L’origine génétique causale de ces maladies
Ces maladies sont dues à un mécanisme moléculaire hors norme sur l’acide désoxyribonucléique (ADN). L’ADN est une molécule très longue, composée d’une succession de nucléotides (paires de bases) reliés les uns aux autres par des liaisons phosphodiester. L’ADN est présent dans les cellules et détermine le fonctionnement biologique de l’organisme (Figure 3). Ces maladies sont autosomiques dominantes c’est-à-dire qu’il suffit que l’un des deux allèles (copies ou formes) du gène d’intérêt soit touché par la mutation pour que le patient déclare la maladie. De ce fait, il y a un risque sur deux que la maladie se transmette à l’enfant si le parent est hétérozygote, 100% s’il est homozygote. Ces deux variantes génétiques se caractérisent par une atteinte multi-viscérale complexe [49]. Le mécanisme est complexe, en particulier, son caractère indirect par une expansion dans une région non codante (i.e ne codant aucune protéine) qui perturbe l’expression des autres gènes. Les DM sont dues à cette expansion, une répétition anormale d’une séquence dans un gène ([17], [73]) (Figure 4). Dans la DM1, c’est le trinucléotide Cytosine-Thymine-Guanine (CTG) qui est répété au niveau du gène DMPK sur le chromosome 19 [33]. Il comprend entre 5 et 37 répétitions CTG chez un sujet sain et il comporte une expansion (augmentation) anormale du nombre de ces répétitions chez les sujets atteints : allant de 50 jusqu’à plusieurs milliers de triplets. Dans la DM2 c’est le quadruplet de nucléotides Cytosine-Cytosine-Thymine-Guanine (CCTG) qui est répété au niveau du gène ZNF9 sur le chromosome 3. Chez un sujet sain, ce gène comprend jusqu’à 75 répétitions CCTG. Dans la DM2, le nombre de répétitions CCTG est anormalement augmenté, allant de 75 à plus de 10 000 répétitions. Ces mutations indiquent que ces expansions dans l’ARN peuvent être pathogènes et provoquer les atteintes multisystémiques de DM1 et DM2 [147]. Généralement, plus le nombre de répétitions est important, plus la maladie apparaît précocement et plus elle est sévère. L’allongement de la copie du gène altère le traitement du message de nombreux autres gènes. Parmi eux ont été identifiés des gènes impliqués dans différents organes, ce qui explique l’atteinte multisystémique présentée dans la section suivante (Figure 5). La maladie se déclare lorsque les cellules sont saturées par le nombre de répétition de la séquence CTG/CCTG. En effet, l’accumulation de la copie dans le noyau de la cellule perturbe le traitement des messages des autres gènes et fait apparaître les symptômes. Il se peut que la maladie ne se déclare pas, l’individu est asymptomatique. Ce nombre de répétitions est instable [181], il a tendance à augmenter au cours de la vie et au fil des générations (phénomène d’anticipation [150]), expliquant un âge de début de plus en plus précoce au fil des générations au sein d’une même famille. Ces deux maladies se caractérisent par une atteinte génétique couplée à une variabilité phénotypique inter et intra-individuelle élevée en lien avec la nature inhabituelle de la mutation causale.
Les avancées de la recherche
Actuellement, il n’existe aucun traitement curatif, néanmoins les traitements proposés, uniquement symptomatiques, visent à améliorer la qualité de vie du patient. Plusieurs médicaments sont recommandés selon les symptômes. Ces dernières années, les progrès dans la compréhension de la physiopathogénèse ont conduit à l’émergence de multiples approches thérapeutiques innovantes. Des essais cliniques ont confirmé l’efficacité de nouveaux médicaments ou de nouvelles prises en charge.
— L’essai MYOMET (2013-2017) a permis d’évaluer les effets de la metformine sur la posture globale des patients qui, de fait, passent d’une marche instable élargie, avant traitement, à une démarche droite, plus rapide et donc plus performante [22].
— L’essai thérapeutique OPTIMISTIC (NCT02118779, 2014-2017) a montré la pertinence de la mise en place d’une Thérapie Cognitivo Comportementale (TCC) chez les patients atteints de DM1. Cette thérapie a pour effet d’augmenter l’activité physique et de diminuer la fatigue chronique [165].
— L’essai clinique de la mexilétine : un essai de phase II (NCT01406873, 2011-2017) a pour objectif d’évaluer les effets de la molécule sur la marche, la myotonie, la fonction et force musculaires, la douleur, le fonctionnement gastro-intestinal, la conduction cardiaque et la qualité de vie. L’essai est terminé et les données sont en cours d’analyse.
— L’essai de phase II AMO-02 (NCT02858908, 2016-2017) a permis d’évaluer la sécurité d’utilisation et l’efficacité de l’AMO-02, un inhibiteur de l’enzyme GSK3 dont le niveau est augmenté dans la DM1 [111].
— L’essai de phase I/II de l’IONIS-DMPKRx (NCT02312011, 2014-2017) vise à détruire les ARN toxiques dans la DM1 à partir d’un oligonucléotide antisens développé par la société IONIS Pharmaceuticals. L’oligonucléotide a bien été toléré mais son efficacité sur la fonction musculaire n’a pas été suffisante.
Pour le moment, aucune de ces approches n’apporte une solution curative à la maladie. Dans le contexte de préparation aux essais cliniques un groupe d’experts internationaux (OMMYD, Outcome Measures for Myotonic Dystrophy), coordonné par C. Gagnon, Canada, travaille à définir, par une approche de consensus, les critères cliniques d’évaluation pertinents pour évaluer l’efficacité des thérapies émergentes. En effet,malgré la publication de plusieurs études observationnelles, l’histoire naturelle de la maladie reste encore à mieux définir et des biomarqueurs de sévérité restent à identifier ou valider. Voilà pourquoi, ces dernières années, les recherches se sont orientées vers de nouvelles technologies : les biothérapies. Ces biothérapies sont une nouvelle classe de thérapeutiques regroupant à la fois les thérapies géniques (transfert de gènes, intervention sur les gènes), les thérapies cellulaires ou tissulaires substitutives, et de manière générale tous les traitements modifiant les paramètres du patient. Cette classe thérapeutique bouleverse le paysage des essais cliniques.
Pourquoi un observatoire national ?
Un registre est une structure qui réalise « un recueil continu et exhaustif de données nominatives intéressant un ou plusieurs événements de santé dans une population géographiquement définie, à des fins de recherche et de santé publique, par une équipe ayant les compétences appropriées » (arrêté du 6 novembre 1995 relatif au Comité National des Registres). L’objectif principal des registres relève de l’épidémiologie descriptive. Elle est indispensable à la veille sanitaire et à la planification du système de soins. En France, les registres font l’objet d’une qualification par le comité d’évaluation des registres. Ils nécessitent un suivi par des experts. Dans le cadre des dystrophies myotoniques, a été créé un observatoire appelé DM-Scope. Il n’est pas un registre du fait de son caractère non exhaustif mais a les mêmes objectifs. En effet, la présentation de la maladie et l’hétérogénéité des symptômes ne permet pas de diagnostiquer tous les patients, notamment les individus asymptomatiques. Avec le développement croissant de plusieurs approches thérapeutiques, la collecte de données cliniques, génétiques et épidémiologiques pertinentes sur une large population DM est devenue une priorité. En effet, l’évaluation de l’impact des nouvelles thérapies nécessite des paramètres cliniques fiables et valables ainsi que l’identification de biomarqueurs de la progression de la maladie. Nous avons, ainsi que d’autres équipes, collecté des données longitudinales afin de mieux caractériser l’histoire de la maladie. Cependant, à ce jour, elle reste peu connue et nécessite d’être mieux caractérisée. Les registres sont les éléments clés du développement de la recherche clinique sur les maladies rares et de l’optimisation de la prise en charge des patients. Cependant, des initiatives européennes et internationales récentes ont mis en évidence plusieurs biais qui rendent les données collectées discutables et parfois non fiables ([1], [62]). Les dernières recommandations soulignent la nécessité de :
— améliorer la normalisation et la comparabilité des données (validation d’un tronc commun de données à collecter, utilisation des échelles d’évaluation…) ;
— faciliter l’interopérabilité entre les registres existants ;
— limiter le nombre de données incomplètes ;
— améliorer la qualité des données (modes de collecte plus rigoureux, contrôle qualité systématique…).
Effectivement, dans les registres existants, plusieurs limites sont observées. L’inconvénient majeur est l’absence de procédure d’évaluation clinique standardisée qui compromet fortement l’analyse des multiples manifestations de la maladie dans une population de patients aussi hétérogène. L’absence d’harmonisation est l’une des principales limites des divers registres nationaux axés sur la DM. En effet, bien que collectant des données assez similaires, les différents centres n’utilisent pas la même procédure ni les mêmes mesures. Les données inter-registres ne sont pas agrégeables car trop hétérogènes, ce qui limite considérablement toute tentative de comparaison des populations, la planification d’essais cliniques internationaux multicentriques et l’évaluation de futures directives de gestion des soins. La standardisation internationale de la collecte de ces données et du suivi clinique des patients doit passer par la validation d’échelles et de critères d’évaluation sur une large cohorte de patients DM. La création d’un observatoire national, comme DM-Scope, pourrait pallier ce manque. En France, la mise en place des centres de référence et de compétence pour les maladies rares a simplifié et intensifié les recherches de nombreuses maladies dont la DM. Le réseau DM-Scope s’est structuré sur le plan national maladie rare [2] et à l’aide de procédures partagées.
Un outil unique pour une maladie complexe à caractériser
Une des forces de l’observatoire vient du fait que les données sont collectées par des centres experts sur l’ensemble du territoire de manière standardisée. Elles sont donc fiables et comparables et permettent en plus d’harmoniser le suivi clinique au niveau national. Cette robustesse est aussi renforcée par la procédure de qualité à 3 niveaux mise en place :
— en ligne, lors de la saisie par des alertes instantanées lors de saisies erronées/impossibles,
— sur requête, lors de l’exécution de programmes automatisés, des listes d’incohérences apparaissent et permettent d’envoyer des messages de requêtes dit « queries » par courriers électroniques aux investigateurs et enfin,
— sur site, lors des contrôles qualité sur le dossier du patient (« monitoring »). D’autre part, la description de la population DM suivie dans DM-Scope, montre que l’observatoire est représentatif du large spectre clinique décrit usuellement dans la littérature ([105], [48]). Néanmoins, DM-Scope présente plusieurs limites dans son exploitation :
— Bien que l’observatoire couvre les plus grandes fonctions affectées par la maladie, une atteinte n’est pour le moment pas évaluée et suivie : la déficience cognitive. Ceci est lié au fait qu’à l’heure actuelle, aucune échelle d’évaluation propre à la maladie n’a été validée à l’échelle internationale malgré la réflexion en cours de plusieurs groupes de travail pour une harmonisation du suivi cognitif ([29], [78]).
— Le jeu de données collectées inclut seulement depuis peu la notion de statut vital, ce qui sous-estime le nombre de décès dans l’observatoire. Une actualisation prospective est en cours. DM-Scope surmonte la plupart des points de vigilance identifiés dans les registres existants pour les maladies rares et a permis une collecte croissante depuis 2008. Aujourd’hui, plus de 3000 patients français sont inclus, ce qui représente plus de 20% du total des patients DM enregistrés dans des observatoires à l’échelle internationale [222]. DM-scope a facilité la conception, le recrutement des patients dans 10 études de recherche : études observationnelles, études scientifiques fondamentales.
La caractérisation a montré que le phénotype des patients DM est diversifié. Le profil des patients DM1 est plus grave que celui des patients DM2. Et des analyses plus fines dans la DM1 ont révélé que :
— la plupart des manifestations cliniques sont liées entre elles,
— le génotype (le nombre de répétitions du triplet CTG) est un facteur déterminant de l’expression phénotypique des symptômes mais ne peut à lui seul expliquer l’expression et l’évolution de la maladie observée,
— l’âge d’apparition des signes a un impact sur la maladie.
Cette première série d’analyses montre que tous ces facteurs contribuent dans une certaine mesure à écrire l’histoire naturelle de la maladie et ont permis de proposer des premières recommandations de soins pour le suivi des patients DM1 adultes et enfants. Cependant, les atteintes les plus graves ou les plus fréquentes ne sont pas forcément les plus handicapantes pour le patient.
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Table des matières
Introduction
1 Les dystrophies myotoniques de type 1 et 2
1.1 L’origine génétique causale de ces maladies
1.2 Les manifestations cliniques
1.3 Le test génétique pré-symptomatique et ses conséquences
2 État des connaissances des DM
2.1 Les avancées de la recherche
2.2 Les outils existants dans les DM
2.3 Pourquoi un observatoire national ?
3 DM-Scope : l’observatoire des DM
3.1 Objectifs
3.2 Fonctionnement
3.3 Environnement : système d’information et collaborateurs
I. Caractérisation de la population de l’observatoire DM
1 Structure, cas renseignés et données recueillies
1.1 Données, concept et caractérisation socio-démographique
1.2 Description de la population DM1 pédiatrique
2 Les atteintes des patients DM1
2.1 Des atteintes neurodéveloppementales répandues chez l’enfant
2.2 Description des autres atteintes chez l’enfant
2.3 Description du génotype et des manifestations cliniques chez l’adulte
3 Vers la compréhension des atteintes des patients DM
3.1 Association génotype/phénotype dans la DM1
3.2 Inter-relation entre symptômes
3.3 Comparaison DM1/DM2
4 Conclusion et discussion
4.1 Un outil unique pour une maladie complexe à caractériser
4.2 Un écart entre les atteintes et le ressenti des patients
II. Etude des déterminants et contribution à une classification de la DM1
1 L’effet du genre
1.1 L’étude d’une large cohorte adulte révèle l’effet du genre dans la DM1
1.2 Des manifestations cliniques dépendantes du sexe
1.3 Étude de confirmation sur plusieurs bases de données indépendantes
2 La classification clinique selon le critère temporel (d’âge de révélation de la maladie)
2.1 La définition des différentes formes cliniques
2.2 Application de la classification en 5 formes aux données de l’observatoire
3 Une nouvelle classification basée sur une approche non supervisée
3.1 Objectif et méthodes
3.2 Typologie des patients
3.3 Caractérisation des patients en 6 classes
4 Conclusion et discussion
4.1 Des déterminants clefs dans la DM1
4.2 Impact de ces déterminants dans la DM1 et perspectives pour la DM2
III. Développement d’un modèle de survie en grande dimension en présence de risques compétitifs et de l’effet centre
1 Introduction aux méthodes de survie
1.1 Analyse de survie
1.2 Modèle de Cox
1.3 Modèle à fragilités
1.4 Risques compétitifs
1.5 Modèle de Cox en grande dimension
2 Un modèle à risques proportionnels pénalisé prenant en compte les fragilités et les risques compétitifs
2.1 Ajout des fragilités
2.2 Introduction des risques compétitifs
3 Etude de simulations
3.1 Simulation de données
3.2 Résultats
4 Conclusion et discussion
4.1 Une nouvelle extension des modèles de survie performante
4.2 Limites et perspectives
Discussion
1 Le projet DM-Scope et ses évolutions
1.1 Principales évolutions de l’observatoire durant le travail de thèse
1.2 Extension transnationale
1.3 Les atouts de DM-Scope
1.4 Ses limites
1.5 L’intégration de DM-Scope dans les entrepôts de données de santé
2 Le traitement et l’utilisation des données DM-Scope
2.1 Utiliser des modèles adaptés
2.2 DM-Scope, une aide dans la prise en charge médicale
2.3 Les résultats scientifiques
2.4 DM-Scope, une porte d’entrée vers les essais cliniques
Annexes
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