La société face au handicap : évolution des termes, du regard et du lien à l’Autre
Folie et handicap à travers le temps
« Les handicapés à long terme ne sont ni malades,
ni en bonne santé, ni vivants ni morts,
ni en dehors de la société, ni pleinement à l’intérieur. »,
Robert Murphy, (“The body silent”, 1987).
De l’infirmité au handicap- le fou une place à part, en dehors
Sticker, Foucault, Fougeyrollas , Quétel ont montré que chaque société a donné un statut particulier aux personnes « hors normes ». Ce statut est lié au rapport qu’entretient la société avec le/les Dieu/x. Durant la Haute Antiquité les marques d’infirmité étaient associées à une puissance divine. Les différences étaient l’expression d’un « au-delà ». Les « fous» ont alors une fonction d’ordre symbolique.
Lorsque la société, à partir du IVe siècle avant JC, n’associa plus les signes de la folie comme une altérité dépendant d’une manifestation divine, les personnes jugées comme différentes purent alors être traitées, positionnées dans le champ d’action des sciences et de la médecine de l’époque et ainsi être circonscrites dans un espace dédié. La chute de l’empire Romain qui avait défini un cadre dans lequel étaient pensées les caractéristiques du traitement social de la folie laisse place à une société organisée autour du christianisme dans le monde occidental qui tantôt faisait preuve de charité et de tolérance, tantôt excluait sur le principe d’association des troubles à une punition divine ou à une possession maléfique.
Le Moyen-Âge accordait ainsi un statut particulier aux infirmes et les distingue entre eux. Les nains étaient alors perçus comme amusants et se mettaient au service des puissants comme bouffons, les bossus conjuraient le mauvais sort… Ainsi, au début du Moyen Âge, la folie était généralement acceptée et nous pourrions dire intégrée dans la société. Les fous n’étaient pas condamnés ou persécutés, et recevaient la charité de par leur condition ; l’Église considérant le fou comme l’innocent ou le pauvre d’esprit auquel le Christ a promis le Royaume des Cieux. La personne présentant un handicap psychique avait donc sa place, une place à part justifiée par sa particularité qui ne lui permettait pas d’accéder à l’ensemble des places ou rôles de la société. Elle avait cependant une place dans la société, une place prédéterminée.
La deuxième moitié du Moyen Âge a été caractérisée par la peur des autres, du lointain, de l’inconnu mais aussi des maladies, des guerres, de la violence, etc. L’Église qui jusqu’alors acceptait les fous, en vinait alors à les condamner. La folie était assimilée à un péché, à de la sorcellerie ; les fous étaient possédés par le Diable, ils étaient donc persécutés. Durant cette période, des milliers de personnes dont 80% de femmes furent pendues ou le plus souvent brûlées vives pour avoir vendu leurs âmes au diable ; ce qui était ‘‘prouvé’’, par exemple, par le fait que certaines étaient rousses !
Parallèlement, un discours juridique et scientifique naquit alors s’autonomisant face au discours théologique qui permit la mise en place de lois organisant la prise en charge par l’assistance publique des nécessiteux, marginalisés, stigmatisés, ségrégués en bordure des villes.
Les femmes, possédées, outil du « malin »
La sorcière, femme qui avait des pouvoirs, une connaissance de la magie, faisait peur aux hommes d’autant qu’ils n’assouvissaient plus sur elle leur domination. La sorcière, femme libre, affranchie de toutes dominations, de toutes limitations, était à anéantir, c’est pourquoi elle était brûlée. Les féministes d’hier et d’aujourd’hui reprennent ainsi l’image de la sorcière.
Pour reprendre Mary Douglas dans De la souillure, « Ce qui est dangereux, c’est l’existence d’un individu en colère dont la position est interstitielle. (…) Si cette hypothèse était vraie, on devrait pouvoir définir en termes structuraux la sorcellerie, pouvoir qui passe pour être une force psychique. La sorcellerie serait la manifestation d’un pouvoir psychique antisocial émanant de personnes qui se situent dans les régions relativement non structurées de la société. Dans les cas où celle-ci peut difficilement exercer un contrôle sur ces individus, elle les accuse de sorcellerie, ce qui est une manière de les contrôler. Ce serait donc dans la nonstructure que réside la sorcellerie. Les sorciers seraient l’équivalent social des coléoptères et des araignées que l’on trouve dans les interstices muraux et les boiseries. Ils inspirent les mêmes craintes et la même antipathie que les ambiguïtés et les contradictions que l’on trouve dans d’autres structures de pensée; et les pouvoirs qu’on leur attribue symbolisent leur statut ambigu et inarticulé. » La crainte de la sorcellerie, de la souillure engendre des rites comme le « bucher » qui visent à éviter l’expression de la contradiction, et à remettre chaque être à sa place.
Ce sont les femmes qui ont le plus souffert des « rituels de purification ». Rappelons que dans certaines sociétés traditionnelles lorsque les femmes ont leurs menstruations, elles doivent s’isoler, impures elles ne peuvent toucher à leurs proches ou à la nourriture (même si elles peuvent continuer à faire le ménage). Pour exemple, dans la religion Juive, les pertes de sang menstruelles compromettent l’intégrité corporelle nécessaire pour être « saint », voire sain, apte à paraître devant Yahwé. Les menstruations sont apparentées dans différentes cultures à une maladie et parfois à une possession démoniaque. Ainsi, pour reprendre Karen O’ROURKE « Selon Deutéronome 12, 23, « le sang c’est l’âme », sa perte devrait diminuer la force vitale, « l’âme » de la femme. Le sang qui l’animait tant qu’il se trouvait en elle, devient, en quittant son corps, un élément du désordre : il n’est plus à sa place. » .
Nous allons arrêter là nos citations de textes fondant encore nos pratiques et représentations de la femme, première pécheresse, outil du diable. Mais retenons à la fois la nécessité de rituels pour « réintégrer »la société lorsqu’une personne en a été exclue et le fait que la religion et son poids dans la société sont déterminants dans la représentation et donc dans la prise en charge de la différence et du handicap ; en particulier au handicap psychique. Ce point est également souligné par l’ethnographe Giordana Charuty dans son ouvrage, Folie, mariage et mort. Pratiques chrétiennes de la folie en Europe Occidentale .
Folie et mort
Les Hommes ont toujours eu un rapport particulier à la folie. Ainsi pour poursuivre avec Foucault, à la renaissance la folie les fascine, sous la royauté elle attire, puis elle inquiète et on essaie de la traiter.
Si le rapport à la folie évolue, c’est en partie comme nous venons de le dire empreint du poids de la religion. La religion qui nous permet de donner un sens à la vie et à la mort. C’est alors parce que la folie interroge notre rapport à la mort, en ce qu’elle serait une atteinte de l’âme que l’homme ne cesse de réinterroger son rapport à la folie, et la société de céder une place ou non au fou. Ainsi Foucault écrit « La tête est déjà vide qui deviendra crâne. La folie, c’est le déjà-là de la mort» .
Dans une société où la médecine et les sciences prennent peu à peu le pas et tentent de repousser la mort, des expériences sur les personnes considérées comme folles vont avoir lieu. Ainsi, à partir de 1785, une circulaire définit les asiles comme lieux de soins, où les insensés peuvent être guéris. Pinel (1745-1826), premier psychiatre aliéniste élabore un projet thérapeutique au sein des asiles. Les aliénés mentaux, seront alors asservis au pouvoir médical. Pinel, réalise la première classification des maladies mentales et préconise un « traitement moral». Ce dernier pourra entre autres passer par le travail.
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Table des matières
Introduction
I- La société face au handicap : évolution des termes, du regard et du lien à l’Autre
A- Folie et handicap à travers le temps
1- De l’infirmité au handicap- le fou une place à part, en dehors
2- Les femmes, possédées, outil du « malin »
3- Folie et mort
4- Travail et folie
5- Exclusion, enfermement, internement : fous et hors norme
6- Mutilés et accidentés : une autre exclusion, d’autres soins
7- Le terme handicap
B- De la ségrégation à l’inclusion des personnes avec un handicap psychique : retour sur le passage de l’institution à la désinstitutionnalisation
1- Institution et institutionnalisation
2- Désinstitutionnalisation
3- La désinstitutionalisation des établissements médico sociaux : recommandation européenne
C- IR, ITEP, DIPTEP… de la prise en charge à l’accompagnement dans un parcours des jeunes avec handicap psychique
1- TCC : « le diagnostic sentence » de l’école ?
2- Les IR : la prise en charge des enfants non scolarisables
3- Les ITEP ou l’origine du DITEP
4- Le DITEP
5- La notion de dispositif
D- Méthodologie
1- Des questions
2- Hypothèses
3- Le choix du sujet
4- Terrain d’étude
5- Techniques de recueil de données
II- De l’ITEP au DITEP : désinstitutionnalisation, déségrégation ou ré institutionnalisation des institutions primaires ?
A- De la désinstitutionnalisation à la ré-institutionnalisation des institutions primaires
1- Définition
2- Désinstitutionnalisation un pas vers la plateforme de service : la crainte des directeurs
3- L’institution : le lien au cœur des pratiques
4- La représentation de l’institution soignante
5- Développer des environnements capacitants
6- La participation active des familles : des avancées sur un chemin qui reste long
7- Fonctionnement des DITEP entre intérieur et extérieur : le grand écart des professionnels
8- Le passage de l’ITEP au DITEP : désinstitutionnalisation, déségrégation, ou réinstitutionnalisation des institutions primaires ?
B- Inclusion scolaire ou la ré institutionnalisation de l’école
1- Définition
2- L’inclusion des personnes présentant des troubles psychiques
3- Vers l’inclusion scolaire des enfants avec TCC
4- Exclusion, intégration, inclusion : les textes de cadrage de l’éducation nationale, un pas d’avance ?
5- L’exemple des classes externalisées
6- L’école et le DITEP
7- Le DITEP : l’école au centre
8- Pas d’inclusion mais un frottement qui permet d’installer la transition
III- De l’ITEP au DITEP : impact sur l’identité des acteurs
A- Le concept d’identité
1- L’identité comme produit des interactions sociales
2- Identité et profession
3- Sentiment d’appartenance et travail d’équipe
4- Travailleur social : une identité professionnelle en mutation ?
B- DITEP : Pratiques et Identité en mutation
1- L’accompagnement du changement ou l’accompagnement de la souplesse
2- Éducation spécialisée et inclusion : la question de la complémentarité et de la subsidiarité à l’interne comme à l’externe
3- De l’équipe aux acteurs impliqués dans le parcours
4- De l’IR à l’ITEP, de l’ITEP au DITEP, du DITEP à ? Transition, mutation, disparition
Conclusion
1- Rappel des hypothèses et résultats
2- En guise de conclusion
3- Les limites de ce travail
4- Des questions en suspens
Annexes