La situation particulière des parcours d’AMP

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Exposition du corps d’hypothèses de départ

Pour répondre à la problématique, nous formulons les hypothèses suivantes :
Hypothèse 1 : L’hypermédicalisation de la naissance accompagnée d’une perte de repères familiaux fragilise les parents de jumeaux.
1-1 : L’hypermédicalisation perturbe les rites de passage liés à la naissance alors même qu’ils participent à la sécurisation psychique et sociale de la mère et de la famille.
Hypothèse 2 : La surmédicalisation du suivi de grossesse gémellaire ne prépare pas les parents à l’accueil de deux enfants.
2-1 : L’hypermédicalisation entraîne un défaut d’information autour des questionnements d’ordre matériels, organisationnels et la mise en relation avec les systèmes d’aides et d’entraides.
2-2 : La préparation à la naissance et les conseils de sortie délivrés aux parents intègrent difficilement les informations spécifiques à l’accueil des jumeaux (médicales, matériels, psychologiques, éducatifs).
2-3 : Ce défaut d’information majore la déstabilisation des parents et l’apparition du stress des grossesses multiples, et perturbe l’établissement du lien mère-enfant.
Hypothèse 3 : Le vécu des mères de la surmédicalisation des grossesses gémellaires est ambivalent selon qu’il s’agisse d’une grossesse spontanée ou par AMP.

Approche, terrain et technique d’enquête

Pour aborder notre problématique et tester notre corps d’hypothèses, nous avons opté pour une approche compréhensive par laquelle le chercheur suppose que « seule la relation effective, le face à face, le met en mesure d’accéder à ce qui oriente l’action. Le chercheur assume l’appui sur le discours et les associations d’idées, la subjectivité […] » (Juan, 1999, p. 106). Cette approche qualitative est couplée à une perspective socio-anthropologique qui étudie un phénomène propre à nos sociétés contemporaines à l’aune d’un détour anthropologique (Balandier, 1985). Ce dernier est une méthode qui permet d’éclairer notre situation par celles d’autres cultures et qui essaie de repérer doublement ce qui est spécifique au phénomène social étudié, et ce qui est commun dans la prise en charge sociale de ce même phénomène à toute société humaine. Le détour anthropologique est donc une manière de problématiser notre culture. Pour la question qui nous concerne plus particulièrement, l’univers médicalisé de la naissance est d’une telle évidence pour penser les corps, leurs souffrances et leurs histoires que le détour par d’autres systèmes culturels agit comme un révélateur de nos propres pratiques et représentations. La comparaison anthropologique ne vise pas l’opposition, elle est surtout l’appréhension d’un modèle culturel par d’autres. À partir de là seulement, les différences de la prise en charge médicale de la naissance, et particulièrement des naissances gémellaires, apparaissent et sont mises en relief.
Afin de mener cette étude, nous avons choisi de nous intéresser à un groupe de parents ayant en commun une adhésion à la Fédération nationale « Jumeaux et Plus », et plus spécifiquement au sein de la branche opérant dans le département du Calvados. Crée en 1979 par un groupe de parents ayant eu des naissances multiples, l’association « Jumeaux et plus » a pour but de favoriser l’entraide, l’information en direction des parents et des pouvoirs publics, et de porter des revendications pour améliorer la vie de ces familles. Progressivement, elle s’est structurée nationalement en Fédération – aujourd’hui reconnue d’utilité publique –, regroupant des associations départementales. Un comité scientifique s’est constitué au sein du mouvement dans l’optique d’aborder et approfondir différents thèmes touchant à la gémellité (prématurité, allaitement, réduction embryonnaire, etc.). Actuellement, la Fédération « Jumeaux et Plus » regroupe plus de 800 bénévoles dans 80 associations départementales (dont celle du Calvados) lesquelles proposent une entraide morale et matérielle aux parents de jumeaux et plus, afin de les soutenir dans leurs difficultés quotidiennes.
L’accès au terrain2 s’est effectué lors de permanences organisées par l’association puis par la diffusion d’une annonce sur une plateforme numérique. L’étude est basée sur le volontariat, garantit l’anonymat des participantes et assure à la personne la liberté de refuser de participer ou d’interrompre sa participation à tout moment.
Pour participer à cette étude, les femmes de l’association « Jumeaux et Plus » doivent être à la fois la mère biologique et la mère sociale d’enfants jumeaux au sens où elles ont vécu la naissance et prennent en charge leurs enfants par la suite. De plus, l’âge des jumeaux doit être compris entre trois mois et trois ans afin d’interroger des mères dont les enfants sont à différents stades de croissance et dans le but d’éviter un biais de mémoire.
La technique de recueil des données est celle de l’entretien : « L’hypothèse implicite à l’utilisation de cette technique d’investigation est qu’un individu singulier peut condenser une grande partie du sens d’un phénomène social donné. Contrairement à l’enquête extensive par questionnaire qui postule un éclatement relatif, une dispersion à travers les individus, de la totalité du phénomène, l’entretien à une logique synthétique […]. Un très petit nombre de représentants suffit souvent. À condition qu’ils soient bien exploités, une dizaine d’entretiens peut permettre, dans certains cas, de tester des hypothèses ou d’étayer un raisonnement. […] Distinct de l’entretien à vocation thérapeutique dont il s’inspire, l’ESR [Entretien en situation de Recherche] vise à faire émerger une parole, en face à face dont la richesse de contenu à exploiter par le chercheur provient de son épaisseur symbolique. Importent donc moins, dans ce qui est restitué de l’expérience vécue, les éléments factuels et objectifs que les représentations, le subjectif » (Juan, 1999, p.107-109).
Les entretiens ont été enregistrés et réalisés en face à face dans un cadre semi-directif, au domicile des personnes. La semi-directivité se fonde « sur la mixité de questions et de relances », le guide d’entretien ordonne ainsi « le déroulement en introduisant une homogénéité protocolaire entre les différents enquêtés nécessaire à l’agrégation des résultats » (Juan, 1999, p. 121-122). Notre guide d’entretien3 s’attache à faire ressortir le vécu, les représentations et les attentes des mères d’enfants jumeaux autour de la prise en charge médicale de l’annonce, du déroulé de la grossesse et des suites de naissances. Localisée en Normandie, l’étude du terrain est de type rétrospectif et s’est déroulée sur deux mois. La durée des entretiens varie de quarante minutes à une une heure quarante-cinq.
Les données recueillies au cours des entretiens ont été retranscrites intégralement et ont ensuite été analysées de manière thématique. Les thèmes ont été choisis afin de rendre compte du vécu des femmes dés le stade précoce de la prise en charge (l’annonce de la grossesse) jusqu’aux suites de naissances. Puis nous avons choisi d’intégrer le vécu du retour à domicile et par la suite de la vie quotidienne des familles, au cours d’une période au-delà du post-partum, dans un but de meilleure compréhension des enjeux de la gémellité, de prévention et d’information. Ces thèmes ont été croisés avec les différents dispositifs qui ont entouré ou encadré les femmes durant leur parcours, qu’il s’agisse des professionnels de santé, de l’association « Jumeaux et Plus » ou des proches.

Principaux résultats

Au sein de la population de l’étude, l’annonce de la grossesse gémellaire est autant bien accueillie que moins bien. Néanmoins, a propos des couples ayant eu recours aux techniques d’AMP, cette ambivalence se manifeste secondairement, l’annonce étant vécue premièrement comme une « annonce de grossesse » après un parcours long et difficile. Ce sentiment caractéristique est également présent chez la famille et les proches des couples interrogés. Globalement, les femmes décrivent une bonne relation avec le corps soignant, tout type de professionnels confondus aussi bien pendant la grossesse que dans les suites de naissances. Toutefois, et plus spécifiquement dans les suites de naissances, l’homogénéité des informations reçues est mise en cause, mais ne concerne que des sujets particuliers comme l’allaitement maternel des jumeaux.

Concernant les dispositifs médicaux relatifs à la grossesse gémellaire :

Nous notons dans un premier temps un vécu mitigé ou du moins une ambivalence visant la prise en charge, rapportée comme à la fois rassurante et inquiétante. Cet état de fait est corrélé à la multiplication des consultations, des examens, des actes techniques et du vocabulaire médical, d’autant plus en cas de complications durant la grossesse. Ceci entraîne une compréhension difficile des enjeux du suivi et des éventuelles pathologies associées (pré-éclampsie ; syndrome transfuseur-transfusé…).
Dans un deuxième temps, à l’évocation et à la proposition de réunions regroupant des parents de jumeaux et des professionnels de santé au cours de la grossesse, les femmes de l’étude y sont majoritairement favorables. Cette volonté est motivée par un désir d’être mises en relation avec d’autres parents dans la même situation et un souhait de pouvoir poser des questions, écouter des réponses à d’autres interrogations qu’elles ne se seraient pas posées spontanément à propos du suivi, des pathologies, d’aides possibles…
Ensuite, la préparation à la naissance n’est pas suivie ou partiellement pendant la grossesse malgré un désir de participation de la part de la majorité des femmes. En cause, les complications communes de la grossesse gémellaire, dont la menace d’accouchement prématuré entraînant une hospitalisation ou du repos au domicile. Pour celles qui l’ont suivie, nous notons un manque ou une absence d’informations spécifiques concernant divers sujets allant de l’accouchement, de l’allaitement des jumeaux à l’après-maternité.
A propos de l’accouchement, la majorité des femmes rapportent un bon vécu de la prise en charge médicale et des informations délivrées par les professionnels. Cependant, ceci est contrebalancé par un vécu mitigé de l’accouchement médicalisé, orienté, entraînant le deuil de l’accouchement imaginé et rêvé et un sentiment de passivité face à la situation.
Ce sentiment de passivité est également rapporté dans les deux ou trois premiers jours suivant la naissance concernant les soins apportés aux enfants, principalement dans les cas de césarienne ou de transfert en néonatologie. Cependant, la prise en charge et l’accueil dans les structures de soins telles que l’unité Kangourou ou les suites de naissance simple est appréciée par la majorité des patientes.
À propos du quotidien des mamans de jumeaux, il est intéressant de rapporter le sentiment de fatigue globale suite à l’accélération du rythme de vie au cours des premiers de mois de vie avec les enfants. Nous ajouterons que le vécu de cette fatigue maternelle est conditionné par la présence ou non au domicile du conjoint, de la famille ou de tiers (TISF) qui apportera de l’aide dans les soins aux enfants et surtout pour les tâches quotidiennes. Il a également été rapporté une difficulté à prendre du temps pour soi et à retrouver une vie de couple et sociale. Cet état de fait est confirmé par les principaux conseils que donnent les femmes aux futures mamans de jumeaux tels que se faire aider après la naissance, trouver des moments pour sa vie de couple et sa vie de femme ou encore se mettre en relation avec d’autres parents de jumeaux par l’intermédiaire de l’association « Jumeaux et plus » ou non.
Parmi les conseils les plus cités lors des entretiens, les femmes exhortent les futurs parents de jumeaux à ne pas prêter attention et ne pas se soucier du regard ou des remarques des tiers lors des sorties en famille. Nous constatons en effet un mauvais vécu majoritaire face aux réactions de la population générale telles que des remarques déplacées, blessantes ou encore des actes intrusifs dans l’espace privé lors des sorties avec les enfants. Ceci vient donc corroborer l’idée que malgré l’augmentation des naissances doubles, la gémellité relève toujours de l’exception au regard du monde occidental.
Pour finir, à propos de l’association « Jumeaux et plus » du Calvados, que ce soit pendant la grossesse ou après, par l’intermédiaire des permanences ou d’internet, les femmes sont toutes favorables à ce dispositif, source d’informations, de rencontres et d’échanges.

Pertinence de la recherche

Cette étude réalisée dans le cadre d’un mémoire de Sage-femme comporte un certain nombre de biais face auxquels il convient d’ajuster les résultats de l’enquête.
Les premiers types de biais concernent le recensement des enquêtées. Pour commencer, la disparité des âges des enfants (qui varie de trois mois à trois ans) engendre une problématique telle que les femmes n’ont pas été interrogées à un moment donné, mais avec plus ou moins de recul depuis l’annonce de leur grossesse. Puis, le critère de sélection de la population par l’intermédiaire de l’association « Jumeaux et plus » peut également représenter un biais de l’étude. Il s’agit de femmes ayant eu une demande, une sollicitation à un moment de leur grossesse ou après. Elles font donc partie d’un groupe spécifique.
Néanmoins, cette recherche a de positif qu’elle permet de mieux appréhender les enjeux de la gémellité et de la grossesse gémellaire au travers du vécu, de la prise en charge et du quotidien des femmes concernées dans cette étude, et ce afin de mieux sensibiliser les professionnels de santé aux conséquences psychosociales des grossesses multiples. À une échelle modeste de cette recherche, les résultats exposés viennent étayer, sinon renforcer, les allégations formulées plus avant, extraites de la littérature concernant le thème de ce travail.

L’ambivalence gémellaire

L’arrivée de jumeaux, vrais ou faux, est dans toutes les cultures un phénomène singulier. Cet excès inattendu produit un désordre dans la chaîne de filiation, soumettant les parents à des règles spéciales souvent aussi contraignantes que coûteuses ainsi qu’à un statut particulier dans la communauté (Schowing, Duc, Zazzo et Sindzingre, 2005). C’est aux questions les plus anciennes et angoissantes de l’humain – tel le destin, l’unité et la duplicité, la quête identitaire – que renvoient les mythes gémellaires (Pons, Charlemaine et Papiernik, 2000). La gémellité, comme manifestation d’une transgression fondamentale de l’ordre biologique et social, est un fait socialement ambivalent. L’événement est tantôt valorisé (bénéfique), tantôt déprécié (annonciateur de chaos pour les parents, la famille et la communauté) :
« Ambivalence des parents à qui l’échographe annonce qu’ils attendent des jumeaux, ambivalence des singletons fascinés par le couple gémellaire en même temps que perturbés par son unité, ambivalence de chacun confronté à ce rêve – qui peut devenir cauchemar – d’être face à son double, ambivalence des comportements des jumeaux, balançant entre désir de fusion et de séparation » (Hubin-Gayte, 1998).

Gémellité et identité

Les jumeaux sont associés au monde non-humain : animal ou divin… Reproduction surabondante, symbole de multiplication de vie, ayant des pouvoirs de fécondité sur les hommes et la terre, les jumeaux sont considérés comme des entités non humaines coexistant avec une divinité ou des génies.
Dans les taxinomies traditionnelles, les jumeaux sont hors du cadre socialement admis (deux à la place d’un seul) et appartiennent donc à la catégorie des monstres (fauteurs de troubles et dangereux, « enfants du malheur »). Ainsi, on peut chercher à ramener la gémellité à la normalité d’une naissance unique, la réduction permettant de retourner à un ordre de place assignable. Cette réduction peut se manifester par la mort voulue d’un des jumeaux ou encore par des rituels de substitution, consistant en des sacrifices d’animaux permettant de contrer la malédiction qui pèse sur les parents (peur du désordre, de la stérilité et du parricide) et la famille (Ferradji, 2006 ).
Les jumeaux de même sexe évoquent la double nature de l’être humain à travers les âges tels Romulus et Remus, Amphion et Zetos, Jacob et Esau. Les jumeaux de sexes différents, quant à eux, renvoient plutôt au couple originel créé à partir d’un être unique dans la genèse chrétienne. Dans certaines cultures, où l’union mythique d’un couple de jumeaux constitue la forme d’union première et idéale, la naissance simple est considérée comme une perte ou une incomplétude par rapport à cette union primordiale. Le placenta peut même représenter le jumeau perdu dans les naissances simples et faire l’objet de rituels de naissance spécifiques. Dans cette même logique, des noms spécifiques à leur nature ontologique sont fréquemment donnés aux enfants. Plus spécifiquement dans les sociétés centrées autour de la royauté, les jumeaux sont l’incarnation du couple gémellaire mythique et sont donc considérés à l’égal de divinités. Il convient donc de les traiter comme tels, car en cas de négligence ou d’offense on risque d’engendrer des conséquences néfastes pour la vie des jumeaux eux-mêmes, des parents, l’un des deux parents ou encore des ascendants. Cela engendre donc pour la famille des conduites et des rituels spécifiques à appliquer, souvent coûteux et contraignants. Pour finir, les jumeaux peuvent être également considérés comme des menaces contre la fécondité et la stérilité (Ferradji, 2006 ).
Arrêtons-nous un instant sur le parcours sémantique du terme français « jumeau »4. Ce dernier, issu du latin gemellus, désigne au sens propre le lien que partagent frères ou sœurs nés d’un même accouchement et au sens figuré ce qui est double, formé de deux. Sous sa forme plurielle, il renvoie à ce qui est semblable, pareil. À la fin du XIIe siècle, l’usage de l’adjectif « jumeau » permet de désigner des « objets en tout point semblables ». Par la suite, le terme « jumeler » fait son apparition et s’emploie à désigner « la ressemblance entre deux choses dans le but de les ajuster ensemble ». À travers le temps, la signification du terme démontre une certaine constance, et nous ne nous sommes pas si éloignés de sa double signification, propre et figurée, originelle.
Du sens premier du terme, qui se rapporte à la désignation d’enfants issus d’une grossesse double, l’imagination a établi des rapprochements analogiques concernant des domaines d’application très divers et très éloignés de l’univers de la maternité et de la fratrie. Ces élaborations abstraites se fondent sur des critères communs. À travers l’utilisation des termes « vrais » et « faux » jumeaux, l’on dégage un premier élément qui est l’identité d’apparence. La ressemblance des jumeaux monozygotes est jugée « parfaite » ou encore « troublante » pouvant porter à confusion chez un observateur non suffisamment familiarisé. Le deuxième critère renvoie à l’identité morale. Il ne s’agit plus de la seule comparaison de critères physiques. Vient s’ajouter la comparaison des personnalités, des caractères et des tempéraments. D’où l’expression, « il est comme mon jumeau » qui renvoie à « l’affinité, la complicité ou l’accord parfait qui règne entre deux personnes et qui peut les amener en conséquence à se rapprocher l’un l’autre ». Le critère suivant est implicitement fondé sur les deux premiers. Il s’agit de l’idée d’appariement, de ce qui se ressemble parfaitement. Sa signification se retrouve dans l’emploi du verbe jumeler, qui signifie « ajuster ensemble deux choses semblables ». Son utilisation s’appuie sur l’existence de facteurs d’équivalences entre les objets, soit d’une identité de valeur (par exemple, dans le but d’associer deux villes entre elles). Nous constatons qu’au-delà de la définition stricto sensu – venue au monde de deux enfants issus d’un même accouchement – que l’union ou la réunion des semblables vient s’inscrire en tant que dimension constitutive de l’imaginaire de la gémellité. S’ajoute également l’idée d’une prédisposition de communauté d’existence, ou de destinée à exister ensemble, pour les objets conçus à cette fin, qui prend appui sur un principe absolu de non séparation des semblables, traduit par l’expression « ce qui se ressemble, s’assemble ». Le rapprochement constitue la cause finale de l’existence des objets que l’on qualifie de « jumeaux ». Dans l’imaginaire occidental, la figure gémellaire est donc associée à l’expression de l’unité dans la ressemblance et dans la destinée. Du fait de leur venue au monde simultanée, les jumeaux donnent l’impression de pouvoir échapper, dans une certaine mesure, au sentiment de solitude auquel l’existence expose nécessairement tous les êtres humains. Par l’intermédiaire d’un phénomène naturel à caractère surnaturel, le jumeau accède à la vie au côté de son « âme sœur », au sens premier du mot âme qui est « souffle vital »5. La relation gémellaire transcende en quelque sorte toutes les autres relations, et peut représenter une résolution à cet état de l’être jeté au monde dans l’expérience continuelle de la solitude. C’est ainsi que, contrairement à ce que l’on rencontre dans les mythologies traditionnelles, la séparation des jumeaux appartenant à l’imaginaire occidental révèle plutôt une situation de crise. Là où la différenciation des enfants dans les taxinomies traditionnelles contribuait à un retour à l’équilibre du monde, ce sont les retrouvailles qui ici permettent un retour à l’ordre social. La séparation des jumeaux est associée à un acte contre nature allant à l’encontre du lien que celle-ci a établi entre eux aux origines même de la vie. En témoigne la question « Où est l’autre ? » adressée aux parents de jumeaux par les habitants du quartier lorsqu’ils sont accompagnés d’un seul enfant. Question révélatrice d’un modèle de pensée qui associe gémellité à inséparabilité.

La situation particulière des parcours d’AMP.

La médicalisation de la naissance et le développement des techniques d’échographie permettent aujourd’hui de connaître assez tôt le caractère gémellaire ou multiple d’une grossesse (dès la sixième semaine de gestation). Les résultats de notre enquête montrent que le mode de conception (médicalement assisté ou « spontané ») influence la réception de l’annonce d’une grossesse gémellaire.
Ainsi, parmi nos enquêtées, les femmes ayant eu un parcours d’AMP décrivent des sentiments de joie à l’annonce de leur grossesse gémellaire. Comme le note Jacqueline Wendland, « lorsque la grossesse a été précédée d’un long traitement contre l’infertilité, l’annonce d’un succès représente littéralement une rupture. Elle vient rompre de longues années d’attente, de cycles de traitement infructueux, d’espoirs déçus, et souvent de dépression et d’isolement. Le couple manifeste généralement à la fois joie et incrédulité. Car la grossesse tant attendue est toujours inattendue » (Wendland, 2007).
Ainsi, dans l’attente de devenir mère, l’annonce est avant tout entendue comme celle d’une grossesse.
Je voulais un bébé. Un, deux, trois, je m’en foutais. Je voulais un bébé. C’était la quatrième tentative. On y croyait plus. […] Je voulais bébé et qu’il y en ait deux, tant mieux ! Parce que je savais qu’il n’y en aurait pas d’autres. Les FIV c’est jusqu’à 43 ans et j’en ai 42. Donc j’étais contente sur le coup. […] Pour moi, j’étais enceinte, j’étais enfin enceinte ! Maintenant il fallait que ça tienne. Voilà, donc ça ne m’a pas fait flipper plus que ça. […]Donc, jumeau, pas jumeau, j’étais enceinte […] parce que je suis dans un cadre de FIV et qu’on n’y croyait plus. (Enquêtée n° 1)
Très contente, car comme il s’agissait d’une fécondation, qu’il y en ait un ou deux… […]On était super content et on l’a su tout de suite. On a vu deux petites poches et on a dit : « Oh, il y en a deux ! » (Enquêtée n° 2)
Ces sentiments de joie et de victoire sont partagés par l’entourage qui a suivi chez toutes les femmes de l’étude concernées les difficultés du couple à avoir des enfants.
Ma mère a éclaté de rire au téléphone. Mon frère à des jumeaux, mon grand frère. Donc elle m’a dit, bon bah voilà, je suis double grand-mère. Double jumeau, donc elle, elle a éclaté de rire. Euh, mon mari pareil il a été content, mais tout de suite il a eu peur, parce que grossesse compliquée. Il a lui même des frères jumeaux et il y en a un qui a eu le cordon, euh, qui lui a coupé. Donc il est en hôpital pédopsy. Donc lui, c’était plus de la peur. Et puis bah mes copines elles étaient toutes contentes bah, parce que j’étais enceinte. Voilà, c’est, c’est… Tout le monde a suivi ce combat que j’avais. Personne n’osait m’annoncer quand elles étaient enceintes parce que c’est un combat de tous les jours. (Enquêtée n° 1)
La famille était aussi impliquée dans le protocole, dans toute la démarche, donc ravie. Surtout moi de mon côté, ma sœur et mes parents, super ravis aussi parce qu’ils avaient fait une croix sur une grossesse chez moi, donc… deux bébés miracles. (Enquêtée n° 10)
Les femmes concernées connaissent la plus forte probabilité d’avoir une grossesse multiple en entrant dans les protocoles d’AMP.
L’annonce, elle était programmée on va dire. Nous, on a été suivi plus d’un an avant la FIV. […] Donc un an de suivi, d’examens médicaux et deux mois de traitement, avant la FIV. […] On est allé à l’étranger, parce que, nous, on était sur un don d’ovocytes. Donc, on avait les pourcentages de réussite. [Le fait que ce soit une grossesse gémellaire], c’était agréablement une surprise, parce qu’on savait qu’il y avait 60 % de réussite, et que c’était en fonction du nombre qu’on en mettait, donc nous on avait décidé d’en mettre deux. Et les deux on pris, donc c’était une agréable surprise quoi. Le but c’était qu’il y en ait au moins un, donc les deux sont restés, c’était génial… c’était génial. (Enquêtée n° 7)
C’était tellement une grossesse inespérée. Moi je suis stérile, on m’a enlevé les ovaires à 16 ans pour empêcher un risque de cancer plus tard. Donc à la base, je savais que je ne devais pas avoir d’enfants. Et puis j’ai découvert sur internet le don d’ovocytes. Je me suis penchée là-dessus, j’ai pris contact avec [un Professeur du CHU] et après on est entré dans le protocole de FIV avec don d’ovocytes. C’était inespéré. Et le jour du transfert : deux embryons de transférés. Première annonce que ça a pris,
à la prise de sang, 15 jours après. Donc première étape, mais on restait prudents quand même. Deuxième prise de sang une semaine après, le taux avait encore augmenté, donc ont savaient au moins qu’un bébé avait pris. Et à l’échographie de contrôle, on a vu deux poches. Moi je le sentais en moi, je savais que les deux avaient pris, mais je préférais garder un peu de réserve, mais… donc pas tellement de surprise que ça qu’il y ait les deux embryons qui aient accrochés vu qu’il y a eu deux embryons de transférés. Plutôt un vrai soulagement et une grande joie quoi. (Enquêtée n° 10)
L’étude menée par Jacqueline Wendland note cependant l’existence de réactions contradictoires. La raison peut être liée au fait que « paradoxalement, la grossesse ne semble pas être le meilleur remède contre la souffrance liée à l’infertilité. À un désir d’être enceinte ne correspond pas toujours un désir d’enfant » (Wendland, 2007). Une autre dimension pourrait être mise en lien avec le fait que le parcours d’AMP met les mères en positions « anormales » que les naissances multiples viennent renforcer : « La nouvelle d’une naissance multiple peut faire l’effet d’un terrible choc, pouvant engendrer des sentiments de colère et de dépression. Pons, Charlemaine et Papiernik observent : “Étonnamment, parmi les parents qui se présentent pour le traitement contre l’infertilité, tous ne s’attendent pas à une grossesse, et encore moins à avoir des multiples, et ils sont bouleversés quand le traitement réussit […] : ‘J’étais très en colère. J’attendais cette grossesse. Elle était ardemment souhaitée. Je voulais être enceinte. Mais je ne m’attendais pas à deux bébés. Je me suis fait cette réflexion : si c’est deux, je n’en veux pas. J’étais très fâchée… parce que deux, c’est particulier. L’enfant par définition est unique. Quand il y en a deux, je trouve que cela nous rapproche du règne animal’ »(Wendland, 2007).

Dans notre enquête, la peur arrive plus tard dans le couple

J’étais contente sur le coup [au moment de l’annonce]. Sur le coup, je pense qu’on ne réalise pas, parce que c’est tellement arrivé tôt qu’on ne réalise pas le phénomène. C’est ensuite au fur et à mesure, il faut se dire… il faut qu’on s’équipe, comment ça va se passer, etc., et puis de la réaction médicale en face. […] Mon mari pareil il a été content, mais tout de suite il a eu peur, parce que grossesse compliquée. Il a lui même des frères jumeaux et il y en a un qui a eu le cordon, euh, qui lui a coupé. Donc il est en hôpital pédopsy. Donc lui, c’était plus de la peur. (Enquêtée n°1)
« Passé le choc de l’annonce, la plupart des parents dans cette situation considèrent la venue des jumeaux comme une bénédiction, la juste récompense à leurs années d’effort, d’attente et de souffrance. La grossesse gémellaire fait alors l’objet d’une idéalisation. En réalité, de nombreux couples infertiles souhaitent avoir des jumeaux, invoquant notamment les coûts physiques et psychologiques de chaque tentative, l’avancement de l’âge maternel, ou encore le souhait de ne pas avoir un enfant unique » (Leiblum, Kemman et Taska, 1990).

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Table des matières

Introduction
La naissance : un double rite de passage
La médicalisation occidentale de la naissance
Matériel et Méthode
Exposition du corps d’hypothèses de départ
Approche, terrain et technique d’enquête
Résultats
Description de la population
Principaux résultats
Pertinence de la recherche
Discussion
L’ambivalence gémellaire
Gémellité et identité
Devenir mère de jumeaux : un statut à part
La situation particulière des parcours d’AMP
La surmédicalisation des naissances gémellaires
Le regard scientifique sur la gémellité
Le suivi intense des grossesses gémellaires : rassurant et angoissant
A propos des modalités de l’accouchement
Les enjeux des suites de naissance
Le retour à domicile et la première année
Conclusion
Compte rendu des hypothèses de départ
Pistes de réflexion sur la prise en charge et ouverture
Bibliographie

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