Infirmière (IDE) depuis 12 ans, je me suis toujours sentie très sensibilisée et impliquée dans le soulagement des douleurs. J’ai donc obtenu un Diplôme Universitaire (DU) Douleurs en oncologie en 2015, et depuis j’ai rejoins le CLUD (Comité de Lutte contre la Douleur) de l’hôpital où je travaille. J’ai fait le choix de quitter les soins techniques il y a maintenant 2 ans et demi, par besoin de retrouver du sens au prendre soin des personnes. En effet, l’évolution de la charge du travail en services de médecine avec l’impossibilité de s’asseoir quand il le faut auprès des patients, l’impression de toujours devoir batailler pour faire avancer les prises en charge et défendre les patients dans leurs droits, notamment dans le soulagement des douleurs sans toujours être entendue ou soutenue par les équipes médicales… m’ont fait perdre le plaisir de m’occuper des patients et de leur famille. Je ne me reconnaissais plus dans mes valeurs personnelles et professionnelles, car quotidiennement je reconnaissais le besoin de temps, d’écoute et de soutien des personnes, et la plupart du temps je ne pouvais me rendre disponible. J’ai ainsi eu la chance d’intégrer une Equipe Mobile de Soins Palliatifs et d’Accompagnement (EMSPA) depuis 2018. Je me suis alors formée à la réflexologie plantaire en 2019 afin de pouvoir proposer un soin de bien-être et détente aux patients que nous accompagnons, soin qui parfois peut améliorer le soulagement des douleurs. L’équipe est composée d’un médecin à 50%, d’une cadre à 50%, d’une psychologue à 80% sur l’EMSPA et 20% sur le réseau de cancérologie (3C), de 2 infirmières (une à temps plein et moi à 80%), et d’une secrétaire (ancienne aide-soignante) à 50% sur l’EMSPA et 50% sur les 3C. Sur ces 2 dernières années, l’équipe s’est complètement reconstruite avec de nouvelles arrivées, et nous bâtissons petit à petit une nouvelle dynamique de travail en pluri et interdisciplinarité.
RECIT DE LA SITUATION CLINIQUE
Mme L est âgée de 41 ans, elle est célibataire et vit avec son fils de 15 ans, elle est très soutenue par son père. Elle travaillait dans la restauration avant son diagnostic de cancer. Elle a eu une hystérectomie totale et ovariectomie pour fibrome en août 2019. Elle est suivie depuis décembre 2019 sur Paris pour un cancer du col de l’utérus métastasé aux os (vertèbres de T9 à T12, sus claviculaire gauche) et au foie d’emblée. Elle a aussi une masse de la tête du pancréas d’allure primitive. Dés fin décembre 2019, elle bénéficie de radiothérapie et chimiothérapie concomitantes. Jusqu’à mai 2020 Mme L est toujours en cours de chimiothérapie près de son domicile. Elle conserve son autonomie, et ne présente que peu de symptômes. Elle présente périodiquement des douleurs dorsales majoritairement, avec des neuropathies des membres supérieurs. Elles ont été soulagées par une chirurgie vertébrale (laminectomie + arthrodèse), de la radiothérapie à visée antalgique de T8 à L1, et un traitement médicamenteux associant Paracétamol® et Prégabaline® 100 mg. En juin, elle est hospitalisée une première fois dans l’hôpital où je travaille, dans le service de médecine à orientation oncologique pour AEG (Altération de l’Etat Général), avec une asthénie et des vomissements post-chimiothérapie. Les examens montrent une progression de sa maladie cancéreuse avec des ADP (Adénopathies) ganglionnaires et diaphragmatiques multiples, de nouvelles métastases pulmonaires et de nouvelles lésions osseuses de C5 à C7. Au bout de 3 jours, elle est transférée dans un SSR Oncologique (Service de Soins de Suite et de Réadaptation) en région parisienne, la patiente souhaitant bénéficier de kinésithérapie avant son retour au domicile pour retrouver son autonomie.
Entre juin et novembre 2020, il y a des phases de majoration de ses douleurs dorsales, du cou et des bras. Elle bénéficie de radiothérapie antalgique du creux sus claviculaire gauche et du rachis de C4 à T2. Son traitement médicamenteux est réajusté lors de ses suivis sur Paris, elle est alors soulagée par l’instauration d’un patch de Fentanyl (Durogésic® 50µg), des interdoses d’Actiskénan® et du Paracétamol®. Progressivement, la dose d’opioïdes est majorée chaque mois, et lors de sa dernière cure de chimiothérapie le 28/10/2020 un RDV de consultation douleurs est fixé au 12/11 avec un spécialiste sur l’hôpital. Dernièrement son état général se dégrade avec une anorexie, elle est alimentée par voie parentérale la nuit au domicile mais conserve son autonomie malgré la fatigue. Le 9 novembre 2020, elle est à nouveau hospitalisée dans le service de médecine à orientation oncologique, par son Infirmier libéral (IDEL) pour AEG, asthénie majeure depuis plusieurs jours, douleurs diffuses en aggravation depuis 2 semaines, et fièvre depuis ce jour. La situation de Mme L nous est présentée le matin du 10 novembre en staff oncologie.
ANALYSE DE LA SITUATION
Problèmes posés par cette situation
– Femme jeune, ayant un fils mineur.
Elle n’a probablement pas fait le bilan de sa vie. Son fils n’est probablement pas prêt non plus à la fin de vie de sa maman. L’approche de la fin de vie chez une personne jeune n’est pas semblable à d’autres accompagnements. L’équipe médicale et soignante du service de médecine n’est d’ailleurs pas investie de la même manière dans ce type de prise en charge, et l’identification facile leur rend les soins et l’accompagnement plus difficile. L’âge est un facteur qui vient alors complexifier la situation de fin de vie et l’EMSPA est plus sollicitée pour aider patient, proches et soignants dans l’accompagnement.
– Diagnostic récent d’un cancer poly métastasé en phase palliative symptomatologique, voir terminale.
– Evolution clinique rapide avec perte d’autonomie en quelques semaines. Pas d’AEG pendant 1 an, avec une temporalité courte en moins de 6 mois où l’état général de la patiente va sérieusement décliner.
– Méconnaissance de ce que sait la patiente concernant l’évolution de sa maladie.
– Au début d’hospitalisation, méconnaissance de ce que savent les proches et comment ils vivent cela.
– Pas de décision de projet de soins palliatifs jusque là. Ce n’est pas clair pour la prise en charge, et cela va jouer dans les décisions de traitements, notamment dans la balance des antalgiques et leurs effets (bénéfices /risques).
– Douleurs mixtes non contrôlées par les traitements.
– Nécessité de temps pour adapter les antalgiques.
– Hospitalisation retardée due au refus de la patiente avec un retard de la possibilité de réadapter les traitements et de soulagement.
– Peu de communication avec la patiente du fait de sa somnolence.
– Les contraintes de la temporalité en soins palliatifs, notamment en phase terminale.
– Il faut parfois du temps pour établir une relation de confiance et permettre au patient de se sentir en sécurité et s’autoriser à verbaliser ses angoisses.
– Il y a aussi une différence de temporalité entre les différents intervenants dans cette situation.
o La patiente ne veut pas d’hospitalisation et ne veut pas mourir. Elle n’est probablement pas prête à supporter psychologiquement son AEG et sa fin de vie ?
o N’y a-t-il pas aussi un décalage entre la temporalité du médecin et ma temporalité sur la notion du double effet des antalgiques ? Notamment lorsque je vis particulièrement mal l’accompagnement et le non soulagement du 13 novembre. Grâce au DU, j’ai pu échanger à postériori avec ce Dr sur nos vécus respectifs de cette situation et mettre un sens sur nos différences de point de vue et de propositions thérapeutiques. J’ai pu comprendre que nous n’avions pas la même évaluation de la situation clinique d’où une divergence d’accord dans la balance des effets des antalgiques. Il y a eu une nuance importante entre nos 2 visions du prendre soin dans cette situation. L’objectif thérapeutique n’était pas le même en fonction de nos priorités, nos situations d’accompagnement précédemment vécues, et nos diplômes respectifs. Elle craignait un risque de surdosage en morphiniques et d’être rendue responsable d’un décès ; car de son point de vue il lui manquait des données cliniques d’imagerie et de biologie confirmant l’aggravation de la maladie et cela lui manquait pour oser risquer un surdosage. Alors que de mon point de vue, il m’importait surtout de soulager la patiente ; pour moi il n’y avait pas de risque de surdosage en morphiniques car on avait progressivement augmenté les doses et respecté les limites d’administration préconisées. Pour moi il n’y avait pas de mésusage des morphiniques, ni d’erreur de prescription entrainant alors un surdosage. Nous étions il me semble, réellement contraint d’augmenter les antalgiques pour soulager Mme L, qui était en phase palliative symptomatologique voire terminale où notre priorité était son confort, risquant les effets secondaires des morphiniques ; et c’est là la différence subtile entre un surdosage et la notion de double effet. J’en comprends maintenant qu’une discussion collégiale « organisée », hors de ce contexte d’angoisse majeure pour moi de rester impuissante face à la douleur de Mme L, nous aurait permis de mieux expliquer notre interprétation de toute la situation, nos points de vue, et de recentrer sur la clinique clairement inconfortable de Mme L. Pour au final, malgré nos différences de points de vue, opter vers le moindre mal pour tous ; les soins et thérapeutiques alors décidés auraient eu plus de sens.
Problèmes que me pose cette situation
Les difficultés de l’accompagnement et du soutien lorsqu’il y a la somnolence :
– Quelles sont les raisons de la difficulté relationnelle avec Mme L ? Je me questionne sur ses yeux qui se ferment sans cesse et sa somnolence lors de notre première rencontre. La somnolence est-elle due à une asthénie majeure liée à l’évolution de sa maladie ? Ou est-ce par choix pour essayer de contrôler ses douleurs ? Ou par évitement ou fuite par mécanisme de défense vis-à-vis de l’aggravation de son état et de notre venue ? Ou encore un signe de surdosage aux opioïdes car Mme L augmentait elle-même ses patchs d’opioïdes et a eu de la fièvre?
– Dés le début de l’accompagnement de Mme L, je pense qu’il m’est difficile d’accepter la privation d’évaluation de sa souffrance morale. Ce n’est qu’avec du recul que je comprends qu’à notre première rencontre, en premier plan il y avait les douleurs physiques, et qu’il était nécessaire de la soulager physiquement pour ouvrir ensuite la possibilité d’évaluer et soulager sa souffrance morale.
– Ensuite, lors de chacune de mes rencontres avec Mme L il y a peu d’échanges. Sa somnolence et ses douleurs ne me permettent pas de l’aider à verbaliser son vécu, ses craintes, ses questions… De nouveau, je me sens privée du rôle de soutien de la souffrance morale, où le 12/11 moins somnolente elle a pu verbaliser ses souffrances concernant son fils à mes collègues (cadre et médecin).
– Par les transmissions de ses IDEL, je sais qu’elle avait peur de mourir, peur de l’hospitalisation. Or d’habitude en EMSPA on est plutôt « vierge » de l’histoire de vie du patient et de son vécu avant de le rencontrer. Dans cette situation, j’ai trop d’informations sur elle par rapport à d’habitude et j’ai l’impression de savoir à l’avance ce dont elle a besoin. Dans ma tête, avant de la rencontrer, j’interprète malgré-moi (sachant bien qu’il ne faut jamais interpréter en relation d’aide), ce refus d’hospitalisation. Je me dis qu’elle doit certainement se protéger psychologiquement de sa peur de mourir ; un peu comme si de rester à domicile lui permettrait de vivre ? Et que pour elle à l’hôpital on y meurt comme dans beaucoup de pensées ? Pour moi, elle a sûrement beaucoup d’angoisses face à son AEG et une de nos missions d’EMSPA est d’offrir la possibilité aux patients de parler librement de leurs craintes face à la mort. Dans cette situation, j’éprouve un sentiment de frustration plus grand de n’avoir pu lui offrir un espace neutre pour en parler. J’ai l’idée aussi que peut-être le temps au domicile lui avait suffit ? Et peut-être n’était-elle pas en capacité d’aborder sa fin de vie et que ses mécanismes de défense la protégeaient ?
– Par ailleurs était-ce ma mission de lui offrir cet espace neutre dans cette situation ? Après coup et échanges avec mes collègues, il manque une compétence dans l’équipe EMSPA, notre psychologue est absente depuis plusieurs mois. Ainsi nous sommes beaucoup plus sollicités sur du soutien moral, et je pense me mettre plus de pression et d’attentes vis-à-vis de moi-même et de mes compétences infirmières.
– Dans cette situation, sur le moment j’ai l’impression de ne pas avoir été au bout de mes missions et de n’avoir pu que « survoler » l’évaluation de ses inconforts, en tout cas ne pas avoir suffisamment atténué ses souffrances. Cette somnolence pose toute la difficulté du non retour et du non échange dans un entretien mené par une EMSPA.
Toutefois, avec du recul encore, en écrivant cette situation, je me rends compte maintenant de la relation et des retours que Mme L renvoyait malgré sa somnolence. Par rapport à son vécu, dans le non verbal elle a pu exprimer 95% de douleurs mais aussi 5% de sourires… Il n’y a pas eu de non retour ni de non échange, mais une communication différente.
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Table des matières
1. INTRODUCTION
2. RECIT DE LA SITUATION CLINIQUE
3. ANALYSE DE LA SITUATION
1) Problèmes posés par cette situation
2) Problèmes que me pose cette situation
3) La problématique que j’ai choisie de développer
4. LA RECHERCHE DOCUMENTAIRE
1) LA SOMNOLENCE EN PHASE PALLIATIVE
1) Somnolence : généralités
2) Etiologies
3) Somnolence en phase palliative
4) Différents termes proches de la somnolence (fatigue, asthénie, états de conscience modifiés, sédation)
5) Conséquences
2) LES RESSOURCES THERAPEUTIQUES FACE A LA SOMNOLENCE
1) Evaluation de la somnolence
2) Traitement de la somnolence
5. SYNTHESE ET DISCUSSION
1) FAUT-IL CORRIGER LA SOMNOLENCE EN PHASE PALLIATIVE
2) QUELLE POSTURE SOIGNANTE POUR ACCOMPAGNER AU MIEUX
MALGRE LA SOMNOLENCE ?
6. CONCLUSION
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