La sociologie de l’expérience scolaire
Description et analyse des résultats:
Ce chapitre est à la fois consacré à la description et à l’analyse des résultats de cette recherche. La première partie présente les acteurs participants à la recherche, commençant par leur portrait descriptif suivi de leur parcours scolaire. La seconde partie est dédiée à l’analyse des données recueillies. La théorie de l’action de la sociologie de l’expérience scolaire sert de cadre d’analyse (Dubet 1994a; Dubet & Martuccelli, 1996a, 1998). Les données ont d’abord été thématisées puis classées sous les différentes logiques d’action (logique de l’intégration, de la stratégie et de la subjectivation) auxquelles elles se rattachent. L’expérience scolaire des acteurs participants est ainsi décomposée en logique, ce qui facilite par la suite la compréhension du sens de leur expérience.
Présentation des acteurs participants à la recherche:
Sous couvert de l’anonymat, sept acteurs participants ont pris part à la recherche. Plus spécifiquement, sept ont participé au dessin-entretien et six au groupe de discussion. Pour respecter et protéger la confidentialité de ces étudiants, un prénom fictif leur a été attribué : Jane, Mitesh, Kelya, Lilia, Samia, Emy et Tom. Comme il sera possible de le constater, les différentes caractéristiques de chaque étudiant révèlent leur diversité. Cependant, les critères de sélection des répondants ont permis une certaine significativité (Blanchet & Chardenet, 2011).
Le portrait descriptif des acteurs participants
La partie suivante présente les principales caractéristiques sociodémographiques des répondants. D’abord, ils étaient âgés entre 23 et 30 ans au moment de la collecte. La moyenne d’âge est d’environ 25 ans et demi. Il s’agit de six femmes et d’un homme. Sur les sept, trois proviennent de la nation innue, deux de la nation Attikamek et deux de nations différentes (Innue/Huronne-wendate et Innue/Crie). En ce qui concerne le lieu de résidence des étudiants rencontrés, tous habitaient un logement loué dans la ville de Chicoutimi (ville où se situe l’UQAC) au moment de la collecte. Pour certains, leur déménagement de la communauté autochtone à cette ville remontait à plus de dix ans alors que pour d’autres, cela remontait à moins d’un an.
À propos de leur contexte familial, tous sont issus d’une famille où la mère et le père étaient présents, mais les parents de deux d’entre eux ont divorcé durant leur parcours scolaire. Tous ont au moins deux frères ou sœurs et deux étudiants ont des enfants.
Quant à leurs principales sources de revenus, deux étudiants avaient un emploi rémunéré d’environ dix heures par semaine dans un domaine connexe à leur branche d’étude au moment de la collecte. Pour six étudiants, l’allocation d’étude qui leur était attribuée par leur Conseil de bande constituait leur principale source de revenus. Pour l’autre personne, il s’agissait de son emploi et du chômage. Le tableau suivant présente les principales données sociodémographiques décrites pour chacun des étudiants rencontrés.
Le parcours scolaire des acteurs participants
Au sujet des caractéristiques de leur parcours scolaire, les sept acteurs participants ont fréquenté l’école primaire de leur communauté autochtone. Trois ont complété leur parcours secondaire dans l’école de leur communauté, un l’a complété jusqu’en secondaire trois, mais comme le niveau d’enseignement s’arrêtait là, il a dû transférer dans une polyvalente du réseau public québécois d’une ville avoisinante pour compléter son secondaire. Un autre a fait le même changement, mais en raison du fait que sa famille a déménagé en dehors de sa communauté autochtone. Soit par choix personnel ou par obligation parentale, les deux autres ont d’abord fréquenté une école privée pour ensuite se diriger vers le réseau public québécois. Les sept répondants possèdent un diplôme d’études secondaires (D.E.S.). Concernant leur cheminement collégial, tous les sept ont fréquenté un cégep et six ont obtenu leur diplôme d’études collégiales (D.E.C.). Un étudiant n’a pas terminé cette formation, car il a reçu une offre d’emploi qu’il a acceptée à la dernière année de sa technique. En ce qui a trait au domaine d’études privilégié au collégial, trois possèdent un diplôme préuniversitaire en sciences humaines, un en arts plastiques et trois autres un diplôme technique (design de mode, sciences comptables et hygiène dentaire). Trois d’entre eux ont fréquenté un ou des cégeps de la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean (Cégep d’Alma, Cégep de Chicoutimi, Cégep de Saint-Félicien et Cégep de Jonquière), deux un cégep de la région de Montréal (Cégep Édouard-MontPetit et Collège La Salle) et deux ont commencé leurs études préuniversitaires dans un cégep de la région de Montréal pour le terminer dans un cégep plus près de leur communauté (Cégep de Baie-Comeau et Cégep de Chicoutimi). À propos de leur cheminement universitaire, six des sept étudiants rencontrés étaient en train de compléter un baccalauréat et un autre faisait un certificat au moment de la collecte. Leurs domaines d’études universitaires étaient majoritairement liés aux sciences humaines (enseignement, psychologie, administration, art et intervention jeunesse), mis à part un qui complétait un baccalauréat en sciences comptables. A propos de l’avancement de leurs études universitaires, cinq étaient à miparcours et deux étaient dans leur dernière année avant d’obtenir leur diplôme.
Les étudiants rencontrés ont vécu plusieurs changements pendant leur cheminement scolaire. D’une part, trois sur sept ont changé au moins une fois de programme d’études. D’autre part, trois des sept étudiants ont changé d’école durant leurs études postsecondaires (excluant la transition cégep-université). Plus spécifiquement, deux lors de leur parcours collégial et un lors de son parcours collégial et universitaire.
Pour ce qui est de la scolarité familiale, six des sept étudiants rencontrés ont au moins un membre de leur famille qui a fréquenté l’Université. Cela dit, quatre ont affirmé que le plus haut diplôme atteint dans leur famille est un baccalauréat, un une maîtrise, un un diplôme d’étude professionnelle (DEP) et un ne le sait pas. Le tableau suivant illustre globalement le portrait scolaire décrit pour chacun des étudiants rencontrés.
L’expérience scolaire du groupe d’étudiants à l’étude:
L’objectif central de l’analyse des données a été de saisir le sens de l’expérience scolaire du groupe d’étudiants des Premières Nations interrogés et d’en arriver à un cadre explicatif. Cet exercice a permis de remettre en contexte les données thématisées sous les trois logiques d’action abordées dans le cadre théorique. Suivant ce cadre de référence, trois sections présentent les résultats tirés de l’analyse des données. Il s’agit de l’expérience scolaire des acteurs participants quant à : 1) la logique de l’intégration, 2) la logique de la stratégie et 3) la logique de la subjectivation. Les thèmes ressortis en lien avec ces logiques viennent majoritairement des choix faits par les étudiants rencontrés lors de la dernière phase du dessin-entretien, celle du dessin-entretien collectif (image 1). Afin de faciliter le repérage des éléments du dessin-entretien collectif (image 1) relevés tout au long de cette partie, des lettres ont été apposées près d’eux. En lien avec ces thèmes, des sous-thèmes ont été créés. Ces sous-thèmes sont de brèves expressions qui permettent de nommer la signification perceptible à travers une lecture conceptuelle du matériel de recherche. Il est à noter que pour des raisons de confidentialité et vu le petit nombre d’acteurs participants, seul le générique masculin est utilisé, et ce, sans aucune discrimination et uniquement dans un but d’anonymat. Le nominal a été éloigné dans la mesure du possible des propos collectés.
La socialisation. Par la socialisation, la façon d’agir des acteurs participants est précédée par la manière dont ils ont appris et intériorisé des normes, des valeurs, des modèles culturels, des croyances, des rôles et des identités (Dubet, 2007) .
L’éducation comme valeur: un legs familial . La famille a grandement conditionné la socialisation des étudiants rencontrés. Elle a influencé l’expérience scolaire des persévérants des Premières Nations, et ce, d’une façon positive. D’abord, pour la majorité des répondants, leurs parents ont tenu à ce qu’ils réussissent à l’école. Ainsi, ils avaient des attentes familiales élevées. Plusieurs parents ont encouragé leurs enfants à passer leurs cours et certains à avoir de bonnes notes : « Tu sais, que mes parents m’encouragent d’aller à l’école, c’est important pour moi. Comme quand j’ai décidé d’aller étudier en orthophonie et que ma mère me dise « c’est une bonne idéey \je suis content. C’est important pour moi leurs encouragements » (Jane). Un autre a ajouté «j’ai toujours eu l’appui de mes parents pour étudier et j’ai de la facilité à l’école. 99 C’est plein de facilités que j’ai eues qui ont fait que je me suis rendu là, je pense» (Mitesh).
De plus, les acteurs participants ont indiqué que la valeur et l’importance qu’ils attribuent à leur éducation leur ont été transmises par leur famille : « Parce que mes parents, eux, ils travaillent les deux. Ils nous ont tout le temps obligés d’aller à Vécole. L’école c’était important. Et je pense qu’on a pas mal eu ça comme valeur» (Lilia). Ainsi, la valeur symbolique que les répondants donnent à leur réussite scolaire est certainement influencée par la famille. D’ailleurs, un étudiant a souligné que « l’important pour eux autres [ses parents], c’est que j’ai de l’éducation et que je fasse ce que j’aime. Ils m’ont toujours répété ça. […] Mon père a genre sa deuxième année du primaire. Il a passé sa vie à haïr sa job. Il tient vraiment à ce qu’on réussisse notre vie dans un sens » (Mitesh).
Le rôle des modèles dans l’aspiration aux études supérieures. Des modèles ont inspiré signifîcativement plusieurs étudiants à persévérer. Par exemple, deux étudiants ont confié qu’ils avaient toujours souhaité faire un baccalauréat parce que leur mère en possédait un. Par ailleurs, rappelons que presque tous les acteurs participants ont un parent ou un membre de leur famille plus éloignée qui a fréquenté l’Université et dont la majorité d’entre eux ont obtenu un diplôme.
Interprétation des résultats:
Ce chapitre présente l’interprétation des résultats de recherche31 . Il met en relief les significations du discours des répondants, tout en faisant un rapprochement avec les positions théoriques de cette recherche. De cette manière, la sociologie de l’action a servi de cadre d’interprétation aux données (Dubet, 1994a; Dubet & Martuccelli, 1996a5 1998). Par ailleurs, les éléments d’analyse sont comparés et confrontés dans une perspective plus large aux résultats d’autres recherches qui se sont intéressées au même objet. L’interprétation tient alors compte des considérations émises par différentes études qui se sont intéressées à la réussite scolaire d’étudiants autochtones.
L’expérience scolaire des persévérants universitaires des Premières Nations : entre l’influence du social et leur autonomie d’action :
Cette section concerne l’expérience scolaire des étudiants rencontrés quant aux différents types de pression qui les entourent. Dans un premier temps, il est question des tensions sociales qui caractérisent et influencent l’expérience scolaire des participants (objectif 1.1 et 1.2). Dans un deuxième temps, il est question des tensions des acteurs qui caractérisent et influencent leur expérience scolaire (objectif 1.3). Enfin, par une approche comprehensive, des pistes de réflexion quant au sens de l’expérience scolaire des participants sont amenées (objectif 1).
L’influence du social sur l’expérience scolaire des persévérants
La partie suivante présente les éléments du social qui ont influencé l’expérience scolaire des étudiants interrogés. Ainsi, il s’agit de tensions « externes » imposées aux étudiants. Ces tensions sont liées à la logique de l’intégration et de la stratégie.
Les caractéristiques qui influencent la logique de l’intégration. Dans le cadre de cette recherche, les caractéristiques influençant la logique de l’intégration sont liées aux valeurs familiales et aux personnes significatives du passé des étudiants, aux fait d’être membre d’une Première Nation, à l’intégration universitaire et à l’appartenance sociale.
Les impacts d’acteurs significatifs dans le processus de persévérance scolaire.
Une des caractéristiques de l’expérience scolaire de tous les persévérants est l’importance accordée à l’éducation chez les membres de leur famille. Ces derniers leur ont transmis cette valeur. De cette façon, les parents des répondants ont démontré des aspirations scolaires élevées pour leurs enfants. Il en résulte que la symbolique positive entourant le monde scolaire, ainsi que l’importance qui lui était accordée dans la culture familiale dans laquelle ils ont évolué ont influencé favorablement leur cheminement scolaire (Bruner, 2008). D’ailleurs, Bruner (2008) affirme que des attentes et des aspirations familiales trop faibles peuvent nuire à la réussite scolaire .
Conclusion:
Le problème de la faible scolarisation universitaire des étudiants des Premières Nations est fortement documenté, notamment en ce qui a trait aux nombreux facteurs de décrochage scolaire auxquels une majorité de ces étudiants font face. De plus, les statistiques à ce sujet informent que peu d’entre eux persévèrent et réussissent aux études universitaires. Rappelons qu’au Québec, près de la moitié des membres des Premières Nations (46,3 %) n’ont pas de diplôme et que seulement 5,6 % de cette population possèdent un diplôme universitaire (MELS, 2008). En se fiant à ces informations, il est tentant d’affirmer que le fait d’être membre des Premières Nations mène directement au décrochage scolaire. Cela dit, certains de ces étudiants ont une réussite scolaire exceptionnelle et leur cheminement scolaire est caractérisé de statistiquement atypique (Rochex, 1995).
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Table des matières
Introduction
1. Problématique
1.1 Un survol historique de l’éducation des Premières Nations
1.1.1 De l’arrivée des premiers colons à 1970
1.1.2 De 1970 à aujourd’hui
1.1.3 Aujourd’hui, au Québec
1.2. La problématique de recherche
1.2.1 Quelques statistiques sur la scolarisation des Premières Nations
1.2.2 Une recension des écrits sur l’éducation postsecondaire des
Premières Nations
1.2.3 La problématisation de recherche
2. Cadre théorique
2.1 L’acteur persévérant et son expérience scolaire
2.1.1 Le cadre conceptuel
2.1.2 L’acteur et son expérience
2.2 La sociologie de l’expérience scolaire
2.2.1 La schématisation des choix théoriques
3. Cadre méthodologique
3.1 Le type de recherche
3.1.1 La subjectivité de la chercheure
3.2 Le devis méthodologique
3.2.1 Le groupe d’étudiants à l’étude
3.2.2 La démarche de collecte de données
3.2.3 Les méthodes de collecte de données
3.3 La démarche d’analyse et d’interprétation des données
3.3.1 L’analyse thématique
4. Description et analyse des résultats
4.1 Présentation des acteurs participants à la recherche
4.1.1 Le portrait descriptif des acteurs participants
4.1.2 Le parcours scolaire des acteurs participants
4.2 L’expérience scolaire du groupe d’étudiants à l’étude
4.2.1 La logique de l’intégration : la socialisation et l’appartenance
4.2.2 La logique de la stratégie : l’action raisonnée
4.2.3 La logique de la subjectivation : la maîtrise de son action
5. Interprétation des résultats
5.1 L’expérience scolaire des persévérants universitaires des Premières
Nations : entre l’influence du social et leur autonomie d’action
5.1.1 L’influence du social sur l’expérience scolaire des persévérants
5.1.2 L’autonomie d’action des persévérants sur leur expérience scolaire
Conclusion
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