Selon des données relativement concordantes de l’ONU, de l’OMS et de l’UNICEF, l’Afrique subsaharienne occupe le bas du classement mondial dans le domaine de la santé. L’espérance de vie à la naissance y est la plus faible du monde, atteignant à peine 47 ans contre 78 ans en moyenne dans les pays industrialisés [76, 157]. Touchée de façon disproportionnée par la pandémie du SIDA, l’Afrique subsaharienne abrite 70 % des personnes infectées et 80 % des décès imputables au VIH y surviennent [161]. L’ONUSIDA dans son rapport 2002, révèle que 2,4 millions d’Africains sont morts de l’épidémie en 2002 et avance une incidence d’environ 3,5 millions de nouveaux cas pour la seule année 2002 [161]. Des chiffres inquiétants tellement leur échelle paraît démesurée. Face à cette dramatique progression de la maladie, les opinions publiques internationales se sont indignées de l’inaccessibilité des pays pauvres aux médicaments antirétroviraux, obligeant les laboratoires pharmaceutiques non seulement à retirer leurs plaintes contre l’Afrique du Sud au cours du retentissant procès de Pretoria mais également à procéder à des baisses de prix atteignant parfois 80 % [150]. Ainsi, le 13 février 2003, le laboratoire suisse Roche annonçait la baisse de 85 % du prix de saquinavir et du nelfinavir dans les 62 pays du tiers monde les plus touchés par le sida [162]. Cette initiative n’est pas isolée : GlaxoSmithkline Wellcome (GSK) a promis de baisser de 85 % le prix de l’association lamivudine/zidovudine et Boehringer Ingelheim s’est engagé à fournir gratuitement le névirapine [98]. En dépit de ces remarquables efforts, très peu d’Africains atteints du VIH ont accès au traitement. D’après le Dr Matshidiso MOETI, Conseiller régional du programme VIH/SIDA au Bureau régional de l’OMS pour l’Afrique, sur près de 30 millions de séropositifs en Afrique subsaharienne, moins de 1 %, soit 50.000 personnes, ont accès aux antirétroviraux [159]. Au – delà du SIDA, c’est l’épineux problème de l’accès des populations pauvres aux médicaments qui doit être perçu dans sa globalité. Si le nombre de personnes ayant accès aux médicaments essentiels a doublé au cours de ces 20 dernières années, l’OMS estime qu’un tiers de la population mondiale et plus de 50 % de la population d’Afrique subsaharienne n’y a toujours pas accès [86] (cf. figure n°1 page suivante). En 2002, les entreprises du médicament (LEEM) estimaient que : « Chaque année 10 millions d’enfants meurent dans les pays en développement, de maladies infectieuses pour lesquelles des traitements sont disponibles » [165].
LA STRUCTURE D’ENREGISTREMENT DES MÉDICAMENTS
Toute production pharmaceutique locale doit s’appuyer sur une volonté politique instituant un cadre réglementaire structuré et adapté aux réalités du pays concerné. résume les activités réglementaires à la charge de l’État et indique les étapes de notre développement : enregistrement, contrôle qualité, inspection, prix, publicité, suivi des essais cliniques et pharmacovigilance.
L’enregistrement des médicaments, répond à une prise de conscience de la nécessité de contrôler l’origine, la qualité, l’efficacité, l’innocuité voire le prix des médicaments qu’ils soient importés ou fabriqués localement. Même si cet enregistrement n’empêche pas totalement la présence des médicaments contrefaits dans les circuits de distribution, il contribue à la faire chuter de manière significative [110]. Par conséquent, tous les pays africains, du moins en théorie, imposent comme condition préalable à la distribution à titre gratuit ou onéreux des médicaments, leur enregistrement local (homologation, obtention du visa ou de l’AMM). Cependant, dans certains pays en situation de crise politique ou économique, et où la principale source d’approvisionnement est constituée par l’aide internationale, l’enregistrement ne constitue pas une exigence préalable à la mise sur le marché. C’est le cas notamment pour : Liberia, R D Congo, Somalie, Angola, Djibouti, Guinée-Bissau, Sao Tomé-et-Principe [35]. Dans un certain nombre de pays plus stables : Burkina Faso, Madagascar, Sénégal, Mali et Tchad, les médicaments génériques du secteur public issus d’appels d’offres internationaux, ne sont pas toujours enregistrés [35]. La seule exigence pour ces médicaments étant leur enregistrement dans le pays d’origine, généralement la France.
Par contre, certains pays utilisent les procédures d’enregistrement de tout médicament entrant sur leur territoire comme un outil de protection de leur marché. À Maurice, un importateur n’a aucune chance d’enregistrer une spécialité pharmaceutique si son équivalent est produit localement [96]. De même l’ Algérie a bloqué l’importation et l’enregistrement de toute spécialité ayant un équivalent produit localement. Exception faite du Lesotho, du Sao Tomé-et-Principe, des Seychelles et de la Guinée Équatoriale, tous les pays africains disposent d’une structure chargée de s’assurer de la qualité, de l’efficacité et de l’innocuité des médicaments importés ou fabriqués localement [111, 124]. Cette autorité est généralement rattachée auprès du ministère de la Santé et son financement est dépendant du budget sanitaire national. Aussi, des doutes légitimes peuvent-ils être formulés sur l’impartialité et le poids de telles structures lors d’inspections d’établissements pharmaceutiques publics, du fait même de leur dépendance financière vis-à-vis de l’État. Dans les pays peu nantis, l’État éprouve des difficultés à faire appliquer les textes et par conséquent, on déplore le manque de poids des structures réglementaires et le manque de transparence dans les décisions.
Les modalités d’enregistrement des médicaments en Afrique
La commission d’enregistrement
Dans la plupart des pays, un comité technique (ou commission) d’ AMM est chargé de l’évaluation des dossiers de demande d’AMM. Il se compose généralement de représentants du ministère de la Santé (directeur de la pharmacie, inspecteurs…), de représentants de l’ordre des pharmaciens et des médecins, de représentants de la centrale d’achat publique, etc. La composition de ce comité technique est très variable d’un pays à l’autre [35]. Au Tchad par exemple, en 1995, la commission n’était constituée que du directeur des établissements sanitaires et d’un pharmacien [35].
La périodicité des réunions
La faible fréquence des réunions d’évaluation, liée au manque de moyens humains et financiers, limite l’évaluation et l’enregistrement de tous les médicaments . Dans la plupart des pays africains, la commission se contente de valider l’AMM obtenue dans le pays exportateur d’origine.
Les dossiers d’enregistrement
La dévaluation du franc CFA de janvier 1994 a favorisé la prise de conscience de la nécessité de définir une politique pharmaceutique et de renforcer la coopération inter-États africains. En 1999, un référentiel pour l’harmonisation des procédures d’enregistrement des médicaments essentiels génériques a été élaboré. Les 2/3 des pays de la zone franc CFA et associés (Bénin, Burundi, Cameroun, Centrafrique, Comores, Côte d’Ivoire, Gabon, Guinée, Guinée Équatoriale, Madagascar, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal, Tchad et Togo), ont adopté des procédures abrégées d’enregistrement des médicaments génériques [19]. Le dossier technique simplifié comporte une étude de bio-disponibilité et de bio-équivalence accompagnée d’une revue bibliographique remplaçant les études toxicologiques et cliniques.
Les pays africains de l’hémisphère Sud (Afrique du Sud, Angola, Botswana, Lesotho, Malawi, Maurice, Mozambique, Namibie, Tanzanie, RDC, Seychelles, Swaziland, Zambie, Zimbabwe) regroupés au sein de la SADC sont en train d’étudier les possibilités d’harmonisation de leur réglementation nationale [151].
L’avantage de telles harmonisations est un gain de temps énorme à l’image de la procédure centralisée en Europe et ceci d’autant plus que dans bon nombre de pays les procédures d’enregistrement sont longues et coûteuses. L’Afrique du Sud se démarque du reste du continent par des structures opérationnelles, aux standards occidentaux. Le MCC (Medicines Control Council) sud-africain, se prépare à la soumission électronique de dossier d’AMM, comme cela se fait aux États-Unis.
Les frais d’enregistrement
Afin de favoriser la production locale, certains pays ont prévu un allègement des droits d’enregistrement des médicaments fabriqués localement. Ainsi au Kenya, l’enregistrement d’un médicament local coûte deux fois moins cher que celui d’un produit équivalent importé [67]. Cependant cette mesure n’est pas encore généralisée. Par exemple, au Bénin, Burkina Faso, Congo, Gabon, Maroc, Sierra Leone, aucun allègement des taxes n’est prévu. Le montant des redevances est très variable d’un pays à l’autre, il n’y a aucune harmonisation . Ces taxes sont parfois assez élevées, atteignant au Nigeria 1 million de nairas soit 6491 € par forme et dosage pour un produit en vente libre (OTC) [103], ou absolument inexistantes à l’île Maurice [96]. À ceci se surajoutent souvent des taxes fixes, par exemple des droits de débit annuel à Madagascar en Tanzanie. Le CFCE (Centre Français du Commerce Extérieur) indique que ces droits annuels s’élèvent en Tanzanie à 100 $ US [67].
Les délais d’obtention de l’AMM
Concernant les délais d’obtention de l’AMM, ils sont variables d’un pays à l’autre, 9 mois en moyenne, pouvant atteindre 18 mois en Afrique du Sud et jusqu’à 5 ans au Zimbabwe, dans le cas d’un nouveau produit .
La durée de validité de l’AMM
Ces AMM nationales sont valables 5 ans dans la plupart des pays sauf en Ouganda : 2 ans [145], au Congo : 4 ans [50]. À Maurice, la durée de validité de l’AMM n’est pas définie [96]. Au Cameroun, la première AMM délivrée pour une spécialité est valable 18 mois puis 5 ans après renouvellement [43]. En Algérie et en R D Congo, une première autorisation est délivrée pour 1 an puis l’AMM est accordée pour 5 ans après évaluation du dossier par les autorités. Toutes ces variantes d’un pays à l’autre, rendent complexes la mise en place de procédures sous-régionales d’enregistrement des médicaments .
La réglementation des médicaments dérivant de la pharmacopée traditionnelle
L’introduction de la médecine moderne en Afrique est relativement récente et la phytothérapie y demeure le principal recours face à la maladie. L’OMS estime que plus de 70 % des populations du tiers-monde utilisent des médicaments traditionnels: 80 % des Béninois, plus de 80 % des Burkinabé, 90 % des Éthiopiens, 70 % des Ghanéens et des Rwandais [152, 153]. En 1998 et 1999, le Bénin a consacré 14 000 $US à la médecine traditionnelle dont 9 000 $US assignés à l’utilisation rationnelle de la pharmacopée traditionnelle [152, 153]. À l’heure actuelle, malgré toutes les réunions tenues sur le thème, les seuls résultats encourageants sont constitués par l’adoption de textes législatifs incluant la médecine traditionnelle, la reconnaissance et l’enregistrement des tradi-praticiens. Une pharmacopée traditionnelle a bien été élaborée depuis 1985 par l’OUA [55] mais elle semble ne pas être reconnue par l’ensemble des États [126]. Par ailleurs, sur les 53 États que comptent le continent africain, seuls 10 pays prévoient l’ enregistrement des médicaments à base de plantes : Afrique du Sud, Cameroun, Comores, Ghana, Guinée, Mali, Madagascar, Nigeria, Sierra Leone et Tunisie. En Tunisie, le fabricant est dispensé d’études toxicologiques et cliniques s’il s’agit d’une plante connue. Les études toxicologiques ne sont requises que si la plante est utilisée sous forme de teintures héroïques, de teintures-mères, d’extraits hydro-alcooliques préparés à partir d’alcool de titre élevé >30° [144]. Ces mesures sont analogues à celles en vigueur en France. Par contre, elles ne sont pas appliquées aux Comores et au Mali, où l’enregistrement des plantes médicinales même d’usage courant ne fait l’objet d’aucun allègement mise à part la réduction significative du droit d’enregistrement, 10 000 FC contre 75 000 FC pour les autres spécialités aux Comores et 5 000 F CFA contre 100 000 FCFA pour toute spécialité importée au Mali [49, 91]. Au Cameroun et en Guinée, le fabricant n’est exempté d’études cliniques que si la plante a déjà fait l’objet d’expertises cliniques [37, 72]. Les procédures d’obtention de visa pour les médicaments dérivés de plantes médicinales sont très complexes, longues et coûteuses. Elles allongent le délai de leur mise à disposition des populations, d’autant plus que ces médicaments sont généralement le fruit d’une formulation et d’une mise au point galénique longue et délicate. Il faudrait réfléchir à une généralisation de l’enregistrement des médicaments à base de plantes médicinales en Afrique. Au préalable, il faudrait établir une liste de plantes connues pour lesquelles on dispose d’assez de recul, d’expérience et de résultat pour de façon délibérée et conjointe, les inscrire sur les listes nationales de médicaments essentiels. Les difficultés majeures de cette tâche sont la diversité des langues, des cultures et de ce fait la diversité des noms et des propriétés attribuées aux plantes (partie employée, indication). Toutefois de nombreux travaux tentent de répertorier la pharmacopée africaine et d’attribuer à chaque plante un nom latin. C’est le cas notamment au département de pharmacognosie de la faculté de Pharmacie de Dakar. L’harmonisation des critères d’évaluation, la mise en commun des ressources et des compétences devrait être envisagées pour pallier le manque de ressources financières, techniques et humaines chargées de l’évaluation de la qualité, l’efficacité et la sécurité des plantes. L’OMS a entrepris une revalorisation des médicaments traditionnels, entre autres par le financement de 3 études cliniques nationales sur les anti-malariques à base de plantes .
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : ANALYSE DU CONTEXTE LEGISLATIF RELATIF A LA PRODUCTION PHARMACEUTIQUE
1 – LA STRUCTURE D’ENREGISTREMENT DES MÉDICAMENTS
1.1. – Les modalités d’enregistrement des médicaments en Afrique
1.1.1. La commission d’enregistrement
1.1.2. La périodicité des réunions
1.1.3. – Les dossiers d’enregistrement
1.1.4. – Les frais d’enregistrement
1-1-5. – Les délais d’obtention de l’AMM
1-1-6. – La durée de validité de l’AMM
1-1-7. – Le nombre d’échantillons
1.2. – La réglementation des médicaments dérivant de la pharmacopée traditionnelle
2. LES STRUCTURES DE CONTRÔLE DU SECTEUR PHARMACEUTIQUE EN AFRIQUE
2.1. Le laboratoire de contrôle qualité
2.2. Le service d’inspection pharmaceutique
2.3. le contrôle du prix des médicaments
2.4. le contrôle de la publicité
3. LE SUIVI DES ESSAIS CLINIQUES
3.1. – Historique
3.2. – État actuel
4. LES DROITS DE PROPRIETE INTELLECTUELLE : LES BREVETS
4.1. – Le droit international
4.2. – Des distorsions entre États anglophones et francophones
5. DISCUSSION SUR LA PREMIERE PARTIE
DEUXIEME PARTIE : SITUATION DE LA PRODUCTION PHARMACEUTIQUE
1. – LA PRODUCTION PHARMACEUTIQUE EN AFRIQUE : ANALYSE DE LA SITUATION ACTUELLE
1.1 – Le marché pharmaceutique africain
1.2. – Les zones de production pharmaceutique
1.2.1. L’Afrique du Sud
1.2.2. L’Égypte
1.2.3. Le Maghreb
1.2.3.1. L’Algérie
1.2.3.2. Le Maroc
1.2.3.3. La Tunisie
1.2.4. L’Afrique subsaharienne anglophone et francophone
1.2.4.1. L’Afrique subsaharienne francophone
1.2.4.2. L’Afrique subsaharienne anglophone
2. LES CARACTÉRISTIQUES DE L’INDUSTRIE PHARMACEUTIQUE
2.1. – Structure du capital
2.2. – Une industrie produisant essentiellement des médicaments génériques
2.3. – Insuffisance des réseaux de distribution
2.3.1. incidence des infrastructures de transport
2.3.2. incidence des facteurs électricité et eau
2.4. – La faiblesse des activités de recherche et développement
2.5. – Une industrie fortement dépendante de l’extérieur en matières premières
3. LES POTENTIALITES ET LES FAIBLESSES DE L’INDUSTRIE PHARMACEUTIQUE AFRICAINE
3.1. – Les potentialités
3.1.1 Un potentiel en phytothérapie
3.1.2. Un potentiel à l’exportation
3.1.3. Des mesures d’incitation à l’investissement local
3.1.4. La création d’emplois
3.2. – Les faiblesses
3.2.1. Un niveau de consommation de médicaments par habitant faible
3.2.2. L’absence de sécurité sociale
3.2.3. Un marché pharmaceutique restreint
3.2.4. La dépendance technologique
3.2.5. La difficulté d’accès au crédit
3.2.6. Un marché illicite très développé
3.2.7. L’instabilité politique
3.2.8. Des capacités de production sous -exploitées
3.2.9. Une industrie pas toujours compétitive
4. DISCUSSION SUR LA DEUXIÈME PARTIE
CONCLUSION
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
ANNEXES