Différentes fonctions
La nomination participe en premier lieu à la catégorisation
Au fil des dénominations, les catégories évoluent. Nommer, c’est identifier et donc différencier. Ainsi, tous les adjectifs (léger, moyens et lourds) pour distinguer, en utilisant les chiffres de mesure du QI, les différentes formes de déficience intellectuelle. Différencier pour séparer : on ne mélange pas des élèves avec déficience intellectuelle légère et lourde au sein d’un même IME. Un élève EANA, au bout d’une année scolaire, quitte la catégorie des allophones pour faire partie officiellement des élèves ordinaires mais, de façon explicite ou non, entre dans celle des alloglottes.
Entrer dans une catégorie permet parfois de bénéficier de droits compensatoires : au titre de la compensation du handicap (allocation, heures avec un AESH, prêt d’un ordinateur, tiers-temps pour les examens, inscriptions dans une ULIS …) ou au titre de l’allophonie (inscription dans une UPE2A, participation à des modules FLS).
L’étiquette de la catégorie peut inquiéter mais aussi rassurer. La plupart des familles ont besoin de pouvoir mettre un nom sur les difficultés ou les empêchements de leurs enfants.
Un enfant dyslexique voit une partie de ses problèmes scolaires pris en considération et reconnus. Être diagnostiqué Asperger, c’est pouvoir entrer dans une forme de communauté. Faire partie d’un groupe identifié peut donner le sentiment d’exister enfin. La catégorie peut même être brandie de façon revendicatrice, elle occupe alors une fonction identitaire ; ainsi Greta Thurnberg, figure emblématique du mouvement des jeunes pour le climat, se définit sur son profil Facebook comme « 16 year old climate and environmental activist with Asperger’s ».
Catégoriser, c’est se focaliser sur un caractère repérable ; la catégorie apparaît alors comme la réduction de l’identité à un trait. Jean Furtos (2007) va jusqu’à écrire que la catégorie « réifie » et « empêche toute rencontre d’humain à humain ». La catégorisation entraîne une assignation identitaire qui vient s’inscrire dans un discours sur une identité normée – qu’on appelle de façon euphémisée ordinaire : il y a les élèves ordinaires, et les autres (en situation de handicap, EANA, …). « L’étiquetage est un opérateur direct et inévitable d’exclusion. » écrit H. Genet (2012, p.56). « Pourtant, il faut bien nommer cette réalité, car elle exige une adaptation sociale. Ce n’est pas un choix, une option, c’est une nécessité. Dès lors, le handicap est bien une question politique, pour autant que le politique n’est pas seulement asservi au réel économique ». Et H. Genet de se demander
L’intersectionnalité à l’école
Le terme intersectionnalité a été proposé pour la première fois à la fin des années 80 aux Etats-Unis par la juriste afro-américaine Kimberlé Crenshaw dans le cadre de ses travaux sur la double domination subie par les femmes noires. Eric Fassin et Mara Viveros Vigoya (2019, p.515) définissent l’intersectionnalité comme « un outil, à la fois théorique et méthodologique, pour penser la pluralité des logiques de domination et leurs croisements ». Manon Garcia (2018, p.138) parle d’« oppression spécifique » pour souligner le fait qu’il ne s’agit pas de la juxtaposition d’oppressions liées à des catégories différentes mais bien d’une domination singulière prenant en compte le croisement des catégories. E. Fassin et M. Viveros Vigoya (2019, p.522) précisent encore que « le croisement des logiques discriminatoires ne se résume pas à un cumul des handicaps ». L’intersectionnalité s’intéresse la plupart du temps au croisement des oppressions opérées par rapport au sexe et à la race, ainsi qu’à la classe sociale. Ceci explique peut-être, en partie du moins, la grande difficulté à travailler avec ce concept pour étudier l’effet des catégorisations et leur croisement dans les établissements scolaires en France. Maïtena Armagnague (2020, p.26) évoque une « réserve institutionnelle rejetant toute forme de différentialisme » en dehors du soutien pédagogique en FLSco à l’égard des élèves migrants, comme si les difficultés liées aux origines et au choc culturel n’étaient pas pensables au sein de l’Éducation Nationale. En témoigne le scandale provoqué par l’annonce de deux journées d’études scientifiques intitulées « Penser l’intersectionnalité dans les recherches en éducation : enquêtes, terrains, théories » qui ont bien failli être annulées. L’objectif de ces journées d’études était d’interroger « la catégorisation socio-ethno-sexo-scolaire qui sous-tend les discriminations à l’école » (Lorcerie, 2019, p.163). C’était reconnaître la question du racisme comme présente dans les classes, alors que l’école française se veut non-discriminante dans les textes officiels . C’était aussi réactiver le malentendu autour du mot race. Mais, comme le précisent E. Fassin et M. Viveros Vigoya (2019, p.523) : « parler de la race, c’est se donner un vocabulaire pour voir ce qu’on ne veut pas voir : la discrimination raciste est aussi une assignation raciale. » […] « Pour les sciences sociales actuelles […], la race n’est pas un fait empirique ; c’est un concept qui permet de nommer le traitement inégal réservé à des individus et des groupes ainsi constitués comme différents. La réalité de la race n’est donc ni biologique ni culturelle ; elle est sociale. ».
L’identité est par essence plurielle, elle peut se décliner, entre autres, par de multiples appartenances à des catégories socialement définies. L’évolution des catégorisations dans l’enseignement spécialisé met bien en avant la question des représentations. D. Jodelet (1989, p.43) définit les représentations sociales comme des « systèmes d’interprétation régissant notre relation au monde et aux autres, orientant et organisant les conduites et les communications sociales ». Comment perçoit-on les autres, mais aussi comment se perçoit-on ? Saskia Mugnier a mené plusieurs travaux de recherche sur les représentations concernant les élèves sourds migrants ou issus de l’immigration. Elle pointe (Mugnier, 2016) la double stigmatisation dont ils peuvent être victimes : alors qu’ils pourraient être considérés comme des élèves plurilingues (langues d’origine, langue des signes, français), c’est à travers le prisme du déficit médical et de la minoration sociale de leurs langues qu’ils sont considérés. Diane Baudouin (2015) s’est penchée, quant à elle, sur la façon de se présenter qu’utilisaient des jeunes se situant au croisement de l’appartenance à ces deux minorités, « numériquement minoritaires et socialement minorés ». La chercheuse interrogeait la pertinence de la notion de double identité. Or les personnes interrogées se présentaient d’abord comme des jeunes, « avant d’être sourds et/ou migrants ». D’autre part, ils étaient une majorité « à se présenter […] comme sourds plutôt que comme migrants ».
Nous retrouvons ici le concept forgé par Hughes et repris par Becker (1963, pp.56-57) de « statut principal ». Hughes part du concept allemand de Stand pour construire celui de statut que l’on peut comprendre comme une composante identitaire. Quand il y a conflit de statuts, c’est le statut principal qui l’emporte sur le statut subordonné, et Becker de poursuivre : « certains statuts l’emportent sur tous les autres ».
La scolarisation des élèves allophones / alloglottes et porteurs de handicap
« Double catégorie » invisibilisée
Qu’en est-il pour les élèves allophones /alloglottes handicapés ? Combien sont-ils ?
Nous ne disposons d’aucun chiffre pour « croiser » ces deux catégories. Nous savons en revanche qu’en 2017 , 321 476 élèves en situation de handicap dans le milieu ordinaire et 78 358 en établissements spécialisés et 64 350 EANA étaient inscrits dans le système scolaire. Statutairement, les EANA identifiés administrativement comme porteurs de handicap sont sûrement très peu, puisque le parcours prend plusieurs mois pour obtenir une reconnaissance de handicap, et que cette reconnaissance arrive quand l’élève a perdu son statut d’allophone, étant scolarisé en France depuis plus d’un an… Si la primauté de la question linguistique (l’allophonie) sur celle de la migration se fait sentir dans la prise en charge pédagogique (Armagnague, 2020, p.35), c’est paradoxalement le statut de migrant qui l’emporte pour pouvoir faire partie de la catégorie EANA. Nous l’avons écrit précédemment, les élèves n’étant plus considérés comme des migrants mais comme « issus de l’immigration », ne sont plus reconnus comme allophones en tant qu’ils ont encore des besoins en soutien linguistique.
Il importe cependant de distinguer plusieurs types de situations puisque chacune est singulière (nature du handicap, pays d’origine, situation administrative de la famille…) ; nous dresserons ici une typologie des élèves en fonction du critère de la temporalité concernant le handicap.
Les élèves alloglottes
Les élèves alloglottes handicapés, n’étant plus considérés comme des EANA, sont donc scolarisés en milieu ordinaire ou dans des institutions médico-sociales. On peut faire l’hypothèse que les élèves alloglottes handicapés seront prioritairement considérés handicapés, et non alloglottes puisque cette qualité est invisibilisée dans le système scolaire en France. Cette focalisation sur le handicap au détriment de l’allophonie est sans doute renforcée par le cadre institutionnel : c’est en effet au titre de leur handicap qu’ils sont pris en charge dans des institutions spécialisées ou des dispositifs d’inclusion. Geneviève Piérart (2013, pp.124-125) écrit, à propos d’enfants allophones handicapés n’ayant pas accès au langage verbal et accueillis dans des structures spécialisées : « leur spécificité linguistique n’est pas reconnue, comme si le fait d’être dépourvus de langage les privait de langue. Or celle-ci est bien vivante dans le bain sensoriel qu’ils expérimentent au sein de leur famille ».
Les élèves allophones
Il s’agit des EANA, scolarisés au sein d’UPE2A. Contrairement aux alloglottes, c’est au titre de leur allophonie qu’ils sont scolarisés dans ces dispositifs. Certains enfants ou adolescents n’ont jamais été scolarisés dans leur(s) pays d’origine (NSA) ou de façon morcelée (PSA). Priorité est donnée aux apprentissages linguistiques et, le cas échéant, à la découverte et l’acquisition des codes scolaires.
Des difficultés d’apprentissage peuvent survenir : problèmes de compréhension qui persistent, pas ou peu de mots prononcés en français au bout de plusieurs mois, syntaxe orale et entrée dans l’écrit qui peinent à se mettre en place. Si ces difficultés sont accompagnées de signes manifestes de troubles psychiques (traits autistiques marqués, troubles sévères du comportement), l’hypothèse d’un handicap ou de grandes fragilités psychiques sera plus facilement envisagée. En revanche, sans ces signes manifestes, il importe de se donner un temps parfois assez long pour prendre en considération les difficultés d’ordre linguistiques mais aussi et surtout le traumatisme de la première scolarisation dans une culture très éloignée.
Un dispositif expérimental pour scolariser des EANA handicapés
Devant le nombre croissant d’enfants allophones nouvellement arrivés et porteurs de handicaps, une académie a mis en place un dispositif expérimental. Il est porté conjointement par le CASNAV et le Service de l’École Inclusive, avec le concours de deux enseignants chercheurs. C’est un dispositif unique en France pour accueillir ce profil d’élèves.
Ces derniers y sont orientés à l’issue des tests de positionnement réalisés par la psychologue au CASNAV, ou au sein d’UPE2A d’affectation si le handicap n’a pas été détecté avant. Contrairement à une ULIS classique, l’élève peut être scolarisé dans le dispositif, même s’il n’a pas encore reçu de notification de handicap par la MDPH – le numéro de son dossier de demande de suivi suffit. Cela permet de gagner un temps précieux et de bénéficier d’un suivi « UPE2A », quasiment impossible normalement pour les EANA en situation de handicap (voir p.29). Comme dans une UPE2A, les élèves peuvent y rester une année à l’issue de laquelle ils sont orientés vers des dispositifs ASH, non spécifiques aux allophones (ULIS collège ou lycée, IME ou IMPRO) et pour lesquels la reconnaissance de handicap par la MDPH est indispensable.
La classe est située dans un lycée ; elle peut accueillir jusqu’à dix élèves et, contrairement à une UPE2A ou à une ULIS, il s’agit d’une classe de type fermée, ne répondant pas à la politique scolaire d’inclusion actuelle. Une dotation horaire est attribuée par le Rectorat. Le professeur de FLE est contractuel et c’est lui qui coordonne la classe au quotidien – un chargé de mission CASNAV assure également la coordination de ce dispositif pour les relations avec les partenaires extérieurs à l’établissement.
Des ressources pour les enseignants
En dehors des équipes de circonscription ASH et des enseignants spécialisés qui publient régulièrement sur leurs sites des supports adaptés et des idées d’activités, le ministère de l’Éducation Nationale met à disposition également de nombreuses ressources, notamment via le site Eduscol : lien vers des plateformes spécialisées, accès à des logiciels, grilles d’évaluation…
De leur côté, les CASNAV mettent également en ligne des ressources (tests de positionnement plurilingues, livrets d’accueil plurilingues pour les familles avec des versions audio, trames d’activités en lecture…).
Aucune ressource « croisée » donc, qui s’adresserait à des élèves allophones handicapés. En revanche, les plateformes comme Cap école inclusive, Tous à l’école, LIREC et d’autres commencent à proposer des supports et des activités dédiées à une nouvelle catégorie dont font partie les EANA : les élèves à besoins éducatifs particuliers (EBEP).
Surcatégorisation : les élèves à besoins éducatifs particuliers (EBEP)
Origine et définition du concept de « besoins éducatifs particuliers »
L’expression Besoins éducatifs particuliers (BEP) est issue du Special Educational Need proposé par May Warnock en Grande-Bretagne en 1978 pour remplacer la liste des catégories de handicaps par un concept plus global. Repris dans la Déclaration de Salamanque de 1994, le concept est d’emblée rattaché à la politique d’inclusion. Mais si ce concept est utilisé par les organisations internationales pour comparer les taux d’inclusion scolaire, le manque d’harmonisation au niveau des définitions de l’inclusion scolaire et des BEP le rend peu pertinent dans ce cadre. (Caraglio, 2017).
En France, c’est en 2003 qu’une circulaire de rentrée parlera pour la première fois de la « prise en compte des élèves à besoins éducatifs particuliers ». La même année, le ministère de l’Éducation Nationale organise une université d’automne sur ce thème (DGESCO, 2004) et étend la liste des EBEP au-delà du handicap, et les nouveaux arrivants en font aussi partie. Klein et Sallé (2009) notent que « certains intervenants ont mis l’accent sur les risques de cette approche englobant des réalités très différentes qui ne présentaient pas nécessairement beaucoup de liens communs ». Des sites institutionnels (Eduscol, Onisep) ainsi que certaines académies dans leurs circulaires publient depuis plusieurs années des listes d’élèves à BEP en y incluant d’autres catégories. La plupart citent : les élèves avec handicaps physiques sensoriels, mentaux ; les élèves en grande difficulté d’apprentissage ou d’adaptation ; les enfants avec troubles du spectre de l’autisme ; les enfants malades ; les enfants intellectuellement précoces ; les élèves avec des troubles de l’attention avec ou sans hyperactivité ; les élèves avec des troubles « dys » ; les enfants en situation familiale ou sociale dégradée ; les mineurs isolés ; les mineurs incarcérés ; les élèves allophones nouvellement arrivés ; les enfants issus de familles itinérantes ou du voyage… le terme élève alternant avec celui d’enfant.
L’idée de besoins renvoie à celle d’autonomisation (empowerment chez les anglosaxons) et donc d’accessibilité. Ils impliquent des aménagements aussi divers que l’emploi du temps (la durée des séquences de classes, les scolarités partagées en cas de dispositif d’inclusion…), les outils (tablette, ordinateur, scanner, manuels spécifiques …), le mobilier adapté, les aides humaines (AESH, RASED, SESSAD …), mais également (et surtout) une « compensation pédagogique » (Armagnague, 2020, p.33). Une fois identifiés les besoins, aux pédagogues de proposer des données accessibles et des situations d’apprentissage dans lesquelles les élèves puissent s’engager – mais n’est-ce pas le propre de toute action pédagogique ?
Le modèle médical du handicap n’est pas loin, et, comme le souligne F. Armstrong (2011, p.91) à propos de l’introduction du concept de besoins éducatifs spéciaux, en France aussi « les étiquettes à base médicale ont continué à être utilisées dans les processus d’identification et d’évaluation, et ceci comme des étiquettes attachées aux enfants et aux dispositifs d’éducation spéciale prévus pour des déficiences particulières. » Ainsi, Gardou et Horvais (2012) pointent le paradoxe entre l’expression EBEP et le paradigme inclusif : la notion même de catégorie, et celle de besoins particuliers « va à l’encontre de l’esprit inclusif ». Et Gardou (2012) de préciser : « être inclusif, ce n’est pas faire de l’inclusion pour corriger a posteriori les dommages des iniquités, des catégorisations et des ostracismes ».
L’écueil de l’amalgame
Outre le risque de finalement renforcer la catégorisation et de mettre à mal le principe d’inclusion, le risque d’amalgame entre les sous-catégories des EBEP n’est pas à négliger, d’autant qu’il est déjà bien réel si l’on regarde les surorientations des élèves migrants (Ichou, 2018) dans certains dispositifs spécialisés (comme en SEGPA) ou institutions (EREA).
Les mouvements intercatégoriels procèdent par une forme de glissement contagieux des représentations sociales. Il n’est pas rare qu’une personne sourde, utilisant exclusivement la langue des signes, soit considérée comme déficiente intellectuelle par des entendants, bousculés de ne pas réussir à se faire comprendre ni à comprendre l’autre – entendants monolingues qui confondent alors plurilinguisme et déficit cognitif. Pensons également aux « catégorisations emboitées » (Castellotti, 2009, p.112) des différents rapports Benisti qui ont à juste titre fait scandale, mettant en avant un « lien de causalité entre bilinguisme précoce et entrée dans la délinquance » (Muni Toke, 2009). Dans ces cas, c’est le trait identitaire apparaissant le plus déviant par rapport à la norme (pour reprendre le concept forgé par Becker, 1963) qui va induire des hypothèses et renforcer le jugement d’écart de la norme.
Rhétorique institutionnelle
Cette sur-catégorie d’EBEP semble avoir été artificiellement mise en place pour soutenir le discours sur l’école inclusive, et elle reste très fluctuante. La notion de « besoins éducatifs particuliers » n’a jamais fait l’objet d’une définition claire et précise par le ministère de l’Éducation Nationale qui, au gré des circulaires et des colloques y ajoute ou retire des sous-catégories, et ne l’utilise absolument pas systématiquement (Lesain Delabarre, 2016, p.294). Ainsi, la circulaire de la rentrée 2019 pour une école inclusive évoque la « scolarisation des élèves à besoins éducatifs particuliers, dont les élèves en situation de handicap font partie » mais à aucun moment il n’est question des EANA. Il en est de même dans le Vademecum pour le PIAL de 2019 : ne sont concernés que les élèves avec une notification de handicap.
Par ailleurs, nulle part dans tous les documents officiels, il n’est fait allusion à des approches pédagogiques particulières qui répondraient, de façon logique, à ces besoins éducatifs particuliers. L’intérêt d’identifier et de nommer ces besoins est limité si l’on se contente d’une réponse administrative et matérielle. Si dans les dispositifs spécialisés, les enseignants sont habitués à expérimenter et utiliser diverses pédagogies, à la recherche de l’approche la mieux adaptée à leurs élèves, les enseignants des classes ordinaires qui sont de plus en plus amenés à accueillir des EBEP n’ont aucune formation dans ce domaine. Or l’enjeu essentiel de l’inclusion de tous relève bien de « défis éducatifs » (Gardou, 1998, p.3).
Au-delà du principe de catégorie
Dans la circulaire de 1970 intitulée Classes expérimentales d’initiation pour enfants étrangers, on pouvait lire : « les étrangers ne constituent pas entre eux un groupe homogène, et la rapidité de leur adaptation varie considérablement selon l’âge, le milieu socio-culturel, la langue maternelle, la scolarité antérieure, etc., chaque cas devant être considéré individuellement ». L’hétérogénéité est le propre de chaque groupe d’humains, caractérisés chacun par leur singularité non réductible à la caractéristique commune désignée pour les rassembler dans une catégorie. Ainsi, on parle de plus en plus fréquemment des autismes au pluriel et de personne avec autisme, pour distinguer l’individu d’un trait identitaire.
Le rapport Warnock, à l’origine du concept de BEP, mettait en garde contre la focalisation sur les difficultés et les besoins d’un élève, alors qu’il est essentiel de connaître les « intérêts, compétences ou talents particuliers de l’élève, autant de points d’appui pour les apprentissages » . On observe effectivement un hiatus important entre la façon dont continue à s’organiser la scolarisation des EPEP et les principes didactiques et pédagogiques auxquels se réfèrent les cadres de l’Éducation Nationale. Comme le note Jean-Claude Métraux (2015, p.265), il est difficile de « se débarrasser du vocabulaire de l’assistance (…) et dépasser ainsi l’obsession, typiquement occidentale, des différences, des hiérarchies et du modèle dominant selon lequel l’autre, du migrant à l’exclu, du malade au mourant, du patient à l’élève, est toujours porteur d’une quelconque forme de déficit ». Les EANA et les élèves en situation de handicap n’échappent pas à ce modèle, entretenu par la mise en avant des besoins éducatifs.
Charles Gardou, avec Jean Horvais (2012, p.104) mettent en garde contre le fait qu’« on est alors enclin à ne voir en eux que des êtres de besoins », et que la question du désir, pourtant centrale dans tous les processus d’apprentissage, est ignorée. Serge Boimare (1999) offre de nombreuses pistes de travail pédagogique en prenant en compte la « peur d’apprendre », la peur de la perte inhérente à tout apprentissage et pour (re)lancer le désir d’apprendre, notamment en restaurant les repères identitaires. Certes, les « besoins éducatifs » sont quantifiables (Armagnague, 2020), ils peuvent se référer à des normes (les tests de QI) et à des niveaux officiels (les paliers du CECRL ). Réduire un enfant en situation de handicap ou un enfant allophone nouvellement arrivé à un élève à besoins éducatifs particuliers, c’est-à-dire à « un être de besoins liés à ses manques » (Gardou & Horvais, 2012, p.109), c’est lui interdire de s’engager dans ses apprentissages en tant qu’être singulier et désirant. Quand les élèves ne parlent pas la langue de l’école (qu’ils soient allophones ou qu’ils n’aient pas accès au langage verbal), le risque est grand d’imposer systématiquement du « prêt-à-parler » : activités pour faire parler les EANA en FLSco, outils de communication conçus pour des enfants autistes, sans faire le pari qu’ils peuvent proposer eux-mêmes d’autres modalités de communication en puisant dans leur répertoire langagier, et trouver ainsi sa place dans un groupe classe.
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Table des matières
Introduction
Partie 1 – La scolarisation des élèves porteurs de handicap et des élèves allophones : repères chronologiques
CHAPITRE 1. DES CLASSES ET DES INSTITUTIONS FERMEES JUSQU’AUX DISPOSITIFS
1. L’ENSEIGNEMENT SPECIALISE
2. LA SCOLARISATION DES ELEVES ALLOPHONES
Partie 2 – L’école inclusive : de quoi parle-t-on ?
CHAPITRE 2. LA NOTION D’INCLUSION
1. « INCLUSION » VERSUS « INTEGRATION » ? DES GLISSEMENTS SEMANTIQUES QUI INTERROGENT
2. LE DOUBLE RISQUE DE L’INCLUSION
CHAPITRE 3. L’EVOLUTION DES CATEGORISATIONS
1. CATEGORISATION ET INTERSECTIONNALITE
2. LA SPECIALISATION PROFESSIONNELLE : ENTRE POLYVALENCE ET CLIVAGE
3. SURCATEGORISATION : LES ELEVES A BESOINS EDUCATIFS PARTICULIERS (EBEP)
4. AU-DELA DU PRINCIPE DE CATEGORIE
CHAPITRE 4. LE MODELE DE LA PEDAGOGIE UNIVERSELLE
1. DEFINITION
2. LE CONCEPT D’ACCESSIBILITE UNIVERSELLE
3. LA PEDAGOGIE UNIVERSELLE, ELLE EXISTE DEJA
Partie 3 – Identification des difficultés rencontrées par les professionnels et pistes pour l’inclusion scolaire des élèves allophones et porteurs de handicap
CHAPITRE 5. PROTOCOLE DE RECHERCHE : RECUEIL DE DONNEES
1. DIFFERENTS TYPES D’ENTRETIENS
2. ENTRETIENS SEMI-DIRECTIFS AVEC DES ENSEIGNANTES ET AUTRES MODALITES DE RECUEIL DE DONNEES
3. ENTRETIENS AVEC D’AUTRES PROFESSIONNELS
4. RETOUR REFLEXIF SUR LE DISPOSITIF
CHAPITRE 6. ANALYSE DES DONNEES
1. METHODE D’ANALYSE
2. ATTENTES DE L’ENQUETRICE ET DISCOURS DES ENQUETES
3. LES DIFFICULTES ENONCEES
4. LES PISTES PROPOSEES
CHAPITRE 7. DES ENSEIGNANTS A BESOINS PROFESSIONNELS PARTICULIERS
1. DES BESOINS IDENTIFIES
2. ELEMENTS POUR UN VADE-MECUM
Conclusion
Bibliographie
Sitographie
Sigles, acronymes et abréviations utilisés
Table des annexes
Table des matières
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