La structuration des services de prospective nationaux puis intercommunaux

L’รฉmergence d’une prospective territoriale locale

La diffusion ยซ exponentielle ยป de cette discipline dans le domaine des politiques publiques territoriales est un phรฉnomรจne plus rรฉcent que les exercices de prospective et de planification nationale qui se sont dรฉveloppรฉs au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale. En effet, ยซ cette prospective des territoires ร  des รฉchelles gรฉographiques diffรฉrentes, connaรฎt [โ€ฆ] un dรฉveloppement sans prรฉcรฉdent, en raison des besoins croissants tant des รฉlus que des techniciens des collectivitรฉs territoriales, ainsi que des services de lโ€™ร‰tat, des entreprises et chambres consulaires.ยป
Ainsi, on passerait ยซ dโ€™une prospective nationale du territoire ยป mise en ล“uvre par les instances du Commissariat Gรฉnรฉral au Plan et par la DATAR, ยซ ร  une prospective locale des territoires ยป.
Ce changement d’รฉchelle de la rรฉflexion stratรฉgique et prospective et de sa pratique a รฉtรฉ progressive. Pendant les Vรจme et VIรจme Plan ร  la fin des annรฉes 1960 et au dรฉbut des annรฉes 1970, l’ร‰tat a fortement encouragรฉ le dรฉveloppement d’activitรฉs locales et rรฉgionales de planification, notamment sous l’impulsion des hauts-fonctionnaires des Ponts et Chaussรฉes, reconvertis ร  la planification et ร  l’amรฉnagement urbain. Dรจs les annรฉes 1960, les membres de ce grand corps ont รฉtรฉ ร  l’initiative de la crรฉation de services locaux de prรฉvision en contrรดlant les postes clรฉs de la Sociรฉtรฉ Centrale de l’รฉquipement du territoire, qui a jouรฉ un rรดle majeur dans le lancement de la planification urbaine en France. C’est ร  cette pรฉriode qu’ont รฉtรฉ expรฉrimentรฉ diffรฉrents exercices de planification locale ร  travers la floraison d’organismes tels que les agences d’urbanisme ou les OREAM: les Organismes Rรฉgionaux d’ร‰tude et dโ€™Amรฉnagement dโ€™Aire Mรฉtropolitaine. Ces institutions franรงaises ont รฉtรฉ mises en places en 1967 dans le cadre de la politique des mรฉtropoles dโ€™รฉquilibre ร  Lille-Roubaix-Tourcoing, Marseille, Lyon, Nancy-Metz et Nantes-Saint-Nazaire. Elles ont รฉtรฉ dissoutes en 1983. Leur fonction รฉtait dโ€™รฉtablir des schรฉmas de dรฉveloppement de lโ€™espace mรฉtropolitain. Du cรดtรฉ des รฉlus locaux, c’est aussi ร  partir des annรฉes 70 que ces derniers tentent de constituer des appareils d’รฉtudes et d’analyses stratรฉgiques pour leur permettre, ยซ un dialogue moins inรฉgal avec les techniciens de l’ร‰tat ยป, et en particulier avec les hauts fonctionnaires des Ponts et Chaussรฉes. Cette รฉmulation ne doit pas cependant cacher la relative faiblesse de ces antennes locales de prรฉvision qui se limitent ร  quelques villes seulement.
Avec l’accรฉlรฉration du processus de la dรฉcentralisation au dรฉbut des annรฉes 80 et la montรฉe en charge des compรฉtences au niveau local, c’est du cรดtรฉ des grandes collectivitรฉs locales telles que les grandes villes, les conseils gรฉnรฉraux ou rรฉgionaux que ยซ des efforts plus systรฉmatiques d’รฉtudes semblent poursuivisยป. Dans leur article La prospective territoriale, rรฉvรฉlateur et outil dโ€™une action publique territorialisรฉe paru en 2007, Marie-Christine Fourny et Damien Denizot prรฉcisent: ยซ Certes, une pensรฉe du futur est frรฉquemment mise en ล“uvre dans les territoires locaux, mais elle prend cette fois une forme institutionnelle, sโ€™organise et sโ€™outille ยป. Cependant, cette formalisation de services d’aide ร  la dรฉcision au niveau local ne se prรฉsente pas, comme le prรฉcisent MarieChristine Fourny et Damien Denizot, ยซ sans une certaine confusion conceptuelle : certaines collectivitรฉs mettent en place des services dรฉdiรฉs, dโ€™autres en adoptent la posture dโ€™anticipation en rรฉfutant lโ€™intitulรฉ, dโ€™autres en utilisent les images positives pour renommer des dรฉmarches traditionnelles ou sans consistance ยป. Ainsi, l’activitรฉ de prospective et plus gรฉnรฉralement d’aide ร  la dรฉcision, semble prendre ainsi des formes hรฉtรฉrogรจnes dans le domaine des politiques publiques locales.
C’est pour tenter de cerner la capacitรฉ d’influence de ce type de dรฉmarches qui tend ร  s’institutionnaliser au niveau local tout en demeurant protรฉiforme que j’ai dรฉcidรฉ d’analyser les services qui portaient formellement ce type d’exercice. En effet, l’activitรฉ de prospective รฉtant protรฉiforme, l’entrรฉe par le biais de services identifiรฉs comme travaillant sur des questions de prospective me paraissait plus รฉvidente comme point de dรฉpart de recherche. Ainsi,en premier lieu, j’ai recherchรฉ de maniรจre alรฉatoire les services administratifs locaux qui contenaient le terme de prospective en rรฉgion Rhรดne-Alpes. Cette premiรจre enquรชte exploratoire a eu pour consรฉquence de vรฉritablement dรฉcentrer l’objet de mon analyse vers les personnes et les services qui avaient pour activitรฉ la prospective, et non plus sur la dรฉmarche en tant que telle. En d’autres termes, j’ai pris le parti d’analyser le processus d’intรฉgration des services de prospective et de stratรฉgie dans l’administration locale comme signe d’influence des รฉtudes d’aide ร  la dรฉcision dans la transformation de l’action publique.

Enquรชte exploratoire, les prรฉmisses d’une rรฉflexion

Les premiers rรฉsultats de mon enquรชte exploratoire m’ont permis de constater que le terme de prospective รฉtait utilisรฉ de faรงon relativement frรฉquente dans l’intitulรฉ des services administratifs locaux ร  diffรฉrentes รฉchelles territoriales. Autrement dit, j’ai pu trouver des services intรฉgrant le terme de prospective aussi bien au niveau des services administratifs d’une ville de taille moyenne comme Grenoble, qu’au sein de ceux de la Rรฉgion ou du dรฉpartement, en passant par les services des communautรฉs urbaine et d’agglomรฉration de Lyon et Grenoble. Mรชme si les activitรฉs de ces services ne sont pas d’emblรฉe aussi facilement identifiables contrairement ร  des services plus techniques qui sont directement liรฉs ร  des compรฉtences qu’une collectivitรฉ se doit d’assumer au regard de la loi, ces services de prospective qui ont รฉtรฉ retenus pour cette analyse concรจdent un certain nombre de caractรฉristiques observables sur le terrain qui permet de dรฉfinir dans un premier temps ce qui fonde leur originalitรฉ. Premiรจrement, ce sont des services d’รฉtudes chargรฉs de rรฉflรฉchir par le biais de diffรฉrentes entrรฉes, ร  la fois thรฉmatiques et gรฉnรฉrales, ร  l’รฉvolution des politiques publiques. Cela signifie qu’ils se situent en amont de la construction des politiques publiques et non dans l’opรฉrationnel et la mise en ล“uvre des politiques. Cette posture particuliรจre trรจs en amont dans l’รฉlaboration de l’action publique leur vaut une place notable dans l’organigramme des organisations รฉtudiรฉes puisqu’ils se situent au sommet de l’organigramme, directement auprรจs de la Direction Gรฉnรฉrale des Services des administrations en question. Ainsi, leur positionnement dans leur organisation les place dans une logique totalement transversale par rapport aux autres services plus sectoriels qui ne bรฉnรฉficient pas de ce rapport privilรฉgiรฉ ร  la Direction gรฉnรฉrale des services.
Cette transversalitรฉ et ce lien privilรฉgiรฉ avec la DGS, peut traduire plusieurs principes qui seraient au fondement des services de prospective. D’une part, les services de prospectives sont des services stratรฉgiques en ce sens oรน ils รฉlaborent et traitent de rรฉflexions et de questions gรฉnรฉrales concernant les stratรฉgies globales et les compรฉtences de leur organisation. Ceci รฉtant, ces rรฉflexions concernent l’ensemble des services de l’organisation et doivent donc รชtre diffusรฉes auprรจs de ces derniers. Cela suppose donc en second lieu, des liens importants avec l’ensemble des directions et ainsi une certaine souplesse des relations inter-services, autrement dit, une communication fluide entre services transversaux et services sectoriels. Leur autoritรฉ semble assise, en plus de leur lien particulier avec la DGS visible dans l’organigramme, par leur statut de direction et non de simple service. Ce statut confรจre une certaine importance voire reconnaissance du rรดle de ce type de service ร  qui l’on reconnaรฎt formellement une certaine autoritรฉ. Cependant, ces รฉlรฉments de rรฉflexion conduisent ร  s’interroger sur l’intรฉgration de ce type de service dans la logique traditionnelle de l’administration franรงaisepeu encline ร  un fonctionnement transversal. Services de prospective et fonctionnement bureaucratique: des logiques contradictoires? Pour bien prendre la mesure de cette contradiction, il est sans doute intรฉressant de rappeler ici quelques caractรฉristiques principales de l’administration bureaucratique. Les administrations des ร‰tats europรฉens sont en effet marquรฉes par cette forme d’organisation administrative que Max Weber a thรฉorisรฉe sous une forme idรฉale typique. Parmi ses principes d’organisation majeurs on retrouve: une rรฉpartition spรฉcialisรฉe des tรขches dans le cadre d’une vaste organisation verticale intรฉgrรฉe mais aussi un fondement impersonnel de l’obรฉissance dans le cadre d’une structure hiรฉrarchique de l’autoritรฉ. Mรชme si la caractรฉrisation du modรจle wรฉbรฉrien de l’administration bureaucratique est incomplet ici, nous pouvons d’ores et dรฉjร  pointer ce qui semble paradoxale entre la logique bureaucratique et celles des services de prospective prรฉcรฉdemment รฉvoquรฉs. Ce qui est notable ici est la logique strictement verticale et sectorisรฉe, spรฉcialisรฉe, du systรจme bureaucratique qui s’opposerait ร  une logique beaucoup plus horizontale, sinon transversale des services de prospective et de stratรฉgie, qui, pour leur part, se doivent de s’intรฉresser aux logiques globales des politiques publiques, de la sociรฉtรฉ et de tenter d’influer le prรฉsent en faisant part de ces possibles รฉvolutions ร  l’ล“uvre.
Deux types de rรฉflexions รฉmanent de ce constat. D’une part, les services de prospective et de stratรฉgie ainsi que les dรฉmarches d’รฉtudes qui s’y rattachent au niveau local, sont des agents d’une certaine transformation de l’action publique puisqu’ils semblent, de part leur logique propre, instiller une posture diffรฉrente dans l’รฉlaboration des politiques publiques et le rapport des services entre eux. Cependant, ce prรฉsupposรฉ engage un autre type d’hypothรจse qui est de s’interroger sur l’influence directe de ce type de dรฉmarche transversale, dรฉconnectรฉe des logiques sectorielles traditionnelles? Ces รฉlรฉments de rรฉflexion ne sont pas sans rappeler les conflits de logiques d’actions entre le Commissariat Gรฉnรฉral au Plan et les logiques bureaucratiques des ministรจres.
Il est donc intรฉressant de savoir comment ces deux types de logiques coexistent (transversale et hiรฉrarchisรฉe), s’influencent mutuellement ou s’ignorent? C’est pour tenter de rรฉpondre ร  cette question situรฉe ร  la charniรจre des sciences politiques, de la sociologie des organisations et de la sociologie des professions que j’ai choisi de confronter cette interrogation ร  un terrain d’enquรชte. J’ai repris pour dรฉlimiter un champ d’investigation pertinent, les services comportant le terme de prospective que j’avais trouvรฉs au dรฉbut de mes recherches.

Mรฉthodologie de recherche

Le choix du terrain

A l’issue de plusieurs entretiens rรฉalisรฉs au sein de la ville de Grenoble, ร  la Communautรฉ d’agglomรฉration grenobloise (la Mรฉtro) et ร  la Rรฉgion Rhรดne-Alpes, j’ai choisi de sรฉlectionner les services qui traitaient de plusieurs problรฉmatiques transversales et ne se fondaient pas sur un seul secteur d’รฉtudes ร  l’instar des deux services de la Ville de Grenoble. Ce choix de centrer mon รฉtude sur des services prospective pluridisciplinaires rรฉpondait ร  mon souhait d’รฉtudier la maniรจre dont pouvait รชtre traitรฉes certaines politiques transversales qui m’intรฉressaient tout particuliรจrement telles que la question de la participation citoyenne ou de l’รฉgalitรฉ femmes-hommes. Il s’avรจre aprรจs observation que ces questions รฉtaient traitรฉes prรฉcisรฉment par des services prospectives pluridisciplinaires. Il m’a de plus semblรฉ plus pertinent pour pouvoir รฉtudier ce rapport entre services sectoriels/ services transversaux de choisir des services qui avaient, ร  travers la diversitรฉ de leurs missions, potentiellement vocation ร  communiquer avec une pluralitรฉ de services sectoriels.
Ainsi, le premier entretien rรฉalisรฉ avec le responsable de la Direction Ressources et Prospectives de la Ville de Grenoble s’est avรฉrรฉ inexploitable puisque le service en question traitait de questions qui avaient uniquement trait au contrรดle de gestion des ressources humaines, aux bilans sociaux, etc…
Le deuxiรจme service de la Ville de Grenoble oรน j’ai รฉtรฉ reรงue en entretien est celui de la Prospective Urbaine. Ce type de prospective est dite territoriale car elle est pratiquรฉe par les urbanistes comme un outil mรฉthodologique afin de construire et d’appliquer une politique d’amรฉnagement du territoire cohรฉrente au niveau de la ville. Cette activitรฉ se concrรฉtise notamment ร  travers la production de documents d’urbanisme tels que les Plans locaux d’Urbanisme (PLU). L’activitรฉ des agents de ce service municipal ne me paraissait pas pertinente ร  รฉtudier dans le cadre de ma rรฉflexion sur les services d’aide ร  la dรฉcision en ce sens oรน il ne s’agissait pas d’un service d’รฉtudes nouveau mais bien d’une activitรฉ pleinement intรฉgrรฉe aux services municipaux.
Mon stage de fin d’รฉtudes rรฉalisรฉ au sein du service ยซ Observation-Prospective ยป du Conseil gรฉnรฉral n’a pas non plus constituรฉ un terrain d’enquรชte privilรฉgiรฉ pour l’รฉlaboration de ce travail de recherche. La premiรจre raison qui justifie ce choix est la problรฉmatique inhรฉrente ร  l’observation participante lorsque celle-ci est maximale: dans quelle mesure est-on un bon observateur et un bon analyste lorsqu’on est intรฉgrรฉ ร  son objet d’analyse? En d’autres termes, je ne me sentais pas en mesure de mener des entretiens pertinents auprรจs de mes collรจgues en รฉtant moi-mรชme partie prenante aux services. De plus, le service, rattachรฉ ร  la Direction des Dรฉmarches Qualitรฉs, avait une existence assez rรฉcente (ร  peine deux ans lors de mon arrivรฉe dans le service) et une รฉquipe assez restreinte (3 personnes) pour pouvoir mener une observation participante pertinente. Cette expรฉrience m’a nรฉanmoins permis de percevoir les diffรฉrentes particularitรฉs de ces services par rapport au fonctionnement organisationnel et notamment leur logique divergente par rapport au dรฉcoupage administratif sectorisรฉ.
C’est ainsi, que le terrain d’enquรชte de cette รฉtude s’est concentrรฉ sur les services de prospective et de stratรฉgie des communautรฉs urbaine et d’agglomรฉration lyonnaise et grenobloise. En effet, les deux directions respectivement intitulรฉes Direction de la Prospective et du Dialogue Public(DPDP) au Grand Lyon et Direction de la Prospective, de la Stratรฉgie et de l’Amรฉnagement Mรฉtropolitain(DPSAM) ร  la Mรฉtro ร  Grenoble ont, ร  travers leur rattachement direct ร  la direction gรฉnรฉrale des services de l’organisation ร  laquelle elles appartiennent, clairement une vocation transversale par rapport aux autres services. De plus, les missions qui sont confรฉrรฉes ร  ces directions qui comprennent respectivement une vingtaine et une dizaine de personnes, sont ร  la fois gรฉnรฉralistes et diversifiรฉes. On peut en effet trouver dans ces directions des services qui s’attachent ร  dรฉvelopper la question de la participation citoyenne, mais รฉgalement des services urbains innovants ou encore des cellules chargรฉes de gรฉrer l’รฉlaboration du SCOT . Cette diversification รฉtait importante de mon point de vue pour vรฉritablement observer les relations entre logiques sectorielles et logiques transversales.
Prรฉcisons que la nature trรจs variรฉe des missions confรฉrรฉes ร  ces directions diffรจrent entre le Grand Lyon et la Mรฉtro. Cela n’est cependant pas important en ce sens oรน ilne s’agit pas d’une รฉtude comparative. En effet, les dรฉnominations Direction de la Prospective et du Dialogue Public et Direction de l’Amรฉnagement et de la Stratรฉgie Mรฉtropolitainesont deux des nombreux intitulรฉs que l’on peut trouver lorsque l’on s’intรฉresse ร  la formalisation et ร  l’intรฉgration de la prospective et plus gรฉnรฉralement de l’aide ร  la dรฉcision dans l’administration. Direction Prospective, ร‰valuation, et Relations aux Citoyens, Direction Gรฉnรฉrale Prospective et Dรฉveloppement Durable, Service Observation Prospective, etc… sont autant de dรฉnominations qui ont รฉtรฉ choisies par les collectivitรฉs locales pour nommer leurs services transversaux dรฉdiรฉs aux activitรฉs d’aide ร  la dรฉcision. Ces dรฉnominations variรฉes traduisent le choix des axes privilรฉgiรฉs par les services d’aide ร  la dรฉcision dans leurs travaux d’รฉtudes stratรฉgiques gรฉnรฉralistes. C’est en rรฉfรฉrence ร  cette question de stratรฉgie prรฉsente dans les travaux des services de prospective observรฉs que nous avons fait le choix de nommer les services sous l’expression gรฉnรฉrique de services de prospective et de stratรฉgie pour dรฉsigner des services d’aide ร  la dรฉcision formalisรฉs, mรชme si dans les faits, leurs activitรฉs diffรจrent d’une structure ร  une autre. Il est nรฉcessaire de prรฉciser au dรฉbut de notre analyse que son objet n’est pas de construire une dรฉfinition stricte de la prospective et de la stratรฉgie dans l’administration locale ร  travers l’analyse de la variรฉtรฉ de leurs activitรฉs. Le but ici est bien de tenter de dรฉgager ce qui fonde l’originalitรฉ de services ร  vocation transversale et gรฉnรฉraliste au sein de la structure dans lesquels ils ont intรฉgrรฉs. Il a fallu pour cela cadrer notre analyse ร  l’aide d’outils thรฉoriques.

Les outils thรฉoriques d’analyse

Le choix d’รฉtudier deux services se fonde sur l’hypothรจse de dรฉgager des logiques de rรฉflexions et d’actions des agents membres de ces services de prospective et de stratรฉgie pour parvenir ร  dรฉfinir ce qui fonde cette originalitรฉ. Il a fallu en premier lieu comprendre prรฉcisรฉment si des logiques spรฉcifiques par rapport ร  des services sectoriels รฉmanaient de ces services. Ainsi, j’ai optรฉ pour une dรฉmarche analytique qui se rapporte ร  la sociologie des organisations. Plus prรฉcisรฉment, j’ai cherchรฉ ร  dรฉgager les stratรฉgies d’acteursdes membres des services de prospective et de stratรฉgie รฉtudiรฉs. ร€ ce propos, dans l’ouvrage Nouvelles approches sociologiques des organisations, il est prรฉcisรฉ que ยซ l’idรฉe de stratรฉgie de l’acteur rend compte du fait qu’il se comporte en fonction du comportement possible des autres et qu’il joue avec eux en fonction des opportunitรฉs qui se prรฉsentent, des atouts dont il dispose ยป. Outre cette analyse du comportement des agents des services de prospective, j’ai aussi tentรฉ, ร  travers le discours de ces derniers lors des entretiens, de repรฉrer les zones d’incertitudesinhรฉrentes ร  l’organisation. Ces incertitudes sont de nature diffรฉrentes dans une organisation: elles peuvent-รชtre ยซ les failles dans les rรจgles, les ยซ dรฉfaillances ยป techniques, les pressions รฉconomiques, les changements d’individus ou les contraintes issues de l’environnement ยป [โ€ฆ] ainsi que ce qui vient ยซ de ce que les acteurs ont intรฉrรชt ร  cacher en partie leur jeu ยปafin de crรฉer de nouvelles opportunitรฉs de jeu et de marges de manล“uvre dans l’organisation. Ainsi, l’รฉtude de ces incertitudes, permettaient de comprendre la maniรจre dont les acteurs se rรฉappropriaient ces zones floues et pouvaient en faire ou non des sources de lรฉgitimitรฉ et de pouvoir.

Les entretiens

Au total, j’ai menรฉ des entretiens auprรจs de 19 personnes dont 10 auprรจs d’agents travaillant au sein de services de prospective et de stratรฉgie รฉtudiรฉs. Les autres entretiens ont รฉtรฉ menรฉs auprรจs de personnes qui travaillent de prรจs ou de loin avec les agents des services prospective, ร  savoir les agents d’autres directions de la structure ou des รฉlus. Pour construire cette rรฉflexion, je me suis
รฉgalement appuyรฉe sur l’analyse des organigrammes des structures depuis la crรฉation des services de prospective et de stratรฉgie ร  la fin des annรฉes 1990 et au dรฉbut des annรฉes 2000 jusqu’en 2011.

Problรฉmatique et hypothรจses de recherche

Au fil de l’exploitation de mon terrain d’รฉtude, les communautรฉs d’agglomรฉrations ont constituรฉ un terrain d’analyse d’autant plus intรฉressant qu’elles sont de plus en plus รฉtudiรฉes comme des pouvoirs locaux en formation: de territoires de gestion, les communautรฉs d’agglomรฉration se pensent de plus en plus comme territoires politiques. Dans ce contexte de ยซ politisation ยป d’un territoire pourrait-on dire, la question de l’aide ร  la dรฉcision et de sa formalisation paraissent d’autant plus cruciales.

Des services originaux dans la configuration administrative des communautรฉs d’agglomรฉrations

Il est primordial dans un premier temps de s’intรฉresser aux facteurs qui ont contribuรฉ ร  l’institutionnalisation de la prospective en tant qu’outil d’aide ร  la dรฉcision au niveau รฉtatique puis au niveau intercommunal.

La structuration des services de prospective nationaux puis intercommunaux: les facteurs d’รฉmergences

Les annรฉes 50 ont รฉtรฉ marquรฉes par la reconstruction, matรฉrielle et รฉconomique notamment, des ร‰tats occidentaux belligรฉrants. C’est aussi ร  cette pรฉriode et en lien avec ce contexte de reconstruction gรฉnรฉrale, qu’รฉmerge l’idรฉe que le monde d’alors est en proie ร  un changement rapide, causรฉ notamment par l’accรฉlรฉration du progrรจs scientifique et technique, stimulรฉe par ce contexte de reconstruction. Cette rapiditรฉ du changement a pour consรฉquence majeure de modifier quelque peu la maniรจre d’envisager l’impact des dรฉcisions prises sur la sociรฉtรฉ en gรฉnรฉral en proie ร  ces transformations accrues et incite par la mรชme ร  peu ร  peu institutionnaliser et professionnaliser l’รฉtude du futur pour tenter de maรฎtriser l’impact des dรฉcisions dans un monde en mutation. ร€ propos de la question des impacts des dรฉcisions dans un contexte de changements rapides, Gaston Berger, auteur du nรฉologisme de prospectiveen 1957, explique l’invention de ce terme par quatre grandes idรฉes dont celle de l’ampleur du changement rapide: ยซ Vu la vitesse des transformations, c’est l’avenir lointain (10 ร  15 ans) qu’il convient d’interroger […] les consรฉquences de nos actes se produiront dans un monde trรจs diffรฉrent de celui oรน nous les avons prรฉparรฉs ยป.
Dans le mรชme รฉtat d’esprit, Jean Fourastiรฉ, รฉconomiste du XXรจme siรจcle qui a influencรฉ le courant prospectiviste franรงais explique cette prรฉoccupation accrue de l’รฉtude du futur dans la France d’aprรจs-guerre et de la nรฉcessitรฉ de cultiver cette derniรจre par le fait que ยซ le progrรจs รฉconomique ressurgit de ses cendres ยป, dรฉclenchant ยซ une รฉvolution si rapide que l’humanitรฉ n’en a jamais connu et n’en connaรฎtra de telle que pendant des durรฉes limitรฉes ยป. C’est finalement une mutation du rapport au temps et de sa vision, qui incitent la plupart des pays occidentaux ร  se doter d’outils de planification afin de tenter d’impacter par leurs dรฉcisions, la sociรฉtรฉ en proie ร  l’accroissement des changements รฉconomiques, sociaux et technologiques.
Outre ce rapport au temps modifiรฉ, il est nรฉcessaire d’ajouter l’idรฉe corollaire de ce changement d’apprรฉhension du temps qui a contribuรฉ ร  renforcer ce mouvement d’institutionnalisation des services d’รฉtudes stratรฉgiques du futur: l’accroissement d’un sentiment d’incertitude face ร  l’avenir. C’est ce sentiment qui a notamment conduit le secteur public mais aussi les entreprises privรฉes ร  investir dans le domaine de la prospective et de la stratรฉgie. Les chocs pรฉtroliers, les phรฉnomรจnes de crises รฉconomiques qui ont succรฉdรฉs ร  la pรฉriode des Trente Glorieuses, la globalisation, sont autant de facteurs qui ont contribuรฉ ร  un sentiment de plus grande vulnรฉrabilitรฉ face ร  l’avenir et donc ร  une volontรฉ d’apprรฉhender le temps de faรงon plus mรฉthodologique et stratรฉgique.
En France, comme nous l’avons abordรฉ en introduction, l’institutionnalisation de la question prospective et stratรฉgique doit beaucoup ร  l’impulsion รฉtatique. Il semble nรฉcessaire d’analyser ร  prรฉsent ce qui fonde l’originalitรฉ des deux institutions รฉtatiques pionniรจres en cette matiรจre au sein de l’administration franรงaise, ร  savoir: le Commissariat Gรฉnรฉral au Plan et la Dรฉlรฉgation interministรฉrielle ร  lโ€™Amรฉnagement du Territoire et ร  l’Attractivitรฉ Rรฉgionale (la DATAR); anciennement Dรฉlรฉgation ร  lโ€™Amรฉnagement du Territoire et ร  l’Action Rรฉgionale, au sein de l’administration franรงaise. Cette premiรจre analyse nous permettra de mieux comprendre les fondements de l’originalitรฉ des services d’รฉtudes ร  vocation transversale en gรฉnรฉral, et par lร  mรชme, l’originalitรฉ des services d’รฉtudes de prospective et de stratรฉgies qui ont รฉtรฉ crรฉรฉs au sein des EPCI intercommunaux de Lyon et de Grenoble ร  la fin des annรฉes 90.

Le CPG et la DATAR: des institutions ยซ atypiques ยป

Les services transversaux d’รฉtudes et d’aide ร  la dรฉcision sont assez atypiques dans la structure administrative franรงaise, qu’elle soit รฉtatique ou locale. Pour comprendre ce qui les distingue au sein de la hiรฉrarchie administrative, revenons plus amplement sur le rรดle des services de planification et de prospective รฉtatiques les plus connus: le Commissariat Gรฉnรฉral au Plan et la Dรฉlรฉgation interministรฉrielle ร  lโ€™Amรฉnagement du Territoire et ร  l’Attractivitรฉ Rรฉgionale (la DATAR), anciennement Dรฉlรฉgation ร  lโ€™Amรฉnagement du Territoire et ร  l’Action Rรฉgionale. Cette analyse du contexte d’รฉmergence et des fondements de l’originalitรฉ de ces institutions permettra de mieux comprendre la spรฉcificitรฉ des services d’รฉtudes et de prospective des EPCI intercommunaux qui ont รฉtรฉ crรฉรฉs ultรฉrieurement aux services รฉtatiques. Autrement dit, intรฉressons-nous ร  ces administrations de mission, crรฉรฉes ร  l’รฉpoque du fait que : ยซ lโ€™administration traditionnelle ne pouvait sโ€™occuper des actions missionnaires, militantes et crรฉatrices ยป.

Le rapport de stage ou le pfe est un document dโ€™analyse, de synthรจse et dโ€™รฉvaluation de votre apprentissage, cโ€™est pour cela chatpfe.com propose le tรฉlรฉchargement des modรจles complet de projet de fin dโ€™รฉtude, rapport de stage, mรฉmoire, pfe, thรจse, pour connaรฎtre la mรฉthodologie ร  avoir et savoir comment construire les parties dโ€™un projet de fin dโ€™รฉtude.

Table des matiรจres
Introduction Gรฉnรฉrale
Partie I: Des services originaux dans la configuration administrative des communautรฉs d’agglomรฉrations
I- La structuration des services de prospective nationaux puis intercommunaux: les facteurs d’รฉmergences
A. Le CPG et la DATAR: des institutions atypiques
1. Le Commissariat Gรฉnรฉral au Plan
2. La DATAR
B. L’institutionnalisation des services de prospective et de stratรฉgie dans le cadre intercommunal
1. Le renforcement de l’intercommunalitรฉ
2. La crรฉation du service de prospective et de stratรฉgie au Grand Lyon
3. La mission prospective et stratรฉgie urbaine grenobloise
4. Le rรดle des cabinets de conseil
II- Les sources potentielles de lรฉgitimitรฉ formelles pour les services de prospective et de stratรฉgie
A. La haute qualification des agents des services de prospective
1.Des services aux effectifs restreints
2. Un certain renouvellement des effectifs
3. Des agents qualifiรฉs
4. Les รฉlus de la prospective: un soutien essentiel et diversifiรฉ
B. Des missions aux directions prospective et de stratรฉgie
1. La pรฉrennisation de Millรฉnaire 3 au Grand Lyon
2. ร€ la Mรฉtro: un statut de direction rรฉcent
C. Le positionnement privilรฉgiรฉ auprรจs de la direction gรฉnรฉrale des services: une source d’autoritรฉ?
1. Au Grand Lyon
2. ร€la Mรฉtro
III- Les facteurs d’affaiblissement de la lรฉgitimitรฉ des services de prospective: les leรงons ร  tirer du premier mandat
A. Une posture complexe ร  l’รฉgard des autres services de la structure
1. Des services ยซ sans coeur de compรฉtences ยป
2. Les risques de concurrence
3. Un fonctionnement en retrait des autres services
B. Un premier mandat mitigรฉ dans l’appui aux services de prospective
1. Des hauts et des bas dans l’appui du DG
2. Les ร‰lus et la prospective: des temps incompatibles?
3. Des missions problรฉmatiques?
Partie II: Acculturation et spรฉcialisation: les stratรฉgies de lรฉgitimation des agents des services de prospective
I- Incubation de politiques publiques รฉmergentes et acculturation: les logiques d’action fondatrices des agents des services de prospective
A-Des agents d’innovation et d’incubation des politiques publiques
1. La constitution d’un rรฉseau dense et variรฉ d’acteurs multiples
2. Incubation et innovation au service de l’acculturation
3. La complexitรฉ du rรดle de mรฉdiateur et les stratรฉgies pour y remรฉdier
B. Le paradoxe des logiques d’incubation et d’acculturation: des logiques qui remettent en cause la pรฉrennitรฉ des services de prospective
1. Une dรฉmarche d’acculturation rรฉussie?
2. Les critiques de la rรฉorganisations de la DGDU
3. Des questions qui restent en suspend
II- Une spรฉcialisation notable des missions des services de prospective au service d’une meilleure identification de leur rรดle au sein de l’organisation
A- Le travail de reconstruction identitaire par les agents de la DPDP du Grand Lyon
1. Un nouveau projet de direction rรฉinscrit dans l’histoire de la structure
2. La nouvelle rรฉpartition des effectifs de la DPDP
3. Les marques d’une meilleure l’identification du nouveau projet de direction de la prospective: l’exemple de la participation citoyenne
B. ร€ la Mรฉtro: les agents au service d’une spรฉcialisation renforcรฉe
1. La rรฉpartition des effectifs des agents de la DPSAM
2. Les acteurs de la spรฉcialisation des missions de la DPSAM
3. La rรฉsolution de certains phรฉnomรจnes de concurrences
C. La spรฉcialisation des missions des services de prospective: une posture contestรฉe par les agents
III- la complexitรฉ de la transversalitรฉ dans la construction de l’action publique : une lรฉgitimitรฉ sans cesse questionnรฉe
A. La prรฉgnance de certains รฉlรฉments d’affaiblissement de l’influence des directions de prospective
1.les freins ร  l’influence des agents de prospective qui demeurent
2.La prรฉgnance de la sectorisationdans le fonctionnement administratif du Grand Lyon et de la Mรฉtro
B. Les รฉlus et les services de prospective: un soutien qui reste militant et alรฉatoire
1. La construction de la mรฉtropolisation
2. La prรฉgnance des gouvernements locaux
C. La remise en question d’une tendance ร  la ยซ transversalisation ยป de la construction des politiques publiques?
Conclusion
A. La figure des agents des services de prospective: une figure d’experts
B. Les acteurs intermรฉdiaires des politiques publiques: une posture en interface et en tension
C. Quel avenir pour les services de prospective?
Bibliographie
Annexe 1. Enquรชte de terrain: les entretiens rรฉalisรฉs
Annexe 2: Guide d’entretien destinรฉ aux agents des services de prospective et de stratรฉgie du Grand Lyon et de la Mรฉtro

Rapport PFE, mรฉmoire et thรจse PDFTรฉlรฉcharger le rapport complet

Tรฉlรฉcharger aussi :

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiรฉe. Les champs obligatoires sont indiquรฉs avec *