La santé des travailleurs dans les activités de service

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Mon collègue est mon client, les call centers internes ou helpdesks

Nous aimerions analyser ici de manière plus approfondie le rôle de certains call centers qui s’occupent des gestions à l’intérieur des organisations, tel est le cas, par exemple, de la gestion des ressources humaines. Ceux qui téléphonent à un contact center ne sont pas seulement des personnes étrangères à l’organisation (clients, usagers, tiers, citoyens) ; il existe aussi des centres d’appels servant à communiquer entre les différents secteurs, notamment, ceux qui offrent un service interne, tel que le service informatique ou l’IT, ou comme on vient de le dire, les ressources humaines. Il semblerait que dans la conception qu’ont ceux qui organisent le travail des call centers, toute personne qui appelle doit être considérée comme un client, qu’il s’agisse d’un collègue de la même entreprise, d’une vieille dame qui appelle pour payer ses impôts, ou de quelqu’un qui a eu un accident avec un assuré auprès d’une compagnie d’assurance. Il existe des clients à la fois internes et externes, mais tous sont considérés de manière similaire : comme des clients.
La notion de « client interne » chercherait à renforcer l’idée que notre service est évalué, et que nous-mêmes, ou un collègue d’un autre secteur, pourrions être licenciés ou remplacés par un service en sous-traitance. Voilà la raison pour laquelle nous n’avons pas affaire à un « collègue » mais à un « client », et en tant que tel, il doit être satisfait de notre service et de notre organisation en vue de sa « fidélisation » car, autrement, nous risquons d’être remplacés par une entreprise externe qui fera notre travail. Dans le processus d’outsourcing, nombreuses sont les entreprises qui ont décidé de remplacer leurs services d’I.T. ou de payroll, ou la gestion du paiement des salaires, par des entreprises externes qui assurent ces tâches.
Suivant cette logique, certaines organisations ont une forte influence sur les stratégies managériales et ont même créé des secteurs appelés employee branding. Il s’agit d’un secteur qui cherche à développer une série d’actions en vue d’améliorer l’image que les travailleurs se font de l’organisation. Ces actions sont, entre autres, la logistique des cadeaux pour différentes fêtes (un panier avec des produits de Noël pour les fêtes de fin d’année, une fleur pour donner la bienvenue au printemps, un oeuf de Pâques, ou un cadeau d’anniversaire de l’entreprise ou du salarié), l’organisation de différents événements tels que des méga fêtes pour le Nouvel An ou d’autres événements souvent appelés « conventions » ou « family days » qui prévoient la présence de toute la famille. Plusieurs de ces actions peuvent s’avérer très coûteuses et inclure des concerts animés par des orchestres, ou la participation de groupes de musique renommés, des présentateurs de télé agissant comme hôtes, des zoos réservés exclusivement pour la visite des familles des travailleurs, ou des spectacles de feux d’artifice pouvant durer une demi-heure. Chacune de ces actions est largement diffusée sur les panneaux d’affichage et sur le site intranet de l’entreprise. De ce fait, le personnel ne sait plus si sa participation est obligatoire ou volontaire.
D’autres activités ludiques viennent s’ajouter à ce programme, happy hours, fat Fridays à la pizza le vendredi à midi, voire la nouvelle tendance globale d’enregistrer un vidéoclip avec les membres de l’équipe et de le publier sur le net, ainsi que toute une gamme d’activités appelées comme on l’a déjà dit : employee branding ou teambuilding.
Ces actions, mises en place récemment par les organisations, nous confrontent à une nouvelle réalité, impensable il y a quinze ou vingt ans auparavant. Il faudrait évaluer dans quelle mesure ces activités contribuent au développement de la coopération, ou si, au contraire, elles laissent ce goût amer d’avoir raté la possibilité de débattre sur ce dont il faut parler.
Penser qu’un centre d’appels peut permettre d’améliorer l’interaction entre les différents secteurs est une hypothèse soutenue par ceux qui organisent le travail dans les centres d’appels et qu’on analysera plus loin dans cette recherche. Revenons maintenant au développement de cette modalité d’organisation du travail dans notre pays.

Retour historique sur le développement des centres d’appels en Argentine

Avant d’approfondir l’analyse de la situation des centres d’appels en Argentine, il convient de revenir sur le contexte historique dans lequel s’inscrit la situation des travailleurs.
Depuis la dictature militaire argentine (1976 – 1982), travailleurs et « lieu de travail » sont devenus respectivement le sujet politique et l’espace autour desquels s’organisait la menace d’aller contre l’ordre en vigueur (Abal Medina et col., 2008). Une partie du communiqué du gouvernement militaire au début de la dictature, le 25 mars 1976 énonçait : « On fait savoir à la population que toute source de production et tout lieu de travail, aussi bien de l’État que privé, seront désormais considérés comme des objectifs d’intérêt militaire ».
Selon le rapport de la Comisión Nacional sobre la Desaparición de Personas (CONADEP, Commission nationale sur la disparition des personnes, 1984), la plus large majorité des disparus était des travailleurs, dont 30,2% d’ouvriers ; 21% d’étudiants ; 17,9% d’employés ; 10,7% de professionnels libéraux; 5,7% d’enseignants ; 5% d’indépendants et divers ; 3,8% de femmes au foyer ; 2,5% de soldats et membres des forces de sécurité ; 1,6% de journalistes ; 1,3% de comédiens et d’artistes ; et 0,3% de religieux. Le travail et la terreur allaient de pair.
Durant la décennie de 1990 à 2000, les gouvernements du Dr. Menem ont conduit le pays à adopter une série de mesures liées au modèle libéral qui ont eu un fort impact sur les travailleurs, notamment lors des grandes privatisations des entreprises de l’État. Ces privatisations ont abouti non seulement à la perte de postes de travail mais aussi à la flexibilisation du marché du travail. Tel qu’expliqué par Paula Abal Medina et col. (2008), les résistances opposées à ces politiques n’ont pas été suffisantes dans un contexte de relations de force hautement défavorable pour les travailleurs et leurs organisations qui se trouvaient très affaiblis. Les premières réponses significatives au modèle néolibéral ont eu lieu au milieu de la décennie de 1990 de la part des organisations des travailleurs au chômage. C’est ainsi que se produit un déplacement des espaces et des sujets dans les pratiques de la résistance : de l’entreprise au quartier, du travailleur à temps plein au travailleur au chômage.
La crise de 2001 a constitué un point d’inflexion et d’effervescence dans la société ; les assemblées et notamment les mouvements de piqueteros1 ont représenté des espaces de lutte et de réclamation. La période 1998 – 2004 où le taux de chômage était élevé a eu une influence, disciplinant les travailleurs dans leurs lieux de travail, engendrant une certaine impossibilité de lutte. Toutefois, dans les dernières années, certaines expériences dans l’organisation des travailleurs (fortement centrées sur les délégués syndicaux) ont commencé à éroder les clôtures et les silences dans les espaces de travail. Depuis 2001 et jusqu’à présent, le processus de récupération économique et de réduction du chômage a permis la revitalisation des espaces de négociation collective. Cependant, la situation actuelle n’est pas optimale. Le travail informel continue d’être très élevé et l’inflation fait que la renégociation du salaire s’avère nécessaire à tout moment.
Les conflits syndicaux lors des années 2003 – 2011 apparaissent comme adoptant deux caractéristiques essentielles selon Nicolás Diana Martinez et Paula Abal Medina (2011) : d’une part, on dénaturalise la précarisation en tant que trait structurant de l’utilisation de la force de travail et on se fraye un chemin vers une composition hétérogène de résistances et de luttes orientées aussi bien vers la création de nouvelles revendications et consignes que vers la récupération des droits qui avaient été perdus dans les années 90 ; d’autre part, on remet en question les formes syndicales instituées, notamment là où les espaces de participation étaient fermés, où proliféraient les complicités avec les entreprises et où une atmosphère de maccarthisme exposait les militants et les activistes à la stigmatisation et au licenciement.
Après ce bref résumé de notre histoire récente, nous voudrions revenir à la situation des call centers en Argentine. Beaucoup de centres d’appels se sont implantés en Argentine dans les années 90. Les premières études publiées sur ce sujet datent de cette époque, pour la plupart se référant aux centres d’appels des numéros 112 et 114 de l’ancienne entreprise de l’État ENTEL privatisée par Telecom et Telefónica (Neffa et col., 2001 ; Pierbattisti, 2005).
Toutefois, le développement explosif des centres d’appels en Argentine a eu lieu à partir de la crise économique de 2001 et de la dévaluation de la monnaie. Le pays ayant atteint un record historique de chômage à 25%, le peso argentin ayant été beaucoup dévalué, le pays devenait une terre fertile à la création d’entreprises dites offshore consacrées au service d’assistance téléphonique ou à l’installation d’entreprises internationales de service téléphonique à la clientèle.
De nombreux centres d’appels se sont implantés dans des lieux où les conditions nécessaires à la préservation de la santé de leurs travailleurs n’étaient pas réunies. Les employés étaient trop nombreux dans des espaces trop restreints, souvent mal chauffés et bruyants. La situation juridique était également scandaleuse dans plusieurs cas. Beaucoup de travailleurs n’étaient pas déclarés, ils étaient employés au noir ou même comme stagiaires, et ce, même dans les grandes entreprises privatisées telles que Telecom Argentina filiale de France Télécom. La situation était vraisemblablement la même dans d’autres centres d’appels privés ou de l’État. La conquête d’un régime légal a été, pour les travailleurs des call centers, l’une des premières raisons qui les a menés à s’organiser collectivement.
Les travailleurs des call centers ont dû faire face quotidiennement à une organisation du travail se dégradant vue la situation de crise que vivait le pays. Dans ce contexte du début de la décennie de 2000, une série de modalités de résistance, assez souvent clandestines, s’est brusquement manifestée dans les nouveaux call centers. Il s’agissait d’échanger et exprimer collectivement ses souffrances personnelles. En effet, la façon dont le travail était organisé, empêchait souvent les collègues de pouvoir échanger entre eux. Ce qui les a conduits à s’organiser en dehors des heures de travail et par le biais d’internet qui n’était accessible que pour quelques uns. C’est ainsi que voit le jour un site internet permettant aux travailleurs des différents call centers de partager leurs expériences. Ce site, « Teleperforados », devint l’objet de plusieurs analyses et publications jusqu’à ce jour (Gonzalez, 2011). Plusieurs « verbatim » notamment issus de ce site donnent lieu à la publication d’une oeuvre collective qui, par la suite, prend la forme d’un livre : ¿Quién habla? Lucha contra la esclavitud en los call centers (2006). [Qui est à l’appareil ? Lutte contre l’esclavage dans les call centers (2006). À mesure que la situation se régularisait, en termes de statuts, ces modalités de résistance s’organisaient à travers les syndicats.

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Table des matières

Résumé de thèse vulgarisé pour le grand public en anglais
Table de matières
Introduction
1. Avant propos
2. Cadre de la recherche
3. Justification sociale de la recherche
4. Justification scientifique de la recherche
Chapitre 1. Déterminants socio-historiques des activités de service
1.1. Évolution socio-historique des activités de service et du travail dans les centres d’appels en général
1.2. Qui appelle ? Travailleur, usager, client
1.3. Mon collègue est mon client, les call centers internes ou helpdesks
1.4. Retour historique sur le développement des centres d’appels en Argentine
1.5. Les call centers en Argentine aujourd’hui
1.6. Les réunions sur les conditions de travail dans les call centers à Santa Fe
Chapitre 2. La santé des travailleurs dans les activités de service
2.1. Les conséquences du travail dans les call centers sur la santé physique et mentale du travailleur
2.2. Modèles et approches théoriques qui expliquent le rapport entre travail et santé mentale
a. Le regard de la sociologie du travail
b. Le regard de l’ergonomie de l’activité
b.1. Quelques notions pour comprendre l’ergonomie
b.2. L’ergonomie dans les activités de service
b.3. La démarche de l’ergonomie de l´activité
c. Le regard des risques psychosociaux (RPS)
c.1. Les modèles interaccionistes de Karasek et Siegrist
c.2. Mesurer les risques psychosociaux.
c.3. Quels sont les principaux risques psychosociaux?
c.4. Le stress
c.5. L’influence du perfectionnisme
d. Le regard de la psychopathologie et la psychodynamique du travail
d.1. Travail prescrit et travail réel dans des call centers
d.2. Les scripts, les mensonges et la souffrance éthique
Chapitre 3. Méthodologie de la recherche
3.1. Délimitation de l’objet d’étude
3.2. Formulation de questions. Problèmes de recherche.
3.3. Les objectifs généraux et spécifiques
3.4. Population
3.5. Description du milieu de la recherche
3.6. Sélection des instruments pour le recueil des données
3.6.1. Première étape, avec méthodologie quantitative
3.6.2. Seconde étape, avec méthodologie qualitative
3.7. Procédures
3.8. Type d’étude
3.9. Traitement des données
3.10. Procédures pour garantir les aspects éthiques de la recherche
Chapitre 4. Observations sur l’activité dans des call centers en Amérique Latine et en Europe
4.1. Les conditions et l’environnement de travail. La disposition de l’espace
4.2. Distribution des tâches
4.3. Les protocoles conversationnels ou scripts
4.4. La formation initiale
4.5. La période de formation
4.6. Le déclic de la banalisation
4.7. Quelques verbalisations de travailleurs des call centers
(a) les contraintes de travail
(b) Les stratégies mises en place pour tenir
( c ) Les conséquences de cette situation de travail
Chapitre 5. Les résultats obtenus avec la méthodologie quantitative
5.1. Le centre d’appels public
5.2. Le centre d’appels privé
5.3. Rapport descriptif de la population
5.4. Les risques psychosociaux
1. Exigences psychologiques du travail
2. Double Présence
3. Contrôle sur le travail
4. Soutien social et qualité de leadership
5. Compensations du travail
5.5. Quelques indicateurs sur la santé mentale
5.6. L’influence du perfectionnisme sur la perception des RPS
Chapitre 6. Résultats obtenus à partir de l’enquête en psychodynamique du travail
6.1. Contexte de la demande
6.2. Les principaux sujets traités par le collectif
a. Les conditions dans lesquelles on exerce le travail
a.1. Les différentes campagnes et les différentes contraintes. Se débarrasser de certaines situations. Les changements.
a.2. L’irrégularité dans les salaires et dans les primes
a.3. L’incertitude et le silence
a.4. Le climat social
b. Les stratégies individuelles de défense
b.1 Le sens de mon travail : les différences entre une campagne et une autre. Les attentes face au travail
b.2. L’engagement au travail
6.3. La mobilisation vers l’action à partir de cette recherche collective
Chapitre 7. Comparaison des résultats argentins avec ceux obtenus dans d’autres pays
7.1. Une organisation du travail standardisée
7.2. Souffrance éthique
7.3. Les stratégies de défense
7.4. Lorsque les stratégies de défense n’empêchent pas la décompensation
Chapitre 8. Utilité de cette recherche pour penser l’action
8.1. Quel dialogue est-il possible entre l´ergonomie et la PDT ?
8.2. Quel dialogue est-il possible entre l’évaluation des RPS et la PDT ?
8.3. Une recherche au service de qui? La question de la demande
Conclusion
Bibliographie
Bibliographie Générale
Travaux journalistiques
Ouvrages de fiction
Annexes
Annexe 1
Annexe 2
Annexe 3
Annexe 4
Annexe 5
Annexe 6
Résumé en français
Résumé en anglais

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