Problematique
En partant des definitions de la frontiere et des espaces frontaliers ou transfrontaliers, nous remarquons que l’ambiguite, entre une frontiere qui separe et une frontiere qui met en contact, est au centre de notre problematique.
Le role d’une limite est bien de marquer un espace, de separer deux entites. La frontiere est de forme lineaire, sa representation cartographique est une ligne. Comment alors est-elle definie et qui dessine son trace ? Le dessin de la frontiere repose sur l’espace physique, sur quels elements du milieu s’appuie le trace de la ligne ? Comment est-elle &marquee sur le terrain ? Si la frontiere est dite « naturelle », c’est-à-dire que son trace est appuye sur une configuration physique, ne serait-elle pas lisible et perceptible dans le paysage ? Avant la mise en place de la frontiere, ii existait prealablement un espace, elle a done superpose deux espaces a un espace preexistant. De quelle nature etait cet espace avant l’etablissement de la limite politique ? Mais la frontiere n’est pas une structure autonome et nous ne pouvons l’aborder sans savoir quel type d’ensemble spatial elle contient. Cet espace est celui de l’Etat qui se l’approprie en exercant sa souverainete ; par consequent la frontiere a d’abord comme fonction politique de delimiter le territoire de l’Etat. La frontiere serait done une separation sur le plan geopolitique car elle juxtapose sur le meme plan deux souverainetes, deux territoires d’Etat. Un Etat se dolt de maitriser et de controler son territoire, l’interieur mais aussi les peripheries; la frontiere a pu couper un territoire ethnique et toute remise en cause de la frontiere va a l’encontre de sa souverainete.
Quand est-il pour nos deux Etats ? Sont-ils des Etats africains fantoches, non viables comme beaucoup les denoncent ou bien les frontieres encadrent-elles des ensembles spatiaux coherents ? Ces deux Etats qui ont pour projet social de construire une nation circonscrite aux limites de leur territoire politique seront parvenus a. cette cohesion et realises l’unite de leur espace, en groupant les individus autour d’une conscience d’appartenance au territoire de leur Etat respectif. Ce projet social consiste a atteindre la forme d’un Etat-nation par diverses politiques economiques, sociales ou culturelles sur l’ensemble du territoire. La frontiere serait alors une separation dans la mesure ou deux Etats ont des projets sociaux differents. Comment se manifestent leurs effets dans les espaces contigues a. la frontiere ? Dans quelle mesure la frontiere affecte les espaces frontaliers ?
Comprendre la frontiere necessite done d’analyser les fonctions que lui attribuent les Etats. Ces fonctions sont multiples, elles s’etendent dans « le reel, le symbolique et l’imaginaire » (FOUCHER, 1991, p.57). Dans le reel, la frontiere separe deux systemes politico-institutionnels mais permet egalement des apports de revenus grace a la fiscalite qui s’opere aux points de passage, comme les droits de douane. Elle a aussi une fonction de controle qui est a la charge des douaniers. Comment l’Etat et ses agents procedent-ils a la frontiere ? Les mesures fiscales ou de controle sont-elles contraignantes ou laxistes ? Les postes de douane ne pouvant pas etre presents sur toute la longueur de la lig -ne, les frontaliers qui desirent franchir la frontiere sont-ils alors obliges de passer par la douane ? Si oui, pour quelle raison ? Si non, dans quels cas ? La frontiere peut etre une separation dans le symbolique et l’imaginaire dans le sens ou la frontiere juxtapose deux collectivites qui ont subi chacune un processus national, caracterise par des sentiments nationaux et des representations sociales differents de part et d’autre. Cependant, les Etats peuvent decider d’ouvrir ou de fermer davantage leur frontiere. Elles sont des structures qui evoluent dans le temps, la frontiere aurait done des effets de rupture plus ou moms forts selon la conjoncture.
Mais la frontiere n’est pas seulement une separation elle est aussi un contact entre deux espaces car il existe des rapports de contiguite de part et d’autre. La limite politique a ete surimposee a un espace preexistant sur lequel s’organisaient des relations sociales. La frontiere a-t-elle coupe radicalement ce systeme relationnel ou bien ces echanges continuent-ils d’exister ? S’ils perdurent, cela signifierait que les effets de rupture ne sont pas exclusifs. Nous pouvons supposer que ces effets peuvent a l’inverse creer des rapprochements et des echanges, dans la mesure øü les individus aimeraient profiter du differentiel socio-economique. En reprenant la theorie des avantages comparatifs, les populations frontalieres traverseraient la frontiere dans le but de trouver les avantages du pays. De quelle nature sont alors les echanges et les migrations ? Sont-elles de travail, commerciales, culturelles ?
Les frontaliers realisent des profits avec le commerce. Les lieux des operations commerciales sont generalement situ& dans les zones urbanisees, quels produits sont l’objet de commerce? Plus que leurs produits, pour un maximum de profits, les marchands privilegieraient la vente de produits provenant du pays voisin, les memes etant plus chers ou absents dans leur pays d’origine. La clientele peut egalement se fournir dans le pays limitrophe, quel est le caractere de ces echanges ? Ii faut donc parvenir a estimer en qualite et en quantite les flux de personnes et de marchandises.
Toujours en raison du differentiel socio-economique, ces flux transfrontaliers seraient par consequent inegaux. Cependant, ce commerce concerne-t-il seulement les populations frontaliere ou s’etend il au-dela vers l’interieur ? 11 s’agit done de savoir oft sont situes les lieux d’approvisionnement et de consommation des produits vendus dans les marches frontaliers. La presence de produits non-originaires des pays separes par la frontiere laisse supposer que ces marches sont integres dans des reseaux commerciaux intemationaux. Mais la frontiere peut limiter le trafic. Si elle est fermee ou Si les fonctions fiscales et de controle sont trop contraignantes, le commerce est impossible ou reduit. La reponse reste alors la contrebande, quel est le degre de fraude ? Les produits etant differemment taxes, quel type de marchandises passe essentiellement en dehors des douanes ?
La frontiere determine done les activites transfrontalieres qui s’operent dans la zone car sans effet de rupture il n’existerait pas d’effets de contact. Ainsi, la frontiere n’est pas seulement une discontinuite, elle secreterait aussi avec le commerce du continu. Nous pouvons nous demander si elle serait a la fois une ligne de separation et une zone de contact dans laquelle seraient privilegiees des relations transfrontalieres. Nous voyons que les effets, a la fois separation et contact, donnent une specificite a l’espace, oü s’organisent les lieux et les rapports sociaux lies a la
frontiere ; si nous reprenons la definition des espaces (trans)frontaliers, cette zone comprendrait alors l’espace vecu de la frontiere. Pour connaitre les dimensions de cet espace ii faut percevoir la profondeur des effets-frontiere, car nous partons de l’hypothese qu’ils structurent les espaces (trans)frontaliers. Forts pres de la limite politique, us semblent s’affaiblir a mesure que l’on s’en eloigne ; cet espace serait alors de forme graduel. Si cet espace est un espace social, comme definit precedemment, ii serait aussi un espace organise en reseau. Si la frontiere evoluait dans le temps, cet espace ne subirait il pas lui aussi des changements ?
Cependant, l’organisation de cet espace differe scion le type d’effet ; ceux de rupture juxtaposent deux organisations spatiales differentes, tandis que les ceux de contact organisent un espace a cheval sur la frontiere. Par consequent, la zone comprendrait trois espaces : deux espaces frontaliers sur un meme plan oil dominent les effets de separation et sur un autre plan un espace transfrontalier structure par les effets de contact. Nous supposons que le meilleur moyen de tirer profit de la frontiere se realise au travers du commerce, l’espace transfrontalier serait alors organise par les places commerciales. Dans une organisation centralisee du territoire de l’Etat, nous pouvons nous demander si, de part leur position geographique et leurs caracteristiques, ces espaces frontaliers ne sont pas des peripheries, et si cet espace transfrontalier ne constitue pas une «peripherie nationale» dans le sens de O.J. Igue pour qui ce type d’espace, de part sa propre organisation, est une region autonome qui s’affranchit des regles des Etats. Mais, peut-etre en raison de son dynamisme, les Etats ont interet integrer la zone A leurs territoires nationaux et que leur presence l’empecherait d’être une region autonome.
Methodologie d’enquete et ses limites
Afin de mener cette etude, ne pouvant recouvrir toute la vaste zone d’Himo/Taveta, nous avons choisi d’enqueter sur des lieux précis. Nous avons realise des questionnaires les jours de marche a Himo et a Taveta car its sont des points centraux dans les &changes commerciaux transfrontaliers ; avec l’aide d’un jeune garcon et d’une jeune flue originaires de la region, nous avons interroge environ 160 commercants du marche de Taveta.
Pour comprendre les effets de separation et de contact nous nous sommes appuyes sur des entrevues dans deux communautes habitant chacune dans un terroir different, cependant tous les deux sont traverses par la frontiere commune du Kenya et de la Tanzanie.
Le premier est situe au nord de l’axe routier Voi-Moshi, sur la sub-location de Lesesia et sur le village d’Holili. Ii est peuple en tres grande majorite par des Kamba. Cette population est originaire de Kambani localise dans la region de Machakos et Kitui, au Kenya. Elle a commence a migrer dans la zone est des basses pentes du Mont Kilimandjaro dans les annees 20, et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord ces migrations sont dues A la pression demographique dans le pays kamba, les champs devenaient trop exigues et il n’y avait plus assez de place pour le parcours du Mail.
Certains ont ete obliges ou ont prefere quitter leur region ; nous supposons que ces populations ont ete informees, par les Kamba qui travaillaient dans les plantations de sisal de Taveta, qu’il existait des terres libres dans la region. Une autre raison de leur depart est la fuite des conflits durant la periode Mau Mau au debut des annees 50; l’insurrection Mau Mau a ete men& surtout par des paysans kikuyu pauvres et sans terre contre les colons europeens qui avaient « vole » leurs terres. Des insurges s’en sont pris aussi A des paysans kamba accuses de collaborer avec le colonisateur ou de ne pas vouloir participer A la revolte ; ces paysans ont prefere fuir vers des regions plus calmes. Ces populations se sont done installees sur des terres libres, mais dans une zone seche aux sols pauvres, recouverte d’une savane arbustive et peuplee d’animaux sauvages. Elles n’ont pu s’implanter plus haut sur les riches terres volcaniques du Mont Kilimandjaro déjà habitees par les Chagga. Elles ont commence A defricher les parties les plus hautes situees aujourd’hui en Tanzanie puis ont colonise la zone en descendant vers la plaine et le Kenya ; il est interessant de remarquer que la toponymie de ces lieux correspond aux memes noms des villages de Kambani, comme Holili-mbitini ou Holilikakuyuni. Neanmoins, ces populations ont su s’adapter a ces terms peu fertiles car elles correspondent A leur mode vie, c’est A dire l’exploitation de cultures de saison des pluies (mais, haricots, tournesols, millet) et d’un petit cheptel de vaches et de chevres ; de nombreuses personnes qui appartiennent a des ethnies differentes disaient que « seuls les Kamba peuvent vivre dons ce genre d’endroit ». Ces populations sont en fait tres pauvres car elles ne pratiquent qu’une agriculture de subsistance, les champs ont une taille moyenne de cinq acres et la pauvrete des sols limite les rendements, les troupeaux ne depassent generalement pas 15 fetes. Certains Kamba, lorsqu’ils ne s’occupent pas de leurs champs, exploitent des petites carrieres de pierres qui servent a la fabrication de maisons.
L’autre terroir, peuple essentiellement par l’ethnie Pare est situe sur la sublocation de Madarasani et le village de Kileo. Avant l’arrivee de ces populations, cet espace etait an marecage oft coule la riviere Losoyai ; la source de cette riviere est une resurgence d’eau provenant du mont Kilimandjaro. En raison de la pression demographique dans les monts Pare, d’ou ces personnes sont originaires, elles ont amenage cc marecage grace a tin systeme de drainage et d’irrigation. Toutefois, cues oat egalement des champs et du befall a l’exterieur du marecage ou cues exploitent, sur des terres seches, des cultures de saison des pluies. Dans ce marecage amenage, l’on trouve une grande diversite de cultures oü la banane, le riz et le mais dominent, mais oft l’on cultive egalement des tomates, des oranges, des mangues, des legumes. Nous constatons que la riviere, øü s’appuie la frontiere, separe deux sous-ensembles. Dans la partie kenyane, les Pare cultivent majoritairement la banane et le mais alors que ceux de la partie tanzanienne se consacrent presque exclusivement a la culture du riz. Cette difference est due aux conditions physique et pedologique du milieu. Les Tanzaniens sont situes dans la partie basse du marecage qui permet d’inonder les cultures, tandis que les Kenyans sont dans la partie haute plus favorable a la culture de la banane qui n’a pas besoin de beaucoup d’eau. Les Pare vendent leur production a des marchands qui viennent surtout de Taveta mais peuvent etre aussi originaires de Voi, Mombasa, Moshi ou Asusha.
L’etude comprend aussi des entretiens avec differents agents de l’Etat, de la douane, du ministere de l’agriculture ou de la peche et les chefs locaux travaillant pour leur gouvernement. Elle se nourrit egalement de discussions avec des personnes qui habitent la zone.
Cependant, ce travail d’enquete presente de nombreuses limites. La premiere est celle de la langue, dans les campagnes les personnes parlent essentiellement le swahili ; l’utilisation d’un traducteur pose le probleme des interpretations, d’autant plus que les questions et les reponses sont traduites en anglais. Les informations peuvent donc etre faussees ou deformees. Si les temoignages proviennent le plus souvent de personnes habitant la zone de Taveta c’est en raison aussi de maitrise de la langue ; il nous etait plus also de converser directement en anglais avec les Kenyans qui parlent majoritairement cette langue, alors que les Tanzaniens sont tres peu a la maitriser.
Une autre difficulte est de travailler dans une zone transfrontaliere, car les activites liees a la frontiere s’operent generalement dans l’irregularite, nous avons connu beaucoup de rejets de commercants, ainsi que de douaniers, qui refusaient de repondre a nos questions ; us se mefient beaucoup de la presence d’un Europeen qui vient poser des questions sur la frontiere et le commerce transfrontalier. Nous avions voulu mener deux enquetes comparatives entre le marche d’Himo et celui de Taveta, mais etant donne que les commercants d’Himo vendent surtout des produits de contrebande, us fuyaient avant meme que l’on commence a les interroger. Nous nous appuierons donc surtout sur l’etude du marche de Taveta. Enfin, si cette etude comporte davantage d’exemples situes dans la partie kenyane, c’est qu’il etait plus facile de travailler au Kenya qu’en Tanzanie ; les representants de l’Etat kenyan que nous interrogions nous ont pane toujours librement, notre simple visa touristique suffisait, alors que les Tanzaniens demandaient systematiquement a voir notre permis de recherche avant de repondre. Ces differences sont l’une des consequences des effets de la frontiere que nous allons etudier.
LA FRONTIERE FACTEUR DE SEPARATION
Le trace d’une frontiere exprime la volonte de delimiter l’aire de competence d’une souverainete. La frontiere commune du Kenya et de la Tanzanie a ete definie par les traites et &marquee sur le terrain, au siècle dernier, par les puissances coloniales britannique et allemande. Apres leur independance les Etats kenyan et tanzanien ont garde ces cadres territoriaux. Etudier la frontiere dans la zone d’Himo/Taveta impose d’abord de comprendre les ensembles spatiaux qu’elle separe, car la frontiere est la limite des territoires des Etats kenyan et tanzanien dans lesquels ils realisent chacun leur propre projet social. La frontiere a alors des effets de rupture qui affectent la zone d’Himo/Taveta. La frontiere est egalement une separation dans la mesure oil elle est fonctionnalisee ; la frontiere a des fonctions de marquage qui se manifestent dans le reel, le symbolique et l’imaginaire. La frontiere est diverse car elle evolue dans le temps, elle est tour a tour ouverte ou fermee, et elle n’a pas les memes impacts selon les types de population de la zone.
LA FRONTIERE : UNE LIMITE QUI SEPARE DEUX SOUVERAINETES
Une frontiere est une ligne qui « limite l’espace sur lequel s Wend une souverainete nationale. Le long de la frontiere deux souverainetes en/rent en contact et s’opposent : de part et d’autre de cette ligne, tracee d’abord sur une carte, demarquee ensuite sur le terrain, les autorites ne sont pas les memes, les lois ne sont pas les memes ; done, l’organisation des societes differe » (GUICHONNET, RAFFESTIN, 1974, p. 5). Cette approche de la frontiere correspond a la situation rencontree dans la region d’Himo/Taveta. Apres une periode d’incertitude, les deux puissances colonisatrices presentes ont dessine puis materialise, a la fin du 19 siècle, la limite qui leur assurait leur souverainete respective. Le Kenya et la Tanzanie issues de cette creation de territoires coloniaux, surimposes aux territoires ethniques existants, montrent bien, apres plus d’un siècle, des differences qui se manifestent, a l’interieur de la zone d’Himo/Taveta, dans leur organisation, en particulier dans les domaines economique, politique, social, culturel.
Un segment de frontiere original
Les origines de la frontiere commune du Kenya et de la Tanzanie.
La frontiere est l’enveloppe territoriale jouxtant d’autres enveloppes, la limite entre le Kenya et la Tanzanie correspond done a une dyade, c’est a dire « unefrontiere commune a deux Etats contigus » (FOUCHER, 1991, p.15).
De la definition du trace a sa demarcation ii s’est ecoule une periode de 30 ans.
La mise en place du trace est le resultat des negociations entre les Allemands et les Britanniques commence en 1884 et les compromis, contrairement a ce que certains auteurs affirment, ont ete trouves avec le concours des tribus locales. S’il est vrai qu’ailleurs, elles n’ont pas ete ecoutees, les etlmies de notre terrain d’etude, les Chagga et les Taveta, ont su se faire entendre.
En 1885, sans que nous sachions trop les raisons, les Taveta preferaient rester sous la protection de l’Anglais Sir H. H. Johnston qui avait des possessions dans cette region. Quant au chef chagga, ii signa un traite, en juillet 1885, avec la Societe Allemande d’Afrique de l’Est, afin d’être sous protection allemande pour echapper ainsi a la tutelle zanzibarie.
Apres la Conference de Berlin en 1885, definissant les prises de possessions territoriales des differentes puissances europeennes 7 , les Britanniques et les Allemands delimitaient, de maniere plus officielle, leurs spheres d’influence en Afrique de l’Est, de nombreux traites, et ont trace definitivement la frontiere en 1914.
La premiere lecture d’une carte de cette region du continent, montre deux segments approximativement paralleles qui se rejoignent par une ligne irreguliere contournant, au Nord et a l’Est, le Mont Kilimandjaro. Cette particularite n’est pas due conune la legende le raconte au cadeau d’anniversaire du plus haut sortunet d’Afrique par la Reine Victoria a son petit-fils, le futur Guillaume II, qui se plaignait de l’absence de sommet enneige dans la partie allemande, mais au resultat de la rivalite et de la cooperation des Anglais et des Allemands. Ainsi, le Kenya, sous protectorat britannique s’est retrouve au nord de cette ligne et le Tanganyika, sous protectorat allemand, au sud.
Le ler juillet 1890, un traite definit plus precisement la delimitation des aires d’influence. Jusqu’a nos jours, ce premier trace a ete peu modifie. Ce fut d’abord l’accord du 14 fevrier 1900 qui acheva la section entre le point le plus au sud du lac Jipe et l’extremite est de la dyade, a Ras Jimbo, au sud de Mombasa. Puis les accords de 1906 et de 1914 completerent l’autre section, rejoignant le lac Victoria, realisant ainsi le trace definitif. Ces differents traites ont bien permis de passer des spheres d’influence a des territoires coloniaux delimites par une frontiere-ligne precise. Sur le continent africain, les partages se sont effectues avec soin la oit s’opposerent les hyalites coloniales.
La demarcation du trace s’est effectude par la mise en place de poteaux de bois numerotes a partir du lac Victoria. Ces piliers se concentrent sur la ligne qui longe le Kilimandjaro, surtout dans la region d’Oloitokitok oa les plantations des colons plus nombreuses necessitent plus de precision. Apres l’independance, les poteaux de bois ont ate remplaces par des bornes de pierres. Le long du segment qui nous interesse, entre le lac Challa et le lac Jipe, les bornes sont numerotees entre 58 et 67. Toutefois, nous ne pouvons parler a cette époque de frontiere d’Etat car, « a la difference des frontieres europeennes,…, celles de l’Afrique ne furent d’abord que des limites, administratives ou inter-imperiales, d’entites dependantes » (FOUCHER, 1991, p.193).
L’interet du trace a Himo/Taveta
Cette portion de frontiere presente un interet particulier, pour plusieurs raisons. Tout d’abord c’est ici, au debut du siècle, que les modifications les plus significatives ont ete apportees. Puis, a la difference des autres segments qui presentent un facies long et rectiligne, celui-ci repose sur des donnees du milieu physique et se distingue par des changements de direction sur de courtes distances.
Les accords de 1906 et 1914 ont modifie le trace de la frontiere d’origine. Le changement le plus perceptible concerne le lac Jipe qui a l’origine, situe entierement en territoire allemand, a ote partage avec la Grande-Bretagne du nord au sud. L’article 6 de l’accord de 1914 mentionne les maims droits de Oche pour les habitants des deux rives 8.
L’autre element singulier qui differe des autres segments de la dyade est son profil irregulier ; la frontiere forme comme un rentrant dans la Tanzanie en contournant les territoires chagga, taveta et pare. Une delimitation rectiligne du lac Chala au lac Jipe, aurait coupe obligatoirement le territoire des Taveta. Outre les explications developpees ci-dessus, nous pouvons supposer que les Britanniques aient voulu garder le controle de cette region riche de denrees alimentaires ; de plus, les Tavetas avaient davantage de relations commerciales avec Mombasa qu’avec le Kilimandjaro 9 . Cette originalite est importante car elle a des consequences stir les echanges transfrontaliers et l’organisation de cet espace.
En regardant plus en detail, ce segment presente deux aspects particuliers. D’une part, de la borne 58 A la borne 66, le trace est marque par des changements de direction sur de courtes distances, d’autre part, du debut de l’intersection entre le segment commencant de la borne 66 A la riviere Losoyai jusqu’a la borne 67, la frontiere suit les cours respectifs des rivieres Losoyai et Rufu puis le talweg du lac Jipe.
Les bifurcations du trace s’appuient sur les elements du relief, elles sont au nombre de sept et chaque point de contact est materialise par tine borne. Ces bornes sont situdes sur des points geodesiques correspondant A des collines ou plus precisement a des cones stromboliens. De plus, les distances entre chaque colline sont courtes, au maximum 7 km. Ii nous est difficile, par contre, de comprendre l’aspect du dessin entre les bornes 59 et 62. En effet, sur le terrain, cet espace ne presente pas d’interet particulier et il y a un siècle cette zone etait envahie, d’ailleurs, par le bush et infeste’e par des animaux sauvages. II aurait ete plus simple de tracer une droite directe entre les bomes 59 et 62.
Un second point est important a signaler sur le caractere du segment. Excepte le lac Victoria, la portion entre la borne 66 et la borne 67 est la seule de la dyade ou le trace repose sur un support hydrographique ; d’abord les rivieres puis le lac. Bien souvent, « dans les zones faiblement peuplees, les pays f( neufs » ou les zones sans organisation politique forte (Afrique), les reperes naturels facilitaient la definition pour les diplomates, la delimitation pour les cartographes, sinon la demarcation qui s’avere souvent ardue (PRADEAU, 1994, p. 59).
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Table des matières
Avant-propos
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : LA FRONTIERE FACTEUR
PREMIER CHAPITRE : LA FRONTIERE : UNE LIMITE QUI SEPARE DEUX SOUVERAINETES
A – Un segment de frontiere original
1 — Les origines de la frontiere commune du Kenya et de la Tanzanie
2 — L’interet du trace a.Himo/Taveta
3 — Une limite ostensible
B – La frontiere separe deux souverainetes qui se realisent dans leurs territoires
1 — La frontiere delimite deux territoires d’Etat
2 — La reconnaissance de la frontiere
3 — Les formations nationales sont des facteurs de separation
C — Des formations nationales differentes dans la zone d’Himo/Taveta
1 — Une rupture dans le paysage
2— Une rupture dans l’organisation de l’espace
3 — Une rupture dans les economies
4 — Une rupture dans les systemes fonciers
DEUXIEME CHAPITRE : LA FRONTIERE : UNE LINHTE FONCTIONNALISEE ET DIVERSE
A – La frontiere est une separation car elle est fonctionnalisee
1 — Les fonctions facteurs de separation dans le reel
a — La fonction legate
b — La fond:ion fiscale
c — La fonction de controle
2 — Les fonctions facteurs de separation dans les champs du symbolique et de l’imaginaire
a — La separation dans le symbolique
b — La separation dans l’imaginaire
— Une frontiere diverse
1 — La separation evolue dans le temps
2 — Une frontiere equivoque
DEUXIEME PARTIE : LA FRONTIERE FACTEUR DE CONTACT
PREMIER CHAPITRE : LA FRONTIERE EST UN LIEU D’ECHANGES
A — Les causes des flux transfrontaliers
1 — Les echanges transfrontaliers s’appuient sur les systemes relationnels preexistants
2 — Une frontiere permeable
3 — La zone transfrontaliere : lieu aux possibilites de profits
— Une frontiere animee de nombreuses migrations
1 — Les migrations transfrontalieres traduisent la recherche des meilleurs profits
2 — Les migrations du travail
3 — Les migrations scolaires DEUXIEME CHAPITRE : DES FLUX TRANSFRONTALIERS
DOMINES PAR LES ECHANGES COM1VLERCIAUX
A — Des flux transfrontaliers inegaux polarises par les villes-marche
1 — Les raisons de la concentration des echanges commerciaux dans les villes d’Himo et Taveta
2— Des echanges inegaux
— Les marches frontaliers, lieux d’ecoulement des produits nationaux et internationaux
1 — Des marches cosmopolites
2 — Des lieux d’ecoulement et de redistribution des produits nationaux et intemationaux
3 — Des marches regionaux, points d’ancrage du commerce international
C – Deux marches differents
1 – Des tailles differentes
2 — Des aires d’influence qui different
TROISIEME CHAPITRE : LA FRONTIERE : ZONE DE CONTACT
A – line zone oft ont lieu de nombreuses fraudes
B – Une zone libre des contraintes de la frontiere-ligne ?
C – Des rapports privilegies avec la frontiere
TROISIEME PARTIE : STRUCTURATION ET ORGANISATION DE L’ESPACE (TRANS) FRONTALIER
logigues croisees des acteurs frontaliers et des Etats
PREMIER CHAPITRE : LA STRUCTURATION DE L’ESPACE (TRANS)FRONTALIER D’HIMO/TAVETA : ESSAI DE DELIMITATION
A – Une frontiere aux effets differents
1 — Une frontiere ambivalente
2 — les effets-frontiere : elements de stnicturation de l’espace (trans)frontalier
B – Essai de delimitation de l’espace (trans)frontalier d’Hitno/Taveta
1 — Un espace forme graduellement
2 — Un espace de forme asymetrique et reticulaire
3 — Un espace qui evolue dans le temps
DEUXIEME CHAPITRE : ORGANISATION DE L’ESPACE (TRANS)FRONTALIER
A – La frontiere : element d’organisation spatiale
1 — La frontiere juxtapose deux organisations spatiales
2— Mais elle superpose une autre organisation spatiale
B – La zone d’Himo/Taveta : une peripherie ?
1 — Ces espaces frontaliers peuvent etre consideres comme des peripheries
a — Des enclaves ?
b — Des «peripheries nationales »
2 — Des regions integrees a l’espace national
C — Toutefois, des espaces fragiles
TROISIEME CHAPITRE : COMMERCE TRANSFRONTALIER ET ETAT : LA FIN DES TERRITOIRES NATIONAUX ?
A — Les activites commerciales a la frontiere : une negation des territoires des Etats
1 — « Privatisation » des Etats et accroissement des echanges commerciaux transfrontaliers
2 — Ces echanges transfrontaliers sont un mode de contestation ou de negation
des territoires nationaux herites de la colonisation
B — Les echanges commerciaux transfrontaliers consolident les territoires nationaux et profitent davantage aux Etats
1 — La zone transfrontaliere est milli& aux territoires nationaux
2 — Les Etats acteurs du commerce transfrontalier
CONCLUSION GENERALE
SOURCES BIBLIOGRAPHIQUES ET DOCUMENTAIRES
Table des figures
Table des planches photographiques
Table des graphiques
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