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UTILISATION
RÉALISME ET TEMPORALITÉ
La première raison qui pousse les cinéastes à utiliser le plan-séquence par rapport à un montage composé de plusieurs plans, c’est qu’il donne une meilleure sensation de réalisme. Le montage étant libéré de coupures, l’immersion n’est que plus intense durant la séquence. Cette impression de réel est due au fait que le temps s’écoule normalement. Il n’y a pas de manipulation évidente de la durée de l’action comme c’est le cas dans un montage classique, ce qui lui apporte de la fluidité et un rythme différent.
“Parce que le montage est un aspect très important du film, il peut lui porter préjudice s’il n’est pas fait correctement. Le grand critique de films André Bazin soutient que l’absence de montage peut être bénéfique à certains types de films, et permettre une perception plus réaliste du temps et de l’espace de l’histoire. Dans un film sans montage, un réalisateur ne pourra pas couper les plans pour cacher ses maladresses et ses erreurs” 1.
Ce que nous apprend André Bazin, c’est qu’avec un plan-séquence, il n’y a pas cette opportunité d’échappatoire que peut offrir un “cut”. Il “considérait cette forme de découpage comme plus réaliste que la forme classique, car elle permet à la caméra de saisir des ‘blocs de réalités’ : ‘Réalisme en quelque sorte ontologique, qui restitue à l’objet et au décor leur densité d’être, leur poids de présence, réalisme dramatique qui se refuse à séparer l’acteur du décor, le premier plan des fonds, réalisme psychologique qui replace le spectateur dans les vraies conditions de la perception, laquelle n’est jamais tout à fait déterminée a priori’” 2.
Ainsi, l’utilisation du plan-séquence n’est pas insignifiante. L’illusion de continu qu’il procure donne au cinéaste la possibilité de retranscrire un semblant de réalité dans son film, ce qui permet une perception plus concrète du temps et de l’espace. Et cette forme de réalisme peut être utilisée de différentes manières par les cinéastes en fonction de ce qu’ils souhaitent évoquer.
QUAND EST-IL UTILISÉ ET POURQUOI ?
De par son côté très technique et sa durée plus ou moins longue, le plan-séquence suscite une grande reconnaissance dans le monde du cinéma en tant que prouesse filmique. Mais il ne constitue pas simplement un prétexte à une certaine virtuosité.
Par exemple “La Corde a prouvé qu’Hitchcock était ‘le plus habile homme de cinéma mondial’, mais il ne faudrait pas déduire de cette expérimentation qu’il aimait la virtuosité pour elle-même. Selon lui la technique devait toujours servir l’action et il ne s’agissait jamais de se faire plaisir, ou de faire plaisir à l’opérateur” 1. Il faut donc que le plan-séquence serve l’aspect narratif du film. Il ne faut pas qu’il devienne une performance à part entière, que le spectateur soit d’abord émerveillé par sa prouesse technique, son but premier étant de raconter une histoire.
Comme nous l’avons vu précédemment, le plan-séquence permet de donner une sensation de réalisme, et par conséquent, les cinéastes s’en servent pour procurer des sensations, produire un rythme particulier ou apporter des significations à leur mise en scène sans vouloir pour autant épater le spectateur.
DANS LES SCÈNES D’EXPOSITIONS
Un plan-séquence peut être utilisé pour l’introduction d’un film, servant ainsi de scène d’exposition. Un seul plan suffit donc à présenter la situation de départ de l’intrigue avec, par exemple, les lieux et les personnages qui la constituent. Cela donne une certaine somme d’informations, nécessaire à la suite de l’histoire.
Le début de La Soif du mal (1958) d’Orson Welles utilise comme scène d’exposition un plan-séquence de 3min20s entièrement tourné à partir d’une grue en mouvement.
DANS LES SCÈNES DE BOÎTE DE NUIT OU DE RESTAURANTS
Les scènes de restaurant et de boîte de nuit sont souvent sujettes à des plans-séquences. Cela permet de révéler au mieux l’effet de foisonnement que peuvent produire ces lieux.
Martin Scorsese utilisa un plan-séquence par exemple dans Les Affranchis (1990) où la caméra suit un couple depuis la rue jusqu’à leur table dans le restaurant, en passant par les cuisines. Cela permettait de montrer le monde privilégié auquel appartiennent les protagonistes grâce aux relations qu’ils entretiennent avec les employés.
Paul Thomas Anderson utilisa le même procédé dans son film Boogie Nights (1997) avec sa scène d’ouverture qui se déroule dans une boîte de nuit, lui permettant ainsi de présenter tous ses personnages.
DANS LES SCÈNES DE PANIQUE
Le plan-séquence peut parfois aider à forcer le regard. En instaurant une atmosphère pesante et insupportable, le spectateur subit et ressent l’anxiété d’une scène. Il ne peut malheureusement pas recourir à des coupes en guise d’échappatoire, que pourrait normalement offrir un découpage normal. La sensation de réalisme devient alors d’autant plus frappante.
La tristement célèbre scène de viol dans Irréversible (2002) de Gaspar Noé fonctionne sur ce principe, faisant alors ressentir l’agression au spectateur, dans toute sa durée et son horreur. De même, dans The Revenant (2016) d’Alejandro González Iñárritu, la scène de l’ours attaquant le personnage principal est un plan-séquence qui nous fait endurer un malaise constant durant toute sa longueur, où nous assistons, impuissant, à la douleur que ressent le protagoniste.
DANS LES SCÈNES DE SUSPENSE
Le plan-séquence peut également plonger toute une scène en tension. Avec la sensation de réel qu’il procure, il permet au temps de s’écouler de manière normale durant toute la séquence, produisant ainsi un suspens constant et parfois croissant, là où un découpage en plusieurs plans aurait pu nous détacher de la scène et de la pression qu’elle souhaitait mettre en place.
Panic Room (2002) de David Fincher réalise très bien cet exercice en utilisant un plan-séquence impressionnant lors d’une scène où des voleurs tentent de s’introduire dans une maison. Il utilisa une technique considérée comme révolutionnaire (prévisualisation informatique) qui permit à la caméra d’être complètement libre dans l’espace. Elle pouvait ainsi passer dans un trou de serrure ou encore dans l’anse d’une cafetière.
DANS LES SCÈNES D’ACTION
Un plan-séquence peut aussi servir à une scène d’action, la rendant ainsi beaucoup plus saisissante et immersive par rapport à un montage classique, car la rapidité et la puissance des actions se déroulent en temps réel. Une coupure ferait office de respiration et ne permettrait pas de maintenir le spectateur en haleine.
Le cinéma asiatique, avec des films comme A toute épreuve (1993) de John Woo, L’Honneur du dragon (2005) de Prachya Pinkaew ou encore Old Boy (2004) de Park Chan-wook, présente de superbes scènes d’action tournées en plan-séquence.
DANS LES FOUND FOOTAGE
Ces dernières années ont vu apparaître la mode des “found footage”, présentés comme étant des films amateurs. Ces films faussement documentaires utilisent le principe de plan-séquence comme structure narrative, mais de manière différente par rapport aux films cités précédemment, car ils se veulent éloignés de toute mise en scène. Prônant ainsi le réalisme avec des événements se déroulant en temps réel, ces films adaptent le point de vue du caméraman pour donner un côté plus immersif à l’intrigue, ce qui leur procure un aspect brut et pas du tout travaillé. Le principe de caméra embarquée renforce également le côté subjectif du film, produisant chez les spectateurs une certaine identification aux protagonistes.
Les found footage appartiennent la plupart du temps au cinéma d’horreur, car ils cherchent généralement à faire peur en se basant sur le côté “authentique” de l’enregistrement vidéo. Le genre a notamment été popularisé avec Le Projet Blair Witch (1999) de Eduardo Sánchez et Daniel Myrick et a vu par la suite l’arrivée d’autres films comme [REC] (2008) de Jaume Balagueró et Paco Plaza, Cloverfield (2008) de Matt Reeves ou encore Paranormal Activity (2009) de Oren Peli.
DANS LES SCÈNES DE VUE SUBJECTIVE
En vue subjective, la caméra est située au niveau des yeux d’un personnage, adoptant ainsi son point de vue. Elle partage alors la perception visuelle du protagoniste au spectateur, renforçant ainsi le principe d’identification.
Pour un souci de réalisme, dans les scènes tournées en vue subjective, la caméra filme généralement sans avoir recours à des coupures, créant ainsi de véritables plans-séquences.
Nous avons vu que le principe de found footage était attaché à une notion de subjectivité dans sa narration. Mais ce côté subjectif n’est pas propre à une personne, car les images que le spectateur voit sont celles de la caméra tenue par un individu filmant les événements. On adopte alors le point de vue de la caméra, et non pas celle du caméraman. Même si le spectateur peut s’identifier aux protagonistes dans ce genre de film, l’accent est plus mis sur l’aspect immersif de l’intrigue que sur une réelle recherche d’identification.
D’autres films, au contraire, ont utilisé une vraie vue subjective comme La Dame du lac (1948) de Robert Montgomery qui est le premier film entièrement tourné en caméra subjective, donnant au spectateur la sensation de se retrouver à la place du détective privé menant son enquête.
Le dernier film en date, intégralement tourné en vue subjective, est Hardcore Henry (2016) réalisé par Ilya Naishuller. Une GoPro a été utilisée comme caméra subjective pour filmer l’intégralité du film1.
DOCUMENT SOUMIS AU DROIT D’AUTEUR
Mais malgré le fait que la vue subjective soit utilisée au cinéma pour créer une recherche d’identification chez le spectateur en utilisant le point de vue d’un des personnages, le procédé ne fait pas l’unanimité.
“La caméra subjective est une technique artificielle, naïve en ce sens qu’elle ne restitue pas, contrairement à ce que croient ceux qui en font usage, une vision ‘naturelle’, enfin lassante pour le public privé, comme on l’a noté, du visage du héros et donc de cette fameuse ‘identification’ qui le passionne pour ses aventures” 2.
“L’emploi massif du point de vue subjectif dans une fiction est toujours délicat. En effet, le spectateur connaît la vision du personnage, mais pas ses réactions, car il ne voit ni ses gestes ni l’expression de son visage” 3.
Pour certains, la caméra subjective serait alors, dans un sens, limitée, ne restituant pas vraiment une vision naturelle et ne permettant pas une réelle identification au personnage.
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Le plan-séquence est remarqué parfois par son côté technique, mais il ne doit pas pour autant tomber dans la performance dans le but de flatter l’ego du spectateur ou de mettre en avant la virtuosité du réalisateur.
Utilisé de différentes manières selon ce que le cinéaste souhaite transmettre au spectateur, le plan-séquence est donc un outil de mise en scène, souvent complexe à mettre en place, mais qui offre de larges possibilités en termes de narration.
“En général, un plan en mouvement est plus compliqué et plus long à réaliser qu’un plan fixe, mais il offre en contrepartie des possibilités visuelles et dramatiques bien plus subtiles. Le mouvement de caméra remplace une série de plans montés pour suivre un sujet, faire le lien entre des idées, créer des variations rythmiques et graphiques ou simuler le mouvement d’un sujet dans un plan subjectif” 1.
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Table des matières
INTRODUCTION
CINÉMA ET PLAN-SÉQUENCE
LE PLAN
LA SÉQUENCE
LE PLAN-SÉQUENCE
C’EST QUOI ?
DUR ÉE D’UN PLAN-SÉQUENCE
LA TECHNIQUE CAPACITÉS DE LA CAMÉRA
PRÉCISION, ERREURS ET RÉPÉTITION
UTILISATION
RÉALISME ET TEMPORALITÉ
QUAND EST-IL UTILISÉ ET POURQUOI ?
CONCLUSION
ARCHITECTURE ET CINÉMA
DÉCOR DE CINÉMA ET ARCHITECTURE
ÉCHANGES ENTRE LES DEUX DISCIPLINES
PROCESSUS DE CRÉATION
USAGER ET SPECTATEUR
L’OEIL ET L’OBJECTIF
LE CORBUSIER ET LA PROMENADE ARCHITECTURALE
BERNARD TSCHUMI ET LA PROMENADE CINÉMATIQUE
CONCLUSION
VERS UNE ÉVOLUTION DE LA REPRÉSENTATION ARCHITECTURALE
BIBLIOGRAPHIE
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