La fluorescence est une technique d‘analyse qui connaît un grand succès dans l‘étude de la structure et de la dynamique de systèmes complexes vivants ou non. Ce succès provient de la grande sensibilité de cette technique (détection de composé à des concentrations nanomolaires), de sa capacité à apporter des informations spatiales et temporelles sur le phénomène étudié, de sa relative simplicité de mise en œuvre (comparé par exemple à l‘utilisation de traceur radioactif) et de la sensibilité à l‘environnement de la sonde fluorescente [1]. Les applications de la fluorescence sont très nombreuses. En particulier, la grande sensibilité de la fluorescence d‘une molécule à son microenvironnement explique l‘utilisation extensive de sondes fluorescentes dans de nombreux domaines : physique, chimie, biochimie, biologie, médecine, environnement, industrie pharmaceutique, etc. L‘interprétation des expériences nécessite une analyse rigoureuse et approfondie, afin d‘éviter les écueils inhérents à la richesse de la technique [2]. Ainsi l‘un des paramètres les plus communément étudiés est l‘intensité de la fluorescence. Or ce paramètre dépend de la concentration de la sonde fluorescente dans le milieu étudié. Cette concentration est assez souvent localement mal maitrisée en milieu cellulaire (au sein du cytoplasme, d‘un organite cellulaire, d‘une biomembrane), ce qui peut conduire à des résultats artéfactuels. Afin de circonvenir ce problème, des sondes ratiométriques ont été conçues, mesurant non pas une intensité mais un rapport d‘intensité indépendant de la concentration. De nombreuses sondes ratiométriques existent surtout pour des milieux aqueux tels le cytoplasme (ainsi des sondes à pH ou des sondes permettant de déterminer tout une gamme de cations et d‘anions) mais très peu existent pour être utilisé en milieu membranaire. Cette lacune a conduit à la conception d‘une nouvelle catégorie de sondes fluorescentes hydrophobes, basée sur le chromophore 3-hydroxyflavone, qui présente l‘avantage d‘être ratiométrique avec deux bandes d‘émission résultant d‘une réaction de tautomérisation suite à un transfert intramoléculaire de proton à l‘état excité. De telles sondes se sont révélées d‘un grand apport dans l‘étude des membranes biologiques, notamment en ce qui concerne certains de leurs caractéristiques (hydratation, polarité, structure, …) en vue d‘une application en biophysique cellulaire et membranaire [3].
SPECTROSCOPIE DE FLUORESCENCE
La spectroscopie de fluorescence
La spectroscopie de fluorescence est l‘une des méthodes les plus sensibles, avec plusieurs domaines d‘applications, notamment en biologie. Elle permet d‘obtenir une très haute sensibilité (pouvant aller jusqu‘à la détection des molécules individuelles). Elle est basée sur la mesure de l‘intensité de la lumière émise par fluorescence par une substance après excitation par des photons du domaine du visible ou proche ultraviolet [4]. L‘utilisation de la spectroscopie de fluorescence dans l‘étude des milieux biologiques résulte de la grande dépendance du spectre d‘émission de la molécule fluorescente, vis-à-vis tant de sa propre conformation moléculaire que des caractéristiques de son environnement. Les paramètres les plus souvent utilisés sont: les spectres d‘émission et d‘excitation, le déplacement de Stockes, l‘efficacité de fluorescence (ou rendement quantique), le temps de vie de fluorescence et l‘anisotropie de fluorescence (ou polarisation). En outre, le spectre d‘absorption de la molécule est d‘une importance primordiale puisqu‘il conditionne ses conditions d‘excitation notamment la longueur d‘onde. Dans ce chapitre nous présenterons un bref descriptif de ces notions.
Diagramme d’énergie et spectre d’absorption
Les caractéristiques d‘absorption et d‘émission d‘un fluorophore peuvent être décrites à partir du diagramme d‘énergie aussi qualifié de diagramme de Jablonski. Le diagramme présenté à la figure 1 donne une représentation schématique des différents niveaux d‘énergie électroniques du fluorophore (molécule fluorescente), et des niveaux vibrationnelles propres à chaque niveau électronique. Il existe aussi des niveaux rotationnels pour chaque niveau vibrationnel, mais ils ne sont pas représentés sur la figure. Ce sont cependant ces derniers qui contribuent à donner à un spectre de fluorescence son aspect lissé.
Ces différents niveaux d‘énergie sont de l‘ordre de :
– 0,4 à 3 eV pour les niveaux électroniques ;
– 0,04 à 0,4 eV pour les niveaux vibrationnels ;
– 0,04 eV pour les niveaux rotationnels.
Les transitions quantiques intervenant dans l‘absorption de la lumière visible ou UV par un chromophore interviennent entre niveaux d‘énergie des électrons périphériques des orbitales moléculaires. Il s‘agit de transition mettant en jeu des orbitales π et des électrons délocalisés. Plus la délocalisation est importante, plus la longueur d‘onde du rayonnement électromagnétique est grande. Ainsi la molécule de benzène absorbe vers 220 nm dans l‘UV lointain, alors que le diphénylhexatriène absorbe à 350 nm, dans l‘UV proche.
fondamental électronique singulet, S1 et S2 sont respectivement le premier et le second état électronique excité. T1 est le premier état triplet [3]. Le phénomène d‘absorption fait également intervenir le moment de transition d‘absorption, qui est une quantité vectorielle dépendant de la répartition électronique au sein du chromophore considéré. Cette considération est surtout importante lorsque l‘on utilise une lumière d‘excitation polarisée [3]. Nous y reviendrons pour l‘anisotropie de fluorescence.
Etats excités et spectre d’absorption
Un état singulet (S0, S1,…) correspond à une configuration électronique de la molécule considéré pour la quelle les électrons sont appariés, avec un spin total égal à zéro. A l‘opposé, un état triplet correspond à une configuration électronique pour la quelle les électrons sont non appariés, avec un spin total égal à 1. A température ambiante, la presque totalité des molécules sont dans le plus bas niveau d‘énergie électronique, c‘est le niveau fondamental S0, et à l‘intérieur de celui-ci, dans le sous niveau vibrationnel le plus bas.
Le spectre de fluorescence
Lorsqu‘une molécule est portée par excitation à un niveau d‘énergie supérieur tel que S1 ou S2 (Fig.1), elle redescend rapidement (durée 10-10 s) au premier niveau vibrationnel du premier état excité S1, perdant le surplus d‘énergie par chocs moléculaire avec le solvant sans émettre de lumière. Ce phénomène est donc non radiatif. Cependant une émission de lumière peut survenir à partir du niveau vibrationnel zéro de S1, la molécule considérée est alors fluorescente. Cette émission de lumière résulte de transition radiative entre le niveau vibrationnel zéro du premier état excité S1 et les niveaux vibrationnels de l‘état fondamental (Fig.1) et génèrent donc un spectre de fluorescence. Il est important de remarquer que le point de départ d‘une transition électronique, à l‘absorption comme à l‘émission, est toujours le sous niveau vibrationnel le plus bas de l‘état électronique considéré, S0 ou S1, respectivement.
Les spectres de fluorescence présentent certaines caractéristiques :
– Un fluorophore dans un solvant donné donne lieu à un spectre d‘émission unique bien caractérisé. Notamment, ce spectre est indépendant de la longueur d‘onde de la lumière excitatrice. Ceci résulte directement du fait que le fluorophore émet à partir du seul niveau radiatif précisé ci-dessus ;
– Le spectre de fluorescence correspond toujours à une gamme de longueur d‘onde plus élevée que celle du spectre d‘absorption. Ceci s‘explique aisément à partir du diagramme d‘énergie, qui montre que les sauts d‘énergie des transitions d‘émission ont une énergie systématiquement moindre que pour les transitions d‘absorptions (énergie plus élevée, longueur d‘onde plus petite), à la seule exception des transitions 0-0 qui ont toutes deux la même énergie. Il en résulte que les spectres d‘absorption et d‘émission de fluorescence peuvent donc présenter une zone de recouvrement. Ce recouvrement peutêtre altéré, voire supprimé par l‘interaction soluté-solvant ;
– La forme et la position du spectre d‘émission sont sensibles aux propriétés du milieu environnant. Ceci découle de la perturbation des niveaux d‘énergie du fluorophore par les interactions dipolaires et électrostatiques (dans ce dernier cas pour les espèces chargées) existant entre les molécules du solvant et le fluorophore. En général, ces interactions augmentent avec la polarité du solvant, elles déplacent les spectres d‘absorption et d‘émission vers les grandes longueurs d‘onde (bathochromisme) et élargissent les bandes vibrationnelles. Cependant, l‘amplitude du déplacement n‘est pas la même pour les spectres d‘émission et d‘absorption. Ceci est du à la différence des interactions entre les molécules de solvant et celles du fluorophore, selon qu‘il se trouve à l‘état fondamental ou à l‘état excité [3].
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : GENERALITES SUR LA SPECTROSCOPIE DE FLUORESCENCE ET LES SONDES FLUORESCENTES
CHAPITRE I: SPECTROSCOPIE DE FLUORESCENCE
I.1. La spectroscopie de fluorescence
I.2. Diagramme d‘énergie et spectre d‘absorption
I.3. Etats excités et spectre d‘absorption
I.4. Le spectre de fluorescence
I.5. Le rendement quantique de fluorescence
I.6. Le temps de vie de fluorescence
I.7. L‘Anisotropie de fluorescence
CHAPITRE II: LES SONDES FLUORESCENTES MEMBRANAIRES
II.1. Les sondes de fluidité
II.1.1. Le diphénylhexatriène et ses dérivés
II.1.2. Les acides parinariques et leurs dérivés
II.2. Les sondes de polarité
II.2.1. Le PRODAN et le LAURDAN
II.3. Les sondes de potentiel de membrane
II.3.1. Le potentiel de membrane
II.3.2. Les sondes styryles voltage-dépendants
II.4. Les sondes 3-hydroxyflavones
II.4.1. L‘ESIPT : principale spécificité de ce type de sonde
II.4.2. Les 3-HF en solution
II.4.2.1. L‘Effet solvatochromique
II.4.2.2. L‘Effet de la liaison hydrogène
II.4.2.3. L‘Effet électrochromique
II.4.2.4. La forme anionique
II.4.3. Les sondes dérivées des 3-HF
DEUXIEME PARTIE : APPLICATIONS DE LA FLUORESCENCE EN BIOPHYSIQUE CELLULAIRE, EN BIOLOGIE ET EN CHIMIE
CHAPITRE I: APPLICATIONS DE LA FLUORESCENCE EN BIOPHYSIQUE CELLULAIRE
I.1.Applications des sondes dérivées de la 3-HF en biophysique cellulaire
I.1.1. Mesure du potentiel dipolaire de la membrane plasmique cellulaire
I.1.2. Mesure du phénomène de l‘apoptose
I.2. Etude du degré d‘hydratation des radeaux lipidiques
I.2.1. Définition et fonctions des radeaux lipidiques
I.2.2. La séparation de phase dans les biomembranes
I.2.3.Application des 3-HF à l‘étude de l‘influence du cholestérol sur l‘hydratation de la bicouche lipidique et sur la formation de ―rafts‖
I.2.3.1.Spectres de fluorescence de F2N8 dans des LUV et préférence de la sonde pour les domaines « non raft »
I.2.3.2.Formation de la phase Lo induite par le cholestérol
CHAPITRE II: APPLICATIONS DE LA FLUORESCENCE EN BIOLOGIE
II.1.Applications de la fluorescence en biologie moléculaire
II.1.1. Les oligonucléotides : définition et intérêt biologique
II.1.2. Rappels sur les acides nucléiques
II.1.3. Les sondes oligonucléotidiques fluorescentes
II.1.3.1. Les fluorophores pour marquer les oligonucléotides
II.1.3.2. applications des sondes oligonucléotidiques fluorescentes
II.1.3.2.1. Les techniques de détection et d‘analyses des acides nucléiques par hybridation en solution
II.1.3.2.1.1. La PCR
II.1.3.2.1.2. La détection par FISH (fluorescence in situ hybridization)
II.1.3.2.2.Les techniques de détection et d‘analyse des acides nucléiques par hybridation sur support
II.1.3.2.2.1.La méthode southern et les techniques dérivées
II.1.3.2.2.2. les puces à ADN
II.2. Applications de la fluorescence en immunologie
II.2.1.La cytométrie en flux : définition et principe
II.2.2.Applications de la cytométrie en flux en immunologie
II.2.2.1.Les fluorophores utilisables
II.2.2.2.Application au comptage des lymphocytes T
II.2.2.3.Autres applications de la CMF en immunologie
II.2.3.La Technologie LuminexTM
II.2.3.1.Définition de la Technologie LuminexTM
II.2.3.2.Principe de la Technologie LuminexTM : les microsphères
II.2.3.3.Applications en immunologie
II.2.3.3.1.La recherche d‘anticorps
II.2.3.3.2.La recherche d‘antigène
II.2.3.3.3.Comptage des cytokines
II.3.Applications de la fluorescence en bactériologie
II.3.1.Utilisation de la GPF (green fluorescent protein) en tant que marqueur de l‘expression des gènes de résistance aux glycopeptides chez Enterococcus faecalis
II.3.2.Utilisation de la spectroscopie de fluorescence pour la détection ou caractérisation des micro-organismes à des fins taxonomiques
II.3.3.Utilisation de la fluorescence pour la mesure de l‘activité microbienne et métabolisme
CHAPITRE III: : APPLICATIONS DE LA FLUORESCENCE EN CHIMIE : SONDES FLUORESCENTES DE PH
III.1. Principe des sondes fluorescentes de pH
III.2. Transfert de proton photoinduit
III.3. Les principales sondes de pH
III.3.1. Fluorophores qui sont le siège d‘un transfert de proton photoinduit
III.3.2. Fluorophores qui ne sont pas le siège d‘un transfert de proton photoinduit
III.4. Applications de la sonde SNARF-1 à la mesure de pH intracellulaire de cardiomyocytes
CHAPITRE IV: : MICROSCOPIE DE FLUORESCENCE
IV.1.Le microscope confocal de fluorescence : principe et exemple d‘application
IV.1.1. Principe
IV.1.2. Application
IV.2. Le microscope de fluorescence par excitation à deux photons
IV.2.1. Principe
IV.2.2. Application à l‘imagerie des tumeurs
CONCLUSION