ANTHROPISA TION DE LA FORÊT BORÉALE
L’ anthropisation et l’empreinte humaine sont présentes dans tous les biomes incluant celui de la forêt boréale (Sanderson et al. 2002). Avant l’avènement de la mécanisation et de l’ industrialisation de l’aménagement forestier, la forêt boréale était principalement perturbée par des événements naturels tels les feux de forêt, les chablis et les épidémies d’ insectes (Brokaw & Rent 1999; Spies & Turner 1999). De nos jours, les opérations de récolte forestière sont reconnues comme étant la perturbation majeure à l’intérieur de la forêt boréale (McRae et al. 2001). Ce changement dans le régime de perturbations modifie également la composition et la structure de la forêt. En effet, la récolte forestière simplifie la structure et standardise l’âge des peuplements en plus de globalement rajeunir la matrice forestière (Axelsson & Ostlund 2001 ; Bergeron et al. 2002). Suite à cette récolte,l’empreinte humaine reste importante en forêt boréale puisque l’aménagement forestier se traduit également par la construction d’un dense réseau routier (Forman & Alexander 1998). Une fois mis en place, ce réseau routier favorise l’implantation de structures anthropiques pérennes tels les chalets, les pourvoiries et les autres établissements de villégiature, supportant une plus grande présence humaine en forêt boréale.Cette perturbation anthropique qu’est l’aménagement forestier peut également avoir plusieurs impacts sur la faune. Comme suggéré par Johnson et St-Laurent (2011), les perturbations anthropiques, selon leur magnitude et l’échelle spatio-temporelle à laquelle elles modifient l’environnement, peuvent avoir des impacts sur la physiologie (Creel et al. 2002; Wikelski & Cooke 2006; Renaud 2012), le comportement (Blumstein et al. 2005; Stankowich 2008; Leclerc et al. 2012) et le budget énergétique (Bélanger & Bédard 1990;Williams et al. 2006) des animaux ainsi que sur la démographie des populations (Carney & Sydeman 1999; Phillips & Alldredge 2000) et sur la structure des communautés animales (Addessi 1994; Peres 2000; Winfree et al. 2007). Alors que certaines espèces tirent profit de l’aménagement forestier, d’autres s’en trouvent défavorisées, soulignant du même coup que la réponse de la faune face aux perturbations anthropiques demeure complexe (Johnson & St-Laurent 2011). À titre d’exemple, de 5 à 10 ans suite à l’exploitation forestière, il est commun d’observer une augmentation de la densité d’orignaux (Alees alces) qui s’explique par une hausse de la nourriture disponible et du couvert de protection (Peek et al. 1976; Potvin et al. 2005). À l’opposé, l’exploitation forestière semble être pour le caribou (Rangifer tarandus) le facteur clé qui entraîne une cascade d’effets négatifs (Smith et al. 2000; Fisher & Wilkinson 2005; Schaefer & Mahoney 2007).
IMPACT DE L’ANTHROPISATION DE LA FORÊT BORÉALE SUR LE CARIBOU FORESTIER
La tendance générale des populations de caribous est au déclin (Courtois 2003; Vors & Boyce 2009) et l’écotype forestier de la sous-espèce du caribou des bois (Rangifer tarandus caribou) n’y fait pas exception. En effet, la limite sud de son aire de répartition ne cesse de régresser vers le nord depuis le début du 1ge siècle (Bergerud 1974; Courtois 2003;McLoughlin et al. 2003), ce qui a conduit à sa désignation comme espèce menacée au Canada (COSEPAC 2002) et vulnérable au Québec (MRNF 2005). Plus récemment, le COSEPAC (2011) a attribué au caribou forestier associé à la forêt boréale le statut d’unité désignable boréale (DU6), soulignant son caractère distinct stipulant qu ‘ il s’agit d’un élément irremplaçable de la biodiversité nationale. Les causes du déclin du caribou forestier sont multiples et synergiques et semblent exacerbées par l’ aménagement forestier. Les impacts induits par les coupes forestières et le développement du réseau routier impliquent une augmentation de la chasse et du braconnage (Bergerud 1971 , 1974), la perte, la fragmentation et l’altération d’habitats (Nellemann & Cameron 1996; Vors et al. 2007) ainsi qu ‘ une augmentation de la prédation (Seip 1991; Wittmer et al. 2005 ; Gustine et al.2006). Les coupes forestières, en plus de réduire la proportion de vieilles forêts matures (i. e. l’habitat préférentiel du caribou; Mahoney & Virg12003; Bowman et al. 2010), augmentent la proportion de jeunes peuplements forestiers dans le paysage qui sont davantage composés d’essences décidues et de sapin baumier (Abies balsamea). Ces essences sont des ressources alimentaires pour l’ orignal qui augmente en densité (Peek et al. 1976; Potvin et al. 2005), ce qui déclenche une réponse numérique du loup gris (Canis lupus), le prédateur principal des caribous adultes (Seip 1991). Ces mêmes jeunes peuplements forestiers sont également riches en petits fruits, baies et plantes herbacées, des sources de nourriture importantes pour l’ ours noir (Ursus americanus; Beeman & Pelton 1977; Landers et al.1979; Brodeur et al. 2008). Ce dernier est également reconnu comme un prédateur du caribou s’ attaquant particulièrement aux faons âgés de moins de 6 semaines (Adams et al. 1995; Pinard et al. 2012). Les coupes forestières augmentent donc la pression de prédation sur le caribou forestier par l’augmentation des densités de loup gris et d’ours noir et ce, tant à l’échelle locale que régionale (Land ers et al. 1979; Seip 1991; Potvin et al. 2005).
LA PRÉDATION CHEZ LE CARIBOU FORESTIER
La prédation joue un rôle important dans la dynamique des populations de plusieurs espèces d’ongulés (Skogland 1991; Linnell et al. 1995; Hebblewhite et al. 2002). Chez le caribou, quoiqu’elle ne soit pas à l’origine de toutes les mortalités (les autres sources étant par exemple l’abandon maternel, la malnutrition, la noyade et les maladies; Adams et al.1995; Linnell et al. 1995), il est suggéré que la prédation puisse agir comme principal facteur limitant (Bergerud & Elliot 1986; Rettie & Messier 1998; Wittmer et al. 2005). La prédation peut affecter tant les adultes (Rettie & Messier 1998; McLoughlin et al. 2003) que les faons (Gustine et al. 2006; Pinard et al. 2012). Bien que la survie des femelles adultes soit un facteur important qui influence la dynamique des populations, la survie des faons caribous est hautement variable (Seip & Cichowski 1996; Gustine et al. 2006; Pinard et al. 2012) et pourrait jouer un rôle dominant sur le taux de croissance de la population (Gaillard et al. 1998, 2000; Raithel et al. 2007). Les principaux prédateurs des faons caribous forestiers incluent le loup gris, l’ours noir, le grizzly (Ursus arctos), le carcajou (Gulo gulo), le lynx (Lynx sp.) et l’aigle royal (Aquila chrysaetos; Bergerud 1971; Adams et al. 1995; Gustine et al. 2006; Pinard et al. 2012). Une des stratégies utilisées par le caribou afin de réduire le risque de prédation est de s’isoler spatialement de ses prédateurs et des proies alternatives en sélectionnant des habitats différents de ces derniers (Bergerud et al. 1984; Bergerud et al. 1990; James et al. 2004).
L A SÉLECTION D’HABITAT DU CARIBOU FORESTIER
La sélection d’habitat est un des processus centraux en écologie puisqu’ elle permet, entre autres, de comprendre comment les individus se distribuent dans le paysage, ce qui peut influencer la dynamique écologique et évolutive de l’espèce (McLoughlin et al. 2010; Morris 20 Il). Selon la définition de Morris (2003), la sélection d’ habitat est le processus par lequel un individu occupe de manière non aléatoire une portion des habitats qui lui est disponible. De plus, la sélection d’habitat peut être considérée comme un processus hiérarchique (Johnson 1980) qui vise à atténuer l’influence des différents facteurs limitants (Rettie & Messier 2000; Dussault et al. 2005). En effet, la sélection d’habitat à plus large échelle spatiale et temporelle vise à atténuer l’effet du facteur limitant le plus important. Ce facteur limitant dirigera, si nécessaire, la sélection d’habitat à de plus fines échelles spatiales et temporelles et ce, jusqu’à ce que l’effet de ce facteur limitant soit suffisamment atténué. Par la suite, le second facteur limitant en importance dirigera la sélection d’habitat aux échelles spatiales et temporelles inférieures. Ainsi, la sélection d’habitat à une échelle spatiale donnée est contrainte par les choix faits aux échelles spatiales supérieures (Schaefer & Messier 1995). Il est donc important d’analyser plusieurs échelles spatiales afin de s’offrir une vision holistique de la sélection d’habitat et des différents facteurs limitants qui peuvent l’influencer.La sélection d’habitat du caribou forestier est un processus qui a été largement étudié un peu partout dans l’aire de répartition de l’espèce [e.g. Alaska (Nellemann & Cameron 1996; Joly et al. 2010), Alberta (James et al. 2004; McLoughlin et al. 2005), Ontario (Ferguson et al. 1988; Ferguson & Elkie 2004), Québec (Courtois et al. 2007; Hins et al.2009), Saskatchewan (Rettie & Messier 2000, 2001) et Terre-Neuve (Mahoney & Virgl 2003 ; Schaefer & Mahoney 2007)]. Durant la période de mise bas et d’élevage en bas âge, les femelles sélectionnent généralement les peuplements résineux matures (Mahoney & Virgl 2003), les tourbières et les landes à lichen (Hins et al. 2009).
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Table des matières
REMERCIEMENTS
RÉSUME
ABSTRACT
LISTE DES TABLEAUX
LISTE DES FIGURES
INTRODUCTION GÉNÉRALE
CHAPITRE 1 ÉVALUATION MULTI-ÉCHELLE DE L’IMPACT DES ROUTES ET DES COUPES FORESTIÈRES SUR LA SÉLECTION DES SITES DE MISE BAS CHEZ LE CARIBOU DES BOIS
1.1 RÉSUMÉ EN FRANÇAIS DU PREMIER ARTICLE
1.2 MULTISCALE ASSESSMENT OF THE IMPACTS OF ROADS AND CUTOVERS ON CALVING SITE SELECTION IN WOODLAND CARIBOU
CHAPITRE 2 LES DIFFÉRENTES STRATÉGIES COMPORTEMENTALES FACE AUX PERTURBATIONS ANTHROPIQUES EXPLIQUENT LA PERFORMANCE INDIVIDUELLE CHEZ UN GRAND ONGULÉ
2.1 RÉSUMÉ EN FRANÇAIS DU DEUXIÈME ARTICLE
2.2 BEHA VIOURAL STRA TEGlES TOWARDS HUMAN-INDUCED DISTURBANCES EXPLAIN INDIVIDUAL PERFORMANCE IN A LARGE UNGULATE
CHAPITRE 3 CONCLUSION
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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