La santé et ses déterminants
Recension des écrits
Cette recension des écrits est structurée en deux parties : d’une part, une description de l’évolution de la situation du logement en contexte autochtone au Canada et d’autre part, le surpeuplement comme déterminant social de la santé. Dans la première partie, une brève histoire du logement en réserve au Canada des Premières Nations, incluant les Cris d’Eeyou Istchee avant et après la signature de la convention de la Baie James et du Nord-du-Québec sera exposée. Puis, une brève réflexion critique sur les effets de cette convention sur les conditions de logement actuelles des populations autochtones sera discutée. Une présentation de la situation du logement en Eeyou Istchee sera aussi présentée dans cette partie. Dans la deuxième partie, le surpeuplement des logements sera défini comme un déterminant social de la santé en utilisant des modèles en contexte autochtone et allochtone et discutera de façon critique des définitions et mesures du surpeuplement. Cette section exposera également les effets du surpeuplement des logements sur la santé.
Brève histoire du logement sur réserve au Canada : Le cas des Premières Nations, incluant les Cris d’Eeyou Istchee.
Avant la signature de la Convention de la Baie James et du Nord-du-Québec
L’histoire de l’Amérique du Nord a longtemps été celle de la colonisation marquée par le développement du commerce et l’envahissement progressif des terres du Nord-du-Québec entre le 15ème et 19ème siècle. En vertu des traités signés avant et après la confédération entre les peuples autochtones et le gouvernement du Canada, les Premières Nations incluant les Cris devaient céder de vastes étendues de terrain à la Couronne en échange de quoi les traités leur accordaient des terres de réserve et d’autres biens ou avantages. Les réserves sont des parcelles de terrain dont la Couronne détient le titre et qui sont réservées à l’usage et au profit des Premières Nations (Indiens inscrits). Ces derniers reçoivent des redevances, conservent leurs droits ancestraux3 (pêche, chasse et piégeage) et sont encadrés par la « Loi sur les Indiens » (30).
La loi sur les Indiens établit qui a le droit de possession ou d’occupation d’une terre de réserve indienne et la validité de tout bail résidentiel est soumise aux conditions impératives de cette loi (31). Les conseils de bande et le ministre des Affaires autochtones et du Nord canadien sont en charge d’appliquer la Loi sur les Indiens et ils fournissent et accordent le droit de résidence des logements en réserve, alors désignés sous le nom de logement de bandes. Ces derniers constituent un mode d’occupation particulier où le ménage n’est ni propriétaire ni locataire, mais possède un droit d’usage (32). Les membres d’une bande indienne ont priorité sur les logements de bande et la loi sur les Indiens qui est de compétence fédérale prévaut sur les règles de droit provinciales du Code civil et la Loi sur la Régie du logement (31).
Le marché de la location et l’achat résidentiel en réserve sont actifs ; il reste réservé aux membres exclusifs de la bande. Les législations provinciales (Code civil et la Loi sur la Régie du logement) concernant le bail résidentiel et la possession d’une résidence située sur réserve ne peuvent pas toutes recevoir application car elles ne doivent pas rentrer en conflit avec la Loi sur les Indiens. L’harmonisation des relations entre propriétaires et locataires d’un logement sur réserve doit être l’œuvre soit des parties elles-mêmes ou des Conseils de bande qui ont juridiction sur ces terres. En effet, les Conseils de bande ont le pouvoir de légiférer dans le domaine en édictant les conditions qui leur sont applicables à titre de locateur, en vertu de leur pouvoir réglementaire sur l’utilisation de leurs propres bâtiments (loi sur les Indiens) (31). En conclusion, même si la location des logements est répandue en réserve, dans les faits, les propriétaires et les locataires restent soumis aux Conseils de bande et à la Loi sur les Indiens.
La majorité des logements en réserve sont de type social, souvent caractérisés par une grande usure liée au temps (veilles constructions), aux conditions climatiques extrêmes, ou à des matériaux de construction de mauvaise qualité. La majorité de ces logements requiert un entretien et des réparations réguliers liés à la présence de moisissure, de chauffage insatisfaisant, et de problème d’approvisionnement en eau potable et électricité (33). Enfin, la quantité et la construction de nouveaux logements attribués en réserve peinent à répondre à la demande accrue des populations ce qui crée un besoin grandissant en habitation et une pénurie des logements (34). Plusieurs causes permettent d’expliquer la mauvaise qualité ainsi que les besoins des logements en réserve autochtone :
• une difficulté politique à répondre aux besoins de constructions de nouveaux logements et de réparations des logements existants,
• le non-entretien des logements par les résidents qui estiment que c’est à la Couronne qu’incombe les responsabilités d’entretien des logements,
• l’absence d’un marché du logement fonctionnel (achat et de location) dans plusieurs localités due aux rares prêts hypothécaires (les banques ne pouvant pas saisir les propriétés en cas de non-paiement puisque les terres appartiennent à la Couronne) (35) ainsi qu’au manque de revenus suffisants pour l’acquisition de propriété privée (11).
À partir des années 1970 et jusqu’à aujourd’hui, les populations autochtones incluant les Premières Nations du Canada élèvent leurs voix face aux mauvaises conditions de vie et de logement (surpeuplement, insalubrité, réparations majeures ou mineures à faire) vécus en réserve ainsi qu’aux problèmes de disponibilité et d’accessibilité aux logements qui y sont rencontrés. Par exemple l’Assemblée des Premières Nations du Canada a émis plusieurs revendications sur les différents programmes gouvernementaux en ce qui a trait au manque de logements ainsi qu’au besoin de logements sains, sûrs et adéquats (36, 37). D’autres revendications portent sur leur souhait de pouvoir plus s’impliquer sur les sujets du logement en ayant un plus grand rôle dans l’évaluation et la prise de décision aussi bien en réserve que hors réserve (38). Des revendications sociales sont aussi émises par les populations autochtones en ce qui concerne l’offre de services sociaux et sanitaires plus faibles comparativement au reste du pays (8, 39). Les populations autochtones adressent aussi des revendications territoriales contre différents projets de construction et d’aménagement des rivières de la Baie James tels que les projets hydroélectriques entrepris par la Province du Québec sur les terres cries (projets hydro-électriques La Grande et la Grande-2) (26). Dans la région du Nord-du-Québec, une conséquence marquante de toutes ces revendications est la signature de la Convention de la Baie-James et du Nord-du-Québec (CBJNQ) en 1975 qui constitue le premier traité canadien moderne conclu entre les représentants des Premières Nations des Cris et des Naskapies, la Nation Inuite et les gouvernements du Québec et du Canada, la Société de développement de la Baie James, la Société d’énergie de la Baie James et Hydro-Québec. Dans la section suivante, je discute des effets de la CBJNQ sur le territoire d’Eeyou Istchee et sur la situation du logement en réserve au sein des communautés autochtones, incluant les Cris. Les effets politiques, juridiques, sociaux, économiques et environnementaux sur les populations autochtones suite à la signature de la CBJNQ ne sont pas développés en profondeur dans mon mémoire.
Après la signature de la Convention de la Baie James et du Nord-du-Québec
En vertu de la CBJNQ, le territoire de la Baie-James a été découpé en trois catégories de terres. Les terres de catégorie I sont réservées à l’usage exclusif de chaque communauté ; les terres de catégories II constituent des terres de chasse exclusives pouvant être développées à d’autres fins; et le reste, c’est-à-dire la majorité du territoire, constitue les terres de catégorie III considérées comme des terres publiques (40) (Figure 1).
En ce qui a trait au logement, suite à la signature de la CBJNQ, le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (MAINC) participe au financement et à la coordination des interventions entre les collectivités cries et les gouvernements du Québec et du Canada, ainsi qu’à la gestion du territoire et des projets entrepris entre ces deux derniers. La « Politique sur le logement dans les réserves (1996) » est adoptée par le MAINC et donne un rôle déterminant aux Premières Nations incluant les Cris dans la gestion, la prise de décision, l’utilisation du financement et la réponse aux besoins en matière de logement dans les réserves (41).
La SCHL et la Société d’habitation du Québec travaillent pour l’amélioration des conditions des logements en réserve en adoptant plusieurs mandats :
• apporter une aide financière destinée à la construction de nouvelles habitations et à la maintenance des logements existants (42).
• améliorer le programme de logement social existant (sécurité et salubrité),
• aider les collectivités à atteindre une plus grande autonomie à l’égard de la production et de l’entretien de leur parc immobilier,
• favoriser la promotion de la propriété privée (41, 43).
Ainsi, depuis la signature de la CBJNQ, plusieurs projets ont été entrepris par différents organismes canadiens, québécois et autochtones dans l’optique d’une amélioration de l’offre et des conditions des logements en réserve.
Réflexion critique sur les effets de la CBJNQ sur les conditions de logement en réserve des populations autochtones
Mon mémoire de maîtrise brosse un portrait des conditions des logements en réserve au sein des communautés autochtones du Canada incluant les Cris avant et après la signature de la CBJNQ. Pour clôturer cette section, il est important pour moi de souligner que les effets néfastes de la colonisation (dépossession des terres ancestrales des populations autochtones et la construction des réserves) sur les populations autochtones sont aujourd’hui encore difficilement palliés malgré les différentes réformes apportées par la CBJNQ. Les populations autochtones incluant les Cris qui vivent en réserve connaissent toujours de moins bonnes conditions de vie et les besoins en logement demeurent accrus par rapport aux populations allochtones. Aussi, de plus en plus, les communautés autochtones réclament leurs territoires et revendiquent leurs identités et leurs cultures. Les terres de réserve demeurent les lieux originels pour l’expression et l’affirmation de leurs modes de vie traditionnels en réponse au rejet de l’assimilation au sein la société moderne. Ainsi, un défi majeur relatif à l’amélioration des conditions de vie en réserve repose sur l’écoute attentive des besoins et attentes des populations autochtones en lien avec le respect de leur identité et de leur culture, et le respect de leur gouvernance dans les décisions prises face à ces enjeux.En se reconnaissant comme principale source de la colonisation et de ces effets sur la vie de populations autochtones, plusieurs institutions gouvernementales ou non gouvernementales québécoises et canadiennes travaillent dans l’optique d’améliorer les conditions de vie (incluant la vie en réserve) des populations autochtones. Elles s’engagent à assurer une aide financière, sociale et économique aux communautés pour le développement de leurs obligations, et elles marquent également l’importance de la reconnaissance de l’identité culturelle ainsi que des droits et intérêts de chaque communauté autochtone en témoignent la signature d’autres ententes récentes telles : La paix des braves (2002) qui garantit la participation des Cris au développement des activités sur leurs terres ancestrales, la perception des revenus qui en découlent et la reconnaissance des valeurs et de la culture propres aux communautés (44). La Commission de vérité et réconciliation du Canada créé en 2007 constitue un autre exemple de recours gouvernemental qui se donne pour mandat de reconnaître les torts et injustices causés aux Autochtones ainsi que de leur laisser la parole dans une optique de réconciliation individuelle et collective entre les collectivités canadiennes et autochtones (45). La Commission de vérité et réconciliation appelle à une réflexion et une conscientisation plus profonde de la signification de la réconciliation ; elle favorise la prise d’engagements et le déploiement d’actions gouvernementales et sociales du Canada pour une marche vers la réconciliation entre les collectivités Autochones et les Allochtones. Par exemple en matière de logement, des excuses ont été émises par le gouvernement du Canada envers les peuples indiens ce qui concerne les mauvaises conditions de logement en réserve tels le surpeuplement, l’insalubrité et le délabrement des logements (46). Le logement constitue un point important de la Commission et de conséquents investissements financiers (plus de 300 millions de dollars sur les 11 prochaines années) seront déboursés par le gouvernement canadien pour répondre aux besoins et améliorer les conditions des logements aussi bien en réserve que hors des réserves (47). Encore, en matière de logement, le Gouvernement du Canada dans sa Stratégie nationale du logement – un chez-soi d’abord souligne l’importance :
– de prioriser les investissements (financier, humain et social) en matière de logement pour les personnes en ayant le plus besoin dont les populations autochtones (48).
– d’élaborer des stratégies de logement conjointes entre le gouvernement du Canada et les différentes nations autochtones et qui soient basées sur les distinctions propres au point de vue de chaque communauté autochtone (48).Ces démarches (gouvernementales canadiennes et autochtones) en matière de logement se fondent sur les principes d’autodétermination, de réconciliation, de respect et de coopération entre les collectivités. Même si ces démarches demeurent laborieuses tant les besoins en matière de logement autochtone sont nombreux, sur le long terme, elles visent à une amélioration des conditions de logement pour les populations autochtones afin de leur permettre l’entretien, le contrôle et la gestion de leurs logements et infrastructures aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur des réserves et que chaque individu puisse vivre dans un logement à son image.
Situation du logement en Eeyou Istchee
Traditionnellement les Cris étaient un peuple de chasseurs et cueilleurs qui construisaient leurs logements (tipis, cabanes en rondin et tentes) en utilisant des matériaux disponibles sur leurs terres et en tenant compte des facteurs environnementaux en vue de maximiser leurs chances de survie (28). Leurs logements traditionnels étaient considérés comme un lieu de refuge et de réunion familiale ; les ménages y étaient généralement de grande taille (49).Les données statistiques du recensement de 2006 et de l’Enquête nationale auprès des ménages de 2011 me permettent de décrire la situation du logement des cris en ce qui a trait au mode d’occupation des logements, c’est-à-dire si logement possédé ou loué ; le nombre moyen de personnes par ménage et par pièce ; et le surpeuplement des logements défini par Statistiques Canada par un logement comprenant plus d’une personne par pièce (PPP). Pour les besoins de mon mémoire, j’ai choisi de limiter la description de la situation du logement en Eeyou Istchee pour les années 2006 et 2011 puisque les données que j’utilise pour mon mémoire couvrant les années 2005 à 2009.Au recensement de 2006, les ménages cris sont étaient de plus grandes tailles que dans le reste du Québec : 35 % étaient constitués de 4 à 5 personnes et 29 % étaient composés de 6 personnes et plus, vs 18% et 2 % respectivement pour le reste du Québec (50). Près de 59 % des ménages étaient formés d’un couple (marié ou en union libre) avec enfants, dont 42 % avec 3 enfants et plus (vs 9 % pour le reste du Québec). Près de 12% des ménages cris étaient formés d’un couple n’ayant pas d’enfants, contre 29 % pour le reste du Québec (50). Près de 26 % des ménages cris étaient monoparentaux (vs 17 % pour le reste du Québec) (50). Les personnes vivant seules représentaient moins de 3 % de la population contre 13 % pour le reste du Québec. Près de 18 % des ménages cris étaient de type multigénérationnel (vs 0,8 % pour le reste du Québec) (51).
La figure 2 décrit le mode d’occupation des logements cris en réserve en 2006 et en 2011 selon qu’ils soient des logements appartenant à la bande, loués ou une propriété privée.
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Table des matières
1 Introduction
2 Recension des écrits
2.1 Brève histoire du logement sur réserve au Canada : Le cas des Premières Nations, incluant les Cris d’Eeyou Istchee
2.1.1 Avant la signature de la Convention de la Baie James et du Nord-du-Québec
2.1.2 Après la signature de la Convention de la Baie James et du Nord-du-Québec
2.1.3 Réflexion critique sur les effets de la CBJNQ sur les conditions de logement en réserve des populations autochtones
2.1.4 Situation du logement en Eeyou Istchee
2.1.5 Définitions et mesures du surpeuplement
2.1.6 Critique des mesures objectives du surpeuplement
2.2 La santé et ses déterminants
2.2.1 Les déterminants sociaux de la santé
2.2.2 La santé autoévaluée : une mesure de la santé globale
2.2.3 Surpeuplement des logements et santé en contexte autochtone
3 But, objectifs de recherche et hypothèses
4 Cadre conceptuel
5 Méthodologie
5.1 Devis d’étude et source des données
5.2 Échantillonnage et taille d’échantillon
5.3 Collecte de données
5.4 Mesures
5.4.1 Variables indépendantes
5.4.2 Variables dépendantes
5.4.3 Variables d’ajustement
5.5 Analyses
5.6 Considérations éthiques
6 Résultats
6.1 Description de la situation du logement en Eeyou Istchee
6.2 Lien entre surpeuplement du logement et la santé autoévaluée
6.2.1 Résultats des tests statistiques préliminaires pour répondre à l’objectif 2
6.2.2 Associations entre la taille des ménages et le surpeuplement du logement et la santé autoévaluée
6.2.3 Analyse de sensibilité
6.3 Explorer si la santé autoévaluée varie en fonction des conditions du logement chez les hommes et chez les femmes
6.3.1 Analyse de sensibilité selon le sexe
7 Discussion
8 Conclusion
Références
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