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La morale et la religion naturelles
Il nous faudrait à présent considérer ce qu’est le bonheur naturel et spirituel de l’homme. Ici, l’homme n’est pas unique ment un être social, il est aussi à la fois un être moral et religieux. Selon les recherches que nous avons effectuées, nous avons appris que Rousseau, uil aussi, a été influencé par la religion. Autrement dit, il a reçu une éducation protestante, et il n’est pas parvenu à échapper à la tendance religieuse de l’époque. Cela a été d’ailleurs renforcé par le courant philosophique fondé sur le rationalisme cartésien.
Parce qu’il a reçu une éducation protestante, Rousseau est marqué par les idées de la Réforme du XVI siècle. Il a hérité des traditions calvinistes, d’une part, et des traditions luthériennes, d’autre part. Toutefois, son ambition, était d’établir la nécessité d’une morale et d’une religion naturelles. Le penseur genevois n’admet ni l’utilité des livres, ni la médiation d’autres êtres humains dans la recherchedu Bien et de la Vérité ; pareillement, ni l’utilité des textes ou ed la Révélation dans la quête du salut et de Dieu. Il faut signaler que lorsque le cartésianisme veut tout examiner à la lumière de la raison, il accorde une valeur éminente à la raison humaine.
Pour plus de précision, le calvinisme est un mouvement religieux inspiré par le réformateur français Calvin. Il niele pouvoir du pape et le culte des saints. Selon lui, l’Ecriture Sainte est l’unique source de la foi. De la même manière, le réformateur allemand Lutherdit que seul le lien personnel de l’homme avec Dieu fonde la foi. Dans ce cas, l’homme ne peut avoir le salut de son âme que par lui-même dans la grâce de Dieu. D’où, chaque croyant examine individuellement sa foi à la lumière de sa conscience naturelle. Ces multiples influences protestantes sont claires dans la pensée rousseauiste, mais ce dernier est devenu plutôt théiste, partisan de la religion naturelle ; il expose cette idée dans son ouvrage Emile ou de l’éducation : « Les plus grandes idées de la divinité nous viennent par la raison seule. Voyez le spectacle de la nature, écoutez la voix intérieure. Dieu n’a-t-il pas tout dit à nos yeux, à notre conscience, à notre jugement ? Qu’est-ce que les ho mmes nous diront de plus ? Leur révélation ne fait que égrader Dieu, en lui donnant les passions humaines »1.
Ici, ce n’est pas la Révélation divine en tant quetelle que Rousseau voudrait combattre, mais c’est plutôt l’anthropomor phisme qui fait intervenir les passions humaines et les dogmes particuliers fondés sur la doctrine positive. Les dogmes sont dominés par le ritualisme liturgique et les manifestations extérieures. Pour Rousseau, Dieu est la révélation du cœur. Il ne faut donc pas confondre les institution s humaines et la vraie révélation. Les premières mettent trop l’accent surle cérémonial de la religion, et non sur la religion. Alors, tout doit être fondé sur le sentiment intérieur de l’individu en suivant la voix de l’âme inscrite en lui. C’est cette voix qui est d’ailleurs le vrai guide de l’ho mme, parce qu’elle ne le trompe jamais, et c’est ce que Rousseau appelle « instinct divin » mis par Dieu en l’homme. En ce sens, Rousseau écrit : « Conscience ! Conscience ! Instinct divin, immortelle et céleste voix ; guide assuré d’un être ignorant eborné, mais intelligent, libre, juge infaillible du bien et du mal »1.
Ce point de vue résulte de la réalité vécue dans nsosiècle, dans son contexte socioculturel. La Réforme protestante et le libre examen des Saintes Ecritures avaient favorisé la prolifération des sectes religieuses, séparées par des querelles doctrinales et en luttecontinuelle. Cela risque d’aboutir à l’intolérance religieuse et finir aussi par des guerres de religion et des troubles sociaux.
Le souci majeur de Rousseau, c’est de dépasser un tel problème. Et comme nous l’avons souligné ci-dessus, Rousseau est un philosophe naturaliste, il n’a voulu croire qu’à des vérités simples et universelles qui s’accordent avec la raison. Rousseau a également ramené la religion chrétienne à une philosophie morale et naturelle. Sur ce point, Rousseau dit : « Les dogmes de la religion doivent être simples, ne petit nombre, énoncés avec précision sans explications ni commentaires »2.
Dans cette perspective, c’est la non universalité des morales et des religions qui a entraîné en même temps les guerresciviles ou religieuses. A cause de cela, le penseur genevois propose une société où règne un régime favorable qui n’a qu’une préoccupation majeure : la paix publique. Un tel souci permet la recherche de la volonté générale,elons Rousseau, il est nécessaire de créer une religion civile. En effet,pour résoudre ces troubles, il est légitime de faire appel au retour à la simplicité des dogmes et à l’unité de la volonté publique.
Grosso modo, la philosophie politique de Jean-Jacques Rousseau soulève une double facette de l’homme à l’état de nature et l’homme en tant qu’être biologique qui vit au sein de l’isolement. D’où, cet état de nature aux yeux de Rousseau constitue ce qu’on appelle sa nature primitive, mais ce n’est là qu’une simple hypothèse anthropologique qui sert à expliquer que l’homme biologique est sous l’ emprise de son instinct. Ses besoins sont faciles à satisfaire. Toutefois, R ousseau nous dit que la vie purement solitaire est impensable, inimaginable.
En réalité, l’homme est un être de la famille, iloitd vivre au sein de la famille, et cette famille constitue la première société naturelle. C’est un groupe d’individus encore en petit nombre mais gouverné quand même par une autorité naturelle qui est d’ailleurs le père de famille. Ce groupe d’individus vit heureux dans un cadre de vie champêtre. Selon leur tradition naturelle, les fêtes naturelles de la récolte les rassemblent régulièrement. Ils mènent une existence simple pourparvenir à la joie et aussi à la solidarité. Ainsi, l’égalité sociale règne dans ce groupe. Pour cela, il y a toujours une équitable répartition destâches pour mieux assurer leurs activités quotidiennes. Certes, les relationsau sein de cette société ne supposaient encore ni des textes, ni des lois positives.
En mettant l’accent sur le point de vue moral et spirituel, nous pouvons dire que l’homme qui vit à l’état de la société naturelle ne doit suivre que la révélation du cœur, c’est-à-dire il d oit écouter ce que sa voix intérieure lui dicte. Sur ce point, la volonté générale, qui est l’expression de cette intériorité reste encore puissante.
La seconde nature humaine de l’homme qui est l’état social est l’objet d’étude de ce deuxième chapitre de notre travail.
LA SECONDE NATURE HUMAINE DE L’HOMME
La période dite de bonheur naturel n’est qu’un pont entre l’état primitif et l’état social. Autrement dit, le bonheur naturel ne dure pas longtemps car la famille naturelle s’étend de façon très rapide. Dans ce cas, plusieurs groupes d’individus se forment pour occuper les terrains. Ainsi, la vie solitaire semble une chimère, et la vie que les familles mènent est menacée parce que chacune d’entre elles veut s’approprier plus de terrains par rapport aux autres. Cette nouvelle phase tend à conduire l’homme vers une autre vie dite la seconde nature ou l’état social, c’est-à-dire un passage de l’état de nature à l’état social. En effet, cet état social permet à l’homme naturel de connaître d’abord un changement brusque et ensuite une autre manière de concevoir le monde, c’est-à-dire l’homme tend vers le devenir1.
Le devenir de l’homme
La faiblesse de l’homme naturel
Les hommes nouent d’abord des contacts entre eux, c’est-à-dire vivent en relation avec leurs semblables. Ensuite, une autre manière de concevoir le monde apparaît. Ainsi, l’esprit de l’h omme s’épanouit progressivement, ce qui fait que l’intelligence humaine, qui demeurait en puissance dans l’état de nature, connaît une autre ouverture, une grande crise est à l’origine de ce phénomène. Rousseau affirme sans son second Discours : « A mesure que le genre humain s’étendit, les peines humaines se multiplièrent avec les hommes. La différence des terrains, des climats, des saisons, possibilité les forcer à en mettre dans leurs manières de vivre. Des années stériles, des hivers longs et rudes, des étés brûlants qui consument tout, exigèrent d’eux une nouvelle industrie »1.
Le « genre humain » dont Jean-Jacques Rousseau parle dans cette citation est, par définition, l’ensemble des êtreshumains. C’est l’homme en relation avec ses semblables. Ces hommes sont donc totalement différents de l’homme qui vit seul, qui vit dans l’isolement. Le passage que nous venons de citer ci-dessus parle de cataclysmes naturels. A cause de tout cela, les hommes doivent vivre en société. On peutsouligner que c’est dans et par cette relation, qui est l’image des facteurs extérieurs, que se révèle l’impuissance des hommes. Ils vivent avec les autres à cause de leur faiblesse. Autrement dit, les hommes s’unissent pour lutter contre les problèmes dus au niveau de la société. Rousseau dit: « L’homme isolé est un être si faible, ou du moinsdont la force est tellement mesurée à ses besoins naturels et à son état primitif que pour peu que cet état change et ueq ces besoins augmentent, il ne peut plus se passer de ses semblables »2.
Tenant compte de ce texte de Rousseau, nous pouvons dire que, face à son impuissance, l’homme naturel cherche une vie en société, car c’est dans et par cette société qu’il arrive à satisfaire ses besoins :
assistance sociale, besoin de la communauté, etc. Ainsi, une « nouvelle industrie » s’impose aux hommes parce que ces cataclysmes naturels, ces crises géologiques et climatologiques réduisent leurs récoltes. Ce qui fait que les hommes utilisent leur savoir-faire afin de lutter contre les maux sociaux. Par contre, à l’état de nature, les hommes n’exploitent pas leur savoir-faire pour améliorer leur vie quotidienne, mais plutôt se contentent d’être à la merci de la nature, alors que l’idéal c’est l’exploitation du savoir-faire. D’où l’aspect de la communication et du contact avec autrui favorise l’exploitation de l’intelligence.
Le devenir social de l’homme
Néanmoins, cette augmentation des besoins humains prend une autre allure, elle corrompt les mœurs de la société. Cette dernière se métamorphose au fur et à mesure, et en ce sens, la condition de l’homme se détériore à tel point que l’homme perd ainsi l’harmonie de la nature. En effet, les nouvelles conditions de vie obligent les gens, d’une part, à légitimer leurs possessions, et d’autre part, à les transformer en propriétés. D’après Jean-Jacques Rousseau, c’est la propriété rivéep qui marque le début de la société civile. Dans cette perspective, il dit : « Le premier qui ayant enclos un terrain, s’avisa de dire, ceci est à moi, et trouva des gens assez simples po ur le croire, fut le vrai fondateur de la société civile ».
Selon Rousseau, l’homme naturel n’avait pas de prop riétés mais plutôt des possessions. Au moment où l’homme envisa ge une autre vie au sein de la société, son seul espoir, c’est d’avoir une puissance accrue au niveau de la société. A cet effet, les membres de haquec groupe familial se sont heurtés à un nouveau problème. Ceci s’explique par le fait que chacun veut s’approprier quelque chose. Et cet esprit s’étend jusqu’au niveau du groupe. Chaque famille cherche alors à s’emparer d’ un endroit, à étendre sa propriété privée. Suite à cela, il y a une double ifficulté,d à savoir, d’une part, le conflit social qui apparaît au sein d’un même groupe, et d’autre part, la guerre incessante qui se déclenche entre les diférents groupes. Ainsi, cette confusion causée par la vie en société menace l’existence de l’être humain. Voici ce que Rousseau écrit : « Plus l’esprit s’éclairait, et plus l’industrie se perfectionne. Bientôt cessant de s’endormir sous le premier arbre, ou de se retirer dans des cavernes, on trouve quelques sortes de haches, de pierres dures et tranchantes, qui serviront à couper du bois, creuser la terre, et faire des hu ttes de branchages, qu’on s’avisa ensuite d’enduire d’argil e et de boue. Ce fut là l’époque d’une première révolutionqui forma l’établissement et la distinction des familles, et qui introduisit une sorte de propriété ; d’où peut-être, naquirentdéjà des querelles et des combats »1. En partant de l’argument de Jean-Jacques Rousseau, il veut montrer que le passage à l’état social, l’existence de l’être humain devient de plus en plus compliquée, alors que l’homme a opté pour la ransition de l’état de nature à l’état social pour une raison précise : le développement de son intelligence. Cette nouvelle condition exige d’adopter une résidence fixe. Le comble, c’est que chaque groupe de familles a voulu avoir une grande superficie afin de faciliter la mise en place de ses activités, par exemple l’activité des arts mécaniques. D’où la concurrences’impose, c’est-à-dire qu’un groupe veut surpasser l’autre. En ce sens, le travail devient un outil nécessaire, et il faut que l’homme transpire pour gagner sa propre vie.
Tout cela nous amène à de multiples tâches. Ces der nières exigent l’accroissement à la fois des besoins en énergie et en travail. C’est la raison pour laquelle les puissants ou les forts se permettent d’attaquer les impuissants ou les faibles. Toutefois, les faibles ne croisent pas les bras, ils essaient à leur tour de se défendre, de se protégeret de protéger aussi leur territoire. Par voie de conséquence, la guerre éclate.
Dans une guerre, il est impératif qu’il y ait un vainqueur et un vaincu. Le vainqueur met toujours en captivité le vaincu, ainsi le vaincu devient légitimement l’esclave du vainqueur. Pour cela, l’état social est synonyme d’état de guerre. C’est alors l’insécuritépermanente qui règne, car il y a méfiance entre le vainqueur qui est le nouveau maître et le vaincu qui représente aux yeux du maître le nouvel esclave. Rousseau dit dans le second
Discours : « La société naissante fit place au plus horrible taté de guerre : le genre humain avili et désolé ne pouvantplus retourner sur ses pas, ni renoncer aux acquisitions malheureuses qu’il avait faites, et ne travaillant qu’à sa honte par l’abus des facultés qui l’honorent, se mit lui-même à la veille de sa ruine »1.
Cette ruine est le résultat de la guerre perpétuell entre le vainqueur et le vaincu de la nouvelle société, parce que l’homme rencontre une nouvelle difficulté. Alors qu’à l’état de nature, l’homme dit solitaire n’était qu’un être faible, cette sa faiblesse n’a pas résisté longtemps, car il finit par nouer d’autres relations au sein de l’état social.
A l’état social, c’est le genre humain qui s’expose au risque de conflit permanent. C’est pour cette raison que le problème des rapports sociaux se pose parce que les rois et les nobles s’enrichissent aux dépens des esclaves.
Cette opposition entre le maître et l’esclave, entr e le riche et le pauvre pose un sérieux problème, et c’est justementsous cet angle que la difficulté apparaît à l’état social, parce que les riches, les hommes qui ont soif de la richesse, continuent à s’enrichir au détriment des pauvres, tandis que les pauvres sont soumis à la domination des ric hes. Les riches veulent donc maintenir leur emprise, alors que les pauvres cherchent les voies et moyens pour renverser la situation. A ce propos, le philosophe anglais Locke dit : « Le souci de sa propre conservation primerait et ne laisserait pas place au souci de la conservation d’autrui »2.
Ici, il y a une opposition causée par la conservation à savoir la conservation de soi et la conservation d’autrui. D’ où, cette opposition rend plus ou moins impossible la paix, parce que d’un cô té les favorisés abusent de leur pouvoir, et d’un autre côté, les défavorisé n’éprouvent qu’un sentiment de révolte vis-à-vis de leurs chefs. Le danger est que les faibles qui sont soumis aux lois des riches ne font que chercher sinon d’attendre le moment de réagir. Ce qui fait que cette tendance donne une autre image de la société. Autrement dit, cette société est donc menacée par deux sortes de volontés opposées l’une à l’autre, à savoir la volonté des riches, les vainqueurs, et la volonté des pauvres qui sont des vaincus. C’est ce conflit entre les riches et les pauvres qui provoque la nécessité d’une recherche de la volonté générale. Nous l’aborderons ultérieurementdans la partie suivante.
Comme ces intérêts s’opposent, la remarque de l’auteur genevois dans le Discours sur l’économie politique nous conduit à mieux comprendre ce passage aux vices sociaux de la société naissante. « Les abus sont inévitables et leurs suites funeste dans toute société où l’intérêt public et les lois n’ontaucune force naturelle, et sont sans cesse attaqués par l’intérêpersonnel et les passions du chef et ses membres »1.
L’homme et le danger de la société naissante
L’état de guerre n’est qu’un état transitoire parce qu’une telle société qui vit en conflit social est une société arginaliséem par la corruption. Cette corruption suscite des interrogations pour savoir à la fois leurs causes et leurs effets.
Il est à noter que le souci majeur de Rousseau au n iveau de sa réflexion est basé, d’une part sur les problèmes socio-économiques et, d’autre part, sur la politique générale de son époque.
Entre 1750 et 1753, l’Académie de Dijon propose un concours dont Jean-Jacques Rousseau est parmi les participants. Voici deux questions parmi celle que Rousseau a posé.
– Première question : « Le rétablissement des sciences et des arts a-t-il contribué à épurer ou à corrompre les mœurs ? » 1.
– Deuxième question : « Quelle est l’origine de l’inégalité parmi les hommes et si elle est autorisée par la loi naturelle ? »2.
Rousseau n’a pas manqué de proposer ses réponses à ces questions que nous avons énumérées. Sa première réponse est donnée dans son discours intitulé : Discours sur les sciences et les arts, et la deuxième réponse dans son discours intitulé : Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes.
Pour plus de précision, le premier Discours a remporté le premier prix de l’Académie de Dijon en 1750. D’après Rousseau, les causes des malheurs sociaux sont de deux sortes. Elles sont d’abord liées à la nature humaine, c’est-à-dire que ces causes appartiennent à la nature humaine proprement dite. Ensuite, elles ne sont elles-mêmes que des produits sociaux. D’après Léo Strauss, un penseur anglais duXVIIIème siècle, qui embrasse l’idée de causalité : « La philosophie politique traditionnelle postulait que l’homme est par nature un animal politique et social. En rejetant ce postulat […] Il admet que l’homme est p ar nature originellement un animal apolitique et même asocial»3.
Traditionnellement, la philosophie politique admet que par nature, l’homme est un animal politique et social, c’est-à- dire l’homme est condamné à vivre d’une part, au sein de la politique, et, d’autre part, au sein de la société. Par contre, selon une autre vision, par nature, l’homme est un animal apolitique et asocial, c’est-à-dire i l est un être qui doit s’éloigner, d’une part de la politique, et d’autre part de la société.
La confusion de la vie sociale
A cet effet, l’homme est méchant par nature, et c’est cette méchanceté qui provoque d’une façon générale le désordre social et la décadence des mœurs. Toute organisation sociale et politique s’avère donc impossible. C’est alors le droit du plus fort qui règne. Autrement dit, c’est le plus fort qui a le dernier mot. A ce propos, Hobbes dit : « Le droit se ramène dans tous les cas à la force »1.
Pour Rousseau, il attribue ces malheurs sociaux à l a société, d’une part, et à l’avènement de la raison, d’autre part, parce que la raison est le fruit de la communication entre les individus. En un mot, c’est la civilisation qui a ruiné l’homme. C’est la raison pour laquelle ce philosophe a été considéré comme un adversaire farouche de la civilisation. Dans les deux Discours, Rousseau a mis en relief que ce furent l’intelligence humaine, les livres, les sciences, les arts, les lois élaborées par les riches et les chefs politiques qui sont à l ’origine de ses malheurs.
En d’autres termes, l’établissement du droit à la propriété et l’instauration des lois, de l’institution politique que les bourgeois ont mis en place sont les premières manifestations des causes, car les chefs politiques n’envisagent que leurs intérêts particuliers et non la recherche de l’amélioration des conditions de la vie publique. Il n’y a plus affection paternelle, le pouvoir devient arbitraire. L’homme a perdu, en conséquence, ses qualités naturelles. Sur ce point,Rousseau remarque : « On est beaucoup plus sûr de ce qu’on fait en suivant l’histoire d’un même peuple et comparant les progrès de ses connaissances avec les révolutions de ses mœurs. Or , le résultat de cet examen est que le beau temps de la vertu de chaque peuple a été celui de son ignorance ; et qu’à mesure qu’il est devenu savant, artiste et philosophe, il a perdu ses mœurs et sa probité » 1.
Jean-Jacques Rousseau vise particulièrement ses contemporains, entre autres les encyclopédistes parce que ce sont eux qui ont changé l’harmonie qui règne à leur époque à cause de la diffusion de la civilisation. Il est à souligner que, selon le pens eur genevois, la civilisation n’a que des effets néfastes à l’égard de l’être humain, parce qu’elle favorise à la fois l’inégalité sociale, l’inégalitépolitique et aussi l’inégalité économique. D’où la dépravation de l’espèce humaine. Pour cela, Rousseau écrit : « La première source du mal est l’inégalité, de l’inégalité sont venues les richesses […]. Des rich esses sont
nés le luxe et l’oisiveté : du luxe sont venus lesbeaux-arts, et de l’oisiveté les sciences » .
L’homme est influencé par la richesse, le luxe, l’oisiveté, la science, etc., l’homme est devenu un être ambitieux; alors la domination s’impose. Cette domination a fini par l’esclavagism e. D’où l’esclavagisme fait partie des vices sociaux.
La manifestation des vices sociaux
L’un des soucis des hommes puissants, c’est de comm ander, c’est-à- dire, ils veulent se trouver à la tête des autres, à la recherche de leur bien-être aux dépens des hommes faibles. Voyons comment Rousseau exprime la manifestation de ces vices : « La vanité et l’oisiveté, qui ont engendré nos sciences ont aussi engendré le luxe. Le goût du luxe accompagne toujours celui du luxe. Toutes ces choses se tiennent assez fidèle compagnie, parce qu’elles sont l’ouvrage des mêmes vices »3.
Les différents types de vices s’enchevêtrent les uns aux autres. Selon la définition rousseauiste, les vices désignent tou ce qui peut nuire à la conservation d’autrui. Ils se présentent alors sous plusieurs formes, à savoir l’amour de la richesse, le goût du luxe, le goût de l’oppression, etc. Nous avons dit, à titre d’exemple, que la constatation d e ce phénomène avait poussé l’Académie de Dijon à organiser des concourssur la contribution des sciences et des arts à épurer les mœurs ou à les co rrompre : l’origine et les fondement de l’inégalité.
Prenons une réponse de Jean-Jacques Rousseau : « Si nos sciences sont vaines dans l’objet qu’elles se proposent, elles sont encore plus dangereuses par les effets qu’elles produisent » 1.
Selon l’auteur de Genève, les sciences ont contribué à la corruption de l’homme et à corrompre davantage la société. Toutefois, il faut bien reconnaître les atouts du XVIIIème siècle, ce dernier a été marqué par le développement scientifique et technique. Ce qui fait alors que les savants et les gens de lettres ont escompté l’amélioration d’une part, de la condition humaine, et d’autre part la promotion de la condition sociale. Mais ils n’ont pas pu atteindre les buts escomptés, au contraire,ils n’ont fait qu’aggraver la situation, car en incitant les gens à la compétition sociale, la civilisation moderne et la nouveauté ont engendré la rivalité sociale.
Cette rivalité sociale est parmi les causes de la soif de richesse, de l’amour du luxe et tout cela se termine par l’égoïsme poussé à l’extrême. Nous verrons plus loin que l’essor des violences et des techniques devient des instruments de domination2 entre les mains des puissants. A cet effet, cette nouvelle société dans laquelle nous avons attendu l’amélioration de l’existence des hommes, avec les sciences et les arts, ne fait que décevoir ces hommes. Elle a déclenché une certaine confusion dans la vie sociale.
Néanmoins, il est nécessaire de mentionner ici le ointp de vue de Rousseau à l’égard des sciences et des arts. Il ne rejette pas totalement les sciences et les arts. Autrement dit, Rousseau ne déteste pas la civilisation en tant que telle, mais plutôt ses effets. Le penseur genevois pense trouver encore une solution dans les sciences et les arts. Voici ce qu’il écrit à ce sujet : « Il vient un temps où le mal est tel que les causes mêmes qui l’ont fait naître sont nécessaires pour ’empêcherl d’augmenter »1.
En tenant compte de cette assertion, nous pouvons souligner que le citoyen de Genève n’est pas complètement pessimiste vis-à-vis de la modernité. Il manifeste alors son optimisme : « Laissons donc les sciences et les arts adoucir en quelque sorte la férocité des hommes qu’ils ont corrompus »2. Pour expliquer cette citation, le citoyen de Genève, suggère des solutions pour lutter contre les sciences et les arts. Il s’agit donc de changement des structures sociales, car le XVIIIème siècle a été marqué par la monarchie absolue et par la bourgeoisie. A cet effet, les dirigeants n’envisagent pas le bien du peuple, mais privilégient plutôt la volonté particulière. Or, en réalité : « La première et la plus importante maxime du gouvernement légitime ou populaire, c’est-à-dire celui qui a pour objet le bien public, est donc, comme je l’ai dit, de suivre en tout la volonté générale3 .»
En un mot, la recherche de la volonté générale danstoute société est primordiale parce qu’elle ne vise que l’intérêt commun d’une société. Elle doit être alors la priorité d’un gouvernement.
En comparant la nature sociale et la nature primitive de l’homme, nous pouvons conclure que l’homme n’est pas un êtrefigé. A l’état primitif, le bonheur naturel de l’homme était conditionné, d’une part, par des besoins biologiques et, d’autre part, par les phénomènes naturels. Par contre, au moment où les hommes ont eu le goût et la nécessitéde la vie en société, leurs conditions de vie ont totalement changé, car la formation en groupes d’individus exige l’établissement de rapports sociaux. Or, ces derniers impliquent inévitablement une augmentation des besoins. Ainsi, les atouts naturels sont devenus insuffisants. Cette insuffisance oblige l’homme à utiliser sa faculté afin de parvenir à son épanouisement. La nécessité de l’entreprise intellectuelle favorise alors un grand essor des sciences et des arts mécaniques.
Toutefois, cette phase entre la société naturelle te la société industrielle pose un problème, c’est-à-dire l’appar ition de rivalité entre ces deux sociétés à savoir la rivalité sociale et économique. Cette rivalité a entraîné des inégalités de toutes sortes, elle a abouti également à la domination des hommes forts sur les hommes faibles. Bref, la société dite société moderne est dominée par la volonté particulière des puissants. C’est la raison pour laquelle Jean-Jacques Rousseau apporte son soutien à ce problème : « Il serait donc à propos de diviser encore l’économie publique en populaire et tyrannique. La première est celle de tout état, où règne entre le peuple et les chefs unité d’intérêts et de volonté ; l’autre existera nécessairement partout où le gouvernement et le peuple auront des intérêts différents et par conséquent des volontés opposées1 .»
Ce passage de Rousseau nous amène à nous pencher sur la dichotomie de la volonté, à savoir, la volonté particulière et la volonté générale qui est d’ailleurs le centre d’intérêt dela deuxième partie de notre travail.
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Table des matières
INTRODUCTION
PREMIERE PARTIE/ LA NATURE HUMAINE DE L’HOMME
CHAPITRE I/ LA PRIMITIVE NATURE HUMAINE
I.- L’état de nature
1.- L’homme solitaire
2.- Le goût chez l’homme naturel
II.- L’homme et la société
1.- La famille naturelle
2.- Le bonheur naturel
III.- La morale et la religion naturelles
CHAPITRE II : LA SECONDE NATURE HUMAINE DE L’HOMME
I.- Le devenir de l’homme
1.- La faiblesse de l’homme naturel
2.- Le devenir social de l’homme
II.- L’homme et le danger de la société naissante
1.- La confusion de la vie sociale
2.- La manifestation des vices sociaux
DEUXIEME PARTIE : DE LA VOLONTE PARTICULIERE VERS LA VOLONTE GENERALE
CHAPITRE I : LES DIVERS PROBLEMES DE L’INDIVIDUALISME
I.- L’amour de soi
1.- L’amour de soi et l’autoconservation
2.- L’amour de soi et l’altruisme
II.- L’amour-propre
1.- La déviation de l’amour de soi
2.- Le souci de sa propre conservation
CHAPITRE II : LES DIVERS PROBLEMES DES RAPPORTS AVEC AUTRUI
I.- La domination
1.- Les passions du chef
2.- La domination des riches
II.- La servitude
1.- La servitude au point de vue historique
2.- La servitude en tant que phénomène contre nature
TROISIEME PARTIE : LA VOLONTE GENERALE : SON APPARITION ET SES IMPACTS
CHAPITRE I : LA VOLONTE GENERALE ET SON APPARITION
I.- Le pacte social
1.- L’adhésion des volontés
2.- La source des lois positives
II.- La volonté générale
1.- Différents concepts de la volonté générale dans quelques ouvrages
2.- Les idées fondamentales des concepts de volonté générale
3.- Recensement de quelques concepts voisins de la notion de volonté générale
CHAPITRE II : LES DIVERS IMPACTS DE LA NOTION DE VOLONTE GENERALE
I.- Les impacts sur l’Europe
1.- L’impact de la notion de volonté générale sur la Corse du XVIIIème siècle
2.- L’impact de la notion de volonté générale sur la Pologne à l’époque
de Jean-Jacques Rousseau
3.- L’impact de la notion de volonté générale sur le droit français
II.- Les impacts de la volonté générale sur l’Afrique et notamment sur le droit international
1.- L’exemple de l’institution politique africaine
2.- Son impact sur la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
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