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L’immunothérapie et la médecine personnalisée
Selon le National Institute of Health l’immunothérapie est un « type de thérapie utilisant des substances pour stimuler ou enrayer le système immunitaire afin d’aider l’organisme à combattre le cancer, les infections et d’autres maladies. Certains types d’immunothérapies ne ciblent que certaines cellules du système immunitaire. D’autres affectent le système immunitaire de manière générale. Les différentes immunothérapies incluent les cytokines, les vaccins, le bacille Calmette-Guerin, et certains anticorps monoclonaux. » [6]
Dans le cadre des médicaments orphelins on retrouvera régulièrement des anticorps monoclonaux, dont le rôle est de cibler grâce à leur épitope une protéine qui est produite en excès et de déréguler les mécanismes physiologiques ou physiopathologiques. Ceci afin d’améliorer la condition des patients. Les traitements peuvent utiliser diverses méthodes pour renforcer le système immunitaire, cela peut être des inhibiteurs de point de contrôle pour bloquer l’échappement des tumeurs aux traitements (ex : anti PD-1), une sélection des meilleurs lymphocytes du patient pour les mutliplier et lui réinsérer (ex : TIL) ou encore des anticorps bispécifiques facilitant les interactions cytotoxiques : le Blinatumomab d’Abbvie, premier anticorps bispécifique a été approuvé par l’EMA en 2015 dans le traitement des leucémie aiguës lymphoblastiques. [7]
L’immunothérapie a d’ailleurs une place essentielle dans les traitements anticancéreux et la diminution de mortalité de ces cancers provient aussi de l’amélioration de la personnalisation du traitement à chaque type de patient en fonction des caractéristiques de la pathologie. Dans certains cas, l’immunothérapie fait ainsi, aussi partie, des traitements de médecine personnalisée prédisant une meilleure réponse de sous-population spécifique à tel ou tel traitement.
La question de la médecine personnalisée revient inévitablement dans les débats et d’autant plus en oncologie. On essaye désormais de trouver le bon traitement pour le bon patient au bon moment. Il s’agit d’adapter la thérapie selon les biomarqueurs exprimés par ce dernier pour augmenter la réponse thérapeutique et diminuer les effets indésirables.
La Personalized Medicine Coalition estime que le nombre de traitements et de produits diagnostiques personnalisés disponibles est passé aux États-Unis de 13 en 2006 à 126 à la fin de 2015. L’année 2015, un quart des approbations de nouveaux médicaments concernaient des médicaments personnalisés, dont un certain nombre pour des maladies rares. [8]
La compréhension de ce type de thérapie, sera indispensable dans l’établissement d’éléments comparatifs entre plusieurs molécules en développement et un stratège avisé mettra le potentiel médical de candidats médicaments au premier plan devant les tenants financiers.
Exemple de deux médicaments orphelins récent
Le Burosumab approuvé en 2018 par l’EMA sous le nom commercial de Crysvita (Kyowa Kirin Ltd.) dans le traitement de l’hypophosphatémie liée à l’X est un exemple d’anticorps monoclonal IgG1 qui augmente la concentration sérique de phosphate en se fixant sur le FGF23 et en inhibant son action. [9] Le médicament implique une augmentation significative de la phosphatémie sérique même après traitement par une approche conventionnelle et provoque ainsi une amélioration des mécanismes impliquant la molécule, comme pour la réparation osseuse. Un traitement sous Cryvista sera aussi bien moins lourd en terme de fréquence d’administration qu’un traitement conventionnel. Ces deux éléments laissent présager une bonne capture du marché de l’hypophosphatémie par le produit de Kyowa Kirin si la phase IV du médicament ou post-commercialisation reste favorable.
L’Avelumab approuvé en 2017 par l’EMA sous le nom commercial de Bavencio (Merck Europe) dans le carcinome à cellules de Merkel fait partie des anti PD-L1, une nouvelle classe thérapeutique très prometteuse qui cible et inactive le Programmed Death Ligand 1 qui est responsable de la destruction de nos cellules immunitaires anti-tumorales LT CD8 lorsqu’il se fixe à son récepteur PD-1. [10]
Ces cellules anti-tumorale utilisent des mécanismes physiologiques immunitaires pour détruire les cellules cancéreuses. En se fixant sur des récepteurs protéiques les agonistes anti-PDL1, diminuent l’inactivation des LTCD8 par les cellules cancéreuses.
Ci-contre en figure 1, on voit que le blocage du récepteur PD1 ou du ligand PDL1 entrainera une augmentation de l’activation des cellules immunitaires, néfastes pour la tumeur.
Il s’agit là d’empêcher la cellule de se défendre face à l’attaque de nos cellules immunitaires. Les effets indésirables de ce type de traitement restent potentiellement non négligeables, les anticorps pouvant parfois réagir à une activation non désirée des anticorps dans les tissus.
Implications stratégiques
La thérapie génique est une technique thérapeutique lourde, difficile à passer à l’échelle industrielle et réservée à des pure players, des laboratoires qui ont une expertise qu’on ne peut pas acquérir rapidement.
Pour ces molécules il sera plus intéressant de racheter intégralement une structure les développant afin d’acquérir le savoir-faire plutôt que de licencier le produit et garder le traitement externalisé. Les risques impliqués seraient trop importants.
Le contexte médical actuel est la place parfaite pour de nouveaux partenariats par les nouvelles solutions toujours plus innovantes pour contrer des maladies encore très invalidantes voir mortelles pour les jeunes enfants il y a quelques années. Un dirigeant averti sera conscient de l’évolution de la médecine et placera son scepticisme avec justesse pour ne pas abandonner des projets innovants qui pourrait révolutionner la prise en charge de maladies rares et orphelines.
Contexte règlementaire
L’environnement règlementaire du médicament, même traditionnel, est l’un des plus complexes auquel l’industrie peut faire face, l’environnement peut évoluer selon les pays où l’on souhaitera commercialiser un médicament, et nécessitera alors des stratégies variées.
Tout le monde est au fait de la difficulté d’apporter un candidat médicament jusqu’à sa commercialisation et des nombreuses étapes qui devront être réussies au court de son cycle de vie.
Un certain nombre d’efforts ont été fait au sujet de l’harmonisation des exigences demandées par les diverses autorités nationales. L’Europe est le lieu d’un exemple de coordination règlementaire entre pays qui a donné lieu à l’EMA : l’European Medical Agency ou Agence Médicale Européenne.
Les médicaments orphelins s’inscrivent particulièrement dans ce contexte d’harmonisation européenne par leur accès immédiat à la procédure centralisée pour leur évaluation et leur enregistrement avant une mise sur le marché.
La procédure centralisée
Lorsqu’un médicament n’est pas encore commercialisé dans un pays de l’union européenne et qu’il est reconnu comme un médicament innovant il peut accéder à la procédure centralisée pour son enregistrement. Le recours à la procédure centralisée est obligatoire pour les médicaments désignés comme orphelins, elle permet d’obtenir un enregistrement simultané dans tous les pays membre de l’union. Néanmoins la fixation du prix et du remboursement reste à la charge de chaque pays et de leurs institutions.
Cette méthode permet ainsi aux patients d’accéder plus rapidement au traitement en évitant les délais de processus réglementaires inhérents à chaque pays, la procédure est même favorisée aujourd’hui pour la totalité des médicaments innovants.
Dans le déroulement, le laboratoire doit déposer une pré-soumission 6 mois avant la soumission, 60 à 90 jours plus tard le CHMP, le comité des médicaments à usage humain désigne un rapporteur pour le projet. Le rapporteur, scientifique, médecin le plus souvent est en charge d’établir un rapport d’évaluation de la technologie. Un co-rapporteur peut être désigné également dans certaines procédures pour un rapport supplémentaire fait indépendamment. Ces deux rôles sont supportés par tout une équipe d’évaluation adoptant des opinions et posant des recommandations dans la prise en charge, ou des réponses à des problématiques.
Une fois le dossier soumis l’évaluation prend environ 120 jours et l’AMM peut être octroyé, 300 jours après cette soumission, cela peut dépendre néanmoins de la complexité du produit.
La procédure centralisée est un avantage réel du marché des médicaments orphelins, une évaluation harmonisée entre les différents pays est une porte d’accès privilégiée pour tous les marchés européens ainsi qu’un développement rapide des revenus générés par le médicament.
La désignation PRIME (Priority Medicine)
En plus de cette procédure centralisée, le PRIME est un programme lancé par l’EMA pour augmenter le soutien au développement de médicaments ciblant des pathologies avec un besoin médical important non satisfait tel que ceux luttant contre les maladies orphelines. Le programme est basé sur une plus grande interaction entre les autorités et les fabricants de médicaments innovants pour optimiser leurs procédures et permettre un accès plus rapide à ces traitements pour les patients.
Les avantages de cette désignation pour le titulaire du médicament sont [16] :
L’attribution d’un rapporteur du CHMP ou du CAT qui fournira un soutien continu au titulaire du médicament dans le développement de ses connaissances sur les sujets règlementaires et thérapeutiques impliqués
L’organisation d’une réunion au stade précoce avec ces comités européens et des experts multidisciplinaire pour orienter le titulaire sur la stratégie règlementaire et le plan de développement global à adopter
L’obtention de conseils scientifiques à des étapes clés du développement.
La confirmation d’avoir une évaluation accélérée au moment de la demande d’AMM.
Néanmoins pour obtenir cette désignation il faudra être en mesure de démontrer un avantage thérapeutique majeur en comparaison aux traitements existants et ceci en ayant démontré un bénéfice potentiel pour les patients grâce à des données cliniques précoces. Seuls quelques dizaines de potentiels médicaments, en développement, en font l’objet aujourd’hui.
La désignation de médicament orphelin
Le marché des médicaments orphelins, tel qu’on le développera plus tard se base sur cette désignation pour qu’un médicament y soit inclus. L’orphan drug designation est un statut règlementaire qui peut être obtenu indépendamment dans trois régions du monde : États-Unis, Japon, et Europe. Un certain nombre de critères à remplir sont nécessaires pour pouvoir obtenir la désignation de médicament orphelin par l’EMA. L’agence propose même un flowchart téléchargeable en ligne pour constater ou non l’éligibilité d’un médicament au statut de médicament orphelin (annexe 1)
• Le médicament doit être destiné au traitement, au diagnostic ou à la prévention d’une indication clairement identifiable.
• L’incidence de l’indication dans l’union européenne doit être inférieure à 5/10 000.
• Aucune méthode satisfaisante de diagnostic, de prévention ou de traitement de l’affection concernée ne peut être autorisée ou, si une telle méthode existe, le médicament doit apporter un bénéfice significatif aux personnes atteintes de l’affection.
Durant tout le cycle règlementaire européen du médicament (figure 3) on peut voir que l’EMA interagit avec le sponsor, soit l’organisateur des essais cliniques du médicament concerné.
Une fois obtenue cette désignation est un golden ticket pour un grand nombre d’avantages au sein de l’union européenne [18] :
Assistance au protocole de développement clinique à coût réduit.
Réduction des taxes.
Accès immédiat à la procédure centralisée de l’EMA.
Il n’y a pas de subventions directes fournies par l’agence européenne, mais des fonds peuvent être obtenus auprès de la Commission européenne et d’autres acteurs tels que les fonds Horizon 2020 et E-rare.
Horizon 2020 est un programme de l’union européenne qui a une multitude d’objectifs dans l’amélioration de la santé des citoyens, notamment dans la transformation digitale des systèmes de santé mais aussi dans le support financier aux fabricants de traitements destinés aux maladies rares. [19] Le programme d’action pour les maladies rares a pour code SC1-BHC-04-2018. Le programme devrait renforcer le rôle de leader global de l’Union Européenne dans les maladies rares. Un montant de 50 à 55 millions d’euros y sera consacré entre 2018 et 2020.
E-rare est aussi un programme de l’union européenne qui a pour unique but de supporter financièrement, en Europe et au Canada, les projets de recherche de nouvelles solutions thérapeutiques contre les maladies rares. Selon le site web du programme entre 2007 et 2016, une total de1051 projets ont été soumis et 106 ont obtenu un support financier, représentant un total cumulé de 92 millions d’euros. Les pays ayant présenté le plus de projet et ayant reçu le plus de fonds sont l’Allemagne et la France. Quant aux aires thérapeutiques les plus récurrentes, ce fut d’abord la neurologie, puis l’hématologie/l’immunologie et enfin les maladies métaboliques.
Le statut de médicament orphelin est ainsi primordial lorsque l’on va traiter des maladies rares néanmoins il n’est pas une autorisation d’utilisation en soit, ce statut donné souvent précocement dans la vie du médicament est un indicatif que la molécule est prometteuse et pourrait traiter des patients en manque médical. On ne pourra utiliser le médicament qu’une fois toutes les étapes classiques de validation clinique et réglementaire passées comme pour tout autre médicament. On pourrait nuancer ces propos par l’usage compassionnelle. En France le statut d’ATU ou Autorisation Temporaire d’Utilisation est très fréquent pour les maladies orphelines. Lorsqu’aucun autre traitement, d’efficacité suffisante, n’est présent sur le marché, les instances gouvernementales autorisent la prise en charge des patients par ATU alors que le médicament est encore en développement.
Depuis environ 10 ans maintenant, les incitations à développer des médicaments orphelins de la part de la FDA et l’UE sont un succès, l’attention portée aux maladies rares est croissant et la recherche dans les biotechnologies est au premier plan devant les recherches pharmaceutiques sur des maladies plus répandues. Au sujet de l’exclusivité commerciale certains pourraient penser que cela empêche le progrès thérapeutique dans une pathologie en manque de traitements néanmoins cette exclusivité ne s’applique qu’au traitement utilisant les mêmes mécanismes moléculaires et n’empêche pas le développement d’autres traitements innovants dans la même pathologie avec des stratégies d’action thérapeutique différentes.
En revanche la désignation orpheline n’est pas une assurance d’arriver sur le marché, les critères étudiés n’ont pas de rapport avec le rapport d’efficacité et de risque du produit. Selon le site de l’EMA 66% des laboratoires qui ont déposé une demande de désignation orpheline l’ont obtenu pour leur produit mais seulement 8% de ceux-ci ont réussi à arriver sur le marché.
Disparités avec la FDA
La FDA, l’agence américaine du médicament propose aussi l’obtention de la désignation de médicament orphelin sur son territoire. Comme en Europe, le médicament qui l’obtient bénéficie d’avantages commerciaux, règlementaires et de recherche comme pour l’EMA, mais aussi de subventions directement versées par l’autorité. Aux États-Unis ces subventions posent problème pour les médicaments qui n’obtiennent finalement l’autorisation de mise sur le marché et l’argent reversé qui n’aura pas servi au bien public, d’autant plus que l’agence américaine accorde avec plus de facilité cette désignation. [20]
D’autre part, selon une étude de Vivianne Giannuzzi publié dans l’Orphanet Journal of Rare Diseases, jusqu’à 2015 les statuts de médicaments orphelins ont été bien plus délivrés aux États-Unis par la FDA qu’en Europe par l’EMA. Cela peut s’expliquer par les contraintes règlementaires moins lourdes aux États-Unis ou encore le temps de révisions de la molécule moins long de la part de l’agence américaine. Par ailleurs un dossier de médicament orphelin qui est déposé en Europe sera quasi-systématiquement déposé auprès de la FDA pour l’obtention du marché américain ce qui n’est pas vrai dans le sens inverse.
Extension d’exclusivité pour les médicaments pédiatriques
Environ 60% des médicaments orphelins ont une indication pédiatrique. Alors que pour certains qui avait comme cible première les patients enfants (pour des maladies congénitales par exemple, pour d’autres la mise en place d’un PIP (plan d’investigation pédiatrique) permet d’obtenir deux années supplémentaires d’exclusivité commerciale lorsque les études sont concluantes chez l’enfant et que l’indication au RCP comprend cette sous-population.
En Europe comme aux États-Unis un certain nombre de médicaments orphelins sont approuvés uniquement chez l’adulte lorsque des enfants peuvent également être touchés par la maladie. Sur le continent européen, 64 médicaments orphelins sur 140, soit 45,7% pourraient avoir une indication pédiatrique mais ne sont pas approuvés pour cette population. [21]
La raison vient souvent des conditions opérationnelles très dures à mettre en œuvre. Notamment dans le déroulement des essais cliniques. Un manque médical à régler.
Le nouveau système IRIS
A partir du 19 Septembre 2018, les titulaires de médicaments orphelins devront utiliser le système IRIS de l’agence européenne du médicament pour soumettre toutes leurs activités après l’obtention de leur désignation. L’EMA précise qu’elle : « ne sera pas en mesure de traiter les soumissions en dehors du système IRIS. »
IRIS est un logiciel accessible en ligne qui permettra à terme de simplifier les démarches administratives et les prises de contact avec l’agence européenne. Le portail permettra des actions variées, tel que le suivi de l’avancement d’une demande de désignation orpheline, la soumission des rapports annuels obligatoires ou même la modification du sponsor d’un essai clinique.
L’agence a d’ailleurs testé un pilote de ce nouveau système en Mars 2018 avec 35 volontaires de 26 autorités différentes qui ont rendu des avis très positifs sur IRIS et ont aidé l’EMA à l’optimiser.
Un guide d’utilisation est disponible sur le site de l’agence :
La perte de la désignation de médicament orphelin
Un médicament qui obtient la désignation de médicament orphelin ne l’a pas à vie. Le statut peut être retiré par l’autorité compétente mais le laboratoire peut de son plein gré demander le retrait du statut. Pour illustrer cela, en 2018, Le Bosulif de Pfizer et le Lynparza de Merck se sont vu retirer la désignation orpheline sur demande des laboratoires titulaires.
Cependant la plupart du temps l’EMA retire la désignation lorsque le médicament dépasse la date des 10 ans d’exclusivité commercial. Elle peut aussi être retirée au cours d’une réévaluation.
Le cas de l’Empliciti développé par Bristol-Myers Squibb et indiqué dans le Myélome multiple est révélateur du besoin d’être le seul traitement disponible ou sinon d’être supérieur aux traitements déjà existants pour avoir la désignation. Le médicament avait obtenu son statut de médicament orphelin le 9 Août 2012 et celui-ci a été revu par le COMP le 8 avril 2016. Comme d’autres méthodes de traitement sont autorisées dans l’Union européenne, le COMP a également examiné si le médicament présente un avantage significatif pour les patients atteints de myélome multiple, et malheureusement ce n’était pas le cas. Le COMP a ainsi conclu que l’un des critères pour la désignation orpheline n’était plus rempli et a donc recommandé que la désignation orpheline du produit ne soit pas maintenue. [22]
Significativité et critères d’efficacité
La randomisation des patients reste beaucoup moins fréquente que dans des essais cliniques traditionnels. Les études cliniques sont aussi marquées par la forte hétérogénéité des profils de malade en lien avec les fréquents sous-types au sein d’une même maladie rare. [27]
La fréquence plus élevée d’essais non randomisés et sans insu de médicaments orphelins soulève des préoccupations quant à la robustesse des résultats de ces essais. Entre 2004 et 2010, dans le domaine oncologique des maladies rares, 30% des essais étaient randomisés contre 80% pour les médicaments traditionnels oncologiques, et seulement 4% des essais se déroulaient en double aveugle contre 33% normalement [28]. La recherche de biomarqueurs chez les patients et un protocole d’essai clinique adaptable pourrait fournir des réponses partielles à ce manque de solidité. Au sujet de l’adaptabilité, on parle désormais même de Quality by Design pour les essais cliniques, une piste à creuser pour rendre plus performant l’évaluation d’essais complexes comme vu précédemment (figure 5). Le Quality by design est un procédé utilisé principalement en production qui permet l’adaptation de critère de qualité par élargissement de l’acceptation des spécifications d’un produit, on se concentre sur les aspects essentiels de qualité du produit. En termes simples, il définit la qualité comme l’absence de toute erreur importante. Pour un essai clinique, ces erreurs peuvent arriver dans la conduite de l’étude ou par des inexactitudes dans la collecte et la notification des données. Cela affecte les critères de réalisation de l’étude et donc la validité de l’essai, ou peut compromettre les droits ou la sécurité du patient. En éliminant les considérations moins importantes et en mettant l’accent sur les éléments essentiels, les essais peuvent être conçus pour produire des données plus fiables sur les résultats d’intérêt, et ce, de manière plus efficace et à moindre coût, spécifiquement dans le cas d’essai originaux comme dans les maladies rares.
L’étude de phase I n’est d’ailleurs pas toujours pratiquée sur des critères répondant à la significativité nécessaire, Marc Dooms [29] répond aux problèmes de significativité dans l’étude de phase I en jugeant que « Ce n’est que lorsque le composé actif du médicament orphelin désigné est un ingrédient pharmaceutique déjà bien connu que des essais cliniques randomisés de phase 1 ne seront pas nécessaires. Dans tous les autres cas, les études de phase 1 doivent être réalisées sur un nombre suffisant de volontaires, même pour des médicaments destinés à un nombre très limité de patients. [29]
Cependant pour les personnes en charge du design des essais cliniques certaines questions peuvent faciliter l’évaluation finale du médicament : Quels sont nos objectifs vis-à-vis de la maladie ? Curatif, palliatif ? Serait-ce plus intéressant en monothérapie ou en bithérapie ? Comment le médicament pourra être pris en charge dans les environnements budgétaires ? Il faut être d’autant plus attentif aux protocoles cliniques et au design des études dans l’environnement des médicaments orphelins, un design mal adapté pouvant parfois conduire au non-remboursement du médicament ou pire à la non-obtention de l’AMM à cause de critères d’efficacité jugés non significatifs. Les nouveaux moyens digitaux, notamment les logiciels, permettant une collecte d’information à grande échelle permettront de diminuer les coûts et d’harmoniser les données. Il est très probable également que l’intelligence artificielle prenne une place importante dans le développement de nouveaux outils ou calculs améliorant cette significativité.
Pour ce qui est de l’évaluation clinique, un nombre important d’essais et de recherches dans les maladies rares présentent des challenge dans détermination de l’efficacité des produits. Dans la Dystrophie Musculaire de Duchenne par exemple, un critère d’efficacité clinique récent et régulièrement utilisé est le test de marche pendant 6 minutes, néanmoins pour les patients, tout autant que la marche, la fonction motrice de leurs membres supérieurs devrait être plus évaluée ou même leur capacité à exécuter des tâches quotidiennes banales tel qu’utiliser les toilettes [25]. L’objectif ici est de démontrer qu’il faut corréler les critères d’efficacité primaires avec les besoins réels des patients. La DMD n’est qu’un exemple parmi d’autres, il faut absolument instaurer un dialogue précoce sur les vrais besoins des patients plutôt qu’établir une stratégie clinique dans laquelle le promoteur aura toutes ses chances d’atteindre ses critères d’efficacité primaires mais sans répondre aux souhaits des associations de patients.
Coût de développement et disponibilité du traitement
Au sujet des coûts, il est établi que les études cliniques impliquant des médicaments orphelins seront moins onéreuses que pour les médicaments impliquant des médicaments traditionnels, une des raisons principales étant notamment le besoin largement moindre en nombre de patients. Cet allégement estimé environ à 27% est pris en compte dans l’établissement du prix du médicament s’il a lieu [30]. Ces coûts moins importants de recherche et développement seront également importants dans la valorisation du médicament dans les stratégies de croissance externe, principalement dans les accords de licence, qui sont développés en partie II de cette thèse.
Le besoin médical urgent des pathologies traitées par les médicaments orphelins implique un temps médian pour obtenir l’autorisation sur le marché plus court que pour les médicaments classiques. Ainsi des mesures variant selon les pays permettent aux médicaments de bénéficier d’approbations accélérées, ou d’études prioritaires du médicament pour que celui-ci arrive plus rapidement sur le marché, tel que les avantages outre-Atlantique : les fast track designations, les notions de breakthrough therapy, d’accelerated approval ou encore la priority review. [31] En France également avec l’usage compassionnel et les autorisations temporaires d’utilisation (ATU), mises en place avant l’autorisation de mise sur le marché. Les ATU sont indispensables pour les médicaments orphelins et permettent une administration au patient la plus précoce possible.
Probabilités de succès des phases cliniques
En dehors des problématiques de compréhension de la maladie et d’adaptabilité des essais cliniques, de manière générale, et en incluant les médicaments oncologiques les probabilités de succès du développement de médicament orphelin sont bien plus faibles que pour des médicaments classiques. Grâce à l’étude de Wong CH et al, 2018, du Massachussets Institute of Technology on observe que seulement 6,2% des projets parviennent à la commercialisation. Ce taux est bien abaissé par les 1,2% des projets en oncologie qui arrivent à terme. [32]
Si on exclut les projets orphelins et oncologiques la probabilité totale de succès passe à 13,6%. Bien que les chances de succès soit plus élevées pour la phase I, ce sont les phases II et III qui diminuent largement les chances de réussite, attention alors à ne pas opérer des partenariats stratégiques trop tôt dans développement du médicament orphelin cible.
La physiopathologie des maladies traitées peut être inconnue, le manque de biomarqueurs jugeant l’efficacité reste important, cette dernière étant évaluée quasi systématiquement par une réduction des symptômes ou une amélioration des conditions de vie et des critères souvent assez arbitraires. Il est important de discuter avec les associations de patients, les autorités, les médecins, pour se rendre compte des besoins thérapeutiques, cela permettra ainsi de juger des critères d’efficacité « réels » et qui comptent vraiment pour les patients et soignants, ainsi on pourra justifier au mieux l’apport thérapeutique de notre produit et valoriser efficacement notre étude de phase III devant les autorités et les payeurs.
Contexte de market access
Les maladies rares n’ont pas fait l’objet de recherches approfondies dans les années passées car la majorité des besoins médicaux se trouvaient ailleurs et les revenus perçus dans ces pathologies étaient faibles. C’était avant le développement du market access, des HTA, des QALY et des méthodes de pricing aux seuils plus élevés rendues possibles par les considérations éthiques des institutions selon lesquelles chaque personne malade avait droit à un traitement qu’importe l’incidence de sa maladie dans la population. On déduit également les couts annexes associés à sa prise en charge (transports, hospitalisation) qui seront moindre grâce à des traitements innovants efficaces.
Qu’est-ce que le market access ?
Le market access que l’on traduit en français par « accès au marché » est un processus qui combine stratégie et démonstration de valeur pour identifier et communiquer les avantages d’une technologie de santé aux payeurs d’un pays, que cela soit pour un médicament ou un dispositif médical. Les stratégies de market access incluent les discussions engagées précocement entre autorités gouvernementales et fabricants de médicament et les méthodes de valorisation médico-économique du médicament au moment de la fixation du prix et du remboursement. Elles permettent aux fabricants de démontrer, d’une part combien devrait coûter leur médicament et pourquoi établir ce prix (on parlera alors de pricing) et d’autre part pourquoi le médicament devrait être remboursé. Les deux objectifs principaux d’un département de market access sont ainsi le prix et le remboursement du médicament.
Dans une extension de définition le market access définira aussi l’obtention d’appel d’offres par un laboratoire, ou encore le processus par lequel le patient se retrouve avec le médicament dans ses mains, on peut aussi parler dans ce cas de patient access.
Dans certaines régions du monde des vaccins ou médicaments « communs » dans les pays plus développés, son là-bas qualifiés de médicaments orphelins car les personnes concernées n’ont pas les moyens de payer le traitement. Certains vaccins pour des maladies tropicales également ne seront pas développés, le patient access de pathologies orphelines dans ces pays sera à développer avec précaution. Ces sujets ne seront cependant pas étudiés dans cette thèse.
Le market access dans la stratégie d’acquisition
L’étude du market access pour un type de produit (médicament orphelin, médicament d’oncologie, médicament à remboursement facultatif, dispositif médical), pour une certaine indication et pour un certain pays est essentielle dans une stratégie d’acquisition. Comme montré en figure 7, un dialogue précoce entre le titulaire du médicament orphelin et les institutions responsables conditionnera une bonne stratégie de market access. Les institutions ayant recours de plus en plus à des méthodes sophistiquées et quantitatives pour juger de la valeur d’un médicament l’entreprise pharmaceutique pourra justifier ses propositions grâce à ces modèles. Le modèle de Markov est aujourd’hui une référence pour établir une analyse coût-efficacité d’un produit en prenant en compte les facteurs sociétaux extérieurs et des comparateurs thérapeutiques, une vision complexe macro-économique qui tente de réunir plusieurs facteurs objectifs sur la survie des patients et l’amélioration de leur qualité de vie. On pourra se servir de QALY, que l’on définira plus loin (p.45) pour établir des éléments comparatifs entre deux médicaments qui n’ont parfois rien en commun. Des méthodes de remboursement innovantes sont également entreprises pour les médicaments orphelins ou de thérapie génique comme le paiement sur garantie, dans ce cas, les payeurs ne financent le médicament que si le patient est guéri après utilisation du produit, c’est le cas pour le Kymriah de Novartis. On appelle ça l’outcome-based pricing, ou prix basé sur les résultats.
Cette méthode d’outcome-based pricing est nécessaire dans un environnement budgétaire de plus en plus restreint et où les payeurs mettent de plus en plus de barrière, limitant l’accès des médicaments couteux, comme pour certains médicaments orphelins et oncologique, lorsqu’ils n’ont pas de garantie claire de l’efficacité. L’outcome-based pricing est une démonstration de confiance de l’industriel envers son médicament et peut aider les pays à maitriser leurs dépenses dans ce domaine.
Une stratégie réussie de market access conditionnera :
– Un lancement rapide qui peut souvent devancer les concurrents.
– Une bonne adoption par les payeurs et les prescripteurs, et en plus précoce.
– Des résultats de ventes augmentés lorsque l’on a réussi à prouver le bénéfice médical de notre traitement pour obtenir un remboursement mais aussi sa place dans la stratégie thérapeutique d’une maladie donnée.
Il est très important de ne pas sous-estimer le timing, ou l’évaluation calendaire d’un lancement qui pourrait conditionner la pérennité d’une petite entreprise lorsqu’elle n’a pas de ressources suffisantes.
Inégalités d’accès et de prix en Europe occidentale
Les inégalités d’accès dans l’EU-5
L’EU-5 est le nom donné à « l’Europe des 5 » c’est-à-dire l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni, l’Italie, et l’Espagne. Pour la plupart des médicaments, le temps de lancement au niveau national d’un médicament approuvé par l’EMA peut varier largement. On explique cela par les différences de procédures et systèmes selon les pays ou encore les exigences et concessions au niveau du prix et des remboursements. Ces variations tendent à complexifier le rôle des responsables du market access qui tentent au mieux d’uniformiser les prix pour éviter des sous-performances de filiales locales ou même des importations parallèles entre pays frontaliers lorsque les différences de prix sont vraiment significatives.
Par ailleurs l’urgence thérapeutique des traitements impliquent une disponibilité très rapide des traitements, lorsque les négociations se font trop longues, certains laboratoires peuvent abandonner les projets de commercialisation dans certains pays ce qui pourraient provoquer un manque d’accès à l’innovation thérapeutique, comme Swedish Orphan-Biovitrum a failli le faire en France avec Alprolix, facteur IX anti-hémophilique.
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Table des matières
PARTIE 1 : CONTEXTE
I. CONTEXTUALISATION DU MARCHE DES MEDICAMENTS ORPHELINS ET CONSIDERATIONS STRATEGIQUES
1 Contexte médical
1.1. Maladie rare et maladie orpheline
1.2 La recherche médicale contemporaine
1.2.1 L’immunothérapie et la médecine personnalisée
1.2.1.1 Exemple de deux médicaments orphelins récent
1.2.2 L’exemple de la thérapie génique
1.2.2.1 Maladies monogéniques
1.2.2.2 Médicaments de thérapie génique commercialisés
1.3 Implications stratégiques
2 Contexte règlementaire
2.1 La procédure centralisée
2.2 La désignation PRIME (Priority Medicine)
2.3 La désignation de médicament orphelin
2.3.1 Disparités avec la FDA
2.3.2 Extension d’exclusivité pour les médicaments pédiatriques
2.3.3 Le nouveau système IRIS
2.3.4 La perte de la désignation de médicament orphelin
3 Contexte de développement clinique
3.1 Nombre de patients
3.2 Significativité et critères d’efficacité
3.3 Coût de développement et disponibilité du traitement
3.4 Probabilités de succès des phases cliniques
4 Contexte de market access
4.1 Qu’est-ce que le market access ?
4.2 Le market access dans la stratégie d’acquisition
4.3 Inégalités d’accès et de prix en Europe occidentale
4.3.1 Les inégalités d’accès dans l’EU-5
4.3.2 Le prix des médicaments orphelins en Europe
4.4 Établir une stratégie de prix raisonnable pour un médicament orphelin
4.4.1 Rentabilisation de la recherche et établissement d’un seuil de prix
4.4.2 La flexibilité du pricing
II. LE MARCHE DES MEDICAMENTS ORPHELINS
1 Le marché mondial
1.1 Les 10 meilleurs lancements de médicaments en 2017
1.2 Évolution des parts de marchés des leaders 2017-2024
1.2.1 Avec les médicaments d’oncologie
1.2.2 Sans les médicaments d’oncologie
2 Le marché européen
2.1 Marché en Valeur
2.2 Nombre de produits et leaders du marché
2.3 Répartition par aire thérapeutique
3 Retour sur les prévisions d’analystes
3.1 Corrélation entre les prévisions antérieures et les ventes en 2017
3.2 Analyse des prévisions 2024
4 État de la R&D
PARTIE 2 : CROISSANCE EXTERNE
III. LA STRATEGIE DE CROISSANCE EXTERNE DANS LES MEDICAMENTS ORPHELINS
1 Introduction à la croissance externe
2.1 Définir ses besoins
2.2 Trouver le bon candidat
2.3 Modes de financement
2 Facteurs de valeur de l’opération appliqués aux médicaments orphelins
2.4 Phase clinique du médicament
2.5 Aire thérapeutique
2.6 Type de partenariat
2.7 Périmètre du partenariat
2.8 Type et réputation du partenaire
2.9 Type de la molécule
3 Les différentes méthodes de croissance externe
3.1 Les partenariats commerciaux
3.1.1 Le co-marketing
3.1.2 La co-promotion
3.1.3 L’accord de distribution
3.2 La Joint-Venture
3.2.1 Exemples de joint-venture dans les médicaments orphelins
3.3 L’acquisition d’entreprise
3.3.1 Les synergies
3.3.2 Quels objectifs et à quel moment ?
3.3.2.1 L’asymétrie de maturité
3.3.3 Quelle phase de développement choisie pour l’acquisition ?
3.3.4 Exemples d’acquisition dans le domaine des médicaments orphelins :
3.4 Le licensing d’un produit ou d’une technologie
3.4.1 Le licensing ou accord de licence
3.4.2 Le champ de la transaction
3.4.3 Quelle phase de développement choisie pour un accord de licence ?
3.4.4 Résiliation du contrat de licence
3.4.5 Les bonnes pratiques de partenariat
3.4.6 Le financement de l’accord de licence
3.4.6.1 L’upfront
3.4.6.2 Les Milestones
3.4.6.3 Les Royalties
3.4.6.4 Analyse des structures de financement dans le marché
3.4.7 Exemple d’accords de licence récents :
IV. LES METHODES DE VALORISATION
1 Évaluation de la valeur d’une entreprise de biotechnologie et ses produits
3.5 Entreprises publiques
3.6 Entreprises publiques et privées
3.6.1 Les multiples comparables
3.6.1.1 Multiples de valeur d’entreprise
3.6.1.2 Multiples de transaction
3.6.1.3 La prime de contrôle
3.6.2 Les flux de trésorerie actualisés ou discounted cash flows (DCF)
3.6.2.1 Le discount rate
3.6.2.2 Périodes d’étude
3.6.2.3 Comment faire varier les flux de trésorerie actualisés ?
3.6.2.4 Objections liées à la méthode DCF appliquée aux biotechs
3.6.2.5 Top 20 des médicaments orphelins avec la meilleure NPV
3.6.3 La méthode de Monte-Carlo
3.6.3.1 Les arbres de décision
3.6.4 L’approche des options réelles (Real Option Analysis)
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
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