La Simulation Neutronique
La naissance de l’ère atomique [3] (1932, découverte du neutron par J. Chadwick, 1933, introduction du concept de la réaction en chaîne nucléaire par L. Szilárd [5], 1939-1942 début du projet Manhattan [6]) a coïncidé avec celle de l’informatique. C’est en partie sous l’impulsion des travaux sur la création et de l’amélioration de la bombe, que les capacités informatiques ont progressé , d’abord par l’augmentation de la « vitesse » des processeurs puis, après les années 2001-2006 , par la multiplication de leur « nombre » sur une même carte mère. La loi de Moore [7], exprimée en 1965 et vérifiée depuis 1973, prévoit un doublement de la puissance des ordinateurs tous les deux ans. Dans cette thèse, nous avons fait bon usage de la machine Curie, un supercalculateur hébergé par le CEA de Bruyère-le-Châtel, qui développe une puissance crête de 2 pétaflops, soit 2 × 10¹⁵ opérations par seconde.
Des Codes Déterministes et Probabilistes
Forts de cette capacité nouvelle et toujours en plein essor, les codes de calculs neutroniques, qui ont pour vocation de résoudre l’équation du transport des neutrons dans la matière (ou équation de Boltzmann), ont suivi deux voies de développement :
• Les codes dits déterministes. Ces codes résolvent l’équation du transport sur un espace des phases discrétisé via des méthodes d’algèbre linéaire.
• Les codes dits stochastiques ou Monte Carlo [8]. Ces codes résolvent les équations de manière probabiliste et intégrale en simulant de nombreuses histoires possibles de neutrons depuis leur création par fission à leur disparition par absorption ou fuite. La relative simplicité des algorithmes et de leur implémentation « pas-à-pas » permet d’y introduire les toutes dernières avancées théoriques des modèles sans modifications profondes de la structure du code.
Les atouts de l’une sont les faiblesses de l’autre. Les méthodes déterministes conservent un fort sens physique et permettent des analyses précises d’une multitude de paramètres en relativement peu de temps. A travail équivalent, les méthodes Monte Carlo requièrent généralement une plus grande puissance de calcul, mais fournissent des résultats dits de « référence » grâce à une résolution continue sur l’espace des phases des équations du transport et à l’utilisation de modèles plus proches de phénomènes physiques.
Bien souvent, ces deux types de codes n’en restent pas moins complémentaires. Les études actuelles, quand elles ne concernent pas des cœurs de très petites tailles, se basent souvent sur une approche mixte où les codes Monte Carlo très coûteux en ressources sont utilisés pour valider certaines étapes du calcul déterministe. Le choix d’utilisation d’un code déterministe ou Monte Carlo se fait en fonction de la précision recherchée, de l’application concernée, et doit être appuyé par un avis d’expert.
Les Applications des Codes Neutroniques
Dans le domaine de la physique des réacteurs, l’application d’un code de calcul a plusieurs objectifs :
• La conception de nouveaux réacteurs. Concevoir de nouveaux réacteurs implique de devoir tester des nouvelles hypothèses, d’optimiser un ensemble de paramètres de performance et de sûreté, de prévoir des situations inédites d’accident, de modéliser l’ensemble des capteurs qui instrumenteront le cœur, de tester de nouvelles fonctionnalités, etc. Les codes de calculs utilisés doivent donc être à la fois rapides afin de tester un grand nombre de paramètres (utilisation des codes déterministes et de modèles simplifiés) et fiables, afin d’assurer, une fois les paramètres choisis, le meilleur résultat (codes Monte Carlo).
• Le suivi des réacteurs en fonctionnement. Afin d’assurer le bon fonctionnement des réacteurs, il est nécessaire de prévoir les nouveaux plans de chargement des assemblages combustible neufs , de réaliser les études en lien avec les évolutions des exigences de sûreté. Citons comme exemple l’étude de la fluence cuve [9] qui est un facteur clef du prolongement de la vie de nos centrales. Pour chacune de ces actions, les simulations neutroniques permettent de sélectionner les meilleures solutions à mettre en œuvre.
• L’étude du risque de criticité. Lors de la manipulation, du transport ou de l’entreposage de matières nucléaires, il est primordial de s’assurer qu’aucune configuration, aucun agencement de matière fissile ne pourra mener à une divergence incontrôlée, c’est-à-dire à une réaction en chaîne non maîtrisée.
• Les études de propagation des rayonnements. Dans toute installation nucléaire, bien que la dose reçue par chaque travailleur soit contrôlée, il est primordial de la calculer au préalable afin d’en limiter la magnitude dès la conception. Ces études sont aussi nécessaires afin de démanteler une centrale dans les meilleures conditions de sécurité, ou bien encore lors de la mise en place de traitements médicaux par irradiation.
La Démarche de VVUQ
Les applications des codes neutroniques sont toutes des applications où de grandes incertitudes sont rarement permises, le premier objectif des codes est donc d’assurer une capacité prédictive. Il est alors primordiale de Vérifier, Valider, Qualifier, ainsi que de Quantifier les incertitudes introduites dans chaque nouvelle fonctionnalité du code. On parle alors de démarches de type VVUQ (Verification, Validation and Uncertainty Quantification).
La démarche VVUQ n’a pas de définition unique bien établie et commune à tous les domaines scientifiques, même si de nombreux efforts ont été faits en ce sens ces dernières années. Ce sont surtout les termes, qui selon les disciplines ou cultures diffèrent légèrement. Nous nous efforcerons dans cette partie de présenter, au mieux, la démarche et les termes utilisés au CEA dans le domaine de la neutronique.
Finalement, la quantification des incertitudes vient réaliser la synthèse des écarts calculés directement par le biais d’expériences intégrales, ou indirectement par la propagation exhaustive des différentes sources d’incertitudes liées aux données d’entrée de la simulation :
• Les erreurs de modélisations simplifiées de la physique (e.g. approximation de la diffusion, etc).
• Les erreurs dues au schémas numériques imparfaits (e.g. discrétisation de l’espace trop grossière, etc).
• Les erreurs de description du système (e.g. bilan en masse, tolérances de fabrication, etc).
• Les incertitudes des données de base du calcul (e.g. les données nucléaires).
L’aboutissement de ces quatre étapes (Vérification, Validation, Qualification et Quantification des Incertitudes) est généralement synthétisé dans un formulaire de calcul qui rassemble, pour un domaine d’application bien défini, des conseils généraux, les différents enchaînements et étapes de calculs préconisés, les différents paramètres de simulation, les biais et les incertitudes maximaux attendus. Le fruit d’une telle démarche aboutit par exemple aux résultats suivants sur le calcul d’un keff d’une configuration critique de cœur du programme AMMON. Les incertitudes de description représentent environ 0.3 % [11] de la valeur, les incertitudes des données nucléaires environ 0.6 % [11], et les incertitudes des codes, dépendantes du type de code (déterministe ou Monte Carlo), jusqu’à 0.2 %. Où l’« expérimentateur » va chercher à réduire les incertitudes technologiques en améliorant son protocole, le neutronicien « simulateur » va, lui, tenter d’améliorer sa connaissance des données nucléaires ou améliorer la précision de son calcul.
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Table des matières
INTRODUCTION
I Introduction
I.A Cadre de la Thèse
I.A.1 La Simulation Neutronique
I.A.1.i Des Codes Déterministes et Probabilistes
I.A.1.ii Les Applications des Codes Neutroniques
I.A.1.iii La Démarche de VVUQ
I.A.2 Qualification et Retour sur les Données Nucléaires
I.A.2.i Les Données Nucléaires
I.A.2.ii La Propagation des Incertitudes des Données Nucléaires
I.A.2.iii Le Retour des Expériences Intégrales sur les Données Nucléaires
I.B Problématiques et Objectifs
I.B.1 Sensibilités & Perturbations → Incertitudes
I.B.2 Interprétation des Expériences MINERVE
I.B.3 Calculs de Référence de Paramètres Fonctions du Flux Adjoint
I.B.3.i Calcul du Flux Adjoint
I.B.3.ii Calcul des Paramètres Cinétiques
I.C Plan de la Thèse
II Flux Adjoint Monte Carlo
II.A Le Flux Adjoint
II.A.1 Définitions
II.A.1.i Définition « Mathématique »
II.A.1.ii Définition « Physique », ou Probabilité de Fission Itérée (IFP)
II.A.2 État de l’Art des Méthodes Monte Carlo
II.A.2.i La Probabilité Itérée de Fission
II.A.2.ii Monte Carlo Direct vs Monte Carlo Inversé
II.A.2.iii La Matrices de Fission
II.A.2.iv Synthèse du Calcul d’Importance
II.B Implémentation dans Tripoli-4
II.B.1 Méthode AIWS
II.B.1.i Algorithme
II.B.1.ii Précisions sur les Estimateurs
II.B.1.iii Calcul du Taux Total Adjoint
II.B.2 Choix des Paramètres de Simulation
II.B.2.i Définition des Sources, des Scores
II.B.2.ii Définition de la Longueur du Cycle
II.B.2.iii Seuil de la Roulette-Russe
II.B.3 Vérification & Validation
II.B.3.i Flux Angulaires Monocinétiques Direct et Adjoint
II.B.3.ii Flux Adjoint « Matrice de Fission » vs Flux Adjoint IFP
II.B.3.iii Flux Adjoint IFP multigroupe vs APOLLO2-MOC
II.C Illustrations – Qualification
II.C.1 Illustration : Validation des Codes Déterministes, Cellule UOX
II.C.1.i Spectre Adjoint Moyen dans une pastille UOX
II.C.1.ii Flux Adjoints Angulaires dans une Résonance de l’238U
II.C.2 Cas de Qualification : Maquette DIMPLE
III Méthodes de Perturbations Stochastiques
III.A Les Perturbations de Réactivité
III.A.1 Différence des Valeurs Propres
III.A.2 Méthodes « Perturbatives »
III.A.2.i Théorie « Exacte » des Perturbations et 1er ordre
III.A.2.ii Introduire des Corrélations
III.B État de l’Art Monte Carlo
III.B.1 Méthode IFP
III.B.2 Méthode CLUTCH
III.B.3 Méthode des Échantillons Corrélés
III.B.4 Synthèse
III.C Approches Envisagées dans cette Thèse
III.C.1 Perturbations « Exactes » par Approche Ponctuel
III.C.2 Perturbations « Exactes » par Collision (CEP)
III.C.3 Perturbations « Exactes » par Corps Noir
III.C.3.i Perturbations de Réactivité (BBEP)
III.C.3.ii Extension aux Perturbations Généralisées « Exacte » (BBEGPT)
III.C.4 Synthèse des Approches Envisagées
III.D Implémentation des Perturbations Exactes par Collision (CEP)
III.D.1 Méthode & Choix d’implémentation
III.D.1.i Théorie Appliquée
III.D.1.ii Définir une Perturbation
III.D.1.iiiStockage des Collisions
III.D.1.ivConversion de l’état d’un neutron dans l’état ② du réacteur vers l’état ①
III.D.1.v Perturbation des Fonctions de Renvoi
III.D.2 Optimisations et Options de Calculs
III.D.2.i Gestion des Architectures Parallèles
III.D.2.ii Biaisage
III.D.2.iiiMultiplicités
III.D.2.ivApproximation Semi-Multigroupe
III.D.3 Vérification & Validation
III.D.3.i Perturbation de Concentrations
III.D.3.ii Perturbation d’une Section Efficace Microscopique
III.D.3.iiiPerturbation de Température
III.D.3.ivBibliothèques de Données Nucléaires
CONCLUSION