Depuis quelques décennies, le développement des soins palliatifs suscite au niveau international un intérêt accru pour la question spirituelle dans le domaine du soin : des publications de plus en plus nombreuses sur ce thème contribuent à en faire un champ de recherche à part entière.
Alors que pendant des siècles, au sein des hospices, les institutions religieuses prenaient naturellement soin de la dimension spirituelle des malades, l’évolution sociétale, marquée par la philosophie des lumières, la séparation des Églises et de l’État en 1905 et les nombreux progrès médicaux du XXème siècle, a éloigné la spiritualité du monde des soins. Au sein des structures hospitalières occidentales, la technique est désormais au cœur de la prise en charge médicale : centrée sur les composantes physiques (confort, apaisement de la douleur), psychologiques (gestion du stress) et sociales (aide financière, assurances, …), celle-ci tend à faire oublier la dimension spirituelle des patients.
Et pourtant, la laïcisation et le réductionnisme médical n’ont pas supprimé ce besoin incontournable que l’homme a de trouver un sens à sa vie. La souffrance, la maladie, les épreuves sont souvent à l’origine d’un questionnement existentiel, d’une recherche de sens. En fin de vie, cette quête spirituelle est acutisée. Face à leur finitude, les patients conscients de leur mort prochaine s’interrogent naturellement sur le sens de leur vie, de leur souffrance, sur l’existence d’un au-delà. La plupart d’entre eux désirent d’ailleurs que les soignants s’intéressent à leur spiritualité et intègrent cet aspect dans les soins qui leur sont prodigués. Comment les soignants prennent-ils soin de la dimension spirituelle de leurs patients ? Quelle place accorder à la spiritualité dans le soin ? L’accompagnement spirituel est-il le rôle des soignants? Autant de questions qui voient le jour au sein des services hospitaliers où, auprès des malades, les soignants, témoins privilégiés de leurs interrogations existentielles font l’expérience quotidienne de leurs limites en matière d’accompagnement spirituel. Les soignants exerçant en soins palliatifs sont-ils suffisamment formés dans ce domaine ?
La spiritualité en médecine
C’est au cœur du XXème siècle qu’émerge dans le monde médical en Occident le concept de spiritualité, alors que la culture post-moderne érige en valeurs absolues la liberté et le bien-être individuels, et que la société occidentale connaît un profond déclin de la pratique religieuse. La découverte de l’influence de la spiritualité sur la santé (1) va susciter un intérêt nouveau des soignants pour la question spirituelle. Mais c’est avant tout le développement des soins palliatifs qui va être à l’origine de cette attention renouvelée pour la dimension spirituelle des patients en fin de vie : sous l’impulsion de Cicely Saunders, les soignants s’attacheront désormais à soulager la souffrance spirituelle au même titre que les autres dimensions de la souffrance, physique, psychique et sociale (concept de « souffrance globale »).
La notion de besoins spirituels
Peu à peu, la professionnalisation de l’accompagnement des mourants a fait naître, au sein du personnel soignant, de nouvelles réflexions sur les questions de la fin de vie. La qualité de vie des patients s’installe au centre des préoccupations, de même que la notion de besoin, héritée des travaux de Virginia Henderson (2) et de Maslow (3). La circulaire Laroque, fondement législatif des soins palliatifs en France en témoigne : les soins d’accompagnement visent à « répondre aux besoins spécifiques des personnes parvenant au terme de leur existence » (4). Désireux de prodiguer des soins de qualité, les soignants s’efforcent d’identifier ces besoins afin de les prendre en compte. De nombreuses études mettent en évidence différents types de besoins (5), dont la liste n’est pas exhaustive, et dont la classification peut varier selon les auteurs : besoins universels (recherche de sens, réalisation et acceptation de soi, respect de la dignité de personne humaine), besoins existentiels (être et rester sujet, estime et reconnaissance de soi,…), besoins d’appartenance et de relation (appartenir à une communauté, se réconcilier…), besoin de sécurité, etc. C’est ainsi que la notion de besoins spirituels voit le jour (6). On entend par « besoins spirituels », la nécessité pour les patients de recevoir un soutien spirituel. En effet, cette approche souligne la dimension unique et particulièrement pénible de la souffrance humaine en raison de la réalité spirituelle propre à l’être humain : chez l’être humain, la souffrance inclut tous les aspects du comportement douloureux en réponse à des stimuli nociceptifs (stimuli qui existent aussi chez les animaux dotés d’un système nerveux) mais y associe « la conscience spirituelle du désordre, de la privation du bien sensible ou du bien proprement humain » (7). Il semblerait cependant que l’emploi du terme « besoin » ne soit pas tout à fait approprié pour désigner cette aspiration, ce désir inhérent à la nature humaine qui pousse l’homme vers des réalités supérieures, surnaturelles. En effet, si elles ne sont pas toujours exprimées clairement par le malade, ces aspirations spirituelles sont toujours présentes en l’homme et se révèlent de manière privilégiée dans les épreuves, d’autant plus en fin de vie où l’approche de la mort met la personne face à sa finitude. C’est alors l’heure du bilan et la question de l’au-delà se pose naturellement à la conscience de la personne éprouvée : « Ai-je réussi ma vie ? », « Ma souffrance a-t-elle un sens ? », « Qu’y-a-t-il après la mort ? ». Dans cette situation de très grande vulnérabilité l’homme fait l’expérience d’une extrême solitude.
Une « crise du mourir »
Si le matérialisme ambiant empêche parfois l’homme contemporain de s’interroger sur l’essentiel (son essence, la nature de son être), la maladie et l’approche de la mort jouent parfois le rôle d’un électrochoc. Ce questionnement existentiel qui rappelle le « D’où viens-je ? Qui suis-je ? Où vais-je ? » de Platon, va amener le mourant à relire sa vie passée, à se réinterroger sur la qualité et l’authenticité des valeurs auxquelles il tient, à faire un retour sur lui-même : quels étaient ses désirs, ses projets, etc. Il pourra éprouver une certaine satisfaction devant le bien accompli mais aussi des regrets pour le bien omis ou le mal commis. Ce travail spirituel induit par la souffrance et l’approche de la mort provoque des questions et des réactions diverses qui ont pu être décrites comme une « crise du mourir ». Les regrets, la séparation d’avec les êtres chers, le sentiment de culpabilité, la souffrance des proches, l’angoisse métaphysique sont autant d’expériences douloureuses vécues par les personnes en fin de vie, qui viennent réveiller une préoccupation fondamentale du cœur de l’homme, parfois enfouie, celle de trouver un sens à sa vie. Comme le rappelle le Dr Abiven, ancien chef de service de la première unité de soins palliatifs en France, « dans notre monde où les vrais croyants en un au-delà ne sont sans doute pas les plus nombreux, peu d’hommes, cependant, parvenus au terme de leur vie, peuvent échapper à une telle question » (8). Ainsi, qu’il soit athée ou croyant, le mourant entre naturellement dans une démarche spirituelle. Celle-ci peut se traduire chez certaines personnes par un retour à une pratique religieuse abandonnée, par une vie de piété plus intense, ou encore par un intérêt nouveau pour la question religieuse. Pour d’autres, « même si ces questions n’ont pas fait partie de leurs préoccupations dominantes, peu nombreux sont ceux pour qui la mort est la fin de tout, ceux qui ne sont pas conduits à s’interroger sur une vie après la vie, avec toutes les questions qu’une telle interrogation soulève. On l’aura compris, le temps de la mort est pour les mourants le temps d’une intense activité de l’esprit.».
Ouverture à la transcendance
Si cette crise existentielle, ce bouleversement qui a lieu au plus intime de la personne, peut trouver une réponse dans la foi et l’espérance en un Dieu aimant, elle n’a pas toujours une expression religieuse et, au-delà de toute croyance, elle se traduit incontestablement par une ouverture à la transcendance : « elle rend l’homme capable de s’ouvrir à un au-delà de lui-même et le place dans une relation d’altérité à un autre (Autre) »(9). Cette ouverture à l’autre (Autre) est une caractéristique inhérente à la nature de l’homme. Marie de Hennezel décrit très bien cela dans son livre Croire aux forces de l’Esprit où elle partage au lecteur ce qu’elle a vécu auprès de François Mitterrand au cours de ses dernières années : « Ce n’est pas l’homme public, ni même l’homme privé, que j’ai appris à connaître, mais l’homme intérieur, aux prises avec ses interrogations métaphysiques, curieux des choses de la mort et de l’esprit. L’homme profond, à certains égards mystique, ayant un sens du divin, une expérience sensible de Dieu, qu’il a dû garder toute sa vie au secret. » (10). En effet, quelle que soit sa position philosophique ou religieuse, l’homme ne peut vivre sans une projection de lui-même au-delà de ses propres limites. Jung est le premier en Occident à avoir introduit la notion de spiritualité en psychologie et le terme transpersonnel, mais c’est Maslow qui, outre-Atlantique, avait défini initialement le concept de transcendance de soi. Après avoir identifié les besoins fondamentaux de l’individu concernant sa survie et son épanouissement, et les avoir hiérarchisés, il avait également observé chez certaines personnes un besoin de croissance au-delà de leurs propres préoccupations : le besoin de transcendance.
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Table des matières
I. Introduction
1. La spiritualité en médecine
2. L’accompagnement spirituel
3. Objectifs de l’étude
II. Matériels et Méthode
1. Type d’étude
2. Questionnaire
3. Recueil des données
4. Analyse des données
III. Résultats
1. Population
2. Place de la spiritualité dans les soins
3. Compétence des soignants
4. Modalités de l’accompagnement spirituel
5. Place de la religion dans l’accompagnement spirituel
6. Besoin de formation
IV. Discussion
1. Résultats principaux
2. Forces et faiblesses du travail
3. Interprétation des résultats
4. Analyse de la littérature
5. Perspectives
V. Conclusion
BIBLIOGRAPHIE