatisés, car si vous ne pensez pas à dessiner d’une certaine façon, le logiciel le fera à votre place. » Par extension, on pourrait même modifier la fin de cette phrase par : « le développeur du logiciel le fera à votre place »5.
L’apogée de cette mise en garde semble avoir été atteinte avec les technologies du BIM. Ces logiciels sont devenus tellement difficiles à manier, tellement complets mais compliqués, qu’une maîtrise partielle de leurs fonctionnalités sera synonyme d’un écrasement de la liberté de mouvement de l’utilisateur, et d’un étouffement de sa liberté de création. Sans une maîtrise totale, les outils du BIM conduisent à dévitaliser l’instantanéité et la richesse d’une exploration conceptuelle libre et constituent un frein créatif là où la barrière entre la pensée et sa matérialisation sera plus mince avec d’autres logiciels, et bien entendu avec le dessin à la main. Apprendre à concevoir de manière créative demande d’acquérir une certaine aptitude à laisser place au doute, à l’incertitude et à l’imprécision, qui sont des choses précieuses dans les balbutiements d’un projet architectural, car c’est parfois sous l’aspect de traits brouillons et entremêlés que peut surgir l’inspiration.
« Je me méfie en particulier de la fausse précision et de l’apparente perfection de l’image numérisée, qui contrastent avec l’imprécision naturelle et l’hésitation intrinsèque du dessin. La main n’arrive à une solution satisfaisante qu’à travers la répétition, les essais et les erreurs, […] »6
Selon Juhani Pallasmaa, l’outil informatique a permis aux architectes d’accélérer la plupart des étapes de leur travail dans des phases de conception avancées, mais il complique également les premières phases délicates de la conception architecturale, là justement où l’imprécision se révèle être une richesse pour les perceptions sensorielles de l’observateur ou de celui qui dessine.
Il est certainement très difficile d’envisager une méthode unique permettant de prévenir de façon systématique les dérives que nous rencontrerons face à un outil en particulier. Tout cela vaut pour les technologies numériques de conception, et nous aborderons les technologies liées à la fabrication numérique dans la deuxième partie de ce mémoire, qui relèvent de positionnements différents. Néanmoins, et sans aller jusqu’à la formulation d’une méthode d’apprentissage unique, il nous est possible de scruter avec attention ces outils et de pointer avec vigilance la perte de puissance qu’ils peuvent représenter pour nous, pour nos manières de concevoir et d’imaginer, autant que pour la construction sensible de l’architecte.
Nous devons apprendre à pouvoir nous libérer temporairement et pleinement de l’emprise des outils numériques dans le but de reconnecter nos facultés de création à notre environnement sensoriel. Une recherche perpétuelle que Juhani Pallasmaa appelle l’existence incarnée ou encore la pensée sensorielle, prend tout son sens lorsque l’esprit n’est plus déconnecté du corps et du monde extérieur par l’intermédiaire d’une interface, ou que celle-ci n’entrave pas la continuité et l’existence de la pensée à travers l’ensemble du corps.
« Il est indispensable que l’éducation prenne en compte l’importance du monde sensoriel afin que nous puissions renouer avec la plénitude de notre être physique et mental, utiliser toutes nos facultés et nous rendre moins vulnérables à la manipulation et à l’exploitation. »7

Le corps et l’esprit face à la technologie.

Un usage dévoyé et excessif des outils numériques a parfois pour conséquence d’éloigner le concepteur de ses capacités de création, et de son aptitude à intérioriser physiquement le travail créatif. L’origine de tous ces maux peut en partie provenir de l’inadaptabilité des interfaces auxquelles nous sommes confrontés ainsi que de la rigidité des programmes que nous utilisons. Comment se fait-il que la puissance des logiciels progresse à une allure vertigineuse alors que nos interfaces n’ont pas évolué depuis une trentaine d’années ? Pourquoi Ivan Sutherland dès 1963 dessinait-il déjà des objets instanciés sur l’ancêtre de l’écran tactile alors que nous dessinons encore à la souris et au clavier ? Cette combinaison d’interfaces n’est en tout cas pas la mieux adaptée à toutes les phases de création. Pour s’en convaincre il suffit d’essayer de dessiner des objets à « souris levée » pour constater son inefficacité et son imprécision. Certaines innovations permettent de renouveler le rapport entre le corps humain et nos ordinateurs et interrogent non seulement les outils numériques mais aussi les interfaces physiques qui permettent de les contrôler. A notre époque, l’interaction grandissante entre les hommes et les machines pose la question du développement cognitif humain au travers des technologies, et du rapport intellectuel que nous entretenons avec nos machines. Les architectes étant constamment entourés d’écrans, il est important de saisir les enjeux d’une telle manifestation dans le travail des architectes, et de bien comprendre que leur impact, s’il est difficilement identifiable pour chaque individu, ne doit pas être négligé.

Interfaces et logiciels

Il faut préalablement différencier deux types d’interfaces, les interfaces utilisateurs qui sont ce que nous voyons d’un logiciel à l’écran afin d’interagir avec lui, et les interfaces physiques, comme la souris et le clavier. L’ordinateur est aujourd’hui relié au cerveau humain par les mains et l’interface qu’elles contrôlent.
Alors pourquoi la souris et le clavier ? En 1964, Douglas Engelbart invente la souris pour facilement désigner des objets sur son écran et cette interface n’a finalement que très peu évolué depuis sa création. Nous disposons certes d’écrans tactiles aujourd’hui, ainsi que des tablettes graphiques, mais leur utilisation reste marginale. Une des raisons pour lesquelles nous utilisons encore cette interface proviendrait paradoxalement de notre capacité d’adaptabilité. Lorsqu’une interface est inutilement compliquée, qu’elle soit physique ou virtuelle, l’utilisateur développera un effort conséquent pour rendre l’utilisation de cette interface « normale », au point qu’il devienne difficile d’en changer car il faudrait alors réapprendre de nouveaux automatismes. Si la souris et le clavier sont parfaitement adaptés à la vie de tous les jours, nous devrions réinterroger la prévalence de cette interface et nous demander si, en tant qu’architecte, désapprendre certains automatismes pour en apprendre de nouveaux ne pourrait pas avoir des conséquences bénéfiques. Car les interfaces physiques et virtuelles que nous utilisons aujourd’hui nous empêchent souvent de manifester une forme de pensée sensorielle ; elles réduisent notre aptitude à faire usage de tous nos sens, là où le dessin manuel par exemple fait intervenir des processus incarnés, non verbaux ou conceptuels, mais qui sont profondément liés à notre être et à notre existence.
«Les croquis sur papier servent à étendre la mémoire de travail, permettant aux architectes de garder à l’esprit beaucoup de différentes options et variations. Au même moment l’acte physique du dessin, en demandant une forte concentration visuelle et des mouvements musculaires délibérés, aide à la formation d’une mémoire de long terme. Elle aide les architectes à se rappeler des esquisses antérieures, et les idées qu’elles recouvrent, alors qu’il tente de nouvelles possibilités.»8
Dans la lignée du thème de la corporéité, « La main qui pense » de Juhani Pallasmaa est une référence incontournable et omniprésente dans les recherches lorsque l’on s’intéresse à la relation que l’architecte entretient avec cet organe poussé à être dissocié de notre esprit par notre environnement social. Comme si le cerveau pouvait fonctionner comme un organe autonome n’ayant pas besoin de la présence et de l’action du corps. Il appuie le fait que les sociétés de consommation occidentales nous ont inlassablement conduit à considérer le corps et l’intellect comme deux entités séparées, et se retrouve par exemple dans la stricte distinction que nous faisons entre activités manuelles et intellectuelles. Il insiste particulièrement sur le fait d’une interrelation et d’une synergie si profonde entre la main et le cerveau qu’aucune discipline scientifique ne permet à elle seule de l’expliquer complètement.

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Table des matières

NTRODUCTION 
ARCHITECTURE PROGRAMMÉE
PARTIE 1 – LA CONCEPTION ET LA COMMUNICATION ARCHITECTURALE À L’ÈRE NUMÉRIQUE 
1) La technologie dans le milieu architectural étudiant: l’évidence de sa nécessité, et ses dérives.
Premiers pas numériques
Posture critique et résilience numérique
2) Le corps et l’esprit face à la technologie.
Interfaces et logiciels
Le syndrome de l’orbite
La réalité virtuelle, concevoir à échelle 1:1.
3) L’oeil à satiété
La technique du rendu photo-réaliste
L’hégémonie de l’oeil et les paradoxes du réalisme
La course à l’image des concours d’architecture
4) Vers quelle CAO?
Le BIM et la perte de contrôle
Le design paramétrique, processus informels
L’architecture et l’Open-Source
PARTIE 2 – FABRICATION DIGITALE 
Introduction
1) La fabrication digitale dans l’enseignement
L’apprentissage par le «faire»
Les écoles européennes et le retard français
2) L’Impression 3D
Construire l’impossible
Vers une véritable alternative constructive à grande échelle
3) Robotique: l’invention d’une nouvelle tectonique
Ouvriers versatiles
Flight-assembled architecture, défier la grande échelle
Vers un artisanat numérique?
MAÎTRE D’OEUVRE DU CONTINUUM NUMÉRIQUE
BIBLIOGRAPHIE

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