La stigmatisation des personnes alcoolo-dépendantes par le personnel infirmier dans les milieux somatiques

Actuellement, en Suisse, 250 000 personnes souffrent d’alcoolo-dépendance. « La consommation [d’alcool] représente l’un des cinq principaux risques pour la santé en Suisse, avec, à la clé, une mortalité prématurée » (swissinfo.ch, 2007). L’Office Fédéral de la Santé Publique (OFSP, 2014) a constaté qu’« en 2012, 17’000 personnes ont été hospitalisées pour dépendance à l’alcool ».

Une étude a mis en évidence qu’en 2010, l’abus d’alcool avait coûté à la société suisse 4,2 milliards de francs. Plus d’un demi-milliard ont été dépensés pour les traitements de maladie, les accidents ou blessures en lien avec cette substance, dont 405 millions de francs ont été versés pour les prises en charge stationnaires comprenant les soins somatiques aigus (Annexe A) ou psychiatriques (Fischer, Telser, Widmer, & Leukert, 2014). L’OFSP (2014) relève que les coûts indirects liés à l’abus d’alcool s’élèvent à 3,4 milliards de francs par année. Ce chiffre désigne le manque à gagner généré par des décès prématurés, l’invalidité et le chômage. En 2011, les décès liés à l’alcool concernent une personne sur dix dans la tranche d’âge de 15 à 74 ans (Marmet et al., 2013).

La dépendance alcoolique 

La dépendance est définie comme un « ensemble de phénomènes comportementaux, cognitifs et physiologiques dans lesquels l’utilisation d’une substance psychoactive spécifique ou d’une catégorie de substances entraine un désinvestissement progressif des autres activités » (OMS, 2016).

Selon l’OMS (2016), il existe deux sortes de dépendance : la dépendance physique faisant référence à l’accoutumance et aux signes de sevrage et la dépendance psychologique se rapportant au fait d’avoir une consommation impulsive et incontrôlée.

La classification statistique internationale des maladies et des problèmes de santé connexes-10 (CIM-10) décrit les critères de dépendance (OMS, 2016). Ceux-ci, cités ci-dessous, doivent être présents durant au minimum trois mois et aperçus au cours de l’année précédente : « (1) Désir puissant et compulsif d’utiliser une substance psychoactive ; (2) altération de la capacité à contrôler l’utilisation de la substance ; (3) survenue d’un syndrome de sevrage physiologique suite à une réduction ou un arrêt de la substance ; (4) tolérance aux effets de la substance ; (5) préoccupation par l’utilisation de la substance ; (6) poursuite de la consommation de la substance psychoactive malgré la présence manifeste de conséquences nocives » (OMS, 2015).

Depuis de longues années, l’alcool est employé de diverses manières : « produit alimentaire, thérapeutique et récréatif » (Addiction Suisse, 2014, p. 1). En Suisse, c’est après 1815, suite aux progrès de la distillation que la problématique de la consommation abusive d’alcool a commencé à être thématisée. Au 19e siècle, l’alcool est très bon marché. Il est perçu comme une boisson stimulante et la consommation de celle-ci est augmentée en particulier dans les lieux où les personnes sont stressées par leur emploi. Un mouvement social contre l’alcool va alors se mettre en place. Il cherchera à démontrer la nocivité de l’alcool. Dès lors, l’alcoolisme est perçu comme une maladie (Addiction Suisse, 2014).

Concernant la prise en charge de cette maladie, les soignants sont confrontés à des difficultés. En effet, le patient idéal pour de nombreux soignants est celui qui est conscient d’être malade et d’avoir besoin d’aide et de soins (Aeschbach, 2012). Or, la dépendance à l’alcool ainsi qu’à d’autres substances est une maladie chronique autodestructrice et accaparante d’un point de vue psychologique. L’autodestruction du patient provoque chez le soignant un sentiment de désespoir ou de colère, voir même du mépris et de l’agressivité envers le toxicomane (Aeschbach, 2012).

Un autre conflit divise le toxicomane, celui d’entreprendre un processus de rétablissement ou de continuer à consommer. L’alcool devient alors en concurrence avec la prise en soins des soignants. De plus, un autre symptôme de la dépendance est que la personne a tendance à dissimuler la vérité, compliquant la mise en place d’un partenariat avec le soignant. Si celui-ci est mal informé par rapport à l’alcoolisme, il peut alors se sentir dupé et manipulé (Aeschbach, 2012).

La dépendance alcoolique a un impact non seulement sur le personnel soignant mais surtout sur l’entourage du patient sur le plan émotionnel et matériel. Le regard des autres vis-à-vis d’un père, d’un ami, d’un enfant dépendant, l’incompréhension, la honte et le tabou autour de la maladie sont des souffrances pour les proches (Addiction Suisse, 2011).

La stigmatisation 

La maladie de l’alcoolisme est souvent source de stigmatisation. Afin de mieux la comprendre, il est important de préciser ses racines. D’après son étymologie grecque puis latine, le mot stigmatisation désigne « les marques au fer rouge portées par les mauvais esclaves » (Bertini, 2007, p. 664). À partir de ses origines, la racine latine distingo a été formée et signifie « différencier, séparer, diviser et, surtout reconnaitre pour autre ». Cette racine a beaucoup plus tard amené le mot étiquette en français (Bertini, 2007, p. 664). En résumé, le mot stigmatisation représente la critique publique, le rabaissement moral et la mise à l’écart d’une personne pour des actes considérés comme contraires aux normes de la société. Bonsack et al. (2013) précisent que « la stigmatisation est un phénomène social très commun, qui se manifeste par la discrimination d’une partie de la population par un groupe dominant» (p. 588). Le groupe de personnes subissant un tel comportement varie en fonction du siècle et de la société. Elles sont souvent perçues comme ««paresseuses », « nuisibles » et « dangereuses » » (Bonsack et al., 2013, p. 588).

Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS, 2016), « On peut définir la stigmatisation comme une marque de honte, de disgrâce, de désapprobation conduisant un individu à être évité et rejeté par les autres. La stigmatisation accompagne toutes les formes de maladie mentale, mais elle est en général d’autant plus marquée que le comportement de l’individu diffère davantage de ce qui est «normal » ».

Dans toutes les sociétés, les personnes souffrant de maladies mentales  ont été considérées comme déviantes. Quel que soit le diagnostic psychiatrique, la stigmatisation est toujours subie. Il a été constaté qu’actuellement, les personnes ayant des antécédents psychiatriques ont encore de la difficulté à trouver ou garder un emploi ainsi qu’à obtenir des soins de qualité (Bonsack et al., 2013).

Dans les milieux de soins, la stigmatisation du personnel envers des personnes ayant une maladie psychiatrique existe aussi. Cette attitude se traduit par une mauvaise communication soignant-soigné, une diminution de l’alliance thérapeutique, une exclusion dans les décisions, une discrimination et une déshumanisation des soins. Les conséquences de ces attitudes sont une mauvaise adhérence au traitement, une diminution de l’estime de soi, une autostigmatisation, ainsi que le sentiment de menace de traitement coercitif (Thornicroft, 2010 ; Ronzani, Higgins-Biddle, & Furtado, 2009). De ce fait, cette problématique peut avoir des répercussions sur le patient plus nuisibles que la maladie elle-même.

Le processus de stigmatisation comporte quatre étapes précises (Bonsack et al., 2013). La première phase se nomme « étiqueter » (p. 589). C’est une « fausse bonne intention » qui consiste à ne pas nommer la pathologie en tant que telle mais d’utiliser un autre nom afin de ne pas stigmatiser. Par exemple, parler d’un patient OH au lieu d’un patient alcoolique est une formule moins péjorative. Cependant, utiliser des formules détournées pour diminuer la stigmatisation empêche la prise de conscience du patient de sa maladie et renforce le tabou autour de celle-ci (Bonsack et al., 2013).

Ensuite vient le stade de « stéréotyper » (Bonsack et al., 2013, p. 589). Celui-ci se caractérise par l’attribution « des défauts à la personne étiquetée, indépendamment des autres informations à disposition » (Bonsack et al., 2013, p. 589). Cela signifie que seuls les antécédents psychiatriques sont considérés, influençant négativement le comportement des individus. Les enquêtes relevées dans Bonsack et al. (2013) ont révélé que le personnel soignant avait davantage un comportement négatif lorsque les patients avaient un diagnostic psychiatrique en comparaison à ceux qui ont une maladie somatique. Le processus de stéréotypage se déclenche de manière inconsciente et a comme conséquence de faciliter le mécanisme de catégorisation des individus.

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Table des matières

Introduction
Problématique
Recension des écrits
Question de recherche
Objectifs
Cadre de référence
La dépendance alcoolique
La stigmatisation
Le diagnostic d’overshadowing
Ethique infirmière et qualité des soins
Méthode
Devis
Stratégie de recherche
Sélection des articles
Étapes d’analyses
Résultats
Résultats des recherches
Analyse critique de la méthodologie de l’ensemble des études
Synthèse thématique
Manifestations
Etiologie ou facteurs influençant
Interventions contre la stigmatisation
Discussion 
Réponse à la question de recherche
Discussion des résultats
Forces et limites
Implications pour la pratique
Perspectives futures
Conclusion

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