Menaces sur la faune ichtyologique africaine
La biodiversité aquatique est principalement menacée par les activités humaines et le réchauffement global. La perte d’habitats résultant le plus souvent des travaux d’aménagement, la surexploitation des espèces, les pollutions d’origine diverses et les introductions d’espèces étrangères sont les principaux risques qui pèsent sur la diversité aquatique de nombreux pays africains (FAO, 1993 ; Levêque et Paugy, 2006). Les conséquences de ces activités sont amplifiées par l’accroissement de la population qui entraine une pression de plus en plus forte sur les ressources naturelles, mettant en danger la faune ichtyologique (Levêque et Paugy, 2006).
Aménagement et Perte d’habitats L’altération de l’habitat est une des menaces les plus importants pour la faune ichtyologique. Les aménagements sur les cours d’eau présentent une entrave majeure à la survie de beaucoup d’espèces. La création des lacs de retenu en amont des cours d’eau élimine les espèces inféodées aux eaux courantes (Levêque et Paugy, 2006). Les modifications du régime des crues à l’aval et notamment la régularisation du débit perturbe la biologie des espèces qui se reproduisent habituellement dans les zones inondées. Il en résulte une simplification des peuplements avec la disparition de certaines espèces (Levêque et Paugy, 2006). En région tropicale les barrages empêchent les espèces migratrices de remonter vers l’amont au moment des crues, pour se reproduire dans les milieux favorables. Il en résulte également la perte de nombreuses espèces. Un effet indirect de ces aménagements est la pollution des eaux par les engrais, les sols emportés par l’érosion et les déchets humains (FAO, 1993). Ces pollutions entrainent généralement une eutrophisation (augmentation de la biomasse algale) qui asphyxie les cours d’eau et une réduction de la superficie des cours d’eau entrainant la disparition de nombreuses espèces (Paugy et Lévêque, 2007).
Surexploitation des espèces aquatiques La pression démographique, la forte demande en poisson et la faible contribution de l’aquaculture ont entrainé une surexploitation des poissons dans les cours d’eau africaines menaçant ainsi la diversité spécifique. En effet, la demande croissante en poisson a entrainé l’utilisation d’engins de pêche plus performants (chaluts de fond), non sélectifs (FAO, 1993) et surtout prohibés. Ces engins permettent de capturer beaucoup de poissons, ainsi que les individus immatures. Les populations des espèces qui ne peuvent plus se reproduire donc s’effondre dramatiquement (FAO, 1993). Ces méthodes de pêche ont surtout un impact considérable sur le maintien des peuplements de Cichlidés en raison principalement de leur faible fécondité. Les Cichlidés constituent près de 30 à 50% des captures de poisson en Afrique de l’Ouest (Levêque et Paugy, 2006).
Introduction de tilapia étrangère dans les écosystèmes aquatiques Ouestafricain Au regard de son intérêt pour l’aquaculture mondiale, le tilapia du Nil a fait l’objet d’une très grande introduction dans le monde (Lazard, 2009). Pour améliorer la performance de cette espèce, des souches génétiquement améliorées (GIFT, Genetically Improved Farmed Tilapia) ont été mis en place aux Philippines dans les années 1980 (Lazard, 2009). Ces souches GIFT obtenues des croisements des souches africaines et asiatiques ont été introduits dans plusieurs pays et récemment en Côte d’Ivoire et au Ghana (DPH, 2009 ; Lazard, 2009). Pourtant les souches sauvages et domestiques d’Oreochromis niloticus d’Afrique Subsaharienne ont déjà montré un grand potentiel pour l’élevage dans les conditions de la pisciculture africain (Lazard, 2009). L’introduction de ces souches GIFT « synthétiques » pourrait donc compromettre la pureté génétique des stocks naturels du tilapia par le biais des croissements (Lazard, 2009).
Anatomie des testicules et spermatogénèse
Chez la plupart des téléostéens, le testicule est un organe pair situé dans la partie dorsale de la cavité abdominale. Il est prolongé postérieurement par un canal déférent (spermiducte) se terminant au niveau de la papille génitale (Legendre et Jalabert, 1988). Deux types de structures testiculaires peuvent être identifiés selon le mode de spermatogénèse (Billard et al.,1982 ; Legendre et Jalabert, 1988). Il s’agit du type lobulaire et du type tubulaire (Figure 2). Le type lobulaire présente un aspect lobé en histologie. Les cellules germinales contenues dans les cystes migrent très peu au cours de leur évolution et les spermatozoïdes sont libérés dans la lumière centrale des tubes en communication avec le canal déférent. Dans le type tubulaire les cystes de cellules germinales sont localisés à l’extrémité des tubules et durant la spermatogénèse ils migrent vers la cavité centrale des testicules où sont libérés les spermatozoïdes. Chez les tilapias le type de structure testiculaire est le type tubulaire (Chao et al., 1987).
Notion de spermatogenèse chez les tilapias
Le processus de spermatogénèse regroupe l’ensemble des phases cytologiques conduisant à l’élaboration des spermatozoïdes à partir des cellules indifférenciées (spermatogonies A), elles-mêmes issues des cellules germinales de l’embryon. La spermatogénèse peut avoir suivant les espèces, un caractère continu (tilapia) ou saisonnier (poisson chat) (Billard et al., 1982). Une coupe histologique du testicule de tilapia révèle une organisation du testicule en plusieurs lobules (Figure 3) (Hyder, 1970 ; Msiska, 2002). Les lobules qui contiennent les étapes les plus avancés de la spermatogénèse sont localisés au centre de la gonade. Il semble qu’un groupe de cellules germinales primordiales et de spermatogonies primaires se regroupent dans un tissu conjonctif de la paroi testiculaire pour former les premiers lobules de grandes tailles à la périphérie du testicule (Hyder, 1970). Une proportion de spermatogonies primaires entourées de cellules somatiques subit une division mitotique pour former les spermatogonies secondaires. Ces derniers restent encapsulés à l’intérieur d’une couche de cellules somatiques qui retient tous les produits issus de la division des spermatogonies primaires résultant d’une cellule caractéristique appelée cyste. D’autres divisions mitotiques des spermatogonies secondaires aboutiront aux spermatocytes primaires puis après les deux divisions de la méiose aux spermatides qui sont toujours retenus à l’intérieur de la paroi des cystes. Chaque spermatide subit une série de transformation cytologique (élaboration du flagelle, diminution du cytoplasme, condensation de la chromatine etc.) et se différencie en spermatozoïdes. A cette étape, les parois des cystes devenus minces se rompent pour libérer les spermatozoïdes dans la lumière des lobules, c’est la spermiation.
Rôle des facteurs internes
Le complexe hypothalamo-hypophysaire sert de lien entre l’environnement et les organes reproducteurs chez les poissons (Legendre et Jalabert, 1988). L’hypothalamus stimule ou inhibe l’activité de l’hypophyse des poissons téléostéens par l’intermédiaire d’une hormone libérante (GnRH) et d’un facteur hypothalamique inhibiteur, la Gonadotropine Release Inhibitory Factor (GRIF). En réponse aux stimuli de l’hypothalamus, l’hypophyse secrète plusieurs hormones parmi lesquelles les gonadotropines exerceraient un rôle majeur sur l’activité des gonades (Legendre et Jalabert, 1988 ; Bobe et al., 2014). La FolliculoStimulating Hormone (FSH) et la Luteinizing Hormone (LH) sont les deux gonadotropines suspectés d’être impliqués dans la spermatogénèse chez les tilapias (Hyder, 1970). La FSH semble intervenir dans les premières phases de la spermatogénèse chez le tilapia et serait responsable de la croissance des spermatogonies chez plusieurs téléostéens (Schulz et Miula, 2002). La LH stimulerait la production ultérieure de la testostérone avec ou sans l’influence de la FSH (Hyder, 1970). La testostérone jouerait un rôle régulateur dans la production de la FSH (Schulz et Miula, 2002). C’est la 11 Cétostestostérone (11KT) qui est susceptible d’être responsable de la prolifération des spermatogonies et de la stimulation des différentes étapes de la spermiogénèse chez les poissons (Schulz et Miula, 2002). D’autres stéroïdes tels que l’œstradiol et les progestines sont également susceptibles d’agir sur la spermatogénèse chez les téléostéens (Schuz et Miula, 2002 ; Bobe et al., 2014). Les progestines seraient impliqués dans l’acquisition de la motilité des spermatozoïdes et dans l’hydratation du sperme. L’œstradiol serait impliqué dans la prolifération des spermatogonies (Bobe et al., 2014).
Motilité des spermatozoïdes
Chez les poissons les spermatozoïdes sont immobiles dans le plasma séminal. Ils n’acquièrent leur motilité qu’au contact de l’eau (eau considérée comme milieu de fécondation) (Harvey et Hoar, 1980). On appelle activation le processus d’acquisition de cette motilité. La motilité des spermatozoïdes peut être étudiée d’une manière globale à partir d’une échelle de notation de Sanchez-Rodriguez et Billard (1977) présentée dans le tableau I ci-dessous. Il existe de nos jours des analyseurs d’image de type CASA (Computer Assisted Sperm Analysis) qui permettent de quantifier de manière plus précise la nature et la vitesse de déplacement des spermatozoïdes (Rurangwa et al., 2004 ; Gennotte et al., 2012). Comme la motilité intègre différente caractéristique cellulaire et séminale, il apparait comme l’estimateur le plus objective et le plus fiable pour évaluer la qualité des semences (Legendre et Billard, 1980 ; Chao et al., 1987 ; Gennotte et al., 2012, Shaliutina, 2013). Bien qu’elle ne soit pas une garantie absolue de fécondité, les spermatozoïdes qui ont perdu leur motilité sont incapables de fécondation (Billard et al., 1971).
Facteurs affectant les caractéristiques spermatiques
Plusieurs facteurs affectent la qualité du sperme chez les téléostéens. L’alimentation, la température, la photopériode, le stress et les interactions sociales sont différents facteurs qui agissent sur la qualité du sperme (Rurangwa et al., 2004 ; Bobe et Labbe, 2010).
Alimentation L’alimentation des géniteurs est un facteur important susceptible d’affecter la qualité des gamètes (Bobe et Labbe, 2010). Elle procure aux poissons des éléments minéraux, les acides gras insaturés et les vitamines indispensables à la qualité du sperme. En effet, la stabilité de la membrane plasmique des spermatozoïdes dépend de certains polyacides gras insaturés qui ne sont pas synthétisés par les poissons. Ces acides gras se fixent préférentiellement sur la membrane plasmique et assurent sa stabilité (Labbe et al., 1995). Aussi, la carence en acide ascorbique influence la qualité du sperme chez les téléostéens. Des faibles niveaux d’acides ascorbiques dans le plasma séminal de la truite arc-en-ciel ont entraîné une diminution de la concentration, de la motilité, du pouvoir fécondant du sperme et un faible taux de survie des embryons engendrés par ces mâles déficients (Dabrowski et Ciereszko, 1996). Cependant, l’effet de l’alimentation sur la qualité du sperme est généralement observable à long terme (Bobe et Labbe, 2010).
Facteurs environnementaux : température, photopériode et salinité L’effet des variations de la température et de la photopériode sur la qualité du sperme n’a pas fait l’objet de beaucoup d’étude. Les rares études qui ont portés sur l’effet de la température sur les qualités du sperme stipulent une influence possible de la température sur la composition lipidique du sperme chez certains téléostéens (Labbe et al., 1995). La teneur en sel du milieu d’élevage est également susceptible d’influencer la membrane plasmique des spermatozoïdes. Chez la truite-arc-en ciel par exemple, les spermatozoïdes des individus élevés en eaux salée avaient une plus grande perméabilité de la membrane et/ou une résistance plus faible au stress hypoosmotique que ceux des individus gardés en eau douce (Bobe et Labbe, 2010).
Stress L’effet du stress sur la qualité du sperme dépend de l’espèce, de la période d’application du stress, du type et de l’intensité du stress. Le stress peut agir en induisant des changements d’osmolarité du plasma qui peut affecter la qualité du sperme chez les poissons (Rurangwa, 2004). Des stress aigus peuvent entrainés une diminution de la concentration de la laitance et un faible taux de survie des larves (Bobe et Labbe, 2010). Les stress provoqués par la capture et le transport des mâles sauvages de truite ont également été responsable de la décroissance de la motilité des spermatozoïdes (Allyn et al., 2001).
Autres facteurs Plusieurs autres facteurs sont susceptibles d’avoir des effets sur la qualité du sperme même s’il n’existe pas encore de données expérimentales sur ces derniers. Il s’agit de l’exposition des poissons aux polluants, les propriétés physico-chimiques de l’eau (Rurangwa, 2004 ;Bobe et Labbe, 2010), certaines pathologies (Rurangwa, 2004), les facteurs sociaux, l’âge du géniteur et la consanguinité (Gennotte et al., 2012).
Impact de la cryoconservation sur la semence
La cryoconservation peut avoir des impacts négatifs sur la qualité des semences. Lorsque le refroidissement est très rapide, les spermatozoïdes subissent le « cold shock » ou « choc froid » qui induit un changement de phase des phospholipides membranaires (John et al., 1992). Cela se traduit par des fuites de matériel intracellulaires et une perte de la motilité. Aussi, la descente de température peut entrainer la formation de glace extracellulaire induisant une augmentation de la concentration de ce milieu (Ryan, 2004). Cela a pour conséquence une fuite d’eau de la cellule vers le milieu extracellulaire entrainant un stress mécanique sur la membrane plasmique (Freeze-deshydratation) (Mazur, 1974). Ainsi, la membrane plasmique apparaît souvent soulevée, voire rompu, au niveau de la tête. La pièce intermédiaire peut être atteinte avec une déstructuration de la mitochondrie. Le flagelle est souvent déformé. Dans certains cas le noyau présente un décollement de la membrane nucléaire et ou une altération de la chromatine (Maisse et al., 1998). La cryoconservation peut également avoir des impacts négatifs sur l’ADN des spermatozoïdes et par conséquent sur la descendance (Milon, 2013). L’ADN peut subir deux principaux types de traumatisme à l’origine des problèmes de développement embryonnaire : soit une cassure de la molécule d’ADN, soit des altérations épigénétiques (modification de la chromatine). Les cassures d’ADN sont plus ou moins importantes sur les spermatozoïdes chez les poissons et leurs conséquences difficiles à caractériser à cause des systèmes de réparation de l’ADN par l’ovocytes (Pérez-Cerezales et al., 2010).
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Table des matières
Introduction
Première partie : SYNTHESE BIBLIOGRAPHIQUE
Chapitre I : Présentation de l’espèce
1. Berceau et aire de répartition
2. Systématique et description
3. Menaces sur la faune ichtyologique africaine
3.1. Aménagement et Perte d’habitats
3.2. Surexploitation des espèces aquatiques
3.3. Introduction de tilapia étrangère dans les écosystèmes aquatiques Ouest-africain
4. Physiologie de la reproduction
4.1. Stratégie de reproduction
4.2. Appareil génital mâle et gamétogénèse
5. Notion de sperme chez les poissons
5.1. Fluide séminal
5.2. Spermatozoïde
6. Régulation de la reproduction
6.1. Rôle des facteurs externes
6.2. Rôle des facteurs internes
Chapitre II : Conservation de la laitance chez les poissons
1. Collecte de la laitance
2. Volume de la laitance
3. Caractéristique spermatiques
3.1. Concentration en spermatozoïde
3.2. Motilité des spermatozoïdes
4. Facteurs affectant les caractéristiques spermatiques
4.1. Alimentation
4.2. Facteurs environnementaux : température, photopériode et salinité
4.3. Stress
4.4. Autres facteurs
5. Cryoconservation
5.1. Pré-congélation
5.2. Congélation
5.3. Décongélation
5.4. Impact de la cryoconservation sur la semence
6. Etat des lieux sur la cryoconservation du sperme des tilapias en Afrique
Deuxième partie : ETUDE EXPERIMENTALE
Chapitre I : Matériel et méthodes
1. Cadre de l’étude
2. Matériel
2.1. Matériel biologique
2.2. Structure d’élevage
2.3. Matériel de collecte de la laitance
2.4. Matériel d’analyse de la laitance
2.5. Matériel de mesure
2.6. Produits et réactifs utilisés
2.7. Autre matériel
3. Méthodes
3.1. Marquage des poissons
3.2. Collecte de la laitance
3.3. Evaluation de la qualité de la laitance
3.3.1. Détermination du pH
3.3.2. Concentration en spermatozoïdes
3.3.3. Appréciation de la motilité des spermatozoïdes
3.4. Cryoconservation de la semence de O. niloticus
3.4.1. Pré-congélation
3.4.2. Congélation
3.4.3. Décongélation
4. Analyse des données
Chapitre II : Résultats et Discussion
1. Résultats
1.1. Paramètres physico-chimiques de l’eau
1.2. Volume de la laitance
1.3. Valeur du pH et motilité de la laitance
1.4. Concentration en spermatozoïdes
1.5. Test des dilueurs pour la congélation
2. Discussion
2.1. Contraintes méthodologiques et limites d’interprétation des résultats
2.2. Caractéristiques spermatiques
2.3. Test des dilueurs de congélation
Conclusion et Perspectives
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