La strate des mousses et lichens dans les écosystèmes forestiers boréaux

La strate des mousses et lichens dans les écosystèmes forestiers boréaux

Établissement de milieux ouverts stables en forêt boréale

La forêt boréale canadienne couvre une superficie totale de 270 millions d’hectares (Brandt et al., 2013 ; Environnement Canada, 2016). Née de la dernière déglaciation,elle est structurée depuis 7000 ans par le climat et par plusieurs perturbations dont lesfeux de forêt, les épidémies d’insectes et les maladies (Brandt et al., 2013). Cesperturbations dont l’occurrence est en grande partie stochastique dans le temps et l’espace réinitialisent partiellement ou entièrement la succession forestière et engendrent une certaine hétérogénéité spatiale à l’échelle du paysage. Ainsi, loin d’être un territoire uniforme, la forêt boréale canadienne se présente sous la forme d’une
mosaïque de peuplements à différents stades de la succession forestière.
La distribution spatiale de la végétation dépend du climat et de ses interactions avec le milieu physique (topographie, texture du sol, drainage), ainsi que de l’historique de perturbations. Au sein de la mosaïque forestière, certaines clairières ouvertes stables ne sont le résultat ni de contraintes climatiques, ni de contraintes du milieu physique,puisqu’elles se sont établies suite au recul de la forêt fermée. Ces accidents de régénération peuvent mener à l’établissement de deux types de milieux ouverts stables :
(i) 1 ‘établissement de landes à lichens sur les sites où le drainage tend à être excessif;
(ii) l’établissement de tourbières à sphaignes sur les sites sujets à l’entourbement.

 Établissement et stabilisation des landes à lichens

Au cours des 50 dernières années, la surface des landes à lichens ouvertes a rapidement augmenté dans la forêt boréale fermée de 1 ‘est canadien (Girard et al., 2008). Dans un grand nombre de cas, ces landes à lichens sont stables depuis plusieurs siècles (Morneau et Payette, 1989 ; Jasinski et Payette, 2005) et ne constituent donc pas un stade de la succession forestière menant à la formation d’une forêt fermée à mousses hypnacées (essentiellement Pleurozium schreberii (Brid.) Mitt.). Bien que certaines landes à lichens soient le fruit de contraintes climatiques et/ou édaphiques (Mansuy et al., 2012), d’autres se sont établies sur des sites anciennement occupés par des forêts fermées. Dans ce second cas, l’état de lande à lichens ouverte a été décrit comme un état stable alternatif de l’écosystème forestier (Jasinski et Payette, 2005 ; Côté et al.,20 13 ). Plusieurs études suggèrent que cette transition serait le résultat de perturbations successives telles que le feu, la coupe et/ou les attaques d’insectes et de leurs interactions (Jasinski et Payette, 2005 ; Côté et al., 2013; DeLuca et al., 2013). Après perturbation, le basculement vers l’une ou l’autre des deux configurations stables de la communauté (forêt fermée ou clairière ouverte) dans un environnement supposé fixe est lié aux conditions initiales de la succession et à 1′ empreinte des évènements de dispersion et de colonisation sur l’assemblage de la communauté (Beisner et al., 2003).
Dans le cas de l’établissement d’une lande à lichens, les perturbations seraient soit suffisamment rapprochées dans le temps (Payette et al., 2000 ; Payette et Delwaide, 2003), soit suffisamment sévères (Pinno et al., 2013) pour avoir un impact sur la production de graines et la capacité de régénération du peuplement (Figure 1.1 ).
Dans des conditions de drainage excessif, 1′ exposition directe aux rayonnements solaires et la sécheresse du substrat résultant de l’ouverture à long-terme du couvert forestier favorisent la formation d’un épais tapis de lichens (Boudreault et al., 2013 ; Haughian et Burton, 2014). Or, plusieurs études font état de potentiels effets négatifs de ce type de couvert au sol sur la germination (Wheeler et al., 2011 ; Kayes, 2016) et la croissance des arbres (Brown et Mikola, 1974 ; Hébert et al., 2006). Ainsi, il est possible que le lichen joue un rôle non négligeable dans le maintien de clairières ouvertes stables en forêt fermée (Morneau et Payette, 1989; Riverin et Gagnon, 1996), notamment via des mécanismes de rétrocontrôle positif liés à ses effets sur les
conditions physico-chimiques et biologiques du sol (Sedia et Ehrenfeld, 2003, 2005, 2006). La présence d’un épais tapis de lichen serait non pas l’élément déclencheur de la transition vers une lande à lichens, mais un facteur aggravant du déficit de régénération qui pousserait le système vers un état ouvert différent de l’état de forêt fermée. Dans cette perspective, il participerait également au maintien de l’état ouvert stable en lui conférant une certaine inertie. Parmi les observations qui semblent soutenir cette hypothèse, Fauria et al. (2008) ont montré que la pâture du lichen par les rennes au nord-est de la forêt fenno-scandinave avait un effet positif sur la croissance des arbres, suggérant que le lichen constitue une barrière à la croissance ligneuse qm participe à la stabilisation de la clairière ouverte.
La probabilité d’un retour naturel d’une lande à lichens ouverte vers un état de forêt fermée est relativement mince. Elle repose premièrement sur un apport externe de graines viables, paramètre qui dépend de la proximité d’arbres semenciers et du hasard de la dispersion. A cette faible densité de graines s’ajoutent des conditions de germination et de croissance peu favorables pour les arbres en régénération, du fait de la présence d’un épais tapis de lichens et de l’absence de couvert forestier. La probabilité que des graines parviennent jusqu’à la station concernée et que les arbres
s’établissent malgré les conditions peu favorables augmente avec le temps. Cependant, les conditions de croissance des arbres (disponibilité des nutriments) sont également susceptibles de se dégrader dans les clairières à lichens anciennes (De luca et al., 2013), bien que l’occurrence d’un feu soit susceptible d’ améliorerles conditions de croissance des arbres en supprimant le tapis de lichens et en favorisant une meilleure disponibilité des éléments nutritifs dans le sol forestier. La refermeture du couvert forestier sur ces sites est donc théoriquement possible même en l’absence d’intervention extérieure, bien qu’il s’agisse très probablement d’un processus très lent et incertain.

 Formation des tourbières à sphaignes

En forêt boréale, la formation de tourbières par paludification est étroitement associée à des conditions de faible drainage. La paludification édaphique (sensu Simard et al., 2007) qualifie l’entourbement des sites rendus subhydriques à hydriques du fait de leurs conditions topographiques ou édaphiques (Simard et al., 2007, 2009). L’autre type de paludification, la paludification successionnelle, dépend moins des conditions physiques du site que de processus endogènes liés à la dynamique de l’écosystème forestier. Dans la pessière noire à mousses de 1 ‘ouest du Québec, elle est le résultat naturel de la succession forestière (Lavoie et al., 2007b ; Simard et al., 2007 ; Figure 1.2).
Les transitions induites par des perturbations de forte sévérité sont représentées par des flèches pleines (feu ou coupe perturbant fortement la couche organique). Les flèches en pointillés correspondent à des perturbations de faible sévérité qui n’affectent pas l’épaisseur de la couche organique (feu de surface, coupe avec protection de la régénération et des sols).
L’ouverture progress1ve du couvert forestier dans les peuplements vieillissants (Lecomte et al., 2006) tend à favoriser la colonisation du sous-bois par les sphaignes aux dépens des mousses hypnacées (Bisbee et al., 2001 ; Fenton et Bergeron, 2006).
Les conséquences à long-terme de ce changement de composition sur l’ensemble de l’écosystème forestier sont relativement bien connues. Les sphaignes ayant une production primaire nette plus élevée (Bis bee et al., 2001 ; Swanson et Flanagan, 2001 ;O’Connell et al., 2003) et un taux de décomposition plus faible (Lang et al., 2009 ;Fenton et al., 2010) que les mousses hypnacées, elles favorisent l’accumulation progressive de la matière organique et l’augmentation du niveau de la nappe phréatique (Fenton et al., 2005 ; Fenton et al., 2006). L’anaérobiose et la diminution de
température qui en résultent réduisent le taux de décomposition et donc la disponibilité des nutriments pour le peuplement ligneux (Gower et al., 1996; Elliott-Fisk, 2000). Du fait de leur enracinement superficiel, les jeunes arbres issus de la régénération par graines sont particulièrement affectés par les conditions anoxiques et la faible disponibilité des nutriments dans la couche fibrique (Simard et al., 2007 ; Saint-Denis et al., 2010). Ce défaut de croissance de la régénération ligneuse est à l’origine de l’ouverture à long-terme du peuplement forestier. Dans la mesure où la sphaigne offredes conditions appropriées pour l’établissement des arbres (Chrosciewicz, 1976 ; Ohlson et Zackrisson, 1992 ; Groot et Adams, 1994 ; Romberg et al., 1997), la perte de productivité forestière à long-terme sur les sites sujets à la paludification résulterait
plus d’un déficit de croissance ligneuse que d’un défaut de recrutement (Saint-Denis et al., 2010).
L’établissement d’une tourbière à sphaignes est rendu possible par l’absence prolongée de perturbations sévères du système. Plus la couche de matière organique au sol est épaisse, moins la station forestière paludifiée est sujette à permettre un feu suffisamment sévère pour retourner au stade productif (Terrier et al., 2014), et donc moins le site est susceptible de revenir à l’état initial de la succession forestière. Par ailleurs, l’effet des sphaignes sur le milieu, c.-à-d. la dégradation graduelle des conditions de croissance des arbres par l’accumulation progressive d’une épaisse
couche fibrique, peut être à l’origine d’un déclin de la production de graines par les arbres (Van Bogaert et al., 2015). Ainsi, l’occurrence tardive d’un feu dans un site forestier en état de paludification avancée est susceptible de stabiliser l’état de tourbière à sphaignes sur le long-terme dans la mesure où le peuplement est alors peu apte à se régénérer par graines ou par marcottage (Van Bogaert et al., 2015). La transition peut également avoir lieu en cas de perturbation peu sévère ne réduisant pas suffisamment la couche organique au sol. L’absence de substrats adéquats pour la croissance de 1 ‘épinette noire (Picea mariana [Mill.] B.S.P.) ne permet pas le rétablissement d’arbres matures producteurs de graines, et favorise donc le maintien à long-terme d’une tourbière ouverte stable.Les effets de la paludification successionnelle sont théoriquement réversibles à deux conditions : (i) la ou les perturbations sont suffisamment sévères pour réduire
l’épaisseur de la couche organique de manière significative; (ii) le peuplement comporte des arbres matures produisant des graines viables au moment de la (ou des) perturbation(s). En d’autres termes, la probabilité d’un rétablissement naturel d’une forêt productive fermée sur une station sujette à 1’ entourbement est inversement proportionnelle à l’épaisseur de la couche organique au sol, et donc au temps écoulé depuis le dernier feu de forte sévérité (Terrier et al., 2014).

 Points communs entre les deux types de transition

Bien que les deux types de transition exposées précédemment reposent sur des schémas  théoriques différents (transition induite par l’occurrence de perturbations dans le cas  des clairières à lichens versus évolution naturelle de la succession forestière en  l’absence de perturbation dans le cas des tourbières à sphaignes), elles présentent  également plusieurs points communs : dans les deux cas, on observe (i) une  modification de la composition de la strate muscinale/lichénique (remplacement des  mousses hypnacées soit par les lichens dans des conditions de fort drainage, soit par les sphaignes dans des conditions de faible drainage), (ii) une modification des  propriétés physico-chimiques et/ou biologiques du sol et (iii) un recul des arbres lié à  un défaut de régénération et/ou de croissance ligneuse. Dans les deux cas, les  modifications induites par 1′ ouverture du couvert forestier sur la composition de la  strate des mousses et lichens semblent jouer un rôle clé à la fois en tant que moteur de la transition mais aussi en tant que facteur de stabilisation à long-terme des clairières ouvertes au sein de la matrice forestière fermée.
Les variations du degré d’ouverture du couvert forestier modulent entre autres la quantité et la qualité de la lumière transmise (Wagner et al., 2011 ), ainsi que les conditions microclimatiques du sous-bois en termes de température et d’humidité (Kovàcs et al., 20 17). De cette façon, il influence la composition de la strate des mousses et lichens, qui affecte à son tour la croissance de la régénération ligneuse via son influence sur les conditions de surface du sol forestier (Figure 1.3). En cas d’ouverture de la canopée, les mousses hypnacées tendent à être remplacées soit par les lichens (Sulyma et Coxson, 2001), soit par les sphaignes (Fenton et Bergeron, 2006) suivant les conditions de drainage du site. Ce changement de composition, puisqu’il affecte les conditions physico-chimiques et biologiques du sol, peut contribuer à réduire la croissance des arbres et le succès de la régénération ligneuse. Le déficit de régénération ainsi provoqué, puisqu’il permet le maintien de l’ouverture du couvert forestier, aura pour effet de favoriser les lichens ou les sphaignes aux dépens des mousses hypnacées, et participera donc au maintien de conditions peu propices à la régénération et à la croissance ligneuse. Ces mécanismes de rétroaction positive liés à la strate des mousses et lichens sont susceptibles de jouer un rôle important dans l’établissement et le maintien de clairières ouvertes stables (Turetsky et al., 2012).
Le basculement de la forêt fermée vers un état de clairière ouverte, bien que pouvant résulter de processus strictement naturels, peut également être accentué par l’exploitation forestière. C’est dans cet écart à l’équilibre naturel que se dessine tout l’enjeu auquel doit répondre l’aménagement écosystémique en forêt boréale.

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Table des matières

AVANT-PROPOS
LISTE DES FIGURES
LISTE DES TABLEAUX
LISTE DES ABRÉVIATIONS, SIGLES ET ACRONYMES
RÉSUMÉ
CHAPITRE I INTRODUCTION GÉNÉRALE
1.1 La strate des mousses et lichens dans les écosystèmes forestiers boréaux
1.2 Établissement de milieux ouverts stables en forêt boréale
1.3 Aménagement écosystémique en forêt boréale
1.4 Caractéristiques de la région d’étude
1.5 Problématique et objectifs de la thèse
CHAPITRE II GROUND LAYER COMPOSITION AFFECTS TREE FINE ROOT BIOMASS AND SOIL NUTRIENT A V AILABILITY IN JACK PINE AND BLACK SPRUCE FORESTS UND ER EXTREME DRAINAGE CONDITIONS
2.1 Abstract
2.2 Résumé
2.3 Introduction
2.4 Material and methods
2.5 Results
2.6 Discussion
2. 7 Conclusion
2.8 Acknowledgements
2.9 References
CHAPITRE III LICHENS CONTRIBUTE TO OPEN WOODLAND STABILITY IN THE BOREAL FOREST THROUGH DETRIMENT AL EFFECTS ON PINE GROWTH AND ROOT ECTOMYCORRHIZAL STATUS
3.1 Abstract
3.2 Résumé
3.3 Introduction
3.4 Materia1 and methods
3.5 Results
3.6 Discussion
3.7 Acknow1edgements
3.8 References
CHAPITRE IV DIFFERENTIAL EFFECTS OF FEATHER MOSSES AND SPHAGNUM SPP. ON BLACK SPRUCE GERMINATION AND GROWTH
4.1 Abstract
4.2 Résumé
4.3 Introduction
4.4 Materia1 and methods
4.5 Results
4.6 Discussion
4.7 Conclusion
4.8 Acknow1edgements
4.9 References
CHAPITRE V DIFFERENTIAL EFFECTS OF LICHEN, SPHAGNUM SPP. AND FEATHER MOSS LEACHATES ON JACK PINE AND BLACK SPRUCE GROWTH
5.1 Abstract
5.2 Résumé
5.3 Introduction
5.4 Materia1 and methods
5.5 Results
5.6 Discussion
5.7 Conclusion
5.8 Aknowledgments
5.9 References
CHAPITRE VI GROUND LAYER COMPOSITION MAY LIMIT THE POSITIVE IMPACT OF PRECOMMERCIAL THINNING ON BOREAL STAND PRODUCTIVITY
6.1 Abstract
6.2 Résumé
6.3 Introduction
6.4 Material and methods
6.5 Results
6.6 Discussion
6. 7 Conclusion
6.8 Management Implications
6.9 Aknowledgments
6.10 References
CHAPITRE VII CONCLUSION GÉNÉRALE
7.1 Effets des mousses hypnacées, des lichens et des sphaignes sur la germination et la croissance ligneuse
7.2 Rôle de la strate des mousses et lichens dans l’établissement et le maintien de milieux ouverts stables en forêt boréale
7.3 Implications des résultats pour l’aménagement écosystémique
ANNEXE A SUPPORTING INFORMATION FOR MATERIAL AND METHODS
ANNEXEE SUPPLEMENT ARY DATA
BIBLIOGRAPHIE GÉNÉRALE

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