Ce mémoire s’appuie sur les différentes caractéristiques d’un espace donné, les Champs-Élysées, et étudie leur influence sur les représentations mentale de cet espace en tant que lieu. Etant donné la complexité de l’avenue, qui possède des infrastructures permettant de nombreuses activités, plusieurs grands champs d’étude ont été abordés dans ce travail, à travers le prisme de la rue, qui est la forme urbaine qui, ici, rassemble les activités et les groupes. Ce prisme a aussi été instauré à partir du constat que l’avenue des Champs-Élysées ne s’insère pas dans un quartier, qui exigerait la prise en compte de plusieurs formes urbaines, et que son aura s’inscrit donc en partie dans cette forme.
Le sujet impliquait tout de même la mise en relation de plusieurs enjeux tels que le commerce et la consommation, la flânerie et le tourisme, mais aussi le patrimoine et l’urbanisme, et, évidemment, la construction des représentations mentales des espaces. Cette première partie permet donc de traiter rapidement les différents thèmes, et de mettre en avant les hypothèses que leur croisement peut engendrer, ainsi que les méthodes qui ont été utilisées pour mener la recherche sur ce lieu particulier.
La rue et son évolution dans le cadre de la géographie urbaine et sociale
Etudier les Champs-Élysées en se référant au Haut-Lieu urbain, et en confrontant l’avenue à ce concept exigeait de confronter plusieurs domaines différents de la géographie. Le choix deprivilégier le prisme de la rue devait en effet être associé aux différents thèmes qui concernent les activités et les acteurs de ce lieu. Après un rapide aperçu de la géographie urbaine, il était donc nécessaire de se pencher sur la géographie du commerce, notamment à travers le prisme de la consommation. La géographie culturelle intervenait elle-aussi, notamment pour la construction d’un espace mental et d’une représentation d’un lieu orienté vers une certaine signification par les individus qui le fréquentent.
La géographie urbaine et la forme de la rue
La rue dans la géographie urbaine et sociale
Une place reconnue aujourd’hui après des remises en question
Le premier axe étudié est celui de la géographie urbaine. Je me suis penchée sur le prisme de l’espace public, et, plus précisément de la rue. La rue est aujourd’hui définie comme ce qu’il y a de plus urbain . Malgré une remise en question dans l’urbanisme du milieu du XXe siècle, autour notamment de Le Corbusier, qui voyait dans les rues la forme la plus ancrée de la ville bourgeoise, les tentatives de suppression de cette forme ont été très rapidement dénoncées, et le concept de « rue-corridor » qui empêchait la possibilité de la liberté des individus a été abandonné. Aujourd’hui, il y a donc un regain de l’attention accordée à la rue dans la géographie urbaine, dû en grande partie à la constatation des conséquences de la suppression de la rue. Ainsi, les auteurs des Langages de la rue n’hésitent pas à lier l’absence de rue et l’incivilité présente dans les grands ensembles. Très tôt, Henri Lefebvre, mettait aussi en avant le remplacement de la ville par de « l’urbain », des banlieues les plus lointaines et des grands ensembles dans les crises que connaissaient les grandes villes. Pour lui, ces espaces n’offraient pas ce qu’une ville peut offrir, en ne permettant notamment pas l’apparition de la surprise et de l’étonnement qui sont les caractéristiques de la vie urbaine .
Ainsi, l’organisation donnée à la ville par la rue semble primordiale. Si la forme est sauve, et semble aujourd’hui un acquis de la géographie urbaine et de l’urbanisme, c’est aussi parce qu’elle a su s’adapter aux différentes existences de la ville, tant par ses formes, que dans son rôle dans la cohérence du système social choisi : elle est ainsi rue lieu de vie,petite et sinueuse au Moyen-Age, et devient grande avenue au XIXe siècle, débarrassée des commerces extérieurs encombrants .
La rue conserve son rôle sans échapper tout à fait à une crise dans son fonctionnement social
Aujourd’hui, de nouvelles interrogations semblent être mises en avant pour l’existence de la rue. Les premières concernent son rôle dans une société où l’échange semble être de plus en plus rare. La « société de passants stressés » où « le passage (s’est )réduit à l’état de stricte circulation » semble avoir en effet enlevé à la rue une grande partie de son rôle de vie et d’échange social, et de création de lien entre les personnes.
Néanmoins, si des interrogations subsistent, elle conserve différents rôles primordiaux dans la société et la construction de l’espace. En tant qu’espace public le plus libre et le plus commun, elle permet notamment « de lier des mondes, qui seraient, sinon, clos sur eux mêmes, aptes à ne provoquer que méconnaissance hargneuse et difficulté du face à face » . La rue apparaît donc comme le lieu de rencontre par excellence, où les différentes personnes peuvent voir et être vues, et se confronter l’une à l’autre.
Elle joue aussi un rôle capital d’intégration, notamment pour les personnes les plus solitaires, et qui, sans cela, n’auraient plus de place dans la société. Plus généralement, elle permet un lien social dans le sens où elle « incarn[e] la césure entre l’ordre public et l’ordre privé » .
La crise des espaces publics touche aussi la rue, dont le rôle se modifie avec la mondialisation
Définition de l’espace public et de ses fonctions
Ces thématiques de la rue doivent être complétées par une réflexion sur l’espace public, auquel la rue appartient. La notion d’espace public est importante puisque, selon les réflexions menées par Hannah Arendt, elle relève à la fois de la géographie et du politique . L’espace public est à la fois une forme urbaine et la confrontation des différentes opinions présentes dans la société. En tant que forme urbaine, il est le lieu qui permet cette confrontation. Contrairement à l’espace privé, qui dépend de la personne qui le possède, l’espace public est soumis aux lois de la société, et, généralement, de la démocratie. Il représente l’espace où tous peuvent être représentés, sans avoir à remplir des critères autres que, généralement, le droit d’être sur le territoire. Il est aussi, encore aujourd’hui, l’espace où les différentes opinions politiques peuvent s’exprimer, avec par exemple la distribution de tracts, ou la manifestation à but politique ou social. Plus encore qu’un lieu de représentation, il doit être un lieu d’intégration, que la rue remplit encore parfois, comme cela a été montré précédemment. Il doit permettre la rencontre de différents groupes sociaux ainsi que la représentation de ceux qui n’ont plus de possibilité d’être représentés par ailleurs. Néanmoins, l’évolution dans le cadre de la mondialisation apporte un changement du rôle des espaces publics, voire une crise de ces espaces.
L’évolution des espaces publics aujourd’hui, un rôle qui change
Aujourd’hui, de nombreuses productions concernant l’espace public mettent en avant sa disparition progressive, et les risques qu’il encourt. L’apparition d’Internet, et la création d’un espace autre, qui permet l’échange des idées en dehors de la sphère géographique pose la question de la pertinence de l’espace public, et ce plus encore quand l’espace public apparaît de plus en plus comme privatisé, tout d’abord par un urbanisme compétitif, qui fait de ces territoires destinés à tous des lieux choisis pour être gagnants dans la mondialisation, mais aussi par les acteurs privés du commerce. Il y a ainsi une modification de ces territoires, qui ne doivent montrer que ce qui est connoté positivement. Ils doivent ainsi être dénués de tout ce qui renvoie à ce qui n’est pas attractif, et qui trahit les problèmes de la société : mendicité, saleté, conflits sociaux… La dénonciation de cette tendance se fait notamment autour du thème de la « disneylandisation des espaces publics », terme utilisé pour décrire les nouvelles normes urbanistiques, qui ont pour but de construire des espaces ludiques et attractifs, organisés autour de plusieurs univers, comme dans les parcs d’attraction. La rue ne fait pas figure d’exception dans les espaces publics, puisqu’elle est de plus en plus considérée comme l’avatar d’un « centre commercial », entre les vitrines et les terrasses, et qu’elles subit comme les autres espaces des modifications à travers la mondialisation.
Les recherches concernant la rue aujourd’hui s’articulent donc en particulier autour de ces thèmes : la rue comme espace de rencontre et comme espace public, et la rue comme espace public face à la privatisation. Néanmoins, les études de la rue comme forme semblent avoir décru ces dernières années, pour laisser place à des études de rue en fonction des utilisateurs et de leurs activités. Celles-ci mettent en valeur la coexistence de différentes fonctions de la rue, qui dépassent la fonction sociale ainsi que celle d’espace public. Ces fonctions apparaissent plutôt par rapport aux activités proposées dans la rue, ainsi que par rapport aux groupes qui la peuplent.
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Table des matières
Introduction
Première partie : La rue, ses activités et ses évolutions
Chapitre un : La rue et son évolution dans la géographie urbaine et sociale
Chapitre deux : L’émergence du Haut-Lieu dans la rue par la consommation et la culture est-elle possible ?
Chapitre trois : Choix des Champs-Élysées et exposé des méthodes
Deuxième partie : Construction du modèle, comportements habituels et représentations mentales
Chapitre quatre : La construction politique d’une vitrine française mondiale
Chapitre cinq : Description partielle des utilisateurs et des pratiques
Chapitre six : Quelques représentations mentales des Champs-Élysées
Troisième partie : Du Haut-Lieu au Non-Lieu ; lieu pour les touristes, espace invivable
Chapitre sept : Quel lieu pour qui, quel territoire ?
Chapitre huit : Lieu de rêve et espace réel, un lieu coupé du quotidien, sans identité nette
Chapitre neuf : Un Tiers-Espace du tout loisir, entre Haut-Lieu et Non-Lieu
Conclusion
Annexes
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