La surface et l’environnement proche des supergéantes rouges

Généralités

D’après la littérature, la photosphère de Bételgeuse a un diamètre d’une quarantaine de millisecondes d’arc (cette taille est légèrement variable). L’environnement proche auquel je vais également m’intéresser ici s’étend jusqu’à une distance de quelques rayons stellaires. Cette région est à l’interface entre l’étoile et son enveloppe et est probablement le lieu au sein duquel se déclenche la perte de masse. Étant si proche de la photosphère elle est difficile à sonder car la petite taille des structures à résoudre (dizaine de millisecondes d’arc) ne permet leur observation que par l’interférométrie. Comme je l’ai développé au Chap 1, Sect. 1.2.3, cette technique ne fournit pas d’image mais un échantillonnage du plan de Fourier (ou plan (u, v) ) de l’objet observé. Un algorithme de reconstruction d’image permet d’en produire une à partir des observations et d’informations données a priori lorsque la couverture du plan (u, v) est suffisante.

La photosphère de Bételgeuse a déjà été observée par le passé : Roddier & Roddier (1985) ont ainsi tenté d’effectuer une reconstruction d’image à partir de données interférométriques obtenues au CFHT (Canada France Hawaï Telescope). Il s’agit d’un premier résultat intéressant selon lequel le disque de l’étoile aurait présenté un écart à la symétrie sphérique. Plusieurs observateurs ont signalé l’existence d’asymétries voire de point chaud à la surface de l’étoile tels que Tuthill et al. (1997); Young et al. (2000). Ces mesures ont été faites en visible ou proche infrarouge et se basent principalement sur le signal de clôture de phase pour détecter la présence d’asymétries sur le disque. La première image à haute dynamique de la photosphère de Bételgeuse a été réalisée par Haubois et al. (2009) en bande H avec des données interférométriques de IOTA. Deux taches brillantes ont été observées. Le signal interférométrique a été interprété par Chiavassa et al. (2010a) comme la résultante d’un motif de convection à la surface de l’étoile. C’est la confirmation de ce qu’avait prévu Schwarzschild (1975) : la surface des RSG ne comprend qu’un nombre réduit de cellules de convection géantes. Ces observations sont aussi un argument en faveur des travaux de Josselin & Plez (2007) qui ont proposé que la perte de masse peut être déclenchée par la convection qui ferait léviter la matière à la surface de l’étoile, avec l’action simultanée de la pression de radiation sur la raies moléculaires. L’autre scénario évoqué pour expliquer le mouvement initial de matière vers l’ISM est la dissipation d’ondes d’Alfvén (Airapetian et al. 2010).

Des indices de la convection ont été observés à une plus grande distance de l’étoile par Ohnaka et al. (2009, 2011). Les observations interférométriques à haute résolution spectrale ont permis de constater que l’étoile n’apparaît pas de la même façon dans les ailes bleue et rouge des raies du monoxyde de carbone (CO, voir Fig. 2.1). Dans le continuum seule la photosphère est discernable, au coeur de la raie une couche externe apparaît, dans l’aile rouge une zone plus lumineuse est visible (le modèle était composé d’une photosphère, d’une couche moléculaire comprenant une zone plus lumineuse) et dans la raie bleue c’est l’image complémentaire qui est obtenue. C’est l’effet DopplerFizeau : dans l’aile rouge, l’interféromètre est sensible au CO qui s’éloigne de nous et en bleu au matériel qui fait mouvement dans notre direction. On peut donc y voir un prolongement de la convection dans lequel du CO est partiellement expulsé par l’étoile, une partie du matériel moléculaire retombant sur la photosphère. Ce CO fait partie de la couche moléculaire située autour de l’étoile et désignée sous le nom de MOLsphère (la dénomination a été introduite par Tsuji 2006). La présence d’une couche externe de molécules autour de RSG a été suggérée pour la première fois par Tsuji (1987) pour expliquer des excès d’absorption de CO. Différentes observations spectroscopiques puis interférométriques ont fait référence à ce concept. A l’origine la MOLsphère était effectivement perçue comme une enveloppe moléculaire détachée de l’étoile et assez localisée. Depuis, grâce à des instruments de plus en plus développés (en termes de résolutions spectrale et angulaire) nous savons que l’enveloppe moléculaire de l’étoile, en particulier en CO (molécule permettant de tracer le gaz présent autour de l’étoile), est très étendue. De récentes observations nous montrent effectivement que le monoxyde de carbone est présent jusqu’à plusieurs secondes d’arc de l’étoile (O’Gorman et al. 2012). C’est pour cette raison que Ohnaka et al. (2009, 2011) utilisent un modèle à deux couches qui leur permet d’obtenir deux jeux de paramètres pour la MOLsphère et qui est un premier pas vers une MOLsphère étendue dans la direction radiale. Le modèle de MOLsphère est cependant utile en interférométrie où le champ limité de l’instrument (420 mas pour l’instrument AMBER) justifie l’utilisation d’un modèle localisé simplifié de couche moléculaire.

Bételgeuse en bande K avec l’instrument AMBER au VLTI

Données VLTI/AMBER : obtention et réduction

L’instrument AMBER
AMBER est l’acronyme de Astronomical Multi-BEam CombineR et est présenté par Petrov et al. (2007).Il s’agit d’un instrument interférométrique du VLTI pouvant fonctionner à trois télescopes dans les bandes spectrales J, H et K. Il dispose de trois modes de résolution spectrale (R = λ/∆λ) : basse (R ∼ 35), moyenne (R ∼ 1500) et haute (R ∼ 10 000). En plus des visibilités, AMBER est donc capable de fournir des clôtures de phase en recombinant 3 télescopes mais aussi des phases différentielles grâce à cette caractéristique supplémentaire.

Les observations de Bételgeuse avec VLTI/AMBER 

Bételgeuse a été observée par Guy Perrin avec l’instrument VLTI/AMBER lors des nuits du 1er, 2 et 3 janvier 2011 (ID programme : 086.D-0351). Une quatrième nuit a été demandée et obtenue en mode DDT (Director’s Discretionary Time) le 17 février de la même année pour compléter les données du mois de janvier (ID programme : 286.D5036). Le but de ces observations était d’obtenir une couverture (u, v) suffisante pour effectuer une reconstruction d’image grâce aux clôtures de phase fournies par AMBER. La convection de l’étoile aurait ainsi pu être observée et il aurait été possible de déterminer si les cellules convectives étaient liées aux plumes observées avec l’instrument VLT/NACO (Kervella et al. 2009) car de nouvelles observations avec cet instrument étaient demandées simultanément. Cependant seules des données à moyenne résolution spectrale (R ∼ 1500) ont été obtenues en bandes H et K avec une couverture restreinte du plan (u, v), trop limitée pour reconstruire une image. Toutefois comme nous allons le voir ci-après, ces données sont très riches et permettent une analyse de la couche moléculaire entourant Bételgeuse mais aussi des structures à sa surface. Observer Bételgeuse avec des instruments modernes est souvent un défi : c’est un des objets les plus brillants du ciel en infrarouge (K ∼ −4) et elle sature donc très rapidement la plupart des détecteurs dont la mission est en général de détecter les objets les plus faibles possibles. Des diaphragmes ont été insérés dans les faisceaux du VLTI pour diminuer le flux incident de l’étoile. En interférométrie une autre difficulté intervient : Bételgeuse a un diamètre apparent d’environ 40 mas ce qui signifie que même sur les plus courtes bases offertes au VLTI (∼ 16 m lors des observations AMBER) la visibilité des franges est très faible : l’étoile est soit résolue (dépassement du premier zéro de visibilité) soit presque résolue. Dans tous les cas les visibilités mesurées sont inférieures à 0,15. Observer les franges s’avère donc une tâche difficile plus particulièrement si la turbulence atmosphérique est importante. Pour stabiliser les franges, le suiveur de frange du VLTI, FINITO, a donc été utilisé ce qui a permis des temps d’intégration plus long sur le détecteur mais a entraîné des biais que nous verrons lors de la réduction. Les données de la nuit du 1er janvier 2011 ont principalement servi à optimiser les réglages de l’instrument pour ces observations délicates et ne seront donc plus évoquées ci-après. Au cours des nuits du 2 et 3 janvier ainsi que du 17 février, Bételgeuse a été observée en bande H (1,45 − 1,80 µm) et K (2,10 − 2,45 µm) en moyenne résolution spectrale avec les configurations E0-G0-H0, E0-G0-I1 et G0-H0-I1 du VLTI (voir Fig. 2.2). Des étoiles étalons ont également été observées en alternance avec Bételgeuse pour suivre l’évolution de la fonction de transfert de l’instrument.

Réduction des données 

amdlib est le logiciel de réduction des données AMBER. J’ai utilisé sa version la plus aboutie qui en 2011-2012 était la numéro 3.0.3. La méthode d’estimation des observables utilisée par amdlib est décrite par Tatulli et al. (2007) et Chelli et al. (2009). Je n’entrerai pas dans le détail de son fonctionnement complexe ici mais décrirai uniquement mon travail sur nos données. amdlib est codé en C mais l’utilisateur interagit avec le programme via une interface écrite en Yorick . Yorick présente l’avantage d’être un langage interprété ne nécessitant pas de compilation et permettant une manipulation extrêmement simplifiée des tableaux (entre autres) ce qui en fait un outil puissant et utile en astrophysique pour manipuler des images, des spectres et bien sûr des données spectro-interférométriques.

C’est ici que j’ai rencontré une première difficulté importante : la plupart des commandes de réduction d’amdlib permettent d’ouvrir une fenêtre interactive pour interagir avec le logiciel, en particulier pour choisir les fichiers qui doivent être traités. Cette fonctionnalité permet d’effectuer du traitement par lot et simplifie considérablement la réduction pour l’utilisateur : les fichiers d’étalonnage (P2VM : pixel to visibility matrix pour matrice de passage des pixels aux visibilités), les fichiers de corrections cosmétiques (courant d’obscurité, contribution du ciel, …) sont automatiquement identifiés et associés aux observations. Après divers tests il s’est avéré que le plugin Yoco directement intégré à amdlib et gérant tout le système d’interface graphique était incompatible avec la configuration de mon ordinateur pour des raisons encore inconnues. Passer par un serveur en ligne n’aurait pas permis d’avoir l’interface graphique et il n’était pas possible d’emprunter une station de travail puisque la réduction prend plusieurs heures et peut nécessiter d’être accomplie un certain nombre de fois. J’ai donc choisi d’utiliser les fonctions de plus bas niveau (toujours en Yorick) pour manipuler directement les fichiers individuels. Ces programmes ne font pas appel à l’interface graphique et étaient donc opérationnels mais n’ayant pas pour but d’être utilisés par l’utilisateur final, ces fonctions n’avaient pas de documentation détaillée ce qui rendait leur utilisation délicate. Il a fallu plusieurs essais infructueux avant d’aboutir à une version dérivée opérationnelle du logiciel de réduction des données en s’affranchissant de l’interface graphique. J’ai alors pu effectuer la première étape du traitement qui consiste à interpréter et ajuster l’interférogramme enregistré par le détecteur pour en déduire les observables interférométriques.

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Table des matières

1 Introduction
1.1 Les étoiles évoluées
1.1.1 Les étoiles de type solaire (naines)
1.1.2 Les étoiles massives
1.1.3 Le rôle des étoiles évoluées
1.2 La haute résolution angulaire
1.2.1 Résolution d’un télescope classique au sol
1.2.2 L’optique adaptative
1.2.3 L’interférométrie en astronomie
1.3 L’apport de cette thèse
2 La surface et l’environnement proche des supergéantes rouges
2.1 Généralités
2.2 Bételgeuse en bande K avec l’instrument AMBER au VLTI
2.2.1 Données VLTI/AMBER : obtention et réduction
2.2.2 Interprétation des données en bande K réduites, étalonnées et débiaisées
2.2.3 Les résultats en continuum : diamètre et structures
2.2.4 La MOLsphère dans les raies d’absorption de la bande K
2.2.5 A propos des données VLTI/AMBER en bande H
2.2.6 Publications
2.3 Bételgeuse en bande H avec VLTI/PIONIER
2.3.1 PIONIER : un instrument visiteur au VLTI
2.3.2 Les observations VLTI/PIONIER
2.3.3 Analyse des observations
2.4 Antarès avec VLTI/PIONIER
2.4.1 Antarès : la supergéante rouge de l’été boréal
2.4.2 Analyse préliminaire des observations
2.5 Bilan et perspectives
3 La chromosphère et l’enveloppe moléculaire étendues des supergéantes rouges
3.1 Contexte
3.2 Observations HST/STIS en ultraviolet
3.2.1 Programme d’observation HST/STIS : différentes échelles temporelles
3.2.2 Réduction et étalonnage des données
3.2.3 Analyse des données STIS
3.3 Observations avec VLT/NACO en proche infrarouge
3.3.1 Suivi de l’environnement de Bételgeuse en proche infrarouge
3.3.2 Réduction des données
3.3.3 Déconvolution
3.3.4 Étalonnage photométrique
3.3.5 Comparaison des observations HST/STIS et VLT/NACO
4 Vers le milieu interstellaire
4.1 Résultats précédents
4.1.1 La formation de la poussière
4.1.2 L’enveloppe gazeuse
4.2 Futures observations
4.2.1 Observations ALMA
4.2.2 Observations avec l’interféromètre du Plateau de Bures
5 Etude de l’environnement circumstellaire d’une étoile AGB : L2 Puppis
5.1 La fin de vie des étoiles de type solaire
5.1.1 Les différentes géantes rouges
5.1.2 Les nébuleuses planétaires
5.2 Les précédentes observations de L2 Puppis
5.2.1 Une étoile variable
5.2.2 Distance et binarité
5.2.3 L’environnement proche
5.2.4 Résumé
5.3 Photométrie de L2 Pup
5.4 Observations VLT/NACO
5.4.1 Le programme Bigstars
5.4.2 Réduction et déconvolution des images de L2 Puppis
5.5 Modélisation des images en proche-infrarouge
5.5.1 Première interprétation
5.5.2 Taille apparente de l’étoile
5.5.3 Modélisation du disque
5.6 De nouvelles questions
5.6.1 Un disque ou une autre structure ?
5.6.2 Le rôle du disque autour des étoiles AGB
5.6.3 La question de la boucle et de la binarité du système L2 Pup
5.6.4 Perspectives d’observations de L2 Pup
5.7 Publications
6 Conclusion

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