La structuration des services de prospective nationaux puis intercommunaux

L’émergence d’une prospective territoriale locale

La diffusion « exponentielle » de cette discipline dans le domaine des politiques publiques territoriales est un phénomène plus récent que les exercices de prospective et de planification nationale qui se sont développés au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale. En effet, « cette prospective des territoires à des échelles géographiques différentes, connaît […] un développement sans précédent, en raison des besoins croissants tant des élus que des techniciens des collectivités territoriales, ainsi que des services de l’État, des entreprises et chambres consulaires.»
Ainsi, on passerait « d’une prospective nationale du territoire » mise en œuvre par les instances du Commissariat Général au Plan et par la DATAR, « à une prospective locale des territoires ».
Ce changement d’échelle de la réflexion stratégique et prospective et de sa pratique a été progressive. Pendant les Vème et VIème Plan à la fin des années 1960 et au début des années 1970, l’État a fortement encouragé le développement d’activités locales et régionales de planification, notamment sous l’impulsion des hauts-fonctionnaires des Ponts et Chaussées, reconvertis à la planification et à l’aménagement urbain. Dès les années 1960, les membres de ce grand corps ont été à l’initiative de la création de services locaux de prévision en contrôlant les postes clés de la Société Centrale de l’équipement du territoire, qui a joué un rôle majeur dans le lancement de la planification urbaine en France. C’est à cette période qu’ont été expérimenté différents exercices de planification locale à travers la floraison d’organismes tels que les agences d’urbanisme ou les OREAM: les Organismes Régionaux d’Étude et d’Aménagement d’Aire Métropolitaine. Ces institutions françaises ont été mises en places en 1967 dans le cadre de la politique des métropoles d’équilibre à Lille-Roubaix-Tourcoing, Marseille, Lyon, Nancy-Metz et Nantes-Saint-Nazaire. Elles ont été dissoutes en 1983. Leur fonction était d’établir des schémas de développement de l’espace métropolitain. Du côté des élus locaux, c’est aussi à partir des années 70 que ces derniers tentent de constituer des appareils d’études et d’analyses stratégiques pour leur permettre, « un dialogue moins inégal avec les techniciens de l’État », et en particulier avec les hauts fonctionnaires des Ponts et Chaussées. Cette émulation ne doit pas cependant cacher la relative faiblesse de ces antennes locales de prévision qui se limitent à quelques villes seulement.
Avec l’accélération du processus de la décentralisation au début des années 80 et la montée en charge des compétences au niveau local, c’est du côté des grandes collectivités locales telles que les grandes villes, les conseils généraux ou régionaux que « des efforts plus systématiques d’études semblent poursuivis». Dans leur article La prospective territoriale, révélateur et outil d’une action publique territorialisée paru en 2007, Marie-Christine Fourny et Damien Denizot précisent: « Certes, une pensée du futur est fréquemment mise en œuvre dans les territoires locaux, mais elle prend cette fois une forme institutionnelle, s’organise et s’outille ». Cependant, cette formalisation de services d’aide à la décision au niveau local ne se présente pas, comme le précisent MarieChristine Fourny et Damien Denizot, « sans une certaine confusion conceptuelle : certaines collectivités mettent en place des services dédiés, d’autres en adoptent la posture d’anticipation en réfutant l’intitulé, d’autres en utilisent les images positives pour renommer des démarches traditionnelles ou sans consistance ». Ainsi, l’activité de prospective et plus généralement d’aide à la décision, semble prendre ainsi des formes hétérogènes dans le domaine des politiques publiques locales.
C’est pour tenter de cerner la capacité d’influence de ce type de démarches qui tend à s’institutionnaliser au niveau local tout en demeurant protéiforme que j’ai décidé d’analyser les services qui portaient formellement ce type d’exercice. En effet, l’activité de prospective étant protéiforme, l’entrée par le biais de services identifiés comme travaillant sur des questions de prospective me paraissait plus évidente comme point de départ de recherche. Ainsi,en premier lieu, j’ai recherché de manière aléatoire les services administratifs locaux qui contenaient le terme de prospective en région Rhône-Alpes. Cette première enquête exploratoire a eu pour conséquence de véritablement décentrer l’objet de mon analyse vers les personnes et les services qui avaient pour activité la prospective, et non plus sur la démarche en tant que telle. En d’autres termes, j’ai pris le parti d’analyser le processus d’intégration des services de prospective et de stratégie dans l’administration locale comme signe d’influence des études d’aide à la décision dans la transformation de l’action publique.

Enquête exploratoire, les prémisses d’une réflexion

Les premiers résultats de mon enquête exploratoire m’ont permis de constater que le terme de prospective était utilisé de façon relativement fréquente dans l’intitulé des services administratifs locaux à différentes échelles territoriales. Autrement dit, j’ai pu trouver des services intégrant le terme de prospective aussi bien au niveau des services administratifs d’une ville de taille moyenne comme Grenoble, qu’au sein de ceux de la Région ou du département, en passant par les services des communautés urbaine et d’agglomération de Lyon et Grenoble. Même si les activités de ces services ne sont pas d’emblée aussi facilement identifiables contrairement à des services plus techniques qui sont directement liés à des compétences qu’une collectivité se doit d’assumer au regard de la loi, ces services de prospective qui ont été retenus pour cette analyse concèdent un certain nombre de caractéristiques observables sur le terrain qui permet de définir dans un premier temps ce qui fonde leur originalité. Premièrement, ce sont des services d’études chargés de réfléchir par le biais de différentes entrées, à la fois thématiques et générales, à l’évolution des politiques publiques. Cela signifie qu’ils se situent en amont de la construction des politiques publiques et non dans l’opérationnel et la mise en œuvre des politiques. Cette posture particulière très en amont dans l’élaboration de l’action publique leur vaut une place notable dans l’organigramme des organisations étudiées puisqu’ils se situent au sommet de l’organigramme, directement auprès de la Direction Générale des Services des administrations en question. Ainsi, leur positionnement dans leur organisation les place dans une logique totalement transversale par rapport aux autres services plus sectoriels qui ne bénéficient pas de ce rapport privilégié à la Direction générale des services.
Cette transversalité et ce lien privilégié avec la DGS, peut traduire plusieurs principes qui seraient au fondement des services de prospective. D’une part, les services de prospectives sont des services stratégiques en ce sens où ils élaborent et traitent de réflexions et de questions générales concernant les stratégies globales et les compétences de leur organisation. Ceci étant, ces réflexions concernent l’ensemble des services de l’organisation et doivent donc être diffusées auprès de ces derniers. Cela suppose donc en second lieu, des liens importants avec l’ensemble des directions et ainsi une certaine souplesse des relations inter-services, autrement dit, une communication fluide entre services transversaux et services sectoriels. Leur autorité semble assise, en plus de leur lien particulier avec la DGS visible dans l’organigramme, par leur statut de direction et non de simple service. Ce statut confère une certaine importance voire reconnaissance du rôle de ce type de service à qui l’on reconnaît formellement une certaine autorité. Cependant, ces éléments de réflexion conduisent à s’interroger sur l’intégration de ce type de service dans la logique traditionnelle de l’administration françaisepeu encline à un fonctionnement transversal. Services de prospective et fonctionnement bureaucratique: des logiques contradictoires? Pour bien prendre la mesure de cette contradiction, il est sans doute intéressant de rappeler ici quelques caractéristiques principales de l’administration bureaucratique. Les administrations des États européens sont en effet marquées par cette forme d’organisation administrative que Max Weber a théorisée sous une forme idéale typique. Parmi ses principes d’organisation majeurs on retrouve: une répartition spécialisée des tâches dans le cadre d’une vaste organisation verticale intégrée mais aussi un fondement impersonnel de l’obéissance dans le cadre d’une structure hiérarchique de l’autorité. Même si la caractérisation du modèle wébérien de l’administration bureaucratique est incomplet ici, nous pouvons d’ores et déjà pointer ce qui semble paradoxale entre la logique bureaucratique et celles des services de prospective précédemment évoqués. Ce qui est notable ici est la logique strictement verticale et sectorisée, spécialisée, du système bureaucratique qui s’opposerait à une logique beaucoup plus horizontale, sinon transversale des services de prospective et de stratégie, qui, pour leur part, se doivent de s’intéresser aux logiques globales des politiques publiques, de la société et de tenter d’influer le présent en faisant part de ces possibles évolutions à l’œuvre.
Deux types de réflexions émanent de ce constat. D’une part, les services de prospective et de stratégie ainsi que les démarches d’études qui s’y rattachent au niveau local, sont des agents d’une certaine transformation de l’action publique puisqu’ils semblent, de part leur logique propre, instiller une posture différente dans l’élaboration des politiques publiques et le rapport des services entre eux. Cependant, ce présupposé engage un autre type d’hypothèse qui est de s’interroger sur l’influence directe de ce type de démarche transversale, déconnectée des logiques sectorielles traditionnelles? Ces éléments de réflexion ne sont pas sans rappeler les conflits de logiques d’actions entre le Commissariat Général au Plan et les logiques bureaucratiques des ministères.
Il est donc intéressant de savoir comment ces deux types de logiques coexistent (transversale et hiérarchisée), s’influencent mutuellement ou s’ignorent? C’est pour tenter de répondre à cette question située à la charnière des sciences politiques, de la sociologie des organisations et de la sociologie des professions que j’ai choisi de confronter cette interrogation à un terrain d’enquête. J’ai repris pour délimiter un champ d’investigation pertinent, les services comportant le terme de prospective que j’avais trouvés au début de mes recherches.

Méthodologie de recherche

Le choix du terrain

A l’issue de plusieurs entretiens réalisés au sein de la ville de Grenoble, à la Communauté d’agglomération grenobloise (la Métro) et à la Région Rhône-Alpes, j’ai choisi de sélectionner les services qui traitaient de plusieurs problématiques transversales et ne se fondaient pas sur un seul secteur d’études à l’instar des deux services de la Ville de Grenoble. Ce choix de centrer mon étude sur des services prospective pluridisciplinaires répondait à mon souhait d’étudier la manière dont pouvait être traitées certaines politiques transversales qui m’intéressaient tout particulièrement telles que la question de la participation citoyenne ou de l’égalité femmes-hommes. Il s’avère après observation que ces questions étaient traitées précisément par des services prospectives pluridisciplinaires. Il m’a de plus semblé plus pertinent pour pouvoir étudier ce rapport entre services sectoriels/ services transversaux de choisir des services qui avaient, à travers la diversité de leurs missions, potentiellement vocation à communiquer avec une pluralité de services sectoriels.
Ainsi, le premier entretien réalisé avec le responsable de la Direction Ressources et Prospectives de la Ville de Grenoble s’est avéré inexploitable puisque le service en question traitait de questions qui avaient uniquement trait au contrôle de gestion des ressources humaines, aux bilans sociaux, etc…
Le deuxième service de la Ville de Grenoble où j’ai été reçue en entretien est celui de la Prospective Urbaine. Ce type de prospective est dite territoriale car elle est pratiquée par les urbanistes comme un outil méthodologique afin de construire et d’appliquer une politique d’aménagement du territoire cohérente au niveau de la ville. Cette activité se concrétise notamment à travers la production de documents d’urbanisme tels que les Plans locaux d’Urbanisme (PLU). L’activité des agents de ce service municipal ne me paraissait pas pertinente à étudier dans le cadre de ma réflexion sur les services d’aide à la décision en ce sens où il ne s’agissait pas d’un service d’études nouveau mais bien d’une activité pleinement intégrée aux services municipaux.
Mon stage de fin d’études réalisé au sein du service « Observation-Prospective » du Conseil général n’a pas non plus constitué un terrain d’enquête privilégié pour l’élaboration de ce travail de recherche. La première raison qui justifie ce choix est la problématique inhérente à l’observation participante lorsque celle-ci est maximale: dans quelle mesure est-on un bon observateur et un bon analyste lorsqu’on est intégré à son objet d’analyse? En d’autres termes, je ne me sentais pas en mesure de mener des entretiens pertinents auprès de mes collègues en étant moi-même partie prenante aux services. De plus, le service, rattaché à la Direction des Démarches Qualités, avait une existence assez récente (à peine deux ans lors de mon arrivée dans le service) et une équipe assez restreinte (3 personnes) pour pouvoir mener une observation participante pertinente. Cette expérience m’a néanmoins permis de percevoir les différentes particularités de ces services par rapport au fonctionnement organisationnel et notamment leur logique divergente par rapport au découpage administratif sectorisé.
C’est ainsi, que le terrain d’enquête de cette étude s’est concentré sur les services de prospective et de stratégie des communautés urbaine et d’agglomération lyonnaise et grenobloise. En effet, les deux directions respectivement intitulées Direction de la Prospective et du Dialogue Public(DPDP) au Grand Lyon et Direction de la Prospective, de la Stratégie et de l’Aménagement Métropolitain(DPSAM) à la Métro à Grenoble ont, à travers leur rattachement direct à la direction générale des services de l’organisation à laquelle elles appartiennent, clairement une vocation transversale par rapport aux autres services. De plus, les missions qui sont conférées à ces directions qui comprennent respectivement une vingtaine et une dizaine de personnes, sont à la fois généralistes et diversifiées. On peut en effet trouver dans ces directions des services qui s’attachent à développer la question de la participation citoyenne, mais également des services urbains innovants ou encore des cellules chargées de gérer l’élaboration du SCOT . Cette diversification était importante de mon point de vue pour véritablement observer les relations entre logiques sectorielles et logiques transversales.
Précisons que la nature très variée des missions conférées à ces directions diffèrent entre le Grand Lyon et la Métro. Cela n’est cependant pas important en ce sens où ilne s’agit pas d’une étude comparative. En effet, les dénominations Direction de la Prospective et du Dialogue Public et Direction de l’Aménagement et de la Stratégie Métropolitainesont deux des nombreux intitulés que l’on peut trouver lorsque l’on s’intéresse à la formalisation et à l’intégration de la prospective et plus généralement de l’aide à la décision dans l’administration. Direction Prospective, Évaluation, et Relations aux Citoyens, Direction Générale Prospective et Développement Durable, Service Observation Prospective, etc… sont autant de dénominations qui ont été choisies par les collectivités locales pour nommer leurs services transversaux dédiés aux activités d’aide à la décision. Ces dénominations variées traduisent le choix des axes privilégiés par les services d’aide à la décision dans leurs travaux d’études stratégiques généralistes. C’est en référence à cette question de stratégie présente dans les travaux des services de prospective observés que nous avons fait le choix de nommer les services sous l’expression générique de services de prospective et de stratégie pour désigner des services d’aide à la décision formalisés, même si dans les faits, leurs activités diffèrent d’une structure à une autre. Il est nécessaire de préciser au début de notre analyse que son objet n’est pas de construire une définition stricte de la prospective et de la stratégie dans l’administration locale à travers l’analyse de la variété de leurs activités. Le but ici est bien de tenter de dégager ce qui fonde l’originalité de services à vocation transversale et généraliste au sein de la structure dans lesquels ils ont intégrés. Il a fallu pour cela cadrer notre analyse à l’aide d’outils théoriques.

Les outils théoriques d’analyse

Le choix d’étudier deux services se fonde sur l’hypothèse de dégager des logiques de réflexions et d’actions des agents membres de ces services de prospective et de stratégie pour parvenir à définir ce qui fonde cette originalité. Il a fallu en premier lieu comprendre précisément si des logiques spécifiques par rapport à des services sectoriels émanaient de ces services. Ainsi, j’ai opté pour une démarche analytique qui se rapporte à la sociologie des organisations. Plus précisément, j’ai cherché à dégager les stratégies d’acteursdes membres des services de prospective et de stratégie étudiés. À ce propos, dans l’ouvrage Nouvelles approches sociologiques des organisations, il est précisé que « l’idée de stratégie de l’acteur rend compte du fait qu’il se comporte en fonction du comportement possible des autres et qu’il joue avec eux en fonction des opportunités qui se présentent, des atouts dont il dispose ». Outre cette analyse du comportement des agents des services de prospective, j’ai aussi tenté, à travers le discours de ces derniers lors des entretiens, de repérer les zones d’incertitudesinhérentes à l’organisation. Ces incertitudes sont de nature différentes dans une organisation: elles peuvent-être « les failles dans les règles, les « défaillances » techniques, les pressions économiques, les changements d’individus ou les contraintes issues de l’environnement » […] ainsi que ce qui vient « de ce que les acteurs ont intérêt à cacher en partie leur jeu »afin de créer de nouvelles opportunités de jeu et de marges de manœuvre dans l’organisation. Ainsi, l’étude de ces incertitudes, permettaient de comprendre la manière dont les acteurs se réappropriaient ces zones floues et pouvaient en faire ou non des sources de légitimité et de pouvoir.

Les entretiens

Au total, j’ai mené des entretiens auprès de 19 personnes dont 10 auprès d’agents travaillant au sein de services de prospective et de stratégie étudiés. Les autres entretiens ont été menés auprès de personnes qui travaillent de près ou de loin avec les agents des services prospective, à savoir les agents d’autres directions de la structure ou des élus. Pour construire cette réflexion, je me suis
également appuyée sur l’analyse des organigrammes des structures depuis la création des services de prospective et de stratégie à la fin des années 1990 et au début des années 2000 jusqu’en 2011.

Problématique et hypothèses de recherche

Au fil de l’exploitation de mon terrain d’étude, les communautés d’agglomérations ont constitué un terrain d’analyse d’autant plus intéressant qu’elles sont de plus en plus étudiées comme des pouvoirs locaux en formation: de territoires de gestion, les communautés d’agglomération se pensent de plus en plus comme territoires politiques. Dans ce contexte de « politisation » d’un territoire pourrait-on dire, la question de l’aide à la décision et de sa formalisation paraissent d’autant plus cruciales.

Des services originaux dans la configuration administrative des communautés d’agglomérations

Il est primordial dans un premier temps de s’intéresser aux facteurs qui ont contribué à l’institutionnalisation de la prospective en tant qu’outil d’aide à la décision au niveau étatique puis au niveau intercommunal.

La structuration des services de prospective nationaux puis intercommunaux: les facteurs d’émergences

Les années 50 ont été marquées par la reconstruction, matérielle et économique notamment, des États occidentaux belligérants. C’est aussi à cette période et en lien avec ce contexte de reconstruction générale, qu’émerge l’idée que le monde d’alors est en proie à un changement rapide, causé notamment par l’accélération du progrès scientifique et technique, stimulée par ce contexte de reconstruction. Cette rapidité du changement a pour conséquence majeure de modifier quelque peu la manière d’envisager l’impact des décisions prises sur la société en général en proie à ces transformations accrues et incite par la même à peu à peu institutionnaliser et professionnaliser l’étude du futur pour tenter de maîtriser l’impact des décisions dans un monde en mutation. À propos de la question des impacts des décisions dans un contexte de changements rapides, Gaston Berger, auteur du néologisme de prospectiveen 1957, explique l’invention de ce terme par quatre grandes idées dont celle de l’ampleur du changement rapide: « Vu la vitesse des transformations, c’est l’avenir lointain (10 à 15 ans) qu’il convient d’interroger […] les conséquences de nos actes se produiront dans un monde très différent de celui où nous les avons préparés ».
Dans le même état d’esprit, Jean Fourastié, économiste du XXème siècle qui a influencé le courant prospectiviste français explique cette préoccupation accrue de l’étude du futur dans la France d’après-guerre et de la nécessité de cultiver cette dernière par le fait que « le progrès économique ressurgit de ses cendres », déclenchant « une évolution si rapide que l’humanité n’en a jamais connu et n’en connaîtra de telle que pendant des durées limitées ». C’est finalement une mutation du rapport au temps et de sa vision, qui incitent la plupart des pays occidentaux à se doter d’outils de planification afin de tenter d’impacter par leurs décisions, la société en proie à l’accroissement des changements économiques, sociaux et technologiques.
Outre ce rapport au temps modifié, il est nécessaire d’ajouter l’idée corollaire de ce changement d’appréhension du temps qui a contribué à renforcer ce mouvement d’institutionnalisation des services d’études stratégiques du futur: l’accroissement d’un sentiment d’incertitude face à l’avenir. C’est ce sentiment qui a notamment conduit le secteur public mais aussi les entreprises privées à investir dans le domaine de la prospective et de la stratégie. Les chocs pétroliers, les phénomènes de crises économiques qui ont succédés à la période des Trente Glorieuses, la globalisation, sont autant de facteurs qui ont contribué à un sentiment de plus grande vulnérabilité face à l’avenir et donc à une volonté d’appréhender le temps de façon plus méthodologique et stratégique.
En France, comme nous l’avons abordé en introduction, l’institutionnalisation de la question prospective et stratégique doit beaucoup à l’impulsion étatique. Il semble nécessaire d’analyser à présent ce qui fonde l’originalité des deux institutions étatiques pionnières en cette matière au sein de l’administration française, à savoir: le Commissariat Général au Plan et la Délégation interministérielle à l’Aménagement du Territoire et à l’Attractivité Régionale (la DATAR); anciennement Délégation à l’Aménagement du Territoire et à l’Action Régionale, au sein de l’administration française. Cette première analyse nous permettra de mieux comprendre les fondements de l’originalité des services d’études à vocation transversale en général, et par là même, l’originalité des services d’études de prospective et de stratégies qui ont été créés au sein des EPCI intercommunaux de Lyon et de Grenoble à la fin des années 90.

Le CPG et la DATAR: des institutions « atypiques »

Les services transversaux d’études et d’aide à la décision sont assez atypiques dans la structure administrative française, qu’elle soit étatique ou locale. Pour comprendre ce qui les distingue au sein de la hiérarchie administrative, revenons plus amplement sur le rôle des services de planification et de prospective étatiques les plus connus: le Commissariat Général au Plan et la Délégation interministérielle à l’Aménagement du Territoire et à l’Attractivité Régionale (la DATAR), anciennement Délégation à l’Aménagement du Territoire et à l’Action Régionale. Cette analyse du contexte d’émergence et des fondements de l’originalité de ces institutions permettra de mieux comprendre la spécificité des services d’études et de prospective des EPCI intercommunaux qui ont été créés ultérieurement aux services étatiques. Autrement dit, intéressons-nous à ces administrations de mission, créées à l’époque du fait que : « l’administration traditionnelle ne pouvait s’occuper des actions missionnaires, militantes et créatrices ».

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Table des matières
Introduction Générale
Partie I: Des services originaux dans la configuration administrative des communautés d’agglomérations
I- La structuration des services de prospective nationaux puis intercommunaux: les facteurs d’émergences
A. Le CPG et la DATAR: des institutions atypiques
1. Le Commissariat Général au Plan
2. La DATAR
B. L’institutionnalisation des services de prospective et de stratégie dans le cadre intercommunal
1. Le renforcement de l’intercommunalité
2. La création du service de prospective et de stratégie au Grand Lyon
3. La mission prospective et stratégie urbaine grenobloise
4. Le rôle des cabinets de conseil
II- Les sources potentielles de légitimité formelles pour les services de prospective et de stratégie
A. La haute qualification des agents des services de prospective
1.Des services aux effectifs restreints
2. Un certain renouvellement des effectifs
3. Des agents qualifiés
4. Les élus de la prospective: un soutien essentiel et diversifié
B. Des missions aux directions prospective et de stratégie
1. La pérennisation de Millénaire 3 au Grand Lyon
2. À la Métro: un statut de direction récent
C. Le positionnement privilégié auprès de la direction générale des services: une source d’autorité?
1. Au Grand Lyon
2. Àla Métro
III- Les facteurs d’affaiblissement de la légitimité des services de prospective: les leçons à tirer du premier mandat
A. Une posture complexe à l’égard des autres services de la structure
1. Des services « sans coeur de compétences »
2. Les risques de concurrence
3. Un fonctionnement en retrait des autres services
B. Un premier mandat mitigé dans l’appui aux services de prospective
1. Des hauts et des bas dans l’appui du DG
2. Les Élus et la prospective: des temps incompatibles?
3. Des missions problématiques?
Partie II: Acculturation et spécialisation: les stratégies de légitimation des agents des services de prospective
I- Incubation de politiques publiques émergentes et acculturation: les logiques d’action fondatrices des agents des services de prospective
A-Des agents d’innovation et d’incubation des politiques publiques
1. La constitution d’un réseau dense et varié d’acteurs multiples
2. Incubation et innovation au service de l’acculturation
3. La complexité du rôle de médiateur et les stratégies pour y remédier
B. Le paradoxe des logiques d’incubation et d’acculturation: des logiques qui remettent en cause la pérennité des services de prospective
1. Une démarche d’acculturation réussie?
2. Les critiques de la réorganisations de la DGDU
3. Des questions qui restent en suspend
II- Une spécialisation notable des missions des services de prospective au service d’une meilleure identification de leur rôle au sein de l’organisation
A- Le travail de reconstruction identitaire par les agents de la DPDP du Grand Lyon
1. Un nouveau projet de direction réinscrit dans l’histoire de la structure
2. La nouvelle répartition des effectifs de la DPDP
3. Les marques d’une meilleure l’identification du nouveau projet de direction de la prospective: l’exemple de la participation citoyenne
B. À la Métro: les agents au service d’une spécialisation renforcée
1. La répartition des effectifs des agents de la DPSAM
2. Les acteurs de la spécialisation des missions de la DPSAM
3. La résolution de certains phénomènes de concurrences
C. La spécialisation des missions des services de prospective: une posture contestée par les agents
III- la complexité de la transversalité dans la construction de l’action publique : une légitimité sans cesse questionnée
A. La prégnance de certains éléments d’affaiblissement de l’influence des directions de prospective
1.les freins à l’influence des agents de prospective qui demeurent
2.La prégnance de la sectorisationdans le fonctionnement administratif du Grand Lyon et de la Métro
B. Les élus et les services de prospective: un soutien qui reste militant et aléatoire
1. La construction de la métropolisation
2. La prégnance des gouvernements locaux
C. La remise en question d’une tendance à la « transversalisation » de la construction des politiques publiques?
Conclusion
A. La figure des agents des services de prospective: une figure d’experts
B. Les acteurs intermédiaires des politiques publiques: une posture en interface et en tension
C. Quel avenir pour les services de prospective?
Bibliographie
Annexe 1. Enquête de terrain: les entretiens réalisés
Annexe 2: Guide d’entretien destiné aux agents des services de prospective et de stratégie du Grand Lyon et de la Métro

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