La science de la conservation : principes et enjeuxย
La perte de la biodiversitรฉ au niveau mondial s’accรฉlรจre (Tittensor et al. 2014; Ripple et al. 2017; Dรญaz et al. 2019), avec 18% des espรจces considรฉrรฉes menacรฉes (Atwood et al. 2020). Cet effondrement conduit ร des transformations irrรฉversibles des รฉcosystรจmes (ONU 2019). En effet, 75% de la planรจte montre des traces dโaltรฉration par lโHomme (Venter et al. 2016). La conservation de la biodiversitรฉ est devenue l’un des grands dรฉfis du XXIรจme siรจcle et est, depuis 2010, au centre des objectifs de la Convention sur la Diversitรฉ Biologique d’Aichi (SCBD 2010, Japan). Dโaprรจs Aichi Biodiversity Targets, dโici ร 2020, 17 % des zones terrestres et des eaux intรฉrieures, et 10 % des zones cรดtiรจres et marines, devaient รชtre conservรฉs par la mise en place d’aires protรฉgรฉes. A lโheure actuelle, 15.53% des zones terrestres et 7.65% des zones marines sont protรฉgรฉes (https://www.protectedplanet.net/en). Face ร ce lourd constat, une rรฉcente discipline a vu le jour, comme une rรฉponse de la communautรฉ scientifique aux changements environnementaux massifs qui se produisent actuellement sur la planรจte, nommรฉe ยซ biologie de la conservation ยป (Orians and Soulรฉ 2001). Cette discipline, apparue ร la fin du XXรจme siรจcle, a pour objectif la protection et la perpรฉtuation de la diversitรฉ biologique (Soulรฉ 1985). Une question est alors souvent soulevรฉe : ยซ Est-ce de la science ? Ou est-ce de la conservation ? ยป. La biologie de la conservation est bien une discipline ร part entiรจre, une science thรฉorique et une science dโaction. Cette science, plus rรฉcemment intรฉgrรฉe dans le plus large champ disciplinaire de la ยซ science de la conservation ยป (Kareiva and Marvier 2012), combine ainsi de multiples approches, allant des sciences de la vie au sens large (รฉcologie, biologie, biogรฉographie, gรฉnรฉtique des populations, [โฆ]), aux sciences รฉconomiques, sciences sociales, [โฆ], ou encore les sciences politiques, de la communication ou de la santรฉ ainsi que bien dโautres domaines (Kareiva and Marvier 2012). Elle est donc un ensemble de disciplines trรจs variรฉes oรน le fondamental et lโappliquรฉ sont รฉtroitement liรฉs, voire mรชme indissociables (Soulรฉ 1985; Maris and Devictor 2014) et oรน des scientifiques, des dรฉcisionnaires et des gestionnaires sur le terrain seront associรฉs pour rรฉpondre aux enjeux environnementaux auxquels ils font face .
Le principe de cette science est ainsi basรฉ sur le constat que le changement global dรป aux activitรฉs humaines impacte fortement les รฉcosystรจmes, ร tous les niveaux (une perte de biodiversitรฉ, une dรฉgradation de lโhabitat, une disparition dโespรจcesโฆ). Au niveau des populations dโespรจces sauvages, la science de la conservation dรฉveloppe des approches fondamentales reposant sur lโacquisition de donnรฉes par la surveillance et les suivis ร long-terme des populations afin de mieux comprendre leur fonctionnement et les mรฉcanismes de rรฉponses aux changements de leur environnement (Nichols and Williams 2006). En rรฉponse ร cet รฉtat critique constatรฉ, cette science a pour but de dรฉterminer les causes des dynamiques en jeu, mais aussi de proposer des moyens dโy remรฉdier. Les solutions proposรฉes doivent pouvoir รชtre testรฉes et validรฉes sur le terrain (Primack et al. 2012). Ainsi, la science de la conservation se veut adaptive, รฉvolutive et devra sans cesse se remettre en question afin dโapporter les rรฉponses les plus adaptรฉes (Gibbons et al. 2011; Restif et al. 2012).
Face ร lโaccรฉlรฉration rapide de la disparition dโespรจces et de la dรฉgradation des รฉcosystรจmes (Johnson et al. 2017), la science de la conservation est une discipline qui a connu un essor considรฉrable lors des derniรจres dรฉcennies et est encore ร ce jour en pleine croissance (Williams et al. 2020). Les รฉtudes menรฉes sont nombreuses et variรฉes, abordant une diversitรฉ de disciplines, concernant ร la fois le niveau de menace des espรจces cibles, mais surtout lโidentification et la comprรฉhension de ces menaces qui les touchent ainsi que les solutions pouvant รชtre apportรฉes pour protรฉger les espรจces (Lawler et al. 2006; Kareiva and Marvier 2012). Les รฉtudes menรฉes portent sur de nombreux taxons (mammifรจres, oiseaux, amphibiens, vรฉgรฉtauxโฆ) ร travers le monde (Lawler et al. 2006). Les menaces qui pรจsent sur la biodiversitรฉ sont nombreuses : dรฉgradation de lโhabitat, introduction dโespรจces exotiques, pollution, surexploitation des milieux ou encore la transmission de maladies (Lawler et al. 2006; Godet and Devictor 2018). Les solutions proposรฉes, รฉvaluรฉes et testรฉes sont tout aussi diversifiรฉes : crรฉation dโaires protรฉgรฉes, mesures de gestion durable des ressources, restauration ou gestion de milieu, contrรดle dโespรจces introduites protection dโespรจces pour nโen citer que quelques-unes (Godet and Devictor 2018). La science de la conservation est donc un domaine interdisciplinaire et รฉvolutif qui nรฉcessite un suivi temporel ร long terme et qui ne peut รชtre optimal que par lโintervention dโune diversitรฉ dโacteurs autant scientifiques, que politiques ou gestionnaires (Fisher et al. 2009). Cโest dans ce contexte quโa รฉtรฉ dรฉveloppรฉ la thรจse. La question de conservation a รฉtรฉ abordรฉe par la combinaison de diffรฉrentes approches, sans chercher ร รชtre exhaustif, mais en cherchant ร avancer sur les questions importantes qui รฉtaient soulevรฉes.
Les oiseaux marins, un groupe particuliรจrement prรฉoccupant: lโexemple des albatrosย
Les oiseaux de mer sont des espรจces pour lesquelles une large proportion de la population totale dรฉpend dโun environnement marin pour au moins une partie de leur cycle (Croxall et al. 2012). Ils occupent une place centrale dans les รฉcosystรจmes marins, prรฉsents dans tous les ocรฉans, des zones cรดtiรจres ร la haute mer. Ils dรฉpendent de lโรฉcosystรจme terrestre essentiellement pendant leur pรฉriode de reproduction, pendant laquelle ils vont former, souvent sur des รฎles ร lโabris des prรฉdateurs, des colonies de reproduction de quelques dizaines ร plusieurs centaines de milliers de couples, pour รฉlever leurs jeunes. Qui plus est, les oiseaux marins sont des prรฉdateurs longรฉvifs, pour la plupart au sommet de la chaine alimentaire du milieu marin.
Du fait de leur mode de vie, ร la fois terrestre et marin, ils sont soumis ร de nombreuses pressions, tout au long de leur cycle de vie, ce qui font dโeux l’un des groupes d’oiseaux les plus menacรฉs dans le monde (Croxall et al. 2012; Birdlife 2018), avec plus de 28% des espรจces qui sont listรฉs sur la liste rouge de lโUICN. Les oiseaux de mer font face ร de nombreuses menaces, avec en tรชte de liste les espรจces exotiques envahissantes, touchant plus de 45% des espรจces (Dias et al. 2019). Les prises accidentelles (bycatch), associรฉes aux activitรฉs de pรชche, la chasse (ou piรฉgeage) et les changements climatiques touchent plus de 25% des espรจces. Les maladies quant ร elles, nโaffectent que 4% des espรจces mais ont en moyenne un impact trรจs รฉlevรฉ et peuvent conduire ร la disparition ou ร l’extinction d’espรจces (Smith et al. 2006; Descamps et al. 2012), notamment ร cause de leur reproduction en colonies souvent denses. Parmi les oiseaux marins, les Procellariiformes (albatros et pรฉtrels) et les Sphenisciformes (manchots) regroupent la plus grande part dโespรจces menacรฉes.
Les albatros (Diomedeidae) plus particuliรจrement comptent 68% (15/22) de leurs espรจces menacรฉes (โEn danger critiqueโ, โEn dangerโ ou โVulnรฉrableโ) et les 32% restant considรฉrรฉs โQuasi menacรฉeโ (5/22) et en โPrรฉoccupation mineureโ (1/22) (IUCN 2019). Ces chiffres rendent les populations dโalbatros particuliรจrement prรฉoccupantes. Quatre-vingt pourcent des albatros sont notamment menacรฉs par les prises accidentelles, ce qui constitue leur principale menace (Dias et al. 2019). Les prises accidentelles gรฉnรฉrรฉes par la pรชche ont รฉtรฉ particuliรจrement รฉtudiรฉes et constituent un exemple notable oรน la science de la conservation a sans รฉquivoque aidรฉ ร rรฉpondre aux enjeux de conservation (Figure 2). Le dรฉclin de la majoritรฉ des populations dโalbatros a รฉtรฉ au centre des prรฉoccupations et le nombre dโรฉtudes consacrรฉes ร cette problรฉmatique nโa cessรฉ dโaugmenter depuis les annรฉes 1980 (Croxall et al. 2012; Dias et al. 2019; Williams et al. 2020). Cet exemple illustre la diversitรฉ des disciplines qui ont รฉtรฉ nรฉcessaires ร la fois pour comprendre, mais aussi proposer et mettre en ลuvre des solutions. Les approches ont intรฉgrรฉ de la science fondamentale (en particulier des suivis dรฉmographiques de population, des รฉtudes du dรฉplacement des individus), la recherche et lโรฉvaluation de mรฉthodes de prรฉvention, une coopรฉration internationale afin de communiquer et inciter les acteurs ร la mise en place de mesures de conservation (par exemple, lโAlbatross Task Force, Agreement on the Conservation of Albatrosses and Petrels). De plus, lโapproche scientifique a permis de mettre en avant lโimportance du rรดle des politiques nationales et internationales dans la gestion et la conservation des espรจces (Beal et al. 2021). Cet exemple donne un cadre pour considรฉrer le dรฉveloppement dโune approche scientifique comparable sur un sujet relativement nรฉgligรฉ jusquโร prรฉsent, la prise en compte des menaces dues aux maladies infectieuses sur les populations dโoiseaux marins, et les moyens de lutter contre ces รฉpidรฉmies.
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Table des matiรจres
Introduction
La science de la conservation : principes et enjeux
Les oiseaux marins, un groupe particuliรจrement prรฉoccupant : lโexemple des albatros
Les maladies infectieuses : une problรฉmatique en biologie de la conservation ?
Lโรฎle Amsterdam : contexte biogรฉographique
La situation critique de lโรฎle Amsterdam : un enjeu majeur de conservation
Des essais de vaccination prometteurs
Les enjeux et problรฉmatiques abordรฉes dans la thรจse
Matรฉriels et mรฉthodes
Procรฉdures de terrain
Catรฉgorisation des agents infectieux
Vaccination
Analyses sรฉrologiques
Analyse de la survie
Etude des dรฉplacements
Contributions au projet
Rรฉsultats
Chapitre 1 : Un seul ou des pathogรจnes ? Exploration de la communautรฉ dโagent infectieux affectant les oiseaux marins de lโรฎle Amsterdam
Des mortalitรฉs associรฉes ร des lรฉsions de septicรฉmie
Pasteurella multocida comme principal agent pathogรจne en cause
Caractรฉrisation dโun nouveau clade de lโagent du rouget Erysipelothrix rhusiopathiae
Chapitre 2 : Optimisation de la vaccination contre le cholรฉra aviaire chez lโalbatros ร bec jaune : effet de lโรขge ร la vaccination, du transfert dโanticorps maternels et des souches utilisรฉes
Effet de lโรขge de vaccination des poussins et interfรฉrence des rats
Exploration de la possibilitรฉ dโune protection par transfert dโanticorps maternels
Vaccins contre les souches circulantes de Pasteurella multocida
Chapitre 3 : Lโรฉtude de la circulation des pathogรจnes au sein des populations
Discussion
Conclusion
Bibliographie
Annexe 1
Annexe 2