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ENJEU DE RECHERCHE 1 : la construction des qualités, depuis la production agricole jusqu’aux régimes alimentaires
Les travaux conduits sur le fonctionnement des filières ont longtemps considéré de façon dissociée les activités conduites le long de la chaîne production-transformation-consommation, faisant écho ainsi à la décomposition qui s’est opérée dans les filières industrielles entre d’une part, l’étape de fractionnement qui vise à déstructurer, en première transformation industrielle, la matière première agricole de façon à en extraire des composants élémentaires ; d’autre part, l’étape d’assemblage qui vise à reconstituer, à partir de ces composants élémentaires, un aliment consommable pour le marché final. Cette dissociation a été un des leviers de baisse des coûts des approvisionnements industriels et d’optimisation de l’interface agriculture/industrie. L’objectif de standardisation et de régularisation des caractéristiques de la matière première agricole facilitait l’optimisation des procédés industriels, la variabilité résiduelle des caractéristiques des produits agricoles faisant l’objet d’un lissage technologique (apports d’ingrédients dans la phase d’assemblage). Cette dissociation a permis un déplacement vers l’aval des leviers de création de la variété de l’offre de produits aux consommateurs et la mise en place d’un processus de « différenciation retardée », la construction de la variété des produits se faisant principalement au niveau industriel, précisément à l’étape d’assemblage.
Une conséquence a été le développement de travaux de recherche plutôt tirés par un objectif d’optimisation de chacun des niveaux de la chaine, considérés séparément les uns des autres, les relations agriculture/industrie en amont étant traitées de façon dissociée des recherches sur les innovations-produits ou les procédés en seconde transformation. Cette dissociation soulève certaines difficultés qui conduisent à renouveler les démarches et méthodes de conception. L’interface agriculture-procédés, qui s’est construite sur le couple homogénéisation de la matière première agricole/fractionnement, est interrogée pour plusieurs raisons. Tout d’abord, l’évolution des pratiques agricoles (moins de pesticides, agroécologie…) et une possible diversification accrue des systèmes de production pourrait contribuer à une évolution des caractéristiques des produits et un accroissement de la variété, voire de la variabilité de ces caractéristiques, ce qui pourrait conduire à repenser certains procédés alimentaires. D’autre part, le déplacement des leviers de création de la variété de l’offre alimentaire de l’amont vers l’aval (induit par le couple homogénéisation de la matière première agricole/fractionnement) a probablement contribué à un transfert de la valeur depuis l’amont agricole vers l’aval industriel. Dans quelle mesure le développement de procédés robustes et flexibles visant à gérer la variabilité de la matière première pour créer la variabilité des produits finaux en limitant l’usage des procédés de fractionnement est-il envisageable ? Peut-il permettre de redonner des leviers de création de variété à l’amont agricole et participer ainsi d’une remontrée vers l’amont d’une fraction de la valeur (disposition à payer des consommateurs) ?
De la même façon, l’interface procédés-consommateurs devient aussi aujourd’hui cruciale. Au fond c’est beaucoup par la formulation (les recettes) que la différenciation des produits alimentaires s’est construite, au moins aux yeux des consommateurs. Mais la question de la « naturalité » qui a émergé ces dernières années comme composante forte de la demande alimentaire, montre en fait que ce ne sont pas seulement les caractéristiques intrinsèques des produits (goût, texture, praticité…) qui comptent pour les consommateurs, mais aussi la façon (les procédés) dont les produits sont élaborés. Comment cette attente de « naturalité » (Rozin, 2005) peut-elle être intégrée dans la conception des procédés alimentaires ?
Plus largement, plusieurs exemples montrent que de nouvelles marges de manœuvre peuvent être dégagées en considérant globalement, plutôt que séparément, les activités qui se succèdent dans les chaines alimentaires. La notion « d’innovations couplées » (Meynard et al., 2016) a été proposée pour précisément souligner l’intérêt de penser simultanément conception des systèmes de culture ou d’élevage et conception des modes de transformation.
Ces différents éléments incitent ainsi à raisonner la conception des innovations en considérant les chaines de production-transformation plus globalement et dans cette perspective à progresser dans l’analyse des modalités de construction des qualités, en considérant de façon plus intégrée la succession des arbitrages et compromis entre les différentes dimensions de qualités au sein du système alimentaire.
Progresser dans l’analyse et l’évaluation de la construction des qualités (sanitaires, sensorielles, environnementales), de la production agricole à l’aliment consommé
De nombreux travaux de recherche sont conduits sur les déterminants des qualités organoleptiques, nutritionnelles, sanitaires (microbiologiques et chimiques) ou encore environnementales, aux différents maillons des chaines alimentaires, mais ils sont souvent considérés séparément. Or la construction des qualités – leur dégradation aussi – résulte de la gestion de compromis multiples entre différents critères/ volets antagonistes de qualités/types d’acteurs qu’il faut pouvoir caractériser. Ceci implique (i) de développer des analyses plus intégrées des leviers d’action tout au long des filières, et (ii) de mieux comprendre comment les arbitrages des acteurs, de la production à la consommation, conditionnent les modalités de construction et de préservation de ces qualités.
Si de nombreux travaux sont ainsi engagés aux niveaux agricoles et industriels, les liens et interactions entre les différents maillons de la chaîne alimentaire – production, transformation et consommation – restent insuffisamment abordés.
Pour des approches plus intégrées des leviers d’action mobilisables à chaque niveau de la chaîne
Dans le domaine des productions végétales, l’intégration des dimensions de santé dans la conception des systèmes de culture a été identifiée comme une voie de recherche à développer (Richard et al., XXX). Elle implique de mieux caractériser l’impact des pratiques et de systèmes de production, de l’environnement aérien et sous-terrain et des génotypes sur des cibles de qualité nutritionnelle (molécules à effet positif, les allergènes, …) ainsi que sur les facteurs anti-nutritionnels et contaminants (molécules à effet négatif comme les éléments traces métalliques, les pesticides et autres molécules à effets indésirables…). Cela suppose de s’intéresser non seulement à des teneurs en molécules dans les organes récoltés, mais aussi à leur compartimentation et bioaccessibilité dans les matrices végétales, à leur biodisponibilité et d’analyser le lien avec les effets santé associés. A I’échelle de la plante, il faut également développer des modèles écophysiologiques/agronomiques de la qualité multicritère des organes récoltés intégrant un ensemble de molécules à effets positifs et négatifs et permettant de prédire l’impact des interactions génotype/environnement/pratiques. Concernant la qualité environnementale, il est également important de quantifier l’impact des systèmes de cultures sur l’environnement et de développer des outils d’évaluation de ces systèmes. La prise en compte du changement climatique et de ses effets sur les caractéristiques des produits selon les modes de production est aussi une dimension qui parait importante à divers égards (voir rapport IFPRI, Etude « agriculture européenne 2050, 2019)
Mais pour optimiser les systèmes de culture au regard d’objectifs de santé, l’interaction avec les travaux conduits sur la qualité des produits en aval de la chaine est importante à développer pour bien définir les cibles et établir des référentiels de qualité nutritionnelle pour la production : il faut savoir quelles molécules (ou cocktails de molécules) ont un effet santé et quelles gammes de teneurs permettent d’observer un effet santé pour mobiliser des leviers pertinents au niveau de la production (par ex. la teneur en protéines des légumineuses ne suffit pas, il faut des profils d’acides aminés). D’autre part, comprendre l’impact des pratiques et des génotypes sur la « processabilité » des produits permettrait d’optimiser la qualité technologique et de mieux piloter la qualité finale des produits transformés.
A titre d’illustration, le schéma 3 décrit les relations à considérer pour une approche intégrée de la construction des qualités dans le cas des productions végétales. Il est important de bien caractériser les variables de passage et des cibles communes des différents modèles de manière à progresser dans leur couplage et dans la représentation des interactions. Ceci permettrait d’utiliser les modèles de production pour prédire la composition des aliments et donc l’impact des pratiques agricoles, de l’environnement et des facteurs pédoclimatiques sur la qualité de l’alimentation. Dans l’autre sens, on pourrait partir des modèles d’alimentation, définir des compositions d’aliments/diètes optimisées et optimiser les modes de production pour aller vers ces aliments.
Mieux tenir compte des modes de production agricoles et industriels dans l’évaluation des impacts de santé et environnementaux des régimes alimentaires
La construction des qualités (vue dans la section précédente) doit être au final évaluée au regard des impacts de santé (et environnementaux) qu’elle contribue, ou non, à réduire via son impact sur les qualités des régimes alimentaires.
Un enjeu concerne les approches globales de qualité alimentaire intégrant par exemple la part des produits transformés dans l’alimentation (problématique des « ultra processed foods »). Des catégorisations essaient d’aller « au-delà des nutriments » et au-delà du « réductionnisme » mais il faudrait étudier quelle est la spécificité sur la santé de la surconsommation de ces types d’aliments par rapport à la surconsommation d’aliments de mauvais profils nutritionnels. Si les effets de santé associés à des caractéristiques autres que nutritionnelles sont confirmés, il est important d’en comprendre les mécanismes, qu’ils soient liés à la présence d’additifs et auxiliaires technologiques ou aux matrices des aliments en question.
Un point difficile reste la question des contaminants chimiques dans les aliments. Si la caractérisation des contaminations chimiques à chacune des étapes de la production et fabrication des aliments est globalement maîtrisée, l’analyse des flux des sites de production agricole à l’exposition des organismes vivants et leur impact sur la santé reste moins documentée. La création récente des plateformes d’épidémio-surveillance à la DGAL, et leur pilotage coordonné, témoigne de la volonté des autorités publiques de développer des liens aux différents niveaux de l’analyse des sources d’exposition, car seule une connaissance précise des circuits de contamination permettra d’identifier les effets biologiques des contaminants et de maîtriser leur impact en population.
La caractérisation des dangers et la mesure des expositions à des contaminants chimiques soulèvent des enjeux de recherche importants liés aux expositions multiples ou à faible doses mais sur longue durée. Un certain nombre d’axes concernant les méthodes d’analyse et à la caractérisation des dangers sont développés dans la section 4 de ce rapport.
Les effets couplés de contaminants (métallique/organique, xénobiotique/biotique), leur transfert le long de la chaine alimentaire (du sol à la plante/animal consommé) et l’impact des procédés de transformation des aliments sur le métabolisme des contaminants sont importants à considérer. D’autres questions de recherches ont vu le jour en matière d’expositions multiples ou de risque chronique, soulignant le manque de données sur des familles de contaminants récemment apparues ou prises en compte, ou encore face à des susceptibilités nouvellement décrites en regard de dangers historiques ou nouveaux (additifs alimentaires,). Les démarches intégrées qui appréhendent le transfert (comprenant les transformations biotiques et abiotiques) tout au long de la chaine alimentaire conduisant à l’Homme restent rares, de même que les études capables de renseigner la question des expositions multiples et de leur impact sur la santé humaine à l’échelle individuelle ou populationnelle. De même, des questions concernent le biocontrôle : les microorganismes utilisés peuvent persister et être transférés aux aliments et à l’homme, notamment dans le cas de populations à risque.
Les travaux menés récemment sur les nanoparticules présentes dans l’alimentation, en particulier sur le dioxyde de titane (additif alimentaire E171), ont mis en lumière la nécessité d’aborder les risques potentiels d’additifs alimentaires par des approches originales faisant appel notamment à la biophysique. Ces travaux sont à l’origine d’une nouvelle évaluation de risque du dioxyde de titane à usage alimentaire en France (ANSES) et en Europe (EFSA) et d’une demande de la Commission Européenne à l’industrie de fournir des informations sur la taille des particules et la distribution granulométrique du dioxyde de titane, en raison de l’impact toxicologique potentiel qu’il pourrait avoir. Dans le même ordre d’idée, la société a connu une véritable de prise de conscience sur les risques liés à la démonstration d’une ingestion généralisée par les organismes marins de micro-plastiques et d’une accumulation dans certains de leurs tissus spécifiques, offrant la possibilité de transfert dans la chaîne alimentaire. La population humaine peut alors être exposée au travers de son alimentation avec des conséquences encore inconnue.
Le croisement entre composition des régimes alimentaires et présence de contaminants dans les aliments est généralement effectué pour l’évaluation des expositions et des éventuelles tensions entre les dimensions nutritionnelles et sanitaires (Baudry et al., 2019 ; Barré et al., 2016). Ces travaux restent encore peu nombreux. D’un point de vue plus mécanistique, l’exemple des travaux sur la charcuterie qui montre que le reste du régime alimentaire peut moduler le risque de cancer du côlon associé à une consommation excessive de charcuterie, montre l’intérêt qu’il peut y avoir à replacer la caractérisation des dangers associés à des contaminants dans une évaluation plus globale des régimes alimentaires (Fabrice Pierre, 2019).
Consommer autrement et/ou produire mieux ?
Une voie autre importante de progrès réside dans une meilleure connexion entre l’analyse de l’impact des modes de production sur les caractéristiques des régimes alimentaires:
– La très grande majorité des travaux sur les régimes alimentaires considère des caractéristiques environnementales ou nutritionnelles « moyennes » des aliments, sans tenir compte de la variabilité associée aux manières de produire et de transformer. Du coup, il est difficile de véritablement quantifier les contributions respectives des évolutions envisageables du côté des manières de produire, et du côté des choix de consommation et de régimes alimentaires.
– Les travaux sur les modes de production en amont ne tiennent pas véritablement compte de la façon dont les produits qui en sont issus viennent s’insérer dans des régimes alimentaires. Or c’est à cette aune-là qu’ils devraient aussi être évalués.
Ces éléments limitent notre capacité à bien évaluer les contributions respectives des changements de régimes alimentaires et des manières de produire à l’atteinte d’objectifs environnementaux et de santé. Pour cela, l’évaluation des régimes alimentaires et de leurs impacts sur la santé (nutritionnel, chimique, microbiologiques) et l’environnement doit impérativement intégrer la variabilité des caractéristiques des produits associés aux divers modes de production (conventionnel, bio, raisonné ; différents systèmes d’élevage ; urbain et péri-urbain…). Il y a là un enjeu majeur car si l’impact des modes de production et transformation sur les indices de qualité des aliments est pour partie documenté, nous n’avons pas pour le moment de données pour bien différencier l’impact santé des apports et des régimes alimentaires (maladies chroniques, en particulier) en fonction de ces modes de production et de transformation.
De premières approches à l’échelle globale (Clark et Tilman, 2017) ou nationale (Baudry et al., 2019) vont dans ce sens, par exemple, en mesurant les contributions relatives de la structure du régime alimentaire et du mode de production bio aux impacts environnementaux (GES, énergie, usage des sols) et de santé (expositions à des contaminants chimiques) des consommations alimentaires. De telles approches doivent être développées pour approfondir les effets des manières de produire sur les impacts des régimes alimentaires, et élargir la gamme des critères de santé (contaminants chimiques dans les aliments sur les modes production et de transformation) et environnementaux utilisés (Hadjikakou et al., 2019). Ainsi, l’évaluation des impacts en GES ne prend pas suffisamment en compte les différences d’intensité d’émissions selon les systèmes de production. Cette connexion avec les systèmes de production est aussi nécessaire pour évaluer les effets sur d’autres paramètres environnementaux, comme la biodiversité. Les évaluations ne considèrent pas non plus les interactions et les recyclages au sein des agrosystèmes, les effets sur l’utilisation de sols et le stockage du carbone….
Par ailleurs, Les démarches d’évaluation des régimes alimentaires sont aujourd’hui principalement basées sur des modélisations visant à définir des régimes « optimisés » (conformes aux recommandations nutritionnelles tout en respectant certaines contraintes d’acceptabilité par les consommateurs) ou sur la comparaison entre « déviants positifs » (individus ayant des régimes alimentaires meilleurs pour la santé et l’environnement) et le reste de la population. Mais que se passerait-il si toute la population adoptait les régimes « optimaux » ou les régimes alimentaires des « déviants positifs » ? On ne sait pas répondre à cette question. Les évaluations actuelles sont basées sur des modélisations des régimes alimentaires qui utilisent des coefficients fixes, par exemple, de prix ou d’impact carbone des aliments. Or une modification massive des régimes changerait nécessairement la demande alimentaire et affecterait, de façon variable selon les réactions du côté de l’offre, les prix et les modes d’usage des sols, et donc des coefficients supposés fixes dans les approches actuelles. Cette prise en compte des interactions offre-demande pourrait conduire à des conclusions différentes quant aux impacts de santé et environnementaux des régimes alimentaires. Plus largement, quels seraient les changements à privilégier en production pour répondre aux évolutions attendues de régimes alimentaires ? Que produire, comment et où ?
Ces questions requièrent des travaux de recherche visant à mieux relier les évolutions attendues sur le plan des régimes alimentaires aux transformations à opérer sur le plan de la production (Schéma 4). Elles impliquent de favoriser des rapprochements entre les communautés travaillant sur les systèmes de production et les manières de produire et celles travaillant sur la consommation et les régimes alimentaires.
Développer des évaluations multicritères, bénéfices-risques, coûts-bénéfices des voies d’amélioration des qualités des aliments et des régimes alimentaires
Au-delà des aspects biotechniques mis en jeu dans les modélisations agronomiques et de procédés ci-dessus, la construction des qualités résulte également d’arbitrages réalisés par les acteurs tout au long des chaines de production – transformation – consommation. L’intégration de ces dimensions aux évaluations biotechniques est indispensable pour mettre en balance les gains de santé et environnementaux avec les enjeux économiques (revenus des producteurs, surplus des consommateurs…) afin de :
– Evaluer des voies de solutions impliquant des maillons différents de la chaîne alimentaire à travers, par exemple, la comparaison des coûts et des bénéfices associés à des démarches de reformulation ou à de nouveaux procédés au niveau industriel, versus des innovations dans les systèmes de culture ou d’élevage.
– Evaluer et comparer les coûts et gains associés à des changements de manières de produire les aliments (agriculture-industrie) versus des changements de consommation (substitutions entre aliments, modifications des régimes).
Ces arbitrages des acteurs mettent en jeu (voir aussi enjeu de recherche 3) :
– Les dimensions sensorielles, le levier de la qualité gustative, comme la réduction des facteurs antinutritionnels, étant des déterminants majeurs des niveaux de consommation. Cette dimension sensorielle demande à être traitée non seulement au regard des caractéristiques de tel ou tel aliment, mais aussi plus largement dans la façon dont les préférences sensorielles déterminent le répertoire alimentaire des individus (la liste des aliments qu’ils consomment régulièrement) et les substitutions admissibles au sein de leurs régimes alimentaires.
– La valeur donnée aux caractéristiques des produits/procédés par les consommateurs finaux, et au final leurs dispositions à payer pour ces caractéristiques. Là encore l’analyse peut porter sur des aliments, mais aussi sur des régimes alimentaires : quelle est la disposition à payer (ou à l’inverse le coût « sensoriel ») pour une modification de régime alimentaire ?
– Le rapport coûts-avantages pour chaque type d’acteur tout au long de la chaîne, ainsi que les modes de coordination (contrats, cahiers des charges…), existants ou envisageables, permettant d’assurer la compatibilité des actions aux différents niveaux de la chaine et de garantir des modes de partage de la valeur rendant possibles des engagements cohérents et efficaces de tous les acteurs.
Les évaluations peuvent faire l’objet d’analyses multicritères qui supposent de pouvoir quantifier les bénéfices associés aux modifications envisagées dans les manières de produire et/ou dans les régimes alimentaires.
De ce point de vue, l’évaluation des gains environnementaux associés à changements des manières de produire ou de consommations rend nécessaire l’élaboration de nouvelles bases de données pour être en mesure d’inclure d’autres dimensions que celles traitées jusqu’à présent (biodiversité, eau, GES tenant compte du stockage du carbone dans les sols…) et cela, selon les modes de production (GES pour divers systèmes de culture et d’élevage).
Concernant les dimensions de santé, les possibilités de quantification des effets dépendent de la nature des dangers. Dans le cas des dangers microbiologiques d’origine alimentaire, les pathologies associées sont souvent de nature aigue (même s’il peut exister des séquelles chroniques), reliées à des pathogènes identifiés et donnant lieu à des relevés médicaux en population qui, même s’ils s’avèrent parfois incomplets ou ambigus, apportent de nombreux éléments pour quantifier les niveaux d’incidence et de sévérité, ainsi que le recours au système de soins. Sur la base de ces données, il est possible de calculer des indicateurs tels que les DALY et les coûts directs et indirects des impacts de santé.
Sur le plan nutritionnel, l’évaluation des bénéfices santé des régimes alimentaires est aujourd’hui essentiellement basée sur des calculs de scores de qualité nutritionnelle ou sur la mesure d’une distance entre les régimes observés et les recommandations alimentaires et nutritionnelles des agences de santé. Une autre voie d’évaluation consiste à utiliser des modèles épidémiologiques, construits sur des risques relatifs reliant variations de consommations alimentaires et variations d’incidence de pathologies (mortalité, morbidité, DALY). De tels modèles développés à l’OMS, l’OCDE, à l’Université d’Oxford, par exemple, sont largement utilisés dans des études populationnelles nationales et globales pour estimer les impacts de santé des régimes alimentaires. Des travaux visant à développer de tels modèles en France devraient être réalisés pour pouvoir mener l’analyse des régimes alimentaires jusqu’à l’évaluation des impacts de santé, condition requise pour mener jusqu’au bout des évaluations multicritères, bénéfices-risques ou coûts-bénéfices des évolutions possibles de régimes alimentaires.
Dans le cas des dangers chimiques, on a affaire à des pathologies chroniques multiples (cancers, pertes de QI, baisse de fertilité…) pour lesquelles les quantifications des effets en population, et a fortiori, les évaluations économiques sont beaucoup plus difficiles. S’il existe des données expérimentales permettant d’évaluer la toxicité de telle ou telle molécule, on dispose en effet de peu de données épidémiologiques permettant de quantifier les relations doses-réponses (ou les risques relatifs) requises pour l’estimation du fardeau sanitaire et, en conséquence, pour l’évaluation des coûts de santé associés. Ces données sont disponibles pour quelques molécules (certains métaux lourds), mais d’une façon générale, les évaluations s’en tiennent à comparer les niveaux d’exposition de populations, associés à des modifications des manières de produire et/ou des régimes à des valeurs toxicologiques de référence. Si celles-ci peuvent être incluses dans des approches multicritères, elles sont insuffisantes à ce stade pour pouvoir mener complètement des évaluations coûts-bénéfices.
ENJEU DE RECHERCHE 2 : les effets de santé des contaminations chimiques (air, eau, sol) et des impacts environnementaux des pratiques agricoles7,8
Le lien entre agriculture – pollution environnementale – et santé a fait l’objet de nombreux rapports soulignant les impacts d’une agriculture intensive sur la qualité de l’eau et des sols et les conséquences souvent négatives à moyen et long terme de ces pratiques sur la santé des animaux, des écosystèmes et de l’Homme. Au sein de l’INRA, les liens environnement – santé ont également été identifiés comme priorités de recherche depuis plusieurs années Diverses animations scientifiques ont été organisées: 1) un colloque, en décembre 2014, sous l’égide d’Allenvi, associant étroitement Irstea et Anses, sur le thème
« Pesticides, écotoxicologie et exposition environnementale » ; ce colloque avait pour vocation à renforcer la contribution de la recherche, notamment dans les environnements agricoles, à l’Initiative Française pour le Recherche en Environnement Santé (IFRES), à une montée en gamme de démarches intégratives, allant des activités agricoles aux contaminations des écosystèmes terrestres et aquatiques et à l’impact sur la santé humaine ; 2) un séminaire en interne à l’Inra destiné à assurer le suivi de l’initiative précédente ; 3) un échange avec le ministère en charge de l’environnement, avec pour objectif de mieux lier recherches et politiques publiques.
L’encadré 1 résume les résultats des réflexions issues de ces initiatives et montre à la fois les axes privilégiés et les points sur lesquels des développements restent à réaliser. Car si les impacts environnementaux des pratiques agricoles adoptées dans des modèles de production, qu’ils soient conventionnels ou alternatifs, font l’objet de nombreux travaux, l’intégration, dans la conception et l’évaluation des systèmes de production, de la dimension de santé associée à ces impacts environnementaux, reste émergente et encore peu « visible » en tant que telle au sein de l’INRA. Dans ce contexte, on identifie 4 grands enjeux de recherche :
Le premier se situe dans le champ de l’écotoxicologie et concerne les nouvelles voies de progrès dans l’analyse des expositions multiples et la caractérisation des dangers, par l’analyse des effets induits par les contaminations environnementales à différents niveaux d’organisation du vivant. Le deuxième concerne la relation entre pratiques agricoles – contaminations environnementales – exposition des individus et des populations – impacts de santé.
Le troisième enjeu concerne les effets sur la santé humaine associés aux impacts de l’activé agricole sur les écosystèmes.
Le quatrième concerne l’intégration et la hiérarchisation des divers facteurs de risques, via l’environnement et les aliments, qui affectent la santé des individus et des populations.
Progresser dans la mesure des expositions et des dangers associés aux contaminations environnementales : rapprocher exposome et toxome
D’un point de vue (éco)-toxicologique, des questions de recherches ont vu le jour en matière d’expositions multiples ou de risque chronique, ou soulignant le manque de données sur des familles de contaminants récemment apparues ou prises en compte, ou encore face à des susceptibilités nouvellement décrites en regard de dangers historiques ou nouveaux.
Concernant l’exposition des populations via l’environnement, peu ou pas de données ne sont encore disponibles concernant bon nombre de substances d’origine anthropique9. Pour ce qui a trait aux dangers, le caractère (éco)-toxique des contaminants est généralement étudié par ses effets sur un individu et molécule par molécule, en conformité avec les exigences réglementaires. Cette approche est indispensable pour connaître le profil (éco)-toxicologique d’un élément chimique donné et déterminer les seuils de dangerosité à partir des relations doses-réponses. En revanche cette approche ne permet pas d’apprécier les risques des mélanges et notamment ceux de substances n’ayant aucune activité délétère propre mais qui peuvent révéler, et/ou potentialiser l’action néfaste d’autres molécules. Compte tenu du nombre presque infini de combinaisons possibles de produits chimiques auxquels l’Homme et son environnement peuvent être exposés, il est indispensable d’une part de développer des critères de sélection pour définir les mélanges potentiellement préoccupants et d’autre part de développer des outils permettant la réalisation de tests à haut débit capables de renseigner les caractéristiques (éco)-toxiques des substances seules ou combinées.
Le concept d’« exposome » a été élaboré pour construire une vision intégrée de tous les facteurs non-génétiques impliqués dans l’apparition des maladies et prendre non seulement en considération les diverses sources de pollution (chimique, biologique, physique) mais également l’exposition aux médicaments, au stress (psychologique ou socio-économique), aux nuisances, et aux interactions entre ces différents facteurs Il offre ainsi une vision réellement multidimensionnelle des relations entre environnement et santé. Ce concept unificateur, en vraie rupture avec les approches traditionnelles est devenu aujourd’hui possible grâce aux progrès en matière de biomonitoring, tendant vers le haut débit, au développement de biosenseurs multiples et aux capacités de traitement et d’interprétation de données massives. Ces progrès constituent un atout précieux dans la caractérisation de la multi-exposition et dans la problématique des mélanges, en identifiant les interactions possibles, en particulier les potentialisations et synergies. En effet cette problématique doit pouvoir définir les mélanges à étudier en priorité et cette hiérarchisation suppose une bonne connaissance de leur occurrence dans l’environnement et chez l’Homme. Appréhender l’exposome chimique et de ce fait la multi-exposition, revient à caractériser l’exposition à l’échelle populationnelle et individuelle en prenant en compte, de façon dynamique, la contamination des milieux environnants et celle des tissus et fluides biologiques qui peuvent être prélevés non seulement chez l’Homme, mais également chez des espèces sentinelles. Cette approche nécessite de concevoir des plans d’échantillonnages capables de mettre en cohérence le milieu de vie et l’imprégnation, et de disposer de méthodes d’analyse performantes, privilégiant le haut débit et la détermination simultanée d’un nombre élevé d’analytes. Outre les informations sur les sources de contamination de l’Homme qu’elle permet d’obtenir, cette démarche intégrant l’analyse des matrices environnementales et humaines est aussi le moyen d’identifier des contaminants jusque-là ignorés (identifications de polluants environnementaux nouveaux et de leurs produits de transformation).
En matière de relation environnement-santé, la notion d’exposome prend tout son intérêt dès lors qu’elle est reliée à un phénomène (éco)-toxicologique comme illustré dans le schéma 4. La notion d’AOP (pour Adverse Outcome Pathway) intègre l’ensemble des évènements moléculaires et cellulaires qui lient l’exposition à des produits chimiques aux perturbations d’un organisme, d’un individu, d’une population ou d’un écosystème (Figure 2).
Intégration et hiérarchisation des facteurs de risque alimentaires et environnementaux
Via les aliments et les régimes alimentaires (enjeu de recherche 1), d’une part, et les contaminants d’origine environnementale (enjeu de recherche 2), d’autre part, les individus et les populations sont soumis à des expositions multiples qui contribuent à des effets de santé. L’existence de ces différents canaux soulève plusieurs questions.
La première concerne les possibles interactions entre les différents types (nutritionnel, microbiologique, chimique) et voies d’exposition (aliment, environnement). La prise en compte des effets expositions aux pesticides via les aliments, l’air et l’eau peut en effet conduire à des hiérarchisations différentes de celles qui découlent d’une évaluation conduite séparément (Kennedy et al., 2019). L’approche en terme d’exposome intègre typiquement ces différentes dimensions, mais les recherches en mesure de caractériser ces interactions et d’évaluer leurs impacts de santé restent rares. Cette question renforce les enjeux méthodologiques et de données soulevés précédemment.
La seconde concerne la contribution relative de chaque type et voie d’exposition aux impacts de santé. Pour des évaluations complètes (multicritères, bénéfices-risques ou coûts-bénéfices) de changements possibles dans le fonctionnement du système alimentaire, il faudrait pouvoir décomposer les impacts de santé finaux sur les populations en fonction de ces types et voies d’exposition. Des études récentes (Santé Publique France, 2018) sur l’incidence des cancers évitables semblent indiquer que les facteurs nutritionnels (et donc alimentaires) ont des effets très nettement supérieurs aux facteurs liés à l’environnement et chimiques ou microbiologiques. Mais il est possible que ce soit parce que l’on ne sait pas encore bien attribuer les pathologies observées en population à des facteurs de risques environnementaux.
Des réflexions plus approfondies devraient être conduites pour évaluer ce qu’il est possible de faire à l’INRA dans ces directions et le type de collaborations qui pourraient être mis en place avec de partenaires extérieurs.
ENJEU DE RECHERCHE 3 : modalités, conditions des changements et accompagnement des transitions au sein du système alimentaire
Le besoin de développer des systèmes agricoles et alimentaires plus durables fait consensus, mais les déterminants et les moyens de la transition vers de tels systèmes restent matière à débat et à expérimentation. Si les limites de modèle agroindustriel adopté depuis plusieurs décennies apparaissent clairement aujourd’hui (impacts environnementaux et de santé des manières de produire et de consommer), sa très forte cohérence interne rend difficiles des changements à l’un des maillons de la chaine sans poser d’emblée la question de modifications plus globales sur l’ensemble des maillons. Ainsi, par exemple, des changements techniques peuvent concourir à une meilleure maîtrise des impacts de santé et environnementaux des processus de production et de transformation des aliments. Mais les investissements requis peuvent se traduire par des prix plus élevés impliquant, en contrepartie des efforts de montée en gamme, une augmentation de la disposition à payer des ménages pour leur alimentation. Or pour de nombreux consommateurs, même s’ils sont aujourd’hui plus sensibles à ces enjeux de santé et environnementaux, la maîtrise des dépenses alimentaires reste un objectif prioritaire.
Cette situation de blocage (lock-in) a été étudiée dans des publications récentes portant sur les trajectoires sociotechniques au sein du système alimentaire (Magrini et al., 2016). Elles mettent en avant le fait que la voie de développement suivie au cours des 30 ou 40 dernières années a progressivement prévalu sur d’autres solutions par des rendements croissants d’adoption (il devient de plus en plus coûteux de sortir de la voie conventionnelle, au fur et à mesure que celle-ci se renforce). Du coup, si des ajustements incrémentaux restent possibles, des modifications plus radicales et systémiques de l’ensemble du fonctionnement du système alimentaire deviennent plus difficiles.
Comment alors tenir ensemble amélioration des impacts de santé et environnementaux du système alimentaire, rémunération des efforts et des investissements au sein du système productif, et maîtrise des dépenses alimentaires des ménages (dans un contexte de fortes inégalités sociales) ? Des éléments de solutions et des voies d’innovations existent ou sont expérimentées à différents niveaux, depuis la production agricole (production bio, agroécologie…), la transformation (écoconception…) jusqu’à la consommation (changements de régimes alimentaires). Mais dans quelle vision cohérente et globale des transformations à opérer est-il possible de les inscrire ? Quels peuvent être les moteurs de ces transformations : consommateurs, entreprises (innovations), politiques publiques, ONG ? Dans une certaine mesure, l’enjeu aujourd’hui n’est pas tant de définir les cibles vers lesquelles tendre (par exemple, en termes de régimes alimentaires) que de déterminer et discuter les modalités par lesquelles atteindre ces cibles. C’est sur cette question des transitions que des recherches doivent être développées.
Progresser dans la compréhension des comportements des consommateurs, de leurs déterminants et des conditions des changements
Des recherches récentes (Poore et Nemecek, 2018) suggèrent que les objectifs à atteindre en termes de santé et environnementaux ne pourront l’être que par des évolutions conjointes des systèmes de production et des modes de consommation. On perçoit des inflexions dans les comportements et les régimes alimentaires, mais l’évolution des préférences des consommateurs peut-elle suffire à créer les incitations requises pour orienter le système productif ?
Dans ce contexte, il est important de mieux comprendre les modalités, les conditions et l’amplitude des changements que les consommateurs sont prêts à accepter. Ceux-ci doivent être mieux appréhendés en progressant dans l’analyse de la dynamique des préférences (déterminants et modalités de changement de comportements), des facteurs d’inertie qui empêchent le changement, et des dimensions sur lesquelles peuvent porter les arbitrages et compromis (dispositions à payer, coûts sensoriels…) selon les types de consommateurs.
Au-delà des variables-clés que sont les prix et le revenu, les modèles économiques de consommation cherchent à mesurer l’impact des caractéristiques des produits alimentaires sur la demande des consommateurs. Il s’agit notamment de quantifier l’effet de différences de qualité des produits (praticité, sensoriel, sanitaire, environnemental…) sur la demande de ces produits. L’économie expérimentale (en laboratoire ou sur le terrain) permet d’analyser l’effet de l’information et de l’étiquetage ou le rôle des facteurs psychologiques dans les décisions d’achat.
Ces travaux sont utiles mais ils doivent être aujourd’hui élargis en privilégiant, non plus seulement l’analyse des arbitrages des consommateurs dans le choix d’un produit A versus un produit B (plus ou moins sain ou durable…), mais en s’intéressant de façon plus globale aux modalités et conditions des changements de régimes alimentaires et des comportements de consommation. Ceux-ci s’inscrivent dans des trajectoires individuelles (cycle de vie) et sociales qu’il faut mieux appréhender. De même il faut mieux comprendre les arbitrages qualité/quantité qui président aux changements de régimes alimentaires, y compris dans leurs composantes économiques : dans quelle mesure, par exemple, le changement de régimes est-il associé à (induit par) l’achat de produits de qualité plus élevés (plus chers) de façon à maintenir plus ou moins stable le niveau des dépenses alimentaires ?
Les modalités de la transition dépendent aussi des dynamiques sociales et culturelles dans lesquelles les changements visés dans le domaine alimentaire s’inscrivent, et en particulier de leurs effets sur les différenciations et inégalités sociales. L’analyse des représentations et des pratiques des consommateurs représente un champ de recherche relativement constitué. Les travaux sur la réception des normes de santé et alimentaires diffusées par les autorités de santé, ont montré par exemple, que les classes populaires étaient moins « perméables » aux prescriptions publiques nutritionnelles ou environnementales du fait d’écarts aux pratiques actuelles et d’une moindre confiance dans les sources expertes. Ils soulignent l’importance de promouvoir des solutions qui réduisent les coûts sociaux des transitions en particulier du point de vue de l’équité hommes-femmes et de l’inclusion sociale (pas de stigmatisation, pas de précarisation des parcours professionnels et sociaux…). Mieux comprendre ce qui détermine l’inertie des pratiques, en lien particulièrement avec les diverses dimensions de la différenciation sociale, constitue un objectif important.
De même de nombreux travaux s’intéressent aux effets des circuits courts ou des systèmes dit alternatifs sur les pratiques de consommation mais aussi sur les visions de la bonne alimentation et des liens avec environnement et santé. Au fond la question qui est soulevée ici est de savoir dans quelle mesure de tels changements du côté de l’offre (circuits, offre bio alternative…) contribuent eux-mêmes à une évolution des comportements de consommation.
Progresser dans l’analyse des impacts et de la convergence des politiques publiques
Les politiques publiques sont conçues en grande majorité pour faire évoluer les comportements des producteurs et des consommateurs à travers divers types d’instruments : informationnels (campagnes d’éducation, étiquetage…), fiscaux (taxes nutritionnelles, taxe carbone, subventions à la consommation…), réglementaires (standards de qualité, certifications…). Elles relèvent de différents domaines (santé, environnement, agriculture, consommation, concurrence, industrie…) généralement raisonnées séparément. Un positionnement de type Nexus conduit à dépasser des approches en silos pour savoir si elles prennent (ou peuvent prendre) en compte conjointement les différents enjeux.
En fait, les politiques publiques reflètent elles-mêmes les antagonismes et les tensions au cœur des enjeux de durabilité. C’est notamment le cas quand les objectifs environnementaux sont antinomiques avec les objectifs de santé, ou quand des groupes d’acteurs sont en désaccord. Comment alors pondérer entre eux les objectifs environnementaux, santé, économiques et sociaux ? Comment faire converger les politiques de santé, environnementales, agricoles et alimentaires ? Comment combiner les différents types d’instruments, souvent mobilisés de façon disjointe, pour favoriser des co-bénéfices santé / environnement ?
Il est important d’identifier ou de construire les outils permettant de faire évoluer les politiques actuelles en matière de santé, d’alimentation, d’agriculture et d’environnement, afin qu’elles contribuent de manière cohérente à des objectifs communs de durabilité des systèmes alimentaires, d’efficacité et d’équité. Dans cette perspective, il est important de réexaminer les divers types d’instruments utilisés par les politiques publiques en considérant leurs possibles effets selon ces multiples dimensions : par exemple, évaluer les impacts d’une taxe carbone, non seulement sur les émissions de GES, mais aussi sur des indicateurs de santé publique ; évaluer les impacts des campagnes d’information nutritionnelle ou de la mise en place d’un étiquetage nutritionnel sur le bilan environnemental des consommations alimentaires…).
Dès lors qu’ils sont identifiés, comment pondérer entre eux les objectifs environnementaux, nutritionnels, économiques et socioculturels ? Il faudrait plus de travaux pour éclairer ce point central de la juste pondération entre les différents objectifs, qui dépend entre autres de la construction de l’action publique en lien avec le choix social. Quand tout n’est pas strictement conciliable, on conçoit la nécessité de faire des concessions, mais il faudrait développer des approches qui permettent de définir de façon fiable la teneur de ces concessions, autrement dit la hiérarchie qu’il convient d’adopter entre les multiples contraintes et exigences de la durabilité. Cette question du caractère antinomique de certains critères, ou plus exactement de la concurrence entre certains enjeux du Nexus, invite également à poursuivre les recherches sur les controverses et leur rôle dans la construction et la mise en œuvre des politiques publiques. Dans le prolongement des travaux en sociologie des risques, des recherches ont étudié la manière dont émergent des controverses dans les domaines agro-alimentaires, et la façon dont se construit l’intervention publique pour la gestion des risques collectifs. Les cas de la réduction des intrants agricoles (notamment les antibiotiques et les pesticides), le développement de la filière bio sur une grande échelle, ou le développement de nouvelles technologies agricoles sont particulièrement intéressants à développer dans la mesure où ils engagent véritablement les quatre composantes du Nexus. Ils posent à la fois des problèmes de santé et d’environnement et ils interrogent en même temps le fonctionnement des systèmes agricoles et agroalimentaires.
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Table des matières
1. Introduction
2. La santé (globale) comme levier de transformation du système alimentaire
3. Enjeu de recherche 1 : La construction des qualités, depuis la production agricole jusqu’aux régimes alimentaires
3.1. Progresser dans l’analyse et l’évaluation de la construction des qualités, de la production agricole à l’aliment consommé
3.2. Mieux tenir compte des modes de production agricoles et industriels dans l’évaluation des impacts de santé et environnementaux des régimes alimentaires
3.3. Développer des évaluations multicritères, bénéfices-risques, coûts-bénéfices des voies d’amélioration des qualités des aliments et des régimes alimentaires
4. Enjeu de recherche 2 : les effets de santé des contaminations chimiques (air, eau, sol) et des impacts environnementaux des pratiques agricoles
4.1. Progresser dans la mesure des expositions et des dangers associés aux contaminations environnementales : rapprocher exposome et toxome
4.2. Progresser dans la quantification des risques de santé induits par les impacts environnementaux de l’activité agricole
4.3. Explorer la relation agriculture – dynamique des écosystèmes – santé humaine
4.4. Intégration et hiérarchisation des facteurs de risque alimentaires et environnementaux
5. Enjeu de recherche 3 : modalités, conditions des changements et accompagnement des transitions au sein du système alimentaire
5.1. Progresser dans la compréhension des comportements des consommateurs, de leurs déterminants et des conditions des changements
5.3. Progresser dans l’analyse des impacts et de la convergence des politiques publiques
5.1. Concevoir et évaluer des scénarios de transition et les dynamiques d’offre et de demande alimentaires
5.4. Contribuer à la conception/évaluation de systèmes agricoles et alimentaires innovants et à l’accompagnement des transitions
6. Modélisation et données
7. Conclusion
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