La rupture à chaud dans les aciers
Stades de solidification de la zone pâteuse
Du point de vue thermodynamique, la solidification est la transformation de l’état liquide à l’état solide ; cela donne au matériau une structure résultant des transferts de chaleur et des gradients de température agissant à l’échelle du produit, et des transferts de solutés agissant à l’échelle de l’interface. Ce changement d’état se fait de façon continue, et la zone où coexistent la phase solide et la phase liquide est appelée ‘zone pâteuse’ ; le domaine de température délimitant le début et la fin de la solidification est appelé ‘intervalle de solidification’. Ce domaine semisolide peut être décomposé en différents stades comme l’ont suggéré Dahle et Arnberg ([Dahle, 1996]). Notons que, dans certaines conditions, le transport de soluté peut également avoir lieu à l’échelle du produit ; cette hétérogénéité est appelée macroségrégation.
Pendant le premier stade, les dendrites flottent librement dans le liquide, la zone pâteuse se comporte comme une suspension. Lorsque les dendrites commencent à former un réseau connecté, on atteint le second stade où la fraction de solide seuil est appelée ‘fraction solide de cohérence’ (fs coh). Le liquide peut encore circuler aisément à travers le réseau. Par la suite, et au fur et à mesure que l’alliage se solidifie, le réseau dendritique devient de plus en plus dense et seuls de fins films liquides subsistent entre les grains solides ; la perméabilité du réseau poreux chute : on atteint le stade 3. A partir de la fraction solide de coalescence fs coal (stade 4), des ponts solides se forment entre les grains, ce qui isole le liquide résiduel dans des poches. Dans la littérature, en ce qui concerne les alliages d’aluminium, on trouve des valeurs de fs coh allant de 0.15 à 0.6 selon la morphologie des particules solides et le type d’essais mis en œuvre pour la caractériser ([Eskin, 2004a], [Decultieux, 1996]). Les valeurs de fs coal se situent autour de 0.96- 0.97 pour des alliages Al-Cu ([Braccini, 2000], [Ludwig, 2004]).
Bilan des observations
On vient de voir précédemment que c’est la séparation interdendritique qui rend la zone pâteuse vulnérable aux formations de pores et de fissures à chaud. Les observations expérimentales mettent en évidence l’évolution importante du comportement mécanique de la zone pâteuse en fonction de la fraction de solide. Il semblerait cependant que la fissuration soit plus un problème en limite de déformation qu’en contrainte maximale car, en toute fin de solidification, le matériau présente de grandes difficultés à accommoder les déformations alors que sa résistance mécanique se développe. Au final, l’alliage accuse principalement une perte importante de ductilité (ou déformation à rupture) dans une gamme de températures correspondant aux bornes de l’intervalle de fragilité de l’alliage (Brittle Temperature Range ou BTR) . Cela coïncide avec l’intervalle de fraction solide pendant lequel la microstructure présente une configuration critique vis-à-vis du chargement mécanique : les films de liquide résiduels représentent autant de points faibles dans la structure . Ces bornes correspondent donc respectivement à la fraction de solide à partir de laquelle la circulation du liquide devient impossible (fs cr) et à la fraction de solide pour laquelle les ponts solides deviennent suffisamment résistants (au-delà de fs coal mais inférieur à 1) et où la structure cesse alors d’être fragilisée par ces films de liquide résiduel.
Les paramètres influents de la fissuration à chaud
Influence de l’alliage (composition chimique)
L’influence de l’alliage s’exprime en premier lieu à travers sa composition chimique. Celle-ci détermine la composition des phases liquide et solide en fonction de la température mais aussi la fraction de solide. Elle a une influence importante car, plus l’alliage aura un intervalle de solidification important, plus il sera sensible aux fissures à chaud puisqu’il passera d’autant plus de temps dans un état vulnérable. La fragilité d’une nuance donnée dépend alors en grande partie du chemin de solidification et plus particulièrement de la cinétique de disparition du liquide vers la fin de la solidification. En conséquence, la tenue à la fissuration à chaud dépend fortement de la composition chimique en éléments tels que le soufre et le phosphore : ces derniers ont tendance à abaisser de manière conséquente la température de fin de solidification. Ces deux éléments ont alors une influence néfaste sur la résistance à la crique ([Wintz, 1994]). L’effet du soufre peut être cependant contrecarré par la présence de manganèse car celui-ci favorise la précipitation d’une solution (Fe,Mn)S dont la température de fin de solidification est plus élevée que celle du sulfure de fer. En ce qui concerne l’influence du pourcentage de carbone, les opinions sont partagées. Lorsque la teneur en carbone croît l’intervalle de solidification s’élargit ce qui favoriserait la crique. Cependant plus la teneur en carbone est faible et plus le retrait est important ; or celui-ci génère une variation relative de volume du fait de la différence de densité entre le liquide et le solide. Par conséquent, l’acier résistant le mieux aux criques se situerait vers 0.15–0.2 % de carbone d’après [Place, 1995].
Le risque de fissuration est aussi intimement lié aux phases en présence au moment de la solidification. De nombreuses études ont démontré l’influence du mode de solidification dans le cas d’aciers inoxydables ([Katayama, 1985], [Kotecki, 1993]). Ceci peut s’expliquer par le fait que les fissures cheminent plus difficilement dans une structure mixte que dans une structure totalement ferritique ou, a fortiori, totalement austénitique. L’influence de ces phases peut en partie se justifier par le fait que la solubilité des impuretés telles que soufre et phosphore est bien plus grande dans la ferrite que dans l’austénite ; cela signifie alors que la cinétique de disparition du liquide en fin de la solidification sera d’autant plus faible que la quantité d’austénite présente est importante. D’autre part, le retrait associé à la transformation ferrite-austénite génère des déformations supplémentaires qui peuvent affecter la zone pâteuse lorsque ces transformations ont lieu à haute température.
En outre, l’angle de mouillage de la phase solide par le liquide interdendritique peut lui aussi avoir une influence sur la sensibilité à la crique de l’alliage. L’angle de mouillage représente la capacité du liquide à s’étaler sur le solide en fonction de la température et surtout de la composition du liquide. Il agit donc sur la morphologie de la phase liquide (films continus ou discontinus, poches …) en toute fin de solidification et génère en ce sens une structure plus ou moins résistante. Cet angle se définit par γ GB = 2γ SL cosθ , où GB γ et SL γ sont respectivement les énergies de surface du joint de grain et de l’interface solide-liquide . Ainsi, au cours d’un essai de traction in situ dans un MEB, Frederiksson et Lehtinene ([Fredriksson, 1979]) notent que pour un alliage Al-Sn pour lequel l’angle dihédral est nul, la rupture se fait le long d’un joint de grain mouillé, alors que pour un alliage Al-Cd, qui a un angle dihédral très grand le liquide se présente sous forme d’inclusions inertes le long d’un joint de grain et ne participe pas directement à la rupture, même si celle-ci se fait également le long d’un joint de grains. Enfin, ils notent que seuls les joints de grains mouillés par du liquide et orientés perpendiculairement à la direction de traction rompent de façon fragile.
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Table des matières
Introduction
Problématique
Approche proposée
Chapitre 1 : Introduction à la fissuration à chaud
I. Problématique industrielle
II. La rupture à chaud dans les aciers
III. Critères de rupture à chaud
IV. Caractérisation de la rupture à chaud
V. Conclusion
Références bibliographiques
Chapitre 2 : Conception d’un essai de solidification contrariée : l’essai Crickacier
I. Définition d’un nouveau moyen d’essai
II. Conception de l’essai
III. Discussion
IV. Bilan de la conception
Références bibliographiques
Chapitre 3 : Campagne expérimentale et analyse des résultats expérimentaux
I. Introduction
II. Campagne expérimentale
III. Analyse de l’influence qualitative des paramètres ‘procédé’
IV. Observations expérimentales de la ‘criquabilité’
V. Discussion
VI. Conclusion
Références bibliographiques
Chapitre 4 : Modélisation de la fissuration à chaud
I. Présentation du logiciel THERCAST®
II. Modélisation de la fissuration à chaud
III. Modélisation de l’essai Crickacier
IV. Etudes numériques de différentes configurations
V. Discussion
VI. Conclusion
Références bibliographiques
Chapitre 5 : Analyse thermomécanique de l’essai de cintrage de lingots
I. Description de l’essai
II. Résultats expérimentaux
III. Modélisation numérique de l’essai de cintrage
IV. Analyse critique des critères de fissuration à chaud
V. Discussion
VI. Conclusion
Références bibliographiques
Conclusion