La rhéologie du manteau

La Terre est une planète active qui dissipe sa chaleur interne par convection. Ces mouvements induisent une déformation des matériaux mantellaires qui peut être couplée, en surface, avec la lithosphère. Celle-ci est divisée en plaques lithosphériques, et leur mouvement relatif est à l’origine des phénomènes géologiques observables en surface : séismes, volcanisme, etc. L’étude du manteau terrestre est en grande partie indirecte, de par la faible quantité d’échantillons naturels disponibles. Ces derniers sont principalement observables en tant qu’inclusions magmatiques (ou xénolites) dans des roches de nature basaltique ou kimberlitique. Des roches mantellaires peuvent également être amenées à l’affleurement dans des contextes tectoniques extensifs conduisant à un amincissement crustal extrême (i.e. les lherzolites Pyrénéennes (de Saint Blanquat et al., submitted)) ou dans des complexes ophiolitiques. Ces échantillons permettent de contraindre la composition du manteau supérieur mais restent insuffisants pour l’étude de la dynamique de celui-ci. Des disciplines comme la sismologie permettent d’apporter des informations sur la structure interne de la Terre (modèle PREM) et les mécanismes de déformation du manteau, par notamment l’étude de l’anisotropie sismique. Le calcul ab initio est également un outil efficace pour prédire des changements de phases de très haute pression, qui ne peuvent être reproduits en laboratoire. Enfin, l’expérimentation offre la possibilité de réaliser des expériences, capables de rendre compte des phénomènes géologiques profonds.

La géologie expérimentale a vu le jour grâce au géologue Sir James Hall (1761 1832), premier scientifique à avoir réalisé un four rudimentaire qui lui a permis de démontrer que les roches ignées étaient le résultat de la cristallisation d’un magma. Depuis, cette discipline, et plus particulièrement l’expérimentation haute pression, a évolué considérablement afin de permettre la réalisation d’expériences aux conditions régnant à l’intérieur de la Terre et des autres planètes. Depuis quelques années, les avancées technologiques offrent maintenant la possibilité de déformer des minéraux aux conditions du manteau terrestre. Cette étude présente les résultats obtenus sur des échantillons synthétiques d’olivine (Ol), d’orthopyroxène (OPx) et de systèmes biphasés (Ol+OPx), déformés entre 2 et 6 GPa et des températures entre 900 et 1200°C dans des presses de type D-DIA installées sur des lignes de lumière synchrotrons (NSLS et ESRF).

La rhéologie du manteau 

Minéralogie du manteau terrestre

La Terre s’est formée il y a 4.5 Ga par accrétion de petits corps au sein du disque protoplanétaire. L’énergie cinétique accumulée pendant cette accrétion a conduit à la fusion du corps primitif et à la formation d’un océan magmatique au sein duquel une différenciation a eu lieu. Les éléments les plus denses ont été entraînés vers le centre du corps, les plus légers ont migré en surface. La propagation des ondes sismiques de compression (vP) et de cisaillement (vS) est fonction des paramètres élastiques et de la densité du matériau. Elle permet ainsi de mettre en évidence les différentes couches concentriques de la Terre (Fig. 1.1) : la croûte, le manteau et le noyau. Le manteau s’étend entre la limite croûte/manteau ou discontinuité de Mohoroviˇci´c, à 30 km de profondeur en moyenne, et la limite manteau/noyau ou discontinuité de Gutenberg à 2900 km de profondeur. Il est divisé en un manteau supérieur jusqu’à 660 km de profondeur avec une zone de transition entre 410 et 660 km et enfin, un manteau inférieur jusqu’à 2900 km.

L’énergie cinétique accumulée lors de l’accrétion mais aussi l’énergie provenant de la différenciation planétaire ainsi que la présence de sources internes radioactives telles que le 232Th, 235U, 238U et 40K font de la Terre une planète chaude au sein d’un environnement froid. Il en résulte un refroidissement de la Terre. Les principaux types de transferts thermiques efficaces pour évacuer la chaleur d’une planète sont la conduction et la convection.

La conduction thermique se fait sans transfert de matière contrairement à la convection. Le nombre de Rayleigh, noté Ra, est un paramètre qui permet de caractériser la vigueur de cette dernière. La Terre se refroidit par conduction thermique au niveau de la croûte et de la partie supérieure du manteau supérieur appelée lithosphère. La base de la lithosphère est définit par l’isotherme 1200°C. Au delà, le reste du manteau supérieur ou asthénosphère ainsi que le manteau inférieur se refroidissent par convection à l’état solide. Les cellules convectives provoquent une déformation intense du manteau asthénosphérique et le couplage avec la lithosphère sus-jacente est à l’origine de la tectonique des plaques. Le modèle PREM, basé sur les vitesses de propagation sismique, couplé à la composition des météorites primitives et des échantillons naturels provenant du manteau (inclusions magmatiques, ophiolites, etc.) permettent d’établir des modèles de composition minéralogique de l’intérieur de la Terre. Le modèle pyrolytique élaboré par Green et Ringwood (1963) définit la composition du manteau à partir d’une roche de composition hypothétique supposée être la composition du manteau supérieur avant différenciation, la pyrolite (Fig. 1.2).

Dans ce modèle, le manteau supérieur est composé à plus de 50 % d’olivine, de 20 % de pyroxène : orthopyroxène (OPx) et clinopyroxène (CPx), et environ 30 % de grenat. La roche formée par cet assemblage minéral est une péridotite. Au-delà de 410 km de profondeur, la zone de transition correspond à des changements de phase de l’olivine en wadsleyite puis ringwoodite. Le manteau inférieur est composé par les produits de la décomposition à haute pression de l’olivine en pérovskite et ferro-périclase (aussi appelée magnésiowüstite).

Fluage diffusion

Contrairement aux mécanismes cités ci-dessus et qui font intervenir des dislocations, la déformation par fluage diffusion est accommodée par des phénomènes diffusifs, et notamment par la diffusion des défauts ponctuels dans l’agrégat. Lorsque l’on applique une contrainte uniaxiale compressive (Fig. 1.5b), un gradient de potentiel chimique induit la migration des défauts ponctuels tels que les lacunes vers les zones en compression et les atomes vers les zones en tension. La diffusion peut se faire au niveau des joints de grain (modèle de Coble) ou à l’intérieur du grain (modèle de Nabarro-Herring).

Le mécanisme s’exprime sous la forme d’une loi d’Arrhénius avec un exposant de contrainte n égal à 1 et inclut une dépendance à la taille de grain moyenne d de l’agrégat avec un exposant m égal à 3 dans le cas d’une diffusion aux joints de grain et 2 si la diffusion est intracristalline.

Glissement aux joints de grain

En théorie, le mécanisme de fluage dislocation ne dépend pas de la taille de grain de l’agrégat, cependant, lorsque la déformation opère à des conditions intermédiaires entre le fluage diffusion et dislocation, cette dépendance est constatée. Des expériences de déformation menées en presse Paterson sur des agrégats polyphasés contenant de l’olivine, du pyroxène et un liquide silicaté permettent de mettre en évidence ce mécanisme (Hirth et Kohlstedt, 1995a). Les résultats indiquent un changement de mécanisme entre le fluage diffusion pour des contraintes faibles vers du fluage dislocation (Fig. 1.6). Cependant, une différence de comportement est notable entre les échantillons présentant des tailles de grains fines (inférieures à 10 µm) à ceux dont la taille est plus élevée (grains autour de 40 µm). Le mécanisme de glissement des joints de grain peut être représenté par les illustrations de la figure 1.7. Le résultat de ce mécanisme est un échange de grains voisins. En effet, avant le glissement, les grains gris partagent un joint de grain alors que c’est le cas des grains verts une fois le glissement effectué. Une évidence microstructurale est la présence de joints quadruples comme illustré sur la figure centrale. La loi s’exprime sous la même forme que celle du fluage dislocation, avec un exposant de contrainte n entre 2 et 3 et une dépendance à la taille de grain m entre 1 et 2 (Langdon, 1994; Hirth et Kohlstedt, 2003).

Des études récentes suggèrent que le glissement aux joints de grains peut contribuer à la déformation de manière significative même lorsque la roche se déforme principalement par fluage dislocation (Ohuchi et al., 2015a) ou diffusion (Miyazaki et al., 2013).

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Table des matières

Introduction
1 La rhéologie du manteau
1.1 Minéralogie du manteau terrestre
1.2 Les mécanismes de déformation
1.2.1 Plasticité basse température
1.2.2 Plasticité haute température
1.2.3 Cartes des mécanismes de déformation
1.3 Olivine
1.3.1 Cristallographie de l’olivine
1.3.2 Etudes rhéologiques sur l’olivine
1.4 Orthopyroxène
1.4.1 Cristallographie de l’orthopyroxène
1.4.2 Etudes rhéologiques sur l’orthopyroxène
1.4.3 Influence de la proportion de pyroxène sur la rhéologie de l’olivine
2 Techniques
2.1 Techniques expérimentales
2.1.1 Fours basse pression
2.1.2 Spark Plasma Sintering (SPS)
2.1.3 Presse de type D-DIA
2.2 Techniques analytiques
2.2.1 Diffraction des rayons X
2.2.2 Radiographie
2.2.3 Diffraction des électrons rétrodiffusés (EBSD)
3 Synthèse des échantillons
3.1 Matériel de départ
3.2 Synthèses minérales
3.3 Frittage
3.3.1 Frittage flash (SPS)
3.3.2 Frittage sous vide
4 Déformation de l’olivine à basse température
4.1 Résumé de l’article
4.2 Abstract
4.3 Introduction
4.4 Experimental procedure
4.4.1 Starting material
4.4.2 Deformation experiment
4.5 Results
4.5.1 Strain
4.5.2 Pressure
4.5.3 Stress
4.6 Discussion
4.6.1 Yield strength
4.6.2 Effect of pressure on low-temperature plasticity
4.6.3 Comparison with other flow laws
4.6.4 Consequences for mantle rheology
Conclusion

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