Période 2 : Commentaire de l’enseignant : présentation du corpus choisi
a) Platon et Aristote J’ai sélectionné des passages de Platon et d’Aristote afin d’introduire, dans la première partie de cette séquence, des concepts fondamentaux qui nous serviront à analyser ensuite les textes de Ménandre, Lucien et même de Molière. C’est en effet chez Aristote, principalement dans la Politique et l’Ethique à Nicomaque, que nous trouverons toute la théorie de l’amitié et de la philanthropie, notions fondamentales dans sa philosophie morale et politique, ainsi que l’étude systématique des différents caractères irascibles. C’est à l’époque hellénistique que l’on s’intéresse particulièrement à l’étude des caractères humains à travers le portrait des vices et des vertus, principalement avec Aristote et Théophraste. Les Caractères de Théophraste, par le biais des traductions latines au XVIème siècle, inspireront l’étude des caractères humains au XVIIème siècle, en Angleterre5 et en France6. Mentionnons enfin que l’anthropologie du XVIIème, comme celle de l’époque hellénistique, « repose sur la notion de caractère qui est de l’ordre de l’universel et de la fixité » (Teulade 2007, p. 136), tout en montrant les nombreuses variations possibles. Les traités médicaux du XVIIème reposant sur la théorie des humeurs sont aussi élaborés de la même manière (Teulade). La méthode d’analyse que je propose dans la première partie de cette séquence partira de termes que l’on trouve chez Aristote afin d’étudier les personnages misanthropes du corpus.
b) Ménandre, Le Bourru Précisons d’emblée qu’il est historiquement impossible que Molière ait eu accès au texte de Ménandre, même traduit : en effet, le texte entier ou presque n’est disponible que depuis 1959, date de la découverte du papyrus Bodmer IV, contenant le manuscrit. Auparavant, le texte n’était connu que par fragments et citations indirects (Lechevalier 2007, p. 17). Bien que Ménandre fût connu à l’époque de Molière, ne serait-ce que par l’intermédiaire d’Ovide7, ce n’était qu’à travers des citations d’origine incertaine. Cependant, Ménandre est très souvent cité chez Plaute et Térence, auteurs que Molière connaissait bien, pour les avoir étudiés chez les Jésuites (Martin 1959, p. 197). Boileau, aux vers 350 et suivants du IIIe chant de l’Art poétique, cite Ménandre : Le théâtre perdit son antique fureur ; La comédie apprit à rire sans aigreur, Sans fiel et sans venin sur instruire et reprendre Et plut innocemment dans les vers de Ménandre.
Bien que l’ouvrage (paru en 1674) soit postérieur au Misanthrope, il permet néanmoins de prouver que le nom de Ménandre était connu des milieux littéraires du Grand Siècle. Il est intéressant aussi de noter que Ménandre fut le disciple d’Aristote et de Théophraste, le célèbre auteur des Caractères, repris par La Bruyère : Théophraste succéda à la tête du Lycée à Aristote, à qui l’on doit, outre la Poétique, l’une des premières études médicales et philosophiques de l’homme misanthrope, dans l’Ethique à Nicomaque. En y ajoutant la théorie médicale des humeurs encore en vigueur au XVIIe siècle, il est tout à fait permis d’affirmer que la misanthropie en tant que caractère était un sujet débattu à l’époque de Molière, autant du point de vue philosophique, social et médical, que littéraire. Quoi qu’il en soit de la connaissance ou non de Ménandre, Molière connaissait certainement le personnage-type du misanthrope, attesté depuis l’Antiquité gréco-latine. Par contre, il n’est pas impossible qu’il ait connu le texte de Lucien.
c) Lucien de Samosate, Timon ou le misanthrope L’entrée du mot « misantrope » dans le dictionnaire de Furetière (commencé dès 1650 mais publié seulement en 1694) mentionne à la fois le dialogue de Lucien et la comédie de Molière : Si rien ne prouve à nouveau que Molière ait lu ce texte, il est par contre fort probable que le nom de son protagoniste lui fût connu. En effet, Timon d’Athènes, cité par Plutarque (Vie d’Antoine, LXIX-LXX), Sénèque, Cicéron, Bacon et même Montaigne (« Timon, celui qui fut surnommé le haïsseur des hommes »8) est un personnage réel ayant vécu à Athènes à l’époque de la Guerre du Péloponnèse, devenu au fil des siècle le symbole de la misanthropie. A l’époque de Molière, le nom de Timon était bien connu des milieux littéraires, et il représentait le type même du misanthrope : d’abord riche, puis ruiné, abandonné de ses amis, vivant dans une solitude volontaire (« le désert »), vouant une haine mortelle au genre humain et assoiffé de vengeance. C’est sur la base de ces caractéristiques célèbres que Shakespeare a composé son Timon d’Athènes en 1606, dont rien ne prouve non plus qu’il ait été lu par Molière.
d) Au-delà des « modèles » Au-delà des mystères de l’histoire littéraire, il est certain que Molière s’attaquait avec son misanthrope à un personnage-type déjà établi du théâtre : le mythe du misanthrope existait bel et bien, et il était même dans l’air du temps de l’étudier du point de vue médical, philosophique, politique et social : autant de caractéristiques que nous retrouverons chez le personnage d’Alceste. Par rapport à tous ces « modèles » connus ou non de Molière, Alceste s’en distingue « par sa psychologie plus profonde et plus nuancée. » (Marcou 2007, p. 153) Voici ce qu’apporte Molière au type du misanthrope, d’après René Jasinski (Jasinski 1951): Evidemment, on ne saurait affirmer que Molière a connu le Timon de Shakespeare. Mais une conclusion d’ensemble s’impose : dès avant lui le type du misanthrope s’était diversement illustré au cours d’un long passé. Il avait évolué à travers les âges.
Il posait dans toute son ampleur en termes finalement très modernisés la question du pessimisme des grandes âmes devant l’éternel conflit entre l’idéal et le réel. Connus ou non de lui, ces antécédents proches ou lointains permettent de définir l’originalité de sa position. Les éléments essentiels avaient été découverts, la psychologie même du misanthrope fixée dans ses grandes lignes. Générosité foncière, loyaux essais, découverte et refus de l’irrémédiable dépravation humaine, puis repli douloureux, appel du « désert », suprêmes tentations et faiblesses auxquelles succèdent un désespoir définitif : il pouvait suivre ou rencontrer maintes fois ses devanciers. Mais tous jusqu’alors avaient tendu à l’extrême effort presque éperdu : avec eux la misanthropie, en dépit de son intime désarroi, se durcissait en une atroce barbarie. Molière préserve Alceste de toute cruauté. Il lui donne l’horreur du mal, non la soif du châtiment. Il fait de lui un « ennemi du genre humain » plus bourru que féroce, meurtri mais incapable de rendre le mal pour le mal, et dont toute la vengeance consiste à céder la place aux méchants. Sans doute Molière entend passer du drame à la comédie.
Mais sa conception même, pénétrée de plus grande mansuétude, exclut toute inhumanité. (pp. 72-72). Avant de conclure cette introduction, notons qu’au-delà des modèles présentés ci-dessus, il est également très probable que Molière, dont on sait qu’il aimait s’inspirer de ses contemporains9, ait pensé au célèbre Duc de Montausier, « connu pour son caractère vertueux et farouche, et que celui-ci, loin de s’offusquer, aurait, au contraire, loué le personnage de Molière. » (Schweitzer). Toutefois, je n’aborderai pas la question des éventuelles sources contemporaines de Molière, car ma séquence didactique a davantage comme but d’introduire l’intertexte antique et de voir ce que Molière y apporte.
Conclusion
Cette activité de littérature comparée entre Ménandre, Lucien et Molière a permis de révéler les innovations, ou du moins les variantes, qu’apporte Molière aux misanthropes transmis par ses prédécesseurs, connus ou inconnus de lui : les plus importantes variantes se situant au niveau social et moral, nous en déduisons que Molière cherchait certainement à dénoncer, à travers les péripéties d’un « atrabilaire amoureux », la société de cour pervertie dans laquelle il vivait, c’est-à-dire transformer les frustrations d’un pauvre paysan grec bourru en une interrogation philosophique sur la place de l’homme de bien dans la société louis-quatorzième. Cette séquence didactique satisfait à mon sens pleinement tous les objectifs visés qu’elle détaillait dans l’Introduction du travail.
Tout d’abord, du point de vue de la simple culture générale, elle aura permis à des élèves d’école professionnelle un accès direct à des termes et des auteurs qu’ils n’auront, à moins de poursuivre des études universitaires, probablement jamais l’occasion sinon d’approfondir, pour le moins d’aborder. Elle aura en outre, à travers la méthode étymologique et la comparaison entre les langues, enrichi le vocabulaire de termes fondamentaux, même dans le français parlé de tous les jours. Au niveau plus précis du travail sur Le Misanthrope, la séquence aura apporté, à travers la présentation d’une certaine méthode de travail, des outils d’analyse tout à fait utiles pour le travail non seulement sur le corpus antique, mais aussi sur Molière.
La comparaison de textes, bien que distants de nombreux siècles, d’époques et de langues différentes, a néanmoins permis des travaux tout à fait cohérents, car permettant un dialogue constant, complémentaire et heuristique entre ceux-ci. Cette digression par un corpus antique n’a pas eu comme effet de s’éloigner de l’analyse de Molière, comme on pourrait le redouter : au contraire, en proposant l’acquisition de termes et d’une méthode antiques pour analyser un texte moderne (en l’occurrence du XVIIème siècle), elle permet de réaliser ce que tout amoureux et fidèle défenseur des langues anciennes tente de faire : montrer qu’il est possible d’éclairer le présent à l’aide du passé.
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Table des matières
1. Introduction / problématique
1. 1. Pourquoi ce sujet ?
2. Cadre de réalisation pratique de la séquence didactique
2.1 Le public
2.2. Nombre de périodes
2.3. A quel moment situer cette séquence dans le semestre ?
2. 4. Comment lire le présent travail ?
3. La séquence didactique
3. 1. Période 1 : L’intertexte antique du Misanthrope de Molière : Platon, Aristote, Ménandre, Lucien de Samosate.
3. 2. Période 2 : Commentaire de l’enseignant : présentation du corpus choisi
a) Platon / Aristote
b) Ménandre, Le Bourru
c) Lucien de Samosate, Timon ou Le Misanthrope
d) Au-delà des « modèles »
3. 3. Périodes 3-5: quelques définitions antiques de la misanthropie
a) Commentaire de la fiche 2
b) Commentaire de la fiche 3
c) Platon
d) Aristote
e) La misanthropie comme caractère :
les irascibles
les caractères très colériques
les caractères amers
les caractères difficiles
les complaisants
Conclusion sur les périodes 3-5
MSFRA21 Antoine Fachard
Printemps 2015
f) Objectifs à atteindre au terme des périodes 3-5
3. 4. Périodes 6-8 : les ancêtres d’Alceste : Cnémon et Timon d’Athènes
Périodes 6 -7 : Ménandre, Le Bourru
a) Présentation
b) Commentaire de la fiche 5
o caractéristiques physiques
o caractéristiques sociales
o caractéristiques morales
3. 5. Période 8 : Lucien de Samosate, Timon ou le misanthrope
a) Présentation – fiche 7
b) Commentaire de la fiche 7
o caractéristiques physiques
o caractéristiques sociales
o caractéristiques morales
4. Conclusion
5. Bibliographie
6. Annexes
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