La société postmoderne, le pessimisme et les psychopathologies
L’optimisme partiel et le programme d’apprentissage de l’optimisme (Seligman) De l’impuissance acquise au pessimisme
Dans son livre « Apprendre l’optimisme », Seligman (1994) nous invite à retracer sa démarche réflexive qui l’a mené vers une psychologie positive. Ses découvertes des années 70 sur l’impuissance acquise (learned helplessness) vont progressivement amener Seligman à se pencher sur le phénomène du pessimisme. L ‘impuissance acquise représente l’état dans lequel un individu se retrouve lorsqu’il croit qu’aucun de ses choix n’aura d’incidence sur les événements. Ce concept serait au cœur, nous dit-il, du phénomène du pessimisme. Dans un développement psychologique sain, lorsque les besoins psychologiques et physiques de l’enfant sont satisfaits, on assiste au passage de l’impuissance totale, qui constitue l’état du nourrisson, à la maitrise personnelle, c’est-à dire à la capacité d’influencer les événements par des actes volontaires. Bien que de nombreuses dimensions de la vie échappent nécessairement à la volonté de l’individu, plusieurs présentent, en revanche, des possibilités d’actions telles que la manière de vivre, le type de relations entretenues avec les autres ou la nature des activités sportives ou parascolaires. Or, « la façon même dont on considère ce domaine de la vie peut [ … ] affaiblir ou renforcer la maitrise que l’on a sur lui. Car la pensée ne se réduit pas à une simple réaction aux événements: elle les modifie. » (Seligman, 1994, p. 17). Ainsi, une personne qui se considère incapable de faire face à une situation risquera de se sentir impuissante devant ce type de situation. Toutefois, tel qu’il en sera discuté sous peu, en identifiant clairement ses possibilités d’actions, le jeune sera appelé à se mobiliser pour changer sa philosophie de vie.Abramson, Seligman et Teasdale (1978) se sont intéressés à cette façon qu’ont les individus d’interpréter les événements de vie qui tirerait ses racines de l’impuissance acquise. Ils les appellent les modes d ‘explication (ou styles attributionnels ou explicatifs) qui sont de véritables habitudes mentales. Or, à l’instar des découvertes cognitives concernant la capacité effective qu’a l’individu de choisir sa manière de penser, les auteurs ont entrepris d’étudier ces modes d’explication, parfois nuisibles pour l’équilibre psychologique, afin d’explorer la façon de les modifier. C’est ainsi que les modes d’explication pessimistes et les modes d’explication optimistes ont pu être identifiés. Ces modes d’explication s’avèreraient d’autant plus importants qu’ils agiraient comme modulateurs du sentiment d’impuissance. Ainsi, un mode d’explication optimiste arrêterait le sentiment d’impuissance et dynamiserait l’ individu alors qu’un mode pessimiste aurait pour effet de le démobiliser en augmentant son sentiment d’impuissance (Seligman, 1994). Or, puisque l’optimisme et le pessimisme relèvent d’un mode d’explication, ils peuvent être modifiables.
Du pessimisme à la dépression
Dans une étude réalisée en 1987, une augmentation importante du taux de dépression chez les adolescents interpelle Seligman (1995)1. Il tente alors de découvrir l’origine des dépressions courantes que connait le monde occidental. Selon lui, quatre critères fondamentaux permettent d’identifier un état dépressif : 1) changement négatif de la pensée (transformation de l’image qu’on a de soi, du monde et de l’avenir);
2) changement d’humeur (tristesse, découragement, désespoir); 3) changement de comportement (passivité, indécision et action suicidaire); et 4) changement des fonctions physiologiques (problèmes de sommeil et d’appétit. Plus les symptômes correspondant à ces critères sont nombreux, plus l’intensité est grande et plus il est possible d’identifier l’état dépressif). L’auteur énonce en ce sens que « l’individu ayant un mode d’explication pessimiste deviendra probablement dépressif en cas de malheur alors que celui qui manifeste un mode d’explication optimiste, mis face à des événements identiques, résistera mieux à la dépression » (Seligman, 1994, p. 65). Ainsi, le style d’interprétation des événements du pessimiste favoriserait la dépression. Par exemple, devant un échec, les sentiments d’impuissance transitoire et limitée qui sont tout à fait normaux seraient transformés par les pessimistes en impuissance durable et généralisée. L’espoir ou le désespoir seraient au cœur de ce mécanisme. En effet, le pessimiste qui privilégie un mode d’explication en identifiant des causes permanentes et générales à son échec va, sans s’en rendre compte, projeter son échec présent dans l’avenir et les situations à venir « ( je ne réussirai jamais mes études »). De plus, si l’individu se met comme étant à l’origine du problème (personnalisation), son estime personnelle se verra ébranlée, ce qui le fragilisera davantage.
Afin de démontrer le lien entre le pessimisme et la dépression, Seligman entreprend, avec ses collègues, diverses recherches en utilisant son outil de mesure le ASQ. L’une de ces recherches (Seligman et al., 1984) a été menée auprès d’une centaine d’élèves âgés entre 8 et 13 ans. Deux questionnaires leur ont été administrés à deux reprises avec un intervalle de six mois (le CASQ – Children ‘s Attributional Style Questionnaire [Kaslow et al., 1978] et le CDI – Children ‘s Depression Inventory [Kovacs & Beck, 1977]). Les résultats ont indiqué que les individus au mode explicatif pessimiste présentaient davantage de symptômes dépressifs que ceux ayant adopté un mode d’explication optimiste. De plus, le mode d’explication pessimiste était en mesure de prédire l’apparition de symptômes dépressifs six mois suivant l’administration du test, suggérant ainsi que ce mode pessimiste représentait un facteur de risque pour l’apparition d’une dépression.
|
Table des matières
Sommaire
Liste des tableaux
Liste des figures
Remerciements
Introduction
Chapitre 1. La société postmoderne, le pessimisme et les psychopathologies
Un point de vue philosophique et social sur le pessimisme
L’adolescence et la société postmoderne
L’adolescence et la redéfinition identitaire
L’adolescence et la dépression
Chapitre 2. L’optimisme
Un point de vue psychologique: vers une psychologie positive, du pessimisme à l’optimisme
L’historique des concepts de l’optimisme et du pessimisme
Les instruments de mesure et les recherches sur l’optimisme
L’optimisme partiel et l’optimisme global selon Peterson
Chapitre 3. Peut-on développer l’optimisme?
L’optimisme partiel et le programme d’apprentissage de l’optimisme (Seligman)
De l’impuissance acquise au pessimisme
Du pessimisme à la dépression
De l’impuissance acquise à l’optimisme acquis: un programme d’intervention
La limite de ce programme
L’optimisme global et la thérapie d’acceptation et d’engagement (Hayes)
La théorie des cadres relationnels : les processus langagiers et cognitifs
La thérapie d’acceptation et d’engagement, une thérapie expérientielle
Axe 1 : l’acceptation
Axe 1 : la défusion cognitive
Axe 2 : le Soi comme contexte
Axe 2 : le moment présent
Axe 3 : les valeurs
Axe 3 : l’engagement dans l’action
L’efficacité de la thérapie d’acceptation et d’engagement
Chapitre 4. Vers un optimisme partiel et global: Essai d’intégration des deux approches dans un modèle d’intervention individuel auprès d’adolescents
Conclusion
Références
Appendice A. Apprendre l’ optim isme, étape 1, exemples d’adversité (Seligman, 1994)
Appendice B. Apprendre l’optimisme, étape 2, exemples pour le journal de bord (Seligman, 1994)
Appendice C. Apprendre l’optimisme, étape 3, exemples de réfutation (Seligman, 1994)
Appendice D. ACT-Axe 1 – Acceptation et défusion cognitive, exemples de métaphores (Monestès & Villatte, 20 II)
Appendice E. ACT-Axe 2 – Le soi comme contexte et contact avec le moment présent exemples de métaphores (Monestès & Villatte, 2011)
Appendice F. ACT-Axe 3 – La clarification des valeurs et l’engagement dans l’action exemples d’exercices (Monestès & Villatte, 2011)
Télécharger le rapport complet