Si la sorcellerie est un sujet négligé par les pays développés en général, elle est encore très présente dans le continent africain surtout, et à Madagascar aussi. Elle est ainsi utilisée à des fins de guérison. En un mot pour le bien mais également dans l’objectif de nuire. Dans ce dernier cas de figure, le différend foncier constitue une occasion pour les rivaux de neutraliser l’adversaire par le biais de la pratique des «ody ». Ce recours à la sorcellerie est dû à plusieurs facteurs dont deux fondamentaux : D’abord la croyance en son efficacité maléfique, ensuite, une politique foncière mal perçue par la population. En effet, contrairement aux Européens qui pensent que « dans le monde moderne, on ne croit plus guère au diable ou à sa puissance » et que «les sorciers sont rares » , les Malgaches, en général, croient fermement à l’existence des sorciers ainsi qu’à leurs pouvoirs maléfiques. Et que, pour garder ou récupérer la terre des ancêtres, à quoi ils tiennent farouchement, les intéressés, au lieu d’utiliser le poignard, le revolver ou le poison, usent de sortilèges, d’envoûtement, bref de « ody ». Comme les Malgaches en général, les Betsimisaraka y ont recours. Et cette étude cherche à démontrer les problèmes générés par la pratique (ou la suspicion de la pratique) de la sorcellerie en matière de différend foncier. À Madagascar, le terrain constitue un atout majeur. En posséder beaucoup fait de l’intéressé une personne enviable. Spécialement pour les Betsimisaraka, le droit sur les terrains transmis par les « Razagna » ne devrait en aucun cas être mis en cause De par l’explosion démographique d’une part, ainsi que le développement d’autre part, la surface attribuée aux héritiers s’amoindrit alors que la valeur du terrain augmente. Avec le problème de succession qui se règle difficilement, les parcelles de rizière morcelées en fragments, l’appropriation individuelle sans l’assentiment des autres copropriétaires, le litige s’enchevêtre de manière presque inextricable. Et dans ce tourbillon de problèmes, le recours aux sorciers apparaît comme une solution fiable pour beaucoup de personnes. Et la relation sociale est animée par une « guerre pacifique » dominée par l’hypocrisie, accompagnée d’une méfiance des uns envers les autres. En relation avec la religion traditionnelle , la sorcellerie fait partie intégrante de la culture de la société betsimisaraka. Il s’agit ici de la sorcellerie constituant une infraction surnaturelle. L’infraction surnaturelle a reçu une définition de la part d’un grand auteur . C’est le fait pour l’agent d’user des procédés tirés de la sorcellerie pour provoquer la mort ou la maladie d’un tiers.
Le terme «sorcellerie» est appliqué aux pratiques visant à influencer le corps et l’esprit de la victime. Sur le plan juridique, sont qualifiés sorciers ceux qui détiennent les «ody», qui font métier de deviner, de pronostiquer, d’expliquer les songes . Le petit dictionnaire l’a défini comme étant «une pratique occulte des sorciers» . La sorcellerie désigne ce qui est surnaturel sans appartenir à la religion. On la considère parfois comme une sorte de magie. Elle se trouve hors de la portée du «positivisme scientifique», donc reste encore floue dans le domaine de la science. Et surtout, elle est quasi ignorée par le droit et conçue comme étant un mystère qui ne peut pas recevoir une explication rationnelle. Mais en tout cas, les sorciers, les «Ombiasy», jouent un rôle important dans la communauté. N’ayant reçu aucune formation scientifique, ils donnent des remèdes à des fins de guérison, mais parfois, ils utilisent leur talent pour nuire à leur entourage. C’est le cas en matière de différend foncier, l’affaire la plus fréquemment portée devant le tribunal de première instance de Toamasina (cinq affaires sur dix sur le civil). Les deux problèmes se mélangent intimement, à savoir la sorcellerie et le différend foncier. Si bien que la situation inquiète la population. Cette inquiétude est surtout basée sur la croyance aux effets néfastes de l’acte de la sorcellerie, et sa pratique dévastatrice en matière de différend foncier d’une part et sur la probabilité d’échec devant la juridiction civile (pour le litige foncier) et devant la juridiction répressive (sur les conséquences de la sorcellerie)d’autre part.
Si les Occidentaux pensent que la sorcellerie relève d’une «absurdité manifeste » et que ceux qui y croient sont d’une «simplicité d’esprit assimilable à la démence» ou une «population crédule» expliquant ainsi l’impunité par un «défaut d’intelligence» , ou du moins l’insuffisance de la matérialisation de l’intention criminelle, à Madagascar la réalité est autre.
Déjà autrefois, la sorcellerie figurait parmi les douze crimes punis de la peine de mort. Auparavant, les gens craignaient pour leur vie face au « mosavy » dit «tolotr’anina ou voankanina ». Actuellement, d’autres manifestations redoutables sont imputées à l’acte de la sorcellerie. La notion de « fihavanana »fierté des Malgaches cède la place à la méfiance jusqu’au sein des membres de la famille même. L’étude de ce thème permet d’éclaircir deux problèmes : un problème socioanthropologique d’un côté et socio-juridique de l’autre. Elle permet en outre de mettre en lumière la croyance des Malgaches au pouvoir occulte ainsi qu’à l’infraction dite surnaturelle qu’est la sorcellerie. Mais de plus, elle met en relief la séparation nette entre la coutume et le droit, car ce dernier n’a pas donné une grande importance à la pratique coutumière de la sorcellerie.
LA SORCELLERIE, UN PHENOMENE SOCIAL
La croyance à des forces surnaturelles et à la pratique de rites magiques, que ce soit pour amadouer ou pour déchaîner existent de tout temps et dans toutes les cultures, quel que soit leur degré d’évolution. Fait de civilisation, la sorcellerie est une manifestation mentale et sociale dans laquelle derrière la superstition, reposent la parole, le pouvoir, la souffrance, la misère, l’espoir et la mort. «On appelle un phénomène ou un fait social, toute manière répétitive, fixée ou non, susceptible d’exercer sur l’individu une contrainte,…qui est générale dans l’étendue d’une société donnée, tout en ayant une existence propre, indépendante de ses manifestation individuelles » , en d’autres termes c’est un fait régulier, répétitif, donc prévisible. Ainsi, les trois caractères d’un phénomène social sont :
• La contrainte
• Sa généralité dans une société donnée
• Son indépendance par rapport au psychisme individuel.
Il est évident qu’une sociologie juridique peut se développer à partir de cette conception, le principal apport de cette sociologie ne se situe que dans un secteur particulier, le droit pénal. En effet le crime n’est rien d’autre que ce que la société définit comme tel. Si la sorcellerie peut avoir une double signification, à Madagascar elle est plutôt connue sous l’angle de malfaisance.
La sorcellerie: Le « mosavy »
Le « mosavy » qui est un acte maléfique appelle une certaine description et à la base il y a les « ody » qui en sont les origines.
Description du « Mosavy »
Le terme « Mosavy » est spécifiquement malagasy voulant dire « sorcellerie » mais c’est aussi l’œuvre du « mpamosavy », c’est à dire son acte.
Le « Mosavy », l’acte
Le « mosavy » est l’acte par lequel le « mpamosavy » nuit à sa victime, le « mosavy» peut selon les cas rendre malade, tuer la victime ou encore lui nuire à travers ruine, désordres ou folie. La pratique nous montre sa nuisance et son caractère redoutable.
Un acte nuisible
« Mosavy » n’est, en fait, qu’une désignation générique. Des désignations plus précises traduisent la manière le« Vorika ». Peut être synonyme à part entière du mosavy: « Maléfice, sortilège, sorcellerie malfaisante, poison, charme nuisible».Certes, le lien de causalité serait difficile à établir mais le « mosavy » entraîne diverses conséquences sur la personne ; les conséquences qu’on attribue à ces actions sont surtout la maladie et le décès, la croyance au pouvoir du « mosavy» est omniprésente chez les Betsimisaraka surtout, ce dernier disait même que c’est toujours le « mosavy » qui les rendent mortels « Tsy maty tsy aodin’olo », ce qui rend son caractère redoutant.
Un acte redoutant
C’est l’œuvre du mal et le malheur en lui-même. Le « mpamosavy » est censé capable de donner la mort à une personne en marchant sur son ombre, en se procurant des rognures de ses ongles ou des fibres de ses cheveux qu’il faut se garder de laisser traîner, il serait capable d’ensorceler en « pinçant » les pas (mitsongo-dia) d’une personne, c’est-à-dire d’agir sur elle en ramassant la poussière du sol dans l’une de ses empreintes, le « mpamosavy » est dans le domaine de la religion ce que les brigands et malfaiteurs sont dans la vie du peuple. En général ils sont traités de façon similaire : on les tue, on les lapide, on jette leurs cadavres sans même les avoir enterrés mais tout naturellement, on montre plus de répugnance pour les « mpamosavy » que pour les brigands, tenus pour hypocrite et sournois, puisqu’on ne peut ni les reconnaître ni les connaître. Mais constants sont leurs méfaits et redoutables sont leurs coups. Les gens cherchent toujours le moyen de démasquer, les personnes convaincues de détenir des « ody mahery », des sortilèges, des « ody ratsy », des charmes maléfiques ou accusées d’attitude ou d’acte de sorcellerie à travers leur comportement à l’égard des animaux. Les esprits forts qui ne redoutent pas de sortir dans la campagne, dans les bois à la tombée de la nuit ou dans l’obscurité, sont dénoncés aux autorités.
Si la nuit ne concerne que peu des gens car la majorité s’endort, le jour les «mpamosavy » sont pire encore, parce qu’ils sont difficiles à reconnaître, les gens se méfient les uns des autres. C’est pour cette raison même que notre Président de la HAT, « craint pour sa vie et vient avec ses repas », il avait peur d’être empoisonné, à Maputo. Juridiquement parlant les actes du « mpamosavy » ne pourraient nullement se retourner contre lui, faute de preuve et de rationalité, dans la pratique le «mpamosavy » est en fait celui qui accomplit le « mosavy ».
La notion du « mpamosavy »
Le « mpamosavy », sorcière constitue une catégorie plutôt floue mais à ce point redouté que même le droit pénal malagasy prévoit des sanctions considérables fixées à une peine de mort dans l’ancien code . Les véritables sorcières sont très difficiles à reconnaître, bien qu’on les considère à priori comme nuisibles et portant atteinte à l’ordre social, voire même à la vie. Le « mpamosavy » est donc un terme utilisé par la société pour désigner une personne qui aime le mal, par-là veut et peut attirer du malheur aux autres.
La personne utilisant le « Mosavy »
La personne du « mpamosavy » peut être indifféremment un homme ou une femme, mais d’après la croyance de la société, cette personne est différente des autres. Elle est difficile à étudier car d’un côté, personne ne se vante de l’être, mais il s’agit d’une qualification imputée par les autres. Lorsqu’une personne est qualifiée comme telle, elle est taxée d’accomplir des actes étranges ou maléfiques. Elle a l’habitude d’approvisionner les animaux sauvages : chats, hibou et élève des animaux mal considérés : chien au pelage brun rouge, « kary » (chat sauvage), elle fait de la cuisine avec des ingrédients bizarres. Spécialement pour celui qui détient « l’ody mahery », ce dernier commence à dominer son maître, des indices commencent à apparaître par exemple la présence d’un serpent dans la maison (menarana ou tompontany). Ce qui signifie que « l’ody » a sa pleine puissance. Certains de ces «mpamosavy » le sont de naissance, comme une hérédité, transmise par leur parent ou grands-parents, juste avant leur mort.
Le « mosavy », le fournisseur
Certains termes sont à éclaircir en ce qui concerne le fournisseur du « mosavy ». Bien que le medium soit davantage spécialiste des maladies qui relèvent de l’esprit ou causées par les mauvais esprits, son champ d’action et son domaine d’influence vont beaucoup plus loin, au point qu’on vient le consulter pour quasiment toutes sortes de maladies. Ainsi sa fonction empiète-t-elle sur le métier de « l’Ombiasy » ? Et si ce dernier porte également le nom de Devin, c’est généralement qu’il n’ignore pas non plus la divination. Sans vouloir pour autant mélanger les disciplines ni uniformiser les rôles, puisque chaque ministre des cultes, quel que soit sa spécialité fait usage des médications en cas de maladies. A son tour, le thème « Ampisikidy » est formé de préfixe « a »-mp caractéristique d’un substantif agentif et « m » morphème simple, propriété d’un agentif et du lexème «sikidy », art divinatoire. Ainsi, le « Ampisikidy » signifie littéralement l’agent qui opère le « sikidy », celui qui manipule la divination, qui assure l’art divinatoire dit « sikidy ». Ce dernier vient de l’arabe « Sichel »ou « Shkill » signifiant « figure » produit dans le cadre de la pratique divinatoire. Depuis 1617, la réputation du sikidy sur la côte Ouest de la grande île est reconnue. Le terme « Moasy » ou « Ombiasy » vient du swahili « mwasi » et signifie l’homme sacré, le saint . Il joue un rôle à la fois de « féticheur » de « thaumaturge » de « devin »et de « guérisseur ». Le tiers des Malagasy savait exercer l’art divinatoire par grains , souvent ils sont tous détenteurs d’« aody », mais la distinction n’est pas nette à ce propos jusqu’à maintenant, entre le faux et le vrais. C’est grâce à leur connaissance de l’origine d’un mal qu’ils peuvent lutter contre le mal dirigé contre leurs patients.
Plusieurs d’entre eux n’arrive pas à tenir leur serment de toujours faire le bien face à l’instigation des personnes de mauvais esprit qui, voulant du mal à un rival ou à un ennemi, les incitent à exhausser de mauvais vœux, en promettant de grosses récompenses. C’est pour cela même qu’il est difficile de décrire l’auteur du «mosavy». En fin de compte on sait que le « mpamosavy » utilise les « ody gasy» surtout les « ody ratsy ».
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE : QUALIFICATION DE LA SORCELLERIE
CHAPITRE I – LA SORCELLERIE, UN PHENOMENE SOCIAL
Section 1- La sorcellerie: Le « mosavy »
§ 1- Description du « Mosavy »
A- Le « Mosavy », l’acte
1- Un acte nuisible
2- Un acte redoutant
B- La notion du « mpamosavy »
1- La personne utilisant le « Mosavy »
2- Le « mosavy », le fournisseur
§ 2- Les (a)ody
A- Essai de définition
1- Genre de Ody
2- Types d’ (a)ody
a- Les « Ody » simples
b- Les « ody » complexes
B- La fonction des « ody »
1- Les « ody » bons charmes
2- Les « ody ratsy »ou « mauvais charmes »
Section 2- La sorcellerie, ses causes
§ 1- Multiplication des différends fonciers
A- Différend familial
1- La procédure en matière d’immatriculation
a- L’immatriculation individuelle
b- L’immatriculation collective ou le cadastre
2- La succession cause des différends fonciers familiaux
B- Différends avec d’autres personnes
1- La recherche des profits
2- Un abus de fonction par les fonctionaires
§ 2- Les actes attribués à la sorcellerie
A- Atteintes volontaires à l’intégrité physique
1-Provocation volontaire de décès
2- Atteinte à la santé
a- La maladie psychique
b- La maladie physique
B- Situation préjudiciable
1- L’abandon
2- L’echec
CHAPITRE II- LA SORCELLERIE, UN ACTEINFRACTIONNEL ?
Section 1- La sorcellerie: l’incrimination
§ 1- L’importance de la sorcellerie dans l’ancienne justice
A- Les Codes malgaches du 19ème siècle
B- Les coutumes judiciaires: Les ordalies
1- Caractéristiques des ordalies
a- Description du « Tangena »
b- Croyance à l’épreuve du « Tangena »
2- L’application du « tangena »
§ 2- La sorcellerie, dans la législation actuelle
A- La décriminalisation de la sorcellerie
B- Une Ombre Juridique
Section 2- La sorcellerie : la qualification juridique
A- Un acte ignoré par la loi
1- L’incrimination de la sorcellerie
2- Le problème sur la qualification des faits
B- La répression de la sorcellerie
DEUXIEME PARTIE : LA SORCELLERIE, LA DIVERGENCE
CHAPITRE I- LES PROBLEMES
Section 1- La divergence de position des justiciables
§ 1- L’emprise du christianisme
A-L’entrée du christianisme
B- Triomphe de la foi
§ 2 : L’emprise de la modernisation
A- Dans le milieu intellectuel
1- Les idéologies occidentaux
2- Dualité des cultures
B- Dans le milieu urbain
1- Lieu de concentration des intellectuels
2- La difficulté de survie
Section 2- La position du législateur
§ 1- Le principe sur l’incrimination
A- Sur l’exécution de l’acte
1-Infraction de commission
2-La défense d’assimilation de l’omission à l’action
B-Sur la répression de l’acte
1-Le résultat
2-La sanction
§2- Les difficultés de preuve
A-L’exigence d’une participation matérielle
1- L’auteur ou la participation directe
2-Le coauteur
B- Les obstacles majeurs
1-La nature de la participation
2-L’exigence d’un lien de cause à effet
CHAPITRE II -LA REALITE
Section 1- Les effets
§ 1- De l’insécurité sociale
A- De l’insécurité en général
1- Une atteinte à l’ordre social
2-L’insécurité foncière
B- Perte de confiance en la justice de l’Etat
§2 : Aggravation de la pauvreté
A- Le coût de la justice
1- Justice payante
2- Versement d’un pot de vin
B-Une perte avérée
1-Une perte de temps
2- Une perte des valeurs
Section 2- Les solutions
§1- Au niveau national
A- Une solution envisagée
1- Appel aux sorciers
2- L’élaboration d’un nouveau texte
B- Une solution en cours de réalisation, la politique foncière
1- La réalisation de la politique foncière
a- Les objectifs de la politique foncière
b- Nécessité d’une institution indépendante
2- Mise en œuvre de la politique foncière
§ 2- La solution en droit comparé
A- Chez certains pays africains
1- Les critiques contre la sorcellerie
2- Adoption des normes coutumières
B- La chasse aux sorcières en Europe
1- La lutte contre la sorcellerie en France
2- Le procès en matière de sorcellerie en Europe
CONCLUSION