L’invention de la région du Nordeste
Nous commencerons notre étude sur la cantoria et la littérature de cordel à São Paulo par l’analyse du concept du Nordeste. Nous supposons dans cette première partie que la région du Nordeste fut associée à une production textuelle et visuelle à partir du début du XXe siècle qui se retrouve également dans la poésie populaire. Nous verrons que cette dernière est également prise comme exemple typique d’une des formes d’expressions artistiques propres à la région du Nordeste. Nous chercherons à montrer qu’il y a un mouvement de va et vient entre la poésie populaire et l’image symbolique du Nordeste, chacune s’alimentant de la figure symbolique de l’autre. Durval Muniz de Albuquerque Jr (2013) dit :
Il n’y a aucune nécessité ou aucune évidence dans le fait que la littérature de cordel soit un texte folklorique ou une manifestation de la culture populaire et régionale. Cette articulation entre le signifiant, le folheto de cordel et le signifié, celui d’être une littérature typiquement nordestine, a été construite historiquement, à un moment donné, processus qui fait qu’aujourd’hui le cordel soit un signe de la nordestinité et que, en le voyant, immédiatement nous l’associons à un autre concept : celui du Nordeste. Par ailleurs, le cantador, parce qu’il était issu de la classe pauvre et rural du Nordeste au moment des études folkloristes à la fin du XIXe siècle et début de la première moitié du XXe siècle, était également érigé comme symbole de la région. Il était représenté comme le dépositaire de la culture nordestine. Il continua d’incarner celui qui détient un savoir ancestral venant du sertão jusqu’à la fin du XXe. Dans cette première partie, nous identifierons la proclamation de la République en 1889 et la recherche d’une identité nationale comme les évènements déclencheurs de l’apparition des identités régionales et encore plus celle du Nordeste. Nous observerons l’émergence de« la question du Nordeste » comme d’une « idéologie de l’espace » qui sera essentiellement soutenue par le courant régionaliste de Gilberto Freyre au début du XXe siècle. Enfin dans un dernier chapitre, nous étudierons les référents qui caractérisent le processus de construction de l’identité nordestine.
Cette première partie a donc pour objectif d’interroger le concept du Nordeste, d’identifier les éléments fondateurs et contextuels de celui-ci afin de mieux comprendre la charge symbolique de la cantoria puis de la littérature de cordel comme composantes de la culture nordestine. Nous verrons entre autre que la notion de culture populaire est intrinsèquement liée à cette région, « car parler de culture nordestine c’est comme parler de culture folklorique ». En plus de situer l’émergence du concept du Nordeste dans l’histoire brésilienne, il est nécessaire de le mettre en relation avec la région du Sudeste. Nous verrons que la construction de la région du Nordeste s’est opérée en réaction à la montée en puissance sur le plan économique et politique de celle du Sudeste. De part cette opération, nous serons mieux à même de comprendre les relations et les imaginaires qui unissent les nordestins à São Paulo.
Le projet national de la République brésilienne
La création d’une Nation
« La véritable naissance, c’est le moment où une poignée d’individus déclare qu’elle existe et entreprend de le prouver ».
Avec l’abolition de l’esclavage en 1888 et l’instauration de la République un an après, le Brésil cherche à se construire comme Nation indépendante et qui se distingue de l’ancien régime monarchique. C’est pourquoi, le pays va élaborer une « sorte de kit en « do-ityourself » c’est-à-dire une « série de déclinaisons de l’ « âme nationale » et « un ensemble de procédures nécessaires à leur élaboration » et qui peut être nommée ironiquement comme une « liste des éléments symboliques et matériels qui doit représenter une nation digne de ce nom ». Deux régions vont présenter les caractéristiques recherchées pour incarner cette « âme nationale brésilienne ». D’un côté le Sud, qui depuis la moitié du XIXe siècle est en train de devenir le « nouveau centre » du Brésil par son économie, son mode de production et son immigration croissante d’origine européenne. Cette région émergente représente le renouveau pour le Brésil, la possibilité de pouvoir construire une Nation moderne tournée vers l’avenir et qui lui permettrait de couper avec son passé d’ancienne colonie portugaise.
Et de l’autre, la région du Nordeste qui à cette époque ne se définit pas comme telle mais comme le Nord. Cette partie du Brésil, au contraire, est présentée comme le berceau du pays, là où tout a commencé. Le sertão sera notamment « l’espace symbole » où les pratiques culturelles sont les plus caractéristiques du Brésil car elles sont, soi-disant, le résultat d’un mélange équilibré des trois matrices : indiennes, portugaises et africaines. Il est représenté comme un espace intact de toute influence moderne car éloigné où le paysage et le climat sont arides. Il est à la fois le territoire de la tradition et de la brésilianité et constituera par conséquent l’espace métonymique du Nordeste.
Les espaces comme source de l’identité brésilienne
« Si l’on privilégie l’approche géoéconomique, on dira que le ferment de ce Brésil moderne vient de São Paulo […].Si l’on privilégie l’approche géoculturelle, on dira que le ferment de la « brésilianité » vient de ses expressions régionales et métisses qui forment le pilier de la construction nationale ».
Le terme « brasilidade » ou « brésilianité » désigne l’état d’être brésilien. Le suffixe « ité » renvoie aux caractéristiques de la façon d’être brésilien dans un espace. Cet espace qui, lui aussi, va façonner le peuple. Nous voyons par ce procédé que les brésiliens donnent une expression spatiale à leur brésilianité en manifestant leur attachement à des lieux et aux valeurs qu’ils représentent.
Alors que São Paulo et la région du Sudeste vont représenter la « brésilianité » naissante et moderne, la région du Nordeste représentera la « brésilianité » racine et traditionnelle.
Nous allons voir dans le chapitre suivant que les deux régions vont rentrer dans un processus compétitif où l’une domine l’autre et où pour s’affirmer, il est nécessaire de montrer les traits culturels caractéristiques d’un territoire.
La construction du Nordeste en réaction à la montée du Sudeste
Lors de nos lectures bibliographiques, nombreuses sont les expressions utilisées pour nommer les deux régions. D’un côté, le Sudeste et plus exactement São Paulo est sublimée par des expressions telles que « Brésil utile », « coeur du pays », « la Mecque », « l’Eldorado », « lieu de progrès », « foyer d’attraction brésilien ». Et de l’autre, le Nordeste, lui, qualifié de « Région problème », « épave », « zone explosive », « région pauvre qui finance l’accroissement de la région riche ».
Nous cherchons dans cette partie à comprendre pourquoi São Paulo a développé un « régionalisme de supériorité » alors que le Nord puis le Nordeste un « régionalisme d’infériorité ».
São Paulo : berceau de la nation civilisée et progressiste
La montée de la pensée industrielle s’installe dans le Sudeste et prend toute son ampleur dès la fin du XIXe siècle à São Paulo. Elle est amorcée par l’économie du café qui est décrite par Sergio Buarque de Holanda comme une « plante démocratique »par rapport au coton et au sucre cultivés dans le Nordeste. Il nous explique qu’avec l’exploitation de cette plante, il s’opère un changement dans les relations au travail, à la terre et par conséquent à l’ordre social. Le propriétaire terrien des fazendas n’est plus un baron qui dirige de manière autonome son domaine. C’est désormais un personnage citadin qui vit et s’instruit en ville.
La main d’oeuvre y est salariée et les transports accrurent une dépendance de la campagne au centre urbain. C’est pour ces raisons, qu’au moment de la crise du café, il s’opère une reconversion vers l’activité industrielle. « En effet, à partir de ce moment-là, le terrain était mieux préparé pour un nouveau système, son centre de gravité n’étant plus désormais dans les domaines ruraux, mais dans les centres urbains ».
São Paulo incarne alors le processus moderne d’industrialisation de par son développement stupéfiant. C’est une ville attrayante tant pour les investisseurs que pour les spécialistes qui ne cessent d’être étonnés par le dynamisme économique que la ville dégage pendant tout le XXe siècle.
La construction d’un espace : « la question du Nordeste »
Avec la proclamation de la République, le Brésil qui se veut être un Etat-Nation, découpe le pays en plusieurs Etats afin de l’organiser comme un Etat fédéral. Avec le déplacement du pouvoir politique et économique du Nord vers le Sud, les élites de l’ancien centre vont s’organiser afin « d’unir leurs forces contre le processus de subordination croissant que subissent ces groupes. Leurs intérêts particuliers, avant identifiés comme les intérêts de leur Etat, passent maintenant à être pensés comme intérêts supérieurs : l’intérêt régional, où tous les sujets s’inclinent vers la même direction ».
La création de cette espace en commun va être celui d’une région qui se définit sous le signe de la discrimination et de la victimisation. Elle va créer un discours qui se base sur le déclin de la production du sucre et du coton dû aux vagues de sécheresse dont souffre la région.
C’est ainsi que va se poser « la question du Nordeste ». D’abord évoquée comme un problème politique et économique, elle va se transformer en une réflexion identitaire largement valorisée par le biais de sa culture.
Le discours régionaliste initié par les élites politiques et économiques va trouver une continuation avec les intellectuels issus des familles oligarchiques du Nordeste qui se concentrent au début du XXe siècle à Recife. Il s’agit plus particulièrement du mouvement régionaliste mené par Gilberto Freyre et qui se concrétise par l’adoption progressive du terme « Nordeste » à la place de « Norte ». Il argumente que le Brésil « depuis ses premiers jours, se constitue sociologiquement. Régions naturelles que se superposent aux régions sociales ». Selon lui, depuis l’avènement de la République qui fut « ianquizada », ce qui devait être des « territoires sont devenus prématurément des Etats ».
Le régionalisme de Gilberto Freyre va s’appuyer sur la notion de territoire pour s’opposer à celui d’Etat afin de développer le concept de Nordeste. Puisque le territoire « est une unité géographique, mais est aussi une unité sociale et géographique. Nous pouvons parler donc d’espace-territorial, qui constitue un système de structures tant sociales que spatiales, établi à travers l’action humaine sur la nature ». La construction de cet espace régional s’accompagne d’un ensemble d’idées et de concepts. Elles sont à la fois représentations et projections qui sont ensuite réassimilées collectivement. C’est pourquoi, la région, définie comme forme concrète est également une idéologie. « Cette idéologie élaborée, à partir du substrat régional, comme d’une fin spécifique, constitue une dimension du régionalisme, qui se manifeste comme conscience régionale ».
Le succès du régionalisme, qui est selon nous une « idéologie de l’espace », réside dans le fait que d’un concept élaboré par une élite, le sentiment régional est intériorisé parfaitement par le reste de la population alors nommée « nordestine ». Il va s’imposer progressivement dans la recherche scientifique tant régionale que nationale et est aujourd’hui une notion acquise. Le peuple, qui est décrit par Gilberto Freyre comme l’essence même de la culture nordestine car il est à l’origine de sa conception et de sa production, va intégrer l’idéologie du courant intellectuel et va se l’approprier pour se définir à son tour comme tel. Nous supposerons dans la dernière partie que la communauté nordestine de São Paulo a également reproduit ce mécanisme de défense culturelle et de valorisation identitaire. Nous analyserons ce phénomène à travers les oeuvres de la cantoria et de la littérature de cordel choisies pour l’étude.
Enfin, selon le régionalisme de G. freyre, le Nordeste est, en plus d’être un espace particulier et naturel qui le distingue du territoire national, une région qui a une culture singulière produite du croisement des trois matrices. Véritable « culture racine », elle s’est maintenue immune des influences délétères du cosmopolitisme et de l’immigration étrangère comme il s’est produit dans d’autres régions du pays. C’est pourquoi, pour renforcer son idéologie régionaliste, le mouvement va utiliser un répertoire de représentations qui se basent principalement sur la culture de la région du Nordeste qui est selon lui, la synthèse de son histoire, de son espace et de son peuple. Ce dernier, ferment de la culture nordestine, est par extension celui de la culture brésilienne. C’est par le peuple que se crée la Nation et ce sont ses pratiques qui fondent la culture brésilienne. Aussi dans le chapitre suivant, nous chercherons à montrer comment d’une région délimitée naturellement par son climat et sa géographie, l’éloge de sa culture va être l’outil principal du régionalisme pour retrouver sa place nationalement.
La création de l’identité nordestine par le régionalisme
« Le Nordeste n’est pas découpé seulement comme une unité économique, politique ou géographique, mais, primordialement, comme un champs d’études et de production culturelle, basé sur une pseudo unité culturelle, géographique et ethnique ».
Nous avons vu auparavant comment l’identité brésilienne se construit en lien avec l’espace. C’est pourquoi, la pensée dominante du début du XXe siècle au Brésil suppose que la Nation brésilienne se définit par son territoire et ses caractéristiques et que pour comprendre la culture nationale, il est nécessaire de comprendre sa culture régionale qui représente un échantillon du national. C’est ainsi que le régionalisme et le concept de culture régionale émergent au même moment.
L’espace de la tradition : le processus de folklorisation
Selon G. Freyre, la quête de la « brésilianité » passait par la quête de l’authenticité régionale : « Le Nordeste a le droit de se considérer comme une région qui a déjà grandement contribué à donner à la culture ou à la civilisation brésilienne authenticité et originalité »
D. Muniz de Albuquerque dans «A invenção do Nordeste » nous éclaire sur les motivations du courant nordestin, les mécanismes qu’il opère et les conséquences de son action. Il nous dit que par celui-ci, ce ne sont plus les facteurs naturels comme chez les naturalistes qui définissent l’identité, mais les faits historiques et ses marques culturelles. Par conséquent, de par son Histoire, le Nordeste, premier lieu de civilisation et d’installation des Portugais, serait antérieur à la Nation. Le régionalisme de G. Freyre va donc chercher les véritables racines régionales dans le champ de la culture et pour cela, il a besoin de créer une tradition.
Ce ne sera pas sans emphases et éloges dotées d’allusions au pittoresque de la culture nordestine qu’il usera pour insister sur l’aspect traditionnel. Selon D. Muniz de Albuquerque, le concept du Nordeste serait donc un produit en réaction à la modernité, une prise de conscience : celle de construire quelque chose qui est en train de se terminer.
La création de l’identité par sa culture
Afin de définir ce qui caractérise l’identité nordestine ayant au passage l’effet d’attester de son existence, les « créateurs du Nordeste » vont construire un répertoire d’expressions culturelles typiquement régionales. Le Nordeste, alors délimité dans un premier temps par ses caractéristiques naturelles, va se définir par sa culture. Il faut comprendre qu’une fois la République proclamée, il faut repenser le Brésil. Du peuple naît la République et de celle-ci la Nation. Il s’opère à cette époque une définition du « peuple brésilien » et de ses caractéristiques. C’est à partir de ce moment-là que s’articule la réflexion entre culture nationale et culture populaire.
Nous voulons montrer dans ce dernier chapitre que l’identité nordestine s’est construite en parallèle à celle de la culture populaire : « La fabrication de la culture nordestine est un des chapitres de l’histoire de la fabrication du folklore et de la culture populaire ».
Au début du XXe siècle, le courant régionaliste, continue l’idée du nationalisme par la valorisation des particularités nationales élaborée par le romantisme du XIXe siècle. Le régionalisme est marqué par le caractère nostalgique d’une époque révolue : celle de l’engenhos et de la culture du sucre de canne. D’autre part, il s’agit, selon eux, de comprendre ce qui se passe au niveau régional pour le transplanter au niveau national. Pour cela, il faut comprendre le peuple car celui-ci est l’essence de la nationalité brésilienne. C’est pourquoi à cette époque s’installe l’idée qu’être patriotique, c’est être proche du peuple et c’est le comprendre. C’est à cette même période que s’élabore conjointement le prérequis que ce qui vient du peuple est populaire. C’est pourquoi valoriser la culture du peuple et donc la culture populaire, c’est valoriser la culture brésilienne.
La Cantoria et la Littérature de Cordel
Les premières études réalisées sur la cantoria ont été réalisées par des personnalités du courant régionaliste du Nordeste et folkloriste à la fin du XIXe siècle et début du XXe siècle, tels que : Silvio Romero, Jose Rodrigues de Carvalho, Leonardo Mota et Gustavo Barroso pour ne nommer que les auteurs principaux. Ces études sont motivées entre autre par le projet de Nation qui s’opère à l’époque et la recherche des particularités culturelles du pays. Derrière la recherche de l’authentique pour caractériser la culture brésilienne, il y a également la volonté plus ou moins consciente de la préservation des traditions. Ce qui va avoir comme conséquence ce que Marco Haurelio, poète cordelista et écrivain, nomme la « tentative de fossilisation de l’activité éditoriale et d’une croisade entreprise contre la décaractérisation du cordel ». Les études folkloristes vont se poursuivre avec Luís da Camara Cascudo. Dans les années 1960 à 1980, la réflexion sur la culture populaire a évolué et n’est plus aussi romantique ; néanmoins l’idée de préserver-ce-qui est-en-train-dedisparaître motive clairement les études de la Fundação da Casa Rui Barbosa menées par Ivan Cavalcanti Proença et Manuel Diégues Júnior, et du côté de la recherche française par Raymond Cantel.
Un autre point intéressant à mettre en exergue est que ces études folkloristes du tournant du 19e au 20e siècle se sont déroulées principalement dans la région du Nordeste et ont pris comme objet d’étude le cancioneiro ou cantador afin de présenter la vie caractéristique du peuple brésilien : « le folklore fait le portrait des peuples dans toutes ses manifestations. Surtout dans la poésie ». Une des hypothèses de notre étude concerne le rôle joué par le cantador et l’évolution de son discours à mesure que les recherches littéraires s’effectuent sur la cantoria puis sur la littérature de cordel. Un exemple parlant et pionnier est l’anthologie de cordéis «Cantadorese poetas populares » (1929) écrit et publié par Francisco das Chagas Batista, lui-même poète et propriétaire de la maison d’édition au titre explicite « Popular Editora ». Dans l’introduction de son livre, F. das Chagas Batista pour présenter son oeuvre, utilise à son tour les termes « Anthologie régionale », « poètes populaires du Nordeste ». Il informe le lecteur que « De la lecture vaillante des études sur notre folklore, il m’est venu l’idée de publier ce livre ». Pour argumenter notre propos, nous reprenons l’idée de D. Muniz de Albuquerque Júnior développée dans « A feira dos mitos ». Selon lui, F. das Chagas Batista va favoriser et consolider l’émergence d’une identité nordestine et les caractéristiques qui lui sont associées et qui sont représentées dans la poésie dite populaire. Le poète devient, en plus d’un médiateur entre le peuple et les chercheurs, un articulateur culturel qui favorise l’émergence d’un marché culturel conceptualisé par le folklorisme.Toutefois, comme nous le fait remarquer M. Haurelio, il permet également à la littérature de cordel de gagner en visibilité, de s’inscrire comme un genre littéraire ayant une activité éditoriale qui se distingue de la cantoria.
Son empreinte nationale
Franklin Maxado, dans son ouvrage « o que é a literatura de cordel », reprend la construction de ces deux formes poétiques au Brésil. Il nous rappelle que dans l’organisation sociale amérindienne, le pajé du village est écouté et respecté pour son savoir ancestral, ses conseils et les histoires qu’ils racontent. « Ils sont l’histoire vivante et la mémoire collective de la communauté ». Nous retrouvons ce sentiment de fierté chez le cantador et celui de respect chez les consommateurs de la cantoria et des folhetos. La transmission du savoir des ancêtres et des traditions est présente aussi chez les esclaves africains et les moments de réunions dans les terrenos se font au son des percussions. Ce sont des rondes de danses et de vers improvisés.
Un autre aspect de la culture brésilienne au moment de la colonisation est le rôle joué par les jésuites. Ceux-ci vont collecter les légendes amérindiennes pour les reformuler et leur donner un sens catholique avec comme référents le nom des saints. Ce procédé va être utilisé également par les esclaves africains afin de pouvoir continuer à prier leurs divinités. Ainsi, les histoires de la cantoria vont devenir des légendes aux caractéristiques européennes peuplées par des personnages du Moyen-Âge et marquées par son fatalisme et sa piété. Cependant, avec les siècles, les héros vont acquérir de nouvelles identités sur le sol brésilien car le pouvoir du héros réside dans le fait que les lecteurs peuvent s’y identifier.
Le décor des histoires va également changer pour que le public puisse s’y projeter. C’est ainsi que les images du cangaceiro et du vaqueiro vont s’imposer dans la littérature orale sous forme de louange et de gloire à leur courage. Ce sont en quelque sorte les chevaliers du Sertão.
Tout comme cela se faisait en Europe, ce sont lors d’événements festifs que les cantadores se représentent. Ils sont invités par les propriétaires des engenhos ou fazendas à participer aux vaquejadas durant lesquelles la cantoria76 sert d’animation. Le cheval et le boeuf sont deux figures importantes dans la culture brésilienne et la vie quotidienne est rythmée en fonction du cycle du gado dans le sertão. Aussi, nombreux sont les romances qui content l’histoire du boeuf. Ainsi, de l’acculturation subie par les esclaves africains et les amérindiens à la réinterprétation des contes et légendes venus de la péninsule ibérique, la population du Nordeste crée de nouveaux contes. Au fil des décennies, se construit une tradition orale que la présence des repentista, aboiador et conteur ambulant nourrissent de leur imagination en se référant au cadre du sertão, de son quotidien et de ses personnages marquants (cangaceiro, Padre Cicero, vaqueiro, lavrador, coronel, Antonio Conselheiro…)
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Table des matières
INTRODUCTION
I. L’INVENTION DE LA RÉGION DU NORDESTE
1. LE PROJET NATIONAL DE LA REPUBLIQUE BRESILIENNE
1.1. La création d’une Nation
1.2. Les espaces comme source de l’identité brésilienne
2. LA CONSTRUCTION DU NORDESTE EN REACTION A LA MONTEE DU SUDESTE
2.1. São Paulo : berceau de la nation civilisée et progressiste
2.3. La construction d’un espace : « la question du Nordeste »
3. LA CREATION DE L’IDENTITE NORDESTINE PAR LE REGIONALISME
3.1. L’espace de la tradition : le processus de folklorisation
3.2. La création de l’identité par sa culture
II. LA CANTORIA ET LA LITTÉRATURE DE CORDEL
1. LES ORIGINES, INFLUENCES ET TERRITOIRES DE LA POESIE.
1.1. Les origines
1.2. Son empreinte nationale
1.3. L’apparition du repente et de la littérature de cordel à São Paulo
1.4. La littérature orale une expression littéraire identitaire
2. LES ESPACES ET LE PUBLIC
2.1. Les espaces
2.2. Le public
3. DESCRIPTION
3.1. Distinction entre les deux poésies
3.2. La poésia improvisada ao som da viola
3.3. Les folhetos ou la littérature de cordel
3.3.1. Les différentes dénominations et l’origine des folhetos
3.3.2. Catégories et classifications
4. LES OEUVRES
4.1. Présentation des poésies de l’étude
4.2. La structure poétique du repente et du cordel
4.3. La satire et le parler populaire
5. LES POETES
5.1. Biographies
5.2. La formation des poètes
5.3. La relation du poète avec son public
5.4. Dans la ville de São Paulo
III. LES NORDESTINS À SÃO PAULO : UN THÈME DE LA LITTÉRATURE ORALE
1. LA RACINE : L’ATTACHEMENT A L’ORIGINE.
1.1. La nordestinité
1.2. Etre nordestin : l’attachement à l’identité régionale
2. LA MIGRATION : LE DERACINEMENT
2.1. La perception de pertes
2.2. La préservation du groupe d’appartenance
3. L’ENRACINEMENT : L’ELABORATION IDENTITAIRE
3.1. De la tradition à l’adaptation : l’identité régionale comme marqueur de l’identité sociale
3.2. « L’identité-résistance »
3.2.1. La marque de l’ambivalence
3.2.2. Les procédés identitaires mis en oeuvre face à l’inégalité sociale
3.3. « L’identité-projet »
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
GLOSSAIRE
ANNEXES
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