La sensibilité des glaciers aux conditions climatiques 

Les glaciers de montagne sont sensibles aux variations climatiques, même de faible amplitude. Leurs variations sont en particulier dépendantes des précipitations et des températures (Oerlemans, 2005; Vincent, 2010). Le recul des glaciers observé aujourd’hui à travers le monde est un des exemples les plus frappants du changement climatique actuel (Figure 1.1). Les enjeux liés à ce recul actuel sont multiples, à la fois sociétaux et environnementaux. Cependant, il y a encore aujourd’hui un manque dans la compréhension détaillée de la réponse des systèmes glaciaires aux variations climatiques (Solomina et al., 2015) et démêler le rôle spécifique des précipitations et de la température dans les fluctuations glaciaires est encore difficile (Solomina et al., 2016). L’amélioration de notre connaissance de la sensibilité complexe des fluctuations glaciaires au climat est encore nécessaire pour pouvoir affiner les modèles prédictifs de l’évolution des glaciers et ainsi de mieux anticiper les changements associés. La comparaison des fluctuations glaciaires aux échelles locales et régionales peut apporter des informations importantes à la compréhension de cette sensibilité lorsque les variations climatiques associées sont étudiées. De plus, en comprenant le fonctionnement des glaciers et leur sensibilité, les glaciers de montagne peuvent alors être utilisés afin de reconstruire les variations climatiques dans le passé sur la base de leurs fluctuations.

L’étude et la datation des morphologies glaciaires holocènes (la période interglaciaire actuelle débutée il y a 11,7 ka ; Rasmussen et al., 2006) est un des moyens les plus directs de déterminer les extensions et le timing des fluctuations glaciaires. La reconstitution des chronologies glaciaires et l’étude des conditions climatiques associées apportent des informations importantes à la compréhension du lien glacier-climat. L’application de diverses techniques de datation (datation 14C radiogénique, lichénométrie, dendrochronologie, études des varves lacustres…) au domaine glaciaire au cours des dernières décennies et en particulier l’amélioration récente de la datation de l’âge d’exposition par nucléides cosmogéniques ontpermis de grandement affiner la connaissance des fluctuations holocènes (Balco, 2011; Solomina et al., 2015). Cependant elle est encore inégale, à la fois géographiquement et temporellement (Figure 1.2). Par exemple dans les Alpescentrales et orientales, suite à de nombreuses études géochronologiques et géomorphologiques, le comportement général des glaciers commence à être bien cerné (Ivy-Ochs et al., 2009; Solomina et al., 2015). La tendancequi se dessine est caractérisée par des glaciers avancées, avec des extensions plus importantes que lors du Petit Âge Glaciaire, au tout début de l’Holocène, puis des avancées majeures vers 3 ka, qui culminent pendant le Petit Âge Glaciaire, il y a environ 420 à 160 ans. Des positions reculées des glaciers ont été mises en évidence pendant la majorité du début et du milieu de l’Holocène, à partir de la datation de troncs fossiles (Hormes et al., 2001; Joerin et al., 2006), mais ces positions sont encore mal contraintes, en particulier dans l’espace. Cependant les chronologies glaciaires holocènes dans les Alpes occidentales sont encore peu nombreuses (e.g. Le Roy, 2012; Hofmann, 2018). Cela est valable pour le massif du Mont-Blanc, qui possède pourtant parmi les plus grands glaciers d’Europe. En effet, bien que les fluctuations de la fin de l’Holocène commencent à y être bien documentées (e.g. Deline and Orombelli, 2005; Le Roy et al., 2015), il existe une grande lacune dans la connaissance des fluctuations glaciaires du début de l’Holocène dans ce massif.

Les glaciers : outils de la reconstitution du climat

Un glacier est une masse pérenne de glace maintenue par l’accumulation de neige en haute altitude et la perte de matière par ablation en faible altitude. Son évolution est liée aux variations du climat (Oerlemans, 2005) et reconstruire les chronologies glaciaires du passé, à partir des marqueurs géologiques laissés par les glaciers, peut apporter d’importantes informations à la compréhension du climat passé, présent et futur. Dans le cadre de cette étude, les glaciers étudiés sont des glaciers tempérés de montagne et les discussions ne concernent donc que ce type de glacier. Dans ce chapitre, le lien entre glacier et climat est tout d’abord expliqué, puis une description des morphologies glaciaires étudiées est réalisée et reliée aux informations qu’elles peuvent apporter, et enfin un état des connaissances des chronologies glaciaires dans les Alpes et dans le massif du Mont-Blanc (site d’étude des travaux de cette thèse) au cours de l’Holocène (période d’étude de cette thèse) est établi.

La sensibilité des glaciers aux conditions climatiques 

Le bilan de masse d’un glacier 

La dynamique d’un glacier de montagne est conditionnée par l’équilibre entre les phénomènes d’accumulation et d’ablation. L’accumulation de glace est principalement due à la chute de neige en hiver, mais également à l’apport de neige en provenance des parois par dépôts avalancheux ou transportés par le vent (Francou and Vincent, 2007). La neige est ensuite progressivement transformée en glace par un phénomène de diagénèse. L’ablation du glacier résulte quant à elle majoritairement de la fonte, mais également de l’évaporation et de la sublimation (Vincent, 2010). Le phénomène d’accumulation sera prépondérant pendant l’hiver, alors que l’ablation le sera pendant l’été (Bennet and Glasser, 2009). Bien que l’accumulation ait lieu sur toute la surface du glacier, elle n’est plus importante que l’ablation que dans la partie la plus élevée. L’ablation prend quant à elle de l’importance dans les parties les moins élevées, où les conditions sont plus favorables à la fonte, et est maximale au front du glacier (Francou and Vincent, 2007).

Deux zones peuvent donc être distinguée sur un glacier de montagne : la zone d’accumulation, en hautes altitudes, et la zone d’ablation, en basses altitudes (Figure 1.1). La limitation entre les deux est appelée ligne d’équilibre glaciaire (LEG ; ELA en anglais), le long de laquelle l’accumulation est égale à l’ablation. L’écoulement du glacier sous l’effet des forces de gravité transfère la glace des zones d’accumulation vers les zones d’ablation. L’équilibre entre l’accumulation et l’ablation d’un glacier peut être décrit par un bilan de masse, qui comptabilise les entrées (précipitations) par rapport aux sorties (fonte) sur toute la surface du glacier au cours d’une année. Un glacier est considéré à l’équilibre glaciaire lorsque l’accumulation est égale à l’ablation, c’est à dire que le bilan de masse est nul (Bennet and Glasser, 2009). Lorsque que l’accumulation l’emporte sur l’ablation, le bilan de masse est positif et le glacier est alors en dynamique d’avancée. Au contraire, lorsque l’ablation est plus importante, le bilan de masse est négatif et le glacier est alors en dynamique de retrait.

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Table des matières

Introduction générale
CHAPITRE 1: Les glaciers : outils de la reconstitution du climat
1.1 La sensibilité des glaciers aux conditions climatiques
1.1.1 Le bilan de masse d’un glacier
1.1.2 L’influence du climat sur les glaciers
1.2 Enregistrement des variations du glacier par les morphologies glaciaires
1.2.1 Modelage des polis glaciaires et roches moutonnées
1.2.2 Formation des moraines
1.3 Reconstitutions climatiques à partir des modelés glaciaires
1.3.1 Reconstitutions basées sur la reconstruction de la LEG
1.3.2 Reconstitutions couplées à des modèles physiques
1.4 Climat et enregistrements glaciaires holocènes dans les Alpes et le massif du Mont-Blanc
1.4.1 L’Holocène dans les Alpes à travers les variations climatiques et glaciaires
1.4.2 Les chronologies glaciaires holocènes dans le massif du Mont-Blanc
CHAPITRE 2 : Datation de l’exposition des morphologies glaciaires par nucléides cosmogéniques in situ
2.1 De la formation des nucléides cosmogéniques in situ à la détermination de l’exposition d’une surface
2.1.1 Production des nucléides cosmogéniques in situ
2.1.2 Equation de production
2.1.3 Dépendances de la production
2.2 Datation des morphologies glaciaires en utilisant le 10Be et le 14C in situ
2.2.1 Datation du dépôt des moraines par 10Be
2.2.1.1 Principe et apport de la datation des moraines
2.2.1.2 Utilisation du 10Be
2.2.2 Datations de polis glaciaires par 10Be et 14C in situ
2.2.2.1 Principe et apport de la datation des polis glaciaires
2.2.2.2 Utilisation de la paire 10Be-14C in situ
2.2.2.3 Limites de l’utilisation de la paire 10Be-14C in situ
CHAPITRE 3 : Méthodologie analytique de préparation des échantillons
3.1 Isolation du quartz
3.1.1 Protocole en routine au CEREGE
3.1.2 L’alternative de la flottation
3.2 Isolation et mesure du 10Be
3.2.1 Protocole classique de mesure du 10Be au CEREGE
3.2.1.1 Isolation du 10Be cosmogénique
3.2.1.2 Mesure par spectrométrie de masse par accélérateur
3.2.2 Difficultés rencontrées et adaptation du protocole
3.2.3 Critères pour déterminer la fiabilité des mesures
3.3 Isolation et mesure du 14C in situ
3.3.1 Extraction et purification du CO2
3.3.2 Mesure par spectrométrie de masse
3.3.3 Applicabilité de la paire 10Be-14C in situ à nos échantillons des glaciers du massif du Mont-Blanc
Conclusion générale

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