La surveillance de la santé animale

La surveillance de la santé animale

La surveillance de la santé animale : principes économiques

En économie, la gestion collective exercée sur la production d’un bien (le bien considéré ici étant en l’occurrence la santé animale) trouve sa légitimité dans le cas des biens dits « publics » (public good). Les biens publics sont définis comme non rivaux, parce que leur consommation par un acteur n’entraine pas la diminution de leur consommation par d’autres acteurs, et non exclusifs, parce qu’on ne peut exclure quiconque de leur consommation. La non rivalité et la non exclusivité sont à mettre en relation avec la notion d’externalités : la production du bien engendre des avantages (externalités positives) ou des coûts (externalités négatives) pour des acteurs autres que le vendeur et l’acheteur [1] et dont la demande n’est donc pas nécessairement pris en compte par ces derniers. L’avantage social de la production d’un bien public étant supérieur à son avantage privé, laisser le marché opérer conduirait à une situation de production non optimale, classiquement qualifiée de défaillance du marché (market failure). Les externalités positives incitent les acteurs à adopter un comportement dit de passager clandestin, ou « free rider », en profitant des efforts investis par d’autres. Ce phénomène conduit à un investissement global dans la production du bien inférieur à celui attendu selon l’équilibre économique optimal. D’où le besoin d’une gestion collective de la production du bien par une structure représentant les intérêts de la société prise dans son ensemble [2,3].

La classification de la santé animale en tant que bien public est habituellement considérée comme justifiée pour deux types de risques sanitaires : d’une part les maladies contagieuses à haut risque de transmission entre animaux et entre élevages, comme la peste bovine (Rinderpest) ou la peste porcine classique (Classical Swine Fever), d’autre part les maladies dites zoonotiques, c’est à dire potentiellement transmissibles de l’animal à l’homme comme la rage ou la brucellose. Dans de tels cas, les mesures prises à l’échelle de l’animal ou du troupeau pour prévenir, guérir ou éradiquer la maladie ont des conséquences en termes de santé publique et de production animale qui vont bien au-delà de l’animal ou de l’élevage concerné [2,4]. La caractérisation de « bien public » est beaucoup moins appropriée pour des maladies peu ou pas contagieuses et sans conséquences sur la santé humaine (comme les strongyloses ou coccidioses), la mitigation de tels risques relevant plutôt du bien privé [2].

L’intervention de l’Etat est également considérée comme non justifiée dans le cas de traitements curatifs individuels, interventions laissées en général à des acteurs privés. Par ailleurs, les activités prophylactiques, comme la vaccination, sont généralement considérées comme des biens privés ayant des externalités positives (la prévention d’une maladie dans un troupeau réduit la probabilité que les autres troupeaux soient infectés), et pouvant être, dans une certaine mesure, encadrées par l’Etat [5]. La classification s’avère encore plus complexe si on considère que la perception des risques associés à une même maladie peut varier considérablement selon les contextes économiques. Pour ne citer qu’un exemple, l’extrême contagiosité de la fièvre aphteuse (Foot and Mouth Disease) et l’importance de ses impacts économiques indirects (baisse de production, pertes de débouchés commerciaux) conduit la plupart des Etats industrialisés à encadrer étroitement son contrôle. Cependant, les pertes directes en termes de mortalité animale étant peu élevées, la maladie ne fait pas l’objet d’une telle priorisation par de nombreux producteurs des pays en voie de développement.

Ces acteurs ne perçoivent donc pas nécessairement l’utilité d’une intervention de l’Etat [6]. L’utilité d’une gestion collective est donc très liée à la perception et à la priorisation des risques. En épidémiologie vétérinaire, la notion de surveillance de la santé animale a fait l’objet d’une définition adoptée récemment par la communauté scientifique. Cette définition s’inspire de celle établie par le Center for Disease Control (CDC) des Etats-Unis appliquées à la surveillance de la santé humaine [7,8] : La collection, la mesure, la compilation, l’analyse, l’interprétation et la dissémination à temps, de manière systématique, continue ou répétée, de données relatives à la santé et au bien-être de populations animales définies, essentielle pour décrire l’occurrence de dangers sanitaires et pour contribuer à la planification, la mise en place et l’évaluation des mesures de mitigation des risques.

Les enjeux spécifiques de la surveillance de l’influenza aviaire hautement pathogène

Quatre particularités confèrent à l’influenza aviaire hautement pathogène (IAHP) due au virus influenza A de sous-type H5N1 un statut à part. La maladie est hautement contagieuse chez les volailles, d’où son caractère épizootique constaté dès son émergence en Chine en 1996. C’est également une maladie zoonotique, qui se transmet sporadiquement à l’homme, l’infection s’avérant fatale dans une proportion importante de cas (385 cas mortels sur les 649 cas déclarés à l’échelle mondiale sur la période 2003-2013 [16]). C’est une maladie émergente transfrontalière qui, après son apparition en Chine s’est propagée en un temps très bref dans un grand nombre de pays d’Asie, d’Afrique et d’Europe de 2003 à 2006 [17] à la faveur du commerce international.

Mais le danger ultime que représente le pathogène tient au taux élevé de mutations des virus orthomyxoviridae du groupe influenza A et à la probabilité, encore difficile à évaluer, d’un réassortiment génétique qui aboutirait à un virus combinant la létalité des virus IAHP H5N1 chez l’homme et une aptitude à la transmission interhumaine [18]. Une telle éventualité, non réalisée à ce jour, confère à l’IAHP due à H5N1 sa dimension de menace pandémique [19]. Peu d’éléments de comparaison permettent de rendre compte de l’impact potentiel qu’aurait l’émergence d’une souche pandémique de H5N1. Au premier rang de ces exemples figure l’épidémie de grippe espagnole qui, au début du XXe siècle causa près de 50 millions de morts à l’échelle mondiale [20]. Pour ces diverses raisons, l’IAHP se classe à la fois dans la catégorie des risques sanitaires dits « classiques », dont la gestion est un « bien public national», mais aussi dans celle des problématiques nouvelles des récentes décennies, qui ont façonné la notion de « bien public mondial » [4] et de « risque moderne » [21,22].

Parce que les conséquences de tels risques à moyen et long terme sont potentiellement grandes mais hautement incertaines, ces risques ont posé très vite le problème de leur priorisation par les individus et les Etats qui y sont confrontés [23]. Parce qu’ils sont transfrontaliers, ces risques impliquent également une responsabilité de chaque Etats visà- vis de la communauté internationale, et appellent donc de nouvelles formes de gouvernance mondiale [4,24]. Cette « gouvernance sanitaire globale » est aujourd’hui incarnée par des organismes internationaux tels l’OIE (Organisation mondiale de la santé animale – Office Internationale des Epizooties), la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture) et l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) principalement par la création de systèmes de surveillance supranationaux et transfrontaliers, tels que le programme EMPRES [13]. La crise de l’IAHP a entrainé un renforcement de ces programmes de surveillance internationaux [25].

Questionnement sur les systèmes de surveillance nationaux

L’engagement de la responsabilité des Etats et des instances supranationales dans la gestion du bien public « santé animale », si elle trouve à priori toute sa justification, n’a cependant pas manqué de soulever plusieurs questions. En effet, le principe d’une intervention de l’Etat permettant d’optimiser le rapport coût-avantage de la société, prise dans son ensemble, repose sur certains présupposés : l’impartialité de l’Etat vis-à-vis des différents acteurs concernés par le bien en question, la neutralité de l’Etat vis-à-vis du risque [26], ainsi que ses moyens financiers et techniques pour assurer une surveillance de la santé animale [27]. Or la réalité de la gouvernance sanitaire est très souvent différente et la gestion de l’IAHP en est un bon exemple. Les acteurs de la gouvernance sanitaire sont soumis à des influences contradictoires. La volonté des acteurs internationaux de limiter les risques de propagation des maladies transfrontalières se heurte souvent à la volonté des Etats de protéger leurs intérêts commerciaux [28,29]. L’importance de certains groupes de pression organisés peut influer grandement la politique des Etats, comme ce fut le cas de l’industrie de la volaille en Thaïlande qui a poussé le gouvernement à adopter des mesures d’abattage massif de volailles au détriment des éleveurs villageois [29].

Les intérêts des pays industrialisés, principaux financeurs de l’aide publique au développement, sont potentiellement mis en avant aux dépens des pays de Sud qui, très souvent, n’ont pas les mêmes priorités [25]. Quant à la neutralité vis-à-vis du risque, elle trouve vite ses limites lorsque la santé publique se trouve menacée et que les incertitudes sont grandes [26]. Dès lors que la menace pandémique a été mise en avant, des mesures visant à l’éradication de l’IAHP (destruction des troupeaux et restriction totale du commerce de volailles dans les régions infectées) ont été recommandées par les instances vétérinaires internationales (OIE, FAO), principalement sous l’impulsion des Etats-Unis, sans qu’aucune appréciation préalable de l’impact économique de telles mesures soit faite [25]. Les pays affectés par l’épizootie, la plupart en Asie du Sud-Est ou en Afrique, se sont retrouvés contraints de consentir des coûts importants en terme de perte de production et de restructuration de l’élevage, alors même que l’IAHP ne représentait pas pour eux une priorité en comparaison d’autres maladies infectieuses [25].

Ce constat pose la question de l’instrumentalisation de l’incertitude forte autour des « risques modernes », génératrice de « peur collective », pour accroitre le contrôle des Etats ou des instances supra-étatiques sur les populations [30]. Enfin, l’intervention de l’Etat suppose aussi que celui-ci dispose des moyens suffisants pour mettre en place des systèmes de surveillance performants. Dans le contexte des pays en voie de développement, il a été rapidement constaté que des contraintes de nature économique, mais aussi politiques ou culturelles font obstacle à l’efficacité des systèmes de surveillance conçus sur le modèle de ceux développés dans les pays industrialisés [27]. Certains Etats souffrent de difficultés financières ou de lacunes techniques auxquelles peuvent palier l’aide internationale. C’est afin d’optimiser les investissements réalisés dans l’amélioration des systèmes de surveillance que des méthodes d’évaluation des politiques de santé animale ont été proposées [31-34].

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Table des matières

Résumé et mots-clés
Remerciements
Avant-propos
Communications scientifiques
Liste des abréviations
Note sur les traductions
Introduction
1.La surveillance de la santé animale
1.1 La surveillance de la santé animale : principes économiques
1.2 Les enjeux spécifiques de la surveillance de l’influenza aviaire hautement pathogène
2.Evaluer la surveillance de la santé animale : approches économiques et sociologiques
2.1 Questionnement sur les systèmes de surveillance nationaux
2.2 Concepts généraux de l’évaluation de la surveillance de la santé animale
2.3 La question de la décision décentralisée au coeur de l’évaluation économique de la surveillance passive
2.4 Les réseaux sociaux et la surveillance dite informelle
2.5 Apports de la géographie de la santé
Résumé de l’introduction
Problématique de la thèse
Plan de la thèse
Chapitre 1. Territoires d’aviculture et territoires d’IAHP : littérature, données et choix des zones d’étude
1.Territoires d’aviculture
1.1 L’aviculture vietnamienne
1.2 L’aviculture thaïlandaise
Résumé : hétérogénéité des territoires d’aviculture
2.Territoires d’IAHP
2.1 Distribution spatiale du risque d’IAHP
2.2 Impacts politiques et économiques de l’IAHP
3.Synthèse : les territoires économiques et épidémiologiques de l’IAHP
Résumé des résultats du chapitre 1
Choix des zones d’étude
Chapitre 2. Réseaux d’informations
1.Introduction
2.Méthodologie
2.1 Echantillonnage
2.1.1 Approche catégorielle
2.1.2 Approche individuelle
2.2 Récolte des données
2.2.1 Approche catégorielle
2.2.2 Approche individuelle
2.3 Analyse des données
2.3.1 Génération des matrices d’adjacence
2.3.2 Calcul de la centralité alpha
2.3.3 Tests statistiques sur les réseaux individuels
2.3.4 Matériel informatique
3.Résultats
3.1 Approche catégorielle
3.1.1 Taille d’échantillon
3.1.2 Description des filières
3.1.3 Définition des cas de suspicion d’IAHP
3.1.4 Les cibles des flux d’informations primaires
3.1.5 Répartition des mesures de centralité alpha entre catégories d’acteurs
3.1.6 Différences entre zones d’étude et secteurs de production
3.2 Approche individuelle
3.2.1 Typologie de l’échantillon d’étude
3.2.2 Description des réseaux de flux d’informations sanitaire
3.2.3 Attributs influençant la centralité
3.2.4 Propagation spatiale de l’information
4.Discussion intermédiaire
4.1 Discussion méthodologique : application de la théorie des graphes à la diffusion de l’information sanitaire
4.2 Discussion des résultats
Résumé des résultats du chapitre 2
Chapitre 3. Les enjeux perçus de la surveillance publique de l’IAHP
1 Matériel et méthode
1.1 Echantillonnage
1.2 Protocole de recueil des informations
1.3 Cartographie participative
1.4 Outils de quantification
1.5 Analyse des données
2 Résultats
2.1 Taille d’échantillon
2.2 Problèmes généraux liés à l’aviculture
2.3 La déclaration d’une suspicion : un choix contraint par l’incertitude
2.3.1 Les options des éleveurs face à une suspicion d’IAHP
2.3.2 Les facteurs influençant le recours aux différentes options
2.3.3 Les options des autorités locales face à une suspicion d’IAHP
2.3.4 Incertitudes sur l’intervention des autorités
2.4 Coûts perçus de la surveillance de l’IAHP
2.4.1 Coûts de transaction associés à la surveillance de l’IAHP
2.4.2 Impact de la surveillance de l’IAHP sur le marché avicole : un coût spécifique à l’élevage à but commercial
2.4.3 Valeur financière, sociale et culturelle attribuée à l’animal : un coût de la surveillance spécifique de l’élevage à but récréatif
2.5 Avantages perçus de la surveillance
2.5.1 Soutien des autorités vétérinaires aux éleveurs déclarant une suspicion
2.5.2 La salubrité environnementale, enjeu de maitrise de l’espace lié à la surveillance de l’IAHP
2.5.3 Avantages perçus de l’information sanitaire
3.1 Discussion méthodologique
3.1.1 La difficulté d’adresser un problème éloigné des préoccupations des acteurs ciblés
3.1.2 Impacts réels et impacts anticipés : deux concepts pour deux types d’évaluations
3.1.3 De la perception à la décision: qu’est-ce qui influe réellement le choix des acteurs ? 175
3.1.4 Biais culturels et stigmatisation
3.2 Discussion intermédiaire des résultats
3.2.1 Diversité des territoires ruraux, diversité des enjeux
3.2.2 Surveillance, intervention et valeur de l’information
Résumé des résultats du chapitre 3
Chapitre 4. Enjeux propres aux acteurs nationaux de la surveillance
1 Introduction
2 Méthodologie
3 Résultats
3.1 Du village au sommet de l’Etat : organisation des autorités vétérinaires vietnamiennes et Thaïlandaises
3.2 Des épizooties aviaires sous le feu des médias vietnamiens
3.3 Le système vétérinaire de CPF : un modèle de surveillance privée ?
4 Discussion intermédiaire
4.1. Contraintes politiques à l’efficacité des systèmes de surveillance publique
4.1 Médias et entreprises privées : compléments et substituts de la surveillance publique
4.2 Enjeux politiques nationaux de la surveillance de l’IAHP : décentralisation, liberté de la presse et influence du secteur privé
Résumé des résultats du chapitre 4
Discussion générale des résultats
1 Surveillance « ignorée » et surveillance « sous tension » : des produits des politiques nationales
1.1 Les différences de perceptions des systèmes de surveillance
1.2 La gouvernance du monde rural au Viet Nam et en Thaïlande
1.2.1 Les premiers modes de gouvernance
1.2.2 Les évolutions historiques récentes
1.3 Conséquences sur la surveillance de l’IAHP
1.4 Limites de la comparaison des modes de gouvernance
2 Les enjeux territoriaux de la surveillance
2.1 L’information sanitaire dans le marché des produits avicoles : un enjeu propre à l’élevage commercial
2.2 Combats de coqs et bouddhisme : obstacles culturels à la surveillance de l’IAHP ?
2.3 Impacts des risques sanitaires sur le voisinage des élevages avicoles
2.4 Enjeux territoriaux et cartographie du risque d’IAHP
2.5 Limites des résultats
3 Comment l’information sanitaire se répercute sur les territoires d’aviculture
3.1 Répercussions économiques et épidémiologiques de l’information sanitaire
3.2 L’utilité de l’information sanitaire pour les acteurs privés
4 Théorie des graphes et informations sanitaires : l’Etat face aux réseaux « informels ».
4.1 L’importance des « réseaux informels »
4.2 Fondements économiques des « réseaux informels »
4.3 Géographie des réseaux informels
4.4 L’Etat face aux « réseaux informels »
5 Pistes de recherche futures
Résumé des points de discussion
Références provenant de journaux vietnamiens
Références bibliographiques
Liste des cartes
Liste des encadrés
Liste des figures
Liste des photos
Liste des tableaux
Annexe. Publications

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