La socialisation politique des étudiants : de l’influence de la famille aux socialisations secondaires

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1.1. Les facteurs de choix d’orientation scolaire et universitaire chez les étudiants
Nous relèverons succinctement les principaux facteurs retenus par les sociologues pour expliquer les choix d’orientation scolaire des étudiants, puis nous évoquerons l’approche du système de valeurs de Swartz.
1.1.1. L’importance des facteurs sociaux et du contexte d’études
Les principaux facteurs retenus en sociologie pour expliquer l’orientation des étudiants sont l’origine sociale, le type de baccalauréat obtenu et les résultats scolaires, le genre, et le contexte de scolarisation (Chevaillier, Nakhili, Le Bastard-Landrier, 2009). L’origine sociale est déterminante dans les choix d’orientation effectués dès les premiers paliers, à résultats scolaires égaux. Ces inégalités de choix amènent les lycéens à choisir une filière de baccalauréat qui les mettra dans une position plus ou moins favorable au moment du choix de l’orientation dans le supérieur, les filières étant hiérarchisées. En outre, à situation scolaire comparable, les choix sont aussi différenciés, car l’entrée dans les filières sélectives serait plus difficile pour les jeunes de milieux populaires, et ces derniers auraient tendance à pratiquer une auto sélection plus forte (Duru-Bellat et al, 1993). Les élèves d’origines sociales favorisées aspirent donc à des études plus longues et plus sélectives. Lemaire (2005) a mis en évidence l’effet de la confiance en soi et la perception de sa valeur scolaire, ainsi que l’effet du genre sur l’élaboration du projet d’orientation, les filles pratiquant une autosélection à l’entrée des filières sélectives. Enfin, Nakhili (2005) relève l’effet du contexte d’études sur l’orientation. En effet, à caractéristiques égales, un élève scolarisé dans un établissement favorisé aura un projet d’orientation plus ambitieux à la fois en termes de durée d’études et de sélectivité du parcours. L’offre de formation présente dans l’établissement influence également les choix des futurs étudiants.
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1.1.2. L’influence des valeurs internes à l’individu
En psychologie de l’orientation, on utilise entre autres la notion de valeurs pour expliquer les choix des individus. Les milieux professionnels représentent certains idéaux, certaines croyances. Lorsque les étudiants font des choix vocationnels, ils prennent en compte les valeurs qui sont les plus importantes pour eux. Plus ils présentent un patron de valeurs bien identifié, plus ils s’impliquent dans leur processus d’orientation, en cherchant à identifier un métier qui correspondra à leurs valeurs. Néanmoins, chacun n’associe pas forcément les mêmes valeurs aux mêmes classes de métiers. La satisfaction de l’individu dans son milieu professionnel dépend en partie de l’adéquation entre ses valeurs et son rôle. Le rôle peut évoluer pour tendre à une meilleure adéquation aux valeurs de l’individu, mais ces valeurs peuvent aussi se modifier sous la pression de la réalité (Guichard, Huteau, 2006). Brown énonce des conditions pour que ces valeurs entrent en considération lors des choix professionnels : il faut que parmi les possibilités qui se présentent à l’individu, il y en ait au moins une qui corresponde à ses valeurs ; il faut qu’il soit en mesure de l’identifier comme correspondant à ses valeurs ; il faut que l’option qui correspond à ses valeurs soit de difficulté égale aux autres options. Les valeurs sont donc un des déterminants des préférences d’orientation, mais doivent être regardées en connaissance d’autres caractéristiques du sujet.
D’après Schwartz, le concept de valeur peut être retenu dans toutes les disciplines des sciences sociales. Il correspondrait aux « critères que les personnes utilisent pour sélectionner et justifier des actions, et pour évaluer des événements ou des individus, y compris eux-mêmes » (Hammer, Wach, 2003, p.15). Selon Rocher, une valeur est « une manière d’être ou d’agir qu’une personne ou une collectivité reconnaît comme idéale et qui rend désirables ou estimables les êtres et les conduites auxquelles elle est attribuée. […] La notion embrasse
« les idéaux, les préférences et les orientations profondes qui structurent les représentations et les actions d’un individu »» (Hamel, Méthot, Doré, 2010, p.29). Les valeurs sont intériorisées par l’individu au cours du processus de socialisation. Le modèle de Schwartz pose une liste de cinquante-six valeurs, avec dix valeurs de base qui se répartissent autour de quatre grands
pôles représentant deux oppositions principales : « ouverture au changement » et
« continuité », « affirmation de soi » et « dépassement de soi ». Ces valeurs sont interdépendantes et peuvent entrer en conflit. Ce modèle est souvent repris, car il a l’originalité de présenter une approche des valeurs non contextualisée, de mettre l’accent sur la structure des valeurs, c’est-à-dire les relations qui existent entre elles, et de présenter une structure qui serait universelle (Hammer, Selz, Wach, 2010).
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Le modèle de Schwartz a également servi à établir des liaisons entre valeurs et opinions politiques. Il a servi de cadre à divers travaux étudiant les corrélations entre les positionnements politiques et certaines valeurs censées leur correspondre. L’idée communément retenue est que les orientations politiques sont influencées par le système de valeurs de l’individu, même s’il existe des interactions complexes entre les deux et que les choix politiques peuvent également influer sur les valeurs privilégiées par l’individu. Il existe un lien entre les valeurs et positionnement sur une échelle gauche/droite, la gauche se situe sur les pôles « dépassement de soi » et « changement » (même si le lien est moins prononcé), et la droite du côté de « l’affirmation de soi » et de la « continuité » (Hammer, Selz, Wach, 2010).
Ainsi, le modèle des valeurs de Schwartz est utilisé de manière transversale en sciences humaines, pour décrire différents phénomènes tels que l’orientation professionnelle ou les attitudes politiques des individus. On peut postuler que si ces comportements sont guidés par des valeurs positionnables sur un même modèle, on peut également établir une corrélation entre ces deux comportements (corrélation ne signifiant pas forcément causalité). Avant de chercher à établir le lien entre l’orientation universitaire des étudiants et leurs comportements politiques, nous allons définir comment se construisent ces attitudes politiques, en partant pour cela de la définition du concept de socialisation politique.
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1.2. La socialisation politique des étudiants : de l’influence de la famille aux socialisations secondaires
Après avoir défini ce qu’est la socialisation politique, nous nous attarderons sur la spécificité de la période de jeunesse dans ce processus. Nous insisterons sur le rôle que joue la famille en tant qu’acteur de socialisation primaire. Enfin nous tenterons de distinguer des caractéristiques spécifiques aux étudiants, qui constituent notre sujet d’étude, au sein du groupe des jeunes.
1.2.1. De la socialisation aux attitudes politiques : définitions
La socialisation est le processus par lequel l’individu intériorise les normes et les valeurs d’une société donnée afin de s’insérer dans cette société. Elle peut aussi se définir comme le conditionnement de l’individu à son milieu d’appartenance, lorsqu’il hérite des caractéristiques de ce milieu, et donc l’apprentissage de son rôle social. On distingue la socialisation primaire, qui a lieu au cours des premières années de la vie au sein du milieu familial, et dont l’empreinte reste très forte, de la socialisation secondaire qui a lieu à partir de l’adolescence lorsque l’individu est soumis à plusieurs milieux de socialisation. La socialisation secondaire est plus volontaire et donc ses effets sont moins profondément ancrés dans l’individu (Dortier, 2013).
La socialisation politique est l’un des aspects de cette intégration. Elle représente « l’apprentissage, par l’individu, de son rôle politique » (Hermet, Badie, Birnbaum, et Braud, 2010). D’après Annick Percheron, l’individu est acteur de ce processus. En effet, il appartient à plusieurs groupes qui sont chacun porteurs de systèmes de normes et valeurs propres, et qui peuvent entrer en contradiction. Au cours de ses interactions avec les agents porteurs de socialisation, il est amené à faire des choix en fonction de sa personnalité et de son expérience.
Cette inculcation de savoirs, normes et valeurs n’est pas toujours explicite. On peut ainsi distinguer trois niveaux sur lesquels s’opère la socialisation politique : le discours explicite des acteurs dans un milieu de socialisation donné ; leur comportement effectif, pouvant être en adéquation ou non avec le discours ; le mode de production du message, c’est-à-dire le contexte et la forme des discours. Pour mesurer l’efficacité d’une institution à transmettre ses normes et valeurs, on retient généralement deux facteurs favorables à la
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reproduction culturelle : la cohérence, au sein du milieu de socialisation, entre les trois niveaux de production des messages et la cohérence des signaux entre les différents milieux de socialisation dans lesquels se trouve placé l’individu (Braud, 2008).
Une attitude politique peut être définie comme l’ensemble des dispositions acquises (représentations, valeurs, normes) par un individu lors de sa socialisation politique, et qui conditionnent ses opinions et ses comportements politiques. C’est la rencontre entre les attitudes politiques et une situation donnée qui conduit l’individu à produire des comportements politiques et des opinions politiques (Bréchon, 2006).
La socialisation politique se fait en lien avec le groupe social d’appartenance. C’est pourquoi les attitudes politiques des français sont différenciées en fonction de leurs catégories socioprofessionnelles d’appartenance. On relève ainsi une présence forte des professions libérales et cadres d’entreprise dans les groupes de droite, et des cadres de la fonction publique et professions intermédiaires dans les groupes plus à gauche. Chez les agriculteurs, le vote FN est très présent (67%). Chez les groupes artisans, employés, ouvriers, et professions intermédiaires du public, le FN est fortement représenté, ainsi que de désalignés (Duhamel, Lecerf, 2014). On peut expliquer ces tendances au regard des connotations associées à l’échelle gauche/droite. En effet, à gauche les thématiques privilégiées sont « le service public, les droits de l’homme, l’émancipation des travailleurs » ; tandis qu’à droite, ce sont « la patrie, la rigueur économique, la défense de l’entreprise » (Braud, 2000, p.343).

La période de jeunesse, un tournant dans le processus de socialisation politique

La socialisation politique s’opère tout au long de la vie. Dans ses travaux, Annick Percheron tente de mettre en évidence une relation entre l’âge et les comportements politiques. Ainsi, l’âge aurait un effet sur les pratiques, mais pas sur les orientations politiques (Percheron, Rémond, 1991). Dans cette optique, Anne Muxel (1991) a mené une recherche sur les spécificités politiques des jeunes, qui lui permet de dégager les trois principaux facteurs influençant la formation d e s comportements politiques : l’héritage familial ; l’insertion sociale ; la conjoncture politique. Pour elle, la socialisation politique des jeunes se caractérise par la notion de « moratoire », pour signifier le retard pris dans la formation des choix politiques.
Le terme moratoire est d’abord utilisé par E.H. Erikson, qui définit les années de jeunesse comme un « moratoire psychosocial, au cours duquel le jeune adulte, grâce à une libre expérimentation des rôles, peut trouver à se caser dans un certain secteur de la société, case nettement définie, et qui pourtant ne semble faite que pour lui » (Erikson, 1972, p.163). La période de la jeunesse est faite d’expérimentations et d’ajustements. L’individu intègre progressivement les éléments d’identité fournis lors de sa socialisation primaire, ce processus se manifestant par à la fois par des rejets et des acceptations, pour construire son identité d’adulte. Selon Erikson, ce temps de transition se caractériserait aujourd’hui par un retard dans la mise en place des marqueurs de l’identité adulte. Ce moratoire identitaire marque une étape à part entière du processus de socialisation, mais ne doit pas se voir comme un passage définit de l’enfance à l’âge adulte qui serait un état de maturation. La construction de l’identité continue tout au long de la vie, cependant la période de la jeunesse concentre les premières échéances sociales et professionnelles sur une courte période. Cette étape est donc décisive, et est à la fois « déterminée par tout ce qui la précède et déterminante pour tout ce qui suit » (Muxel, 1991).
Cette notion de moratoire est donc reprise pour qualifier les comportements et attitudes politiques au cours des années de jeunesse. Le moratoire politique est « un temps de maturation lié à l’indétermination, particulièrement accusée, au cours des années de jeunesse, des facteurs d’insertion sociale » (Muxel, 1991). Anne Muxel relève l’existence d’un décalage entre l’acquisition des droits politiques et l’utilisation de ces droits. Les jeunes seraient plus abstentionnistes, et auraient plus de difficultés à formuler des choix politiques. Le sentiment d’incompétence vécu peut être expliqué par les conditions d’insertion dans la société, les jeunes se sentant exclus du monde social et préférant ainsi rester en retrait du monde politique adulte. C’est progressivement, au cours de l’insertion sociale, que se fait l’insertion politique, subissant l’influence des différents milieux de socialisation dans lequel se trouve l’individu.

La famille, principal acteur de la socialisation primaire

Le milieu qui a le plus d’influence dans la socialisation au cours des premiers âges de la vie est la famille. Ainsi, le poids de l’héritage familial prend une place prépondérante dans la formation des comportements et attitudes politiques. L’origine sociale du jeune va déterminer son sentiment de compétence politique, et donc faciliter son entrée dans le monde politique. Un autre facteur à prendre en compte est celui de la transmission parentale, qu’elle soit explicite ou implicite. En effet, l’intérêt pour la politique augmente en fonction de l’homogénéité politique familiale et la filiation entre les générations précédentes. La stabilité des choix politiques est aussi influencée par la capacité du jeune à reconstituer sa filiation politique. Par exemple, les jeunes se situant au centre, qui sont aussi ceux présentant le moins d’intérêt pour la politique, sont ceux pour qui il est le plus difficile de reconstituer une filiation homogène (Muxel, 1991).
La transmission des valeurs familiale est favorisée par la proximité du jeune avec ses parents, et également par la politisation des parents et du jeune. Plus l’intérêt pour la politique est marqué d’un côté comme de l’autre, plus la filiation politique sera homogène. Anne Muxel distingue six filiations qu’elle classe en deux groupes : les « affiliés » et les « désaffiliés ». Ces filiations correspondent à l’analyse des comportements politiques en fonction de ceux des deux parents. Les affiliés sont ceux qui ont les mêmes identifications politiques que leurs deux parents, ce groupe comprenant les filiations « gauche », « droite », ou « a-politique ». Le groupe des désaffiliés comprend les filiations « non homogène », c’est à dire ceux dont les parents ont des opinions divergentes, « changement », c’est- à – dire ceux qui ont des opinions divergentes par rapport à leurs deux parents, et « décrochage », à savoir ceux qui se considèrent comme a-politiques alors que leurs parents étaient politisés.
Au-delà de ces facteurs de socialisation primaire, l’entrée en politique est conditionnée par les conditions de l’insertion socioprofessionnelle et économique (Muxel, 1991).

Les effets de l’expérience étudiante sur la socialisation politique des jeunes

L’école est, après la famille, l’un des principaux acteurs de socialisation. Elle lie l’individu au reste de la société en transmettant une culture commune, et en favorisant l’intériorisation des normes et valeurs de cette société. En effet, l’école transmet, en plus d’un capital de connaissance, les normes et les valeurs sociales dominantes dans une société donnée. C’est également par l’école que ce fait l’apprentissage de rapports entre pairs, de rapports avec les institutions… C’est dans le milieu scolaire que se font les premières expériences de la citoyenneté par la participation à la vie scolaire ou les élections de délégués. Annick Percheron déclare à ce sujet que « le fait d’influencer les programmes et le contenu des manuels représente un des moyens les plus anciens aux mains des gouvernants désireux de façonner le citoyen de demain» (Percheron, 1993, p.148). Certaines recherches ont relevé un effet de la durée de scolarisation sur les attitudes politiques des individus. Ainsi, plus un individu a un niveau d’éducation élevé, moins il aura des attitudes autoritaires, anti-égalitaires, dogmatiques, religieuses et en proie aux préjugés. Cet effet des études est qualifié de « libérateur » (Chatard, Mugny, Quiamzade, 2007, p.226).
Au sein d’une même génération, il existe donc un écart entre les étudiants et les autres jeunes. Ceux qui poursuivent leurs études développent un sentiment de compétence, et se sentent donc autorisés à émettre des opinions et des choix politiques. Les étudiants se distinguent globalement assez peu des autres jeunes, mais apparaissent cependant plus intéressés par la politique, même lorsqu’ils ne votent pas (Le Galès, 1995).
L’expérience étudiante est une période située entre l’adolescence et l’entrée dans le monde professionnel. On passe donc d’une position dépendante de la position parentale à une position plus indépendante. C’est donc le temps de la prise de distance par rapport aux socialisations primaires. Au sein de la population étudiante, certains auteurs se sont intéressés aux relations existant entre les parcours d’études et les comportements politiques.

Le lien entre la filière disciplinaire et les attitudes politiques

Après avoir démontré que la filière d’étude, en tant que milieu de socialisation, peut être activateur de comportements spécifiques, nous verrons que ce constat peut également être fait pour les comportements politiques.

La filière disciplinaire, facteur d’activation de comportements spécifiques

Les comportements des étudiants s’homogénéisent selon les filières, cet effet de la matrice disciplinaire primant sur celui de l’origine sociale. En effet, s’il ne faut pas oublier le poids de cette origine sociale qui agit sur les différents choix se présentant à l’individu (entreprendre des études supérieures, choix du parcours), les filières d’études socialisent de façon propre et façonnent chez les étudiants des manières d’être, de penser, et de se comporter spécifiques (Lahire, 1997). Ainsi, un étudiant s’orientant dans une filière qui l’éloigne de son milieu d’origine va adopter des attitudes proches de celles de ses camarades qui sont issus de catégories socioprofessionnelles différentes.
Mathias Millet, avec son étude sur le travail universitaire (2003), démontre un effet de la matrice disciplinaire sur les manières d’étudier, la matrice disciplinaire se définissant comme « la nature spécifique du corps de savoirs à transmettre, leur mode d’organisation, de transmission et d’évaluation » (Ropé, 2004). Il compare les étudiants de troisième année de médecine et de sociologie, et démontre donc que la filière socialise les pratiques d’études, d’une part en agissant comme un filtre socio-scolaire spécifique, et d’autre part en tant que cadre cognitif et disciplinaire spécifique. En d’autres termes, les effets de socialisation liés à la matrice disciplinaire s’expliquent à la fois par le filtrage qui conditionne l’orientation des étudiants, et par le fait que cette matrice fonctionne comme un cadre d’exigences spécifique (Millet, 2010).

Des attitudes politiques différenciées selon les contextes d’études

Ce constat de l’homogénéisation des comportements est également fait pour le domaine de la socialisation politique. Suite à l’enquête « modes de vie des étudiants » en 1992, Olivier Galland relève que les résultats quand à la mesure de la politisation et des opinions sur la société varient en fonction de l’UFR. Il en conclut donc à un effet propre de la filière empruntée sur la politisation des étudiants.
L’université va transmettre aux étudiants plus ou moins d’autoritarisme et d’anti-égalitarisme selon les filières disciplinaires : par exemple, les étudiants en sciences humaines montrent des attitudes plus égalitaires et moins conservatrices que les étudiants en droit ou en économie (Chatard, Mugny, Quiamzade, 2007).
La politisation des étudiants varie donc selon les filières universitaires. L’opposition principale se fait entre étudiants en sciences humaines et sociales et étudiants en sciences et techniques (Michon, 2008). Dans sa thèse, Sébastien Michon démontre à l’aide d’une enquête par questionnaire un effet de la filière d’études sur la politisation, et ce à caractéristiques sociales équivalentes. En effet, en prenant en compte uniquement les étudiants issus de catégories socioprofessionnelles favorisées, donc qui à priori devraient avoir les mêmes prédispositions, il observe toujours des comportements différenciés selon les filières, ce qui lui permet de conclure à un effet propre de la filière pour activer ces dispositions. Les étudiants perçoivent leur rôle différemment en fonction de leur type d’études, la socialisation politique étant portée au sein de la filière par les enseignements, les enseignants et les pairs. « Les résultats obtenus sur la plus ou moins prégnance de la politisation amènent à évoquer non pas un métier d’étudiant, mais des métiers étudiants » (Michon, 2008, p.72). Ainsi, le contexte d’étude jouerait un rôle sur l’activation, la mise en veille ou l’acquisition de dispositions.
Selon les chiffres obtenus lors de l’enquête « modes de vie des étudiants » de 1992, 70% des étudiants en droit-sciences économiques s’intéressent assez ou beaucoup à la politique, contre 45 à 50% des étudiants en lettres et sciences humaines (Le Galès, 1995). Ainsi, quand on en vient à s’intéresser aux comportements politiques des étudiants, une population retient l’attention : celle des étudiants en droit. L’intérêt pour la politique et la participation politique sont plus élevés dans cette faculté que dans les autres. Cela peut s’expliquer par le fait que les études de droit présentent une dimension politique indéniable, de par les composantes disciplinaires, qui visent une bonne compréhension de l’appareil étatique et du fonctionnement du monde contemporain, et qui invitent à s’interroger sur les enjeux politiques actuels.

Les attitudes politiques des étudiants en droit

Les étudiants en droit apparaissent traditionnellement comme une population plus à droite que les autres étudiants. D’après Le Bart et Merle, ils seraient victimes d’une vision stéréotypée de leur rôle social. Ces derniers ont par ailleurs relevé la possibilité d’une opposition entre ceux qui étudient le droit privé ou ceux choisissant le droit public.

La fac de droit, lieu de reproduction des idées de droite ?

Lors de son enquête, Patrick Le Galès compare les étudiants de lettres et ceux de droit-sciences économiques. Il dresse une série de constats : les étudiants de lettres seraient plus à gauche, et les étudiants en droit et sciences économiques plus à droite ; plus les étudiants travaillent en dehors des études, plus ils se classent à gauche ; plus les étudiants sont jeunes et proches de leurs parents, meilleure est la transmission des idées politiques de droite. À l’inverse ceux qui ont des idées politiques éloignées de celles de leurs parents sont très peu à se situer à droite, et sont proches des verts. La reproduction est moins importante pour ceux pour qui l’université est un moyen d’ascension sociale.
Les étudiants en droit-sciences économiques sont non seulement plus proches des idées de droite que les autres, mais aussi particulièrement proches des orientations politiques de leurs parents. Cet UFR apparaît donc comme celui de la « reproduction » pour les partis de droite (Le Galès, 1995). L’UFR est ainsi traditionnellement perçue comme une variable déterminante du classement sur l’échelle gauche-droite.

L’étudiant en droit, héritier d’une vision stéréotypée de son rôle social

Concernant la fac de droit, Christian Le Bart et Pierre Merle écrivaient en 19971 que « l’image demeure d’un établissement où la politique a droit de cité » (Le Bart, Merle, 1997, p.185). Les étudiants seraient victimes de la connotation politique du rôle social qui s’impose à eux. Les stéréotypes orientent la définition du rôle de l’étudiant, « placé à son insu en héritier d’une longue tradition qu’il ne peut guère ignorer ». Il faut donc faire attention à prendre en compte un éventuel « travail de figuration » de ceux qui se sentent exclus de l’Institution parce qu’ils ne correspondent pas à ce que l’on attendrait d’eux (p.172).
Dans les faits, l’augmentation du public et des filières font que les étudiants politisés ne sont plus qu’un petit nombre, « héritiers d’une tradition conservatrice pour lesquels cette Institution demeure une forteresse idéologique » (p. 196). Minorité qui ancre aux yeux des autres étudiants l’institution dans le passé. « Cette tradition, maintenue par quelques-uns, de politisation des étudiants en droit, est visible pour tous et s’impose sous la forme d’un stéréotype ».

L’opposition entre droit privé et droit public

Le droit se divise en une multitude de spécialités, conséquences de la diversité des situations dans lequel il intervient. Une opposition principale se fait entre le droit public et le droit privé. Le droit public recoupe toutes les spécialités dans lequel une personne publique intervient. Il réglemente le fonctionnement des pouvoirs publics, des administrations et les relations de ceux-ci avec les particuliers. Le droit privé s’attache aux relations entre les personnes privées, qu’elles soient physiques ou morales. Ainsi, le premier choix qui se présente aux étudiants en droit de se spécialiser en public ou en privé, ces spécialités constituant le premier embranchement vers des orientations plus spécifiques.
Christian Le Bart et Pierre Merle posent l’hypothèse que les étudiants en droit public sont plus politisés que ceux de droit privé. Le parcours de droit privé serait une « planque » pour ceux qui ne s’intéressent pas à la politique et qui sont donc exclus de la norme, norme qui impose une connotation politique au rôle d’étudiant en droit. Si l’on suit ce raisonnement, le choix de parcours pourrait donc être lié à des considérations de l’ordre de la socialisation politique des étudiants.

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Table des matières

Introduction
1. Cadre théorique
1.1. Les facteurs de choix d’orientation scolaire et universitaire chez les étudiants
1.2. La socialisation politique des étudiants : de l’influence de la famille aux socialisations secondaires
1.3. Le lien entre la filière disciplinaire et les attitudes politiques
1.4. Les attitudes politiques des étudiants en droit
1.5. Problématique et hypothèses
2. Méthodologie
2.1. La préparation de l’enquête
2.2. La diffusion de l’enquête
3. Résultats
3.1. Profils d’étudiants en fonction des parcours
3.2. Les attitudes politiques des étudiants
3.3. Les liens entre les attitudes politiques et le parcours d’études
Conclusion
Bibliographie

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