Le paradoxe des transferts infructueux d’archives
La conservation des archives, dès le début de la Guerre de Vendée, est un aspect qui fut très vite pris en considération. Néanmoins, bien que cette volonté de mettre à l’abri les papiers publics des communes touchées par les révoltes fût entreprise, certains transferts se montrèrent plus néfastes que bienfaiteurs. Pour illustrer ces propos, les archives municipales des Sables-d’Olonne conservent une correspondance du 10 janvier 1835 relative aux archives publiques et privées de la ville. Elle mentionne le déplacement d’archives de la municipalité vers la ville de Fontenay-le-Peuple 69 afin de les mettre en sécurité. La lettre est une réponse au préfet du département qui, en 1834, cherche à établir un bilan du sort des archives du département pendant la période révolutionnaire.
La réponse du sous préfet exprime l’idée que « Lors de l’abolition des ordres religieux et de la confiscation des biens des émigrés, les titres et bibliothèques qui leurs appartenaient dans le district des Sables, furent amenés dans notre ville où siégeait l’administration, maison Vaugiraud »70. En effet, en 1791 un décret fut publié et ordonna aux royalistes réfugiés à l’étranger de revenir en France. Si ces derniers n’étaient pas rentrés avant le 1er janvier 1792, ils encourraient la peine de mort mais aussi la confiscation totale de leurs biens. Ces mainmises se multiplièrent dans toute la France et aussi sur le territoire de la Vendée militaire. On peut aussi profiter de cette citation pour expliquer que la loi du 7 messidor an II n’employait pas la dénomination d’archives anciennes concernant les archives antérieures à la Révolution. C’est pourquoi il est toujours question de « titres » diversement spécifiés ou encore de « pièces ».
Le rassemblement de tous les papiers des émigrés se fit dans la ville des Sables-d’Olonne. Dans ce cas présent, on peut supposer que le déplacement des archives vers la ville de Fontenay-le-peuple ne répondait pas uniquement à un besoin de sauvegarde des papiers. En effet, la lettre ne le mentionne pas et comme ce mouvement fait suite à la suppression des ordres religieux qui se fit en 1790, on peut supposer qu’il s‘agit en fait d’un rassemblement de ces papiers au siège de l’administration du département.
Des comportements précurseurs
Le contexte guerrier en Vendée fut un décor propice au vandalisme et aux brûlements en masse d’archives. Néanmoins, il est important de comprendre que ces destructions ne se sont pas seulement opérées en 1793 et les années suivantes. En effet, dès 1790 et avec le décret du 13 février, la Convention supprime les ordres religieux et abolit les voeux monastiques. Ainsi, une grande partie de ces archives ont disparu avec la promulgation de cette loi. Ces brûlements peuvent donc être considérés comme antérieurs au début des rebellions en Vendée et on peut donc les considérer comme des comportements précurseurs.
Ce qui intéresse ici notre étude reste avant tout les brûlements d’archives antérieurs au mois de mars 1793 dans la région de la Vendée militaire. Ce qui est certain, c’est que les insurgés vendéens brûlèrent les archives bien avant le début officiel de la guerre. Les archives mentionnent des destructions de bulletin de lois, registres de délibérations, rôle d’impôts ou encore de décrets. On sait aussi que certains registres d’état civil furent brûlés dès le 22 septembre 1792, jour de la proclamation de la République 75. Un exemple plus significatif dans la région est celui de Châtillon-sur-Sèvre.
Le 19 août 1792, les listes de jeunes gens, qui devaient être tirés au sort, furent brûlées. Ces listes correspondaient aux noms des hommes, pris parmi les célibataires ou veufs de 18 à 25 ans, susceptibles d’être choisi pour aller faire la guerre. Cependant, il existe deux temps forts dans l’histoire de la levée de masse pendant la période étudiée. En effet, le 23 février 1793, la Convention décide la levée en masse de trois cent mille hommes. Le but de celle-ci était de pouvoir pallier la baisse subite des effectifs de l’armée révolutionnaire française due aux pertes et aux désertions de l’armée révolutionnaire française levée en 1792.
A cette époque, aucune levée en masse n’avait été exigée et ce sont des volontaires qui étaient partis. Le brûlement des listes à Chatillon-sur-Sèvre est à analyser sous le prisme d’un sentiment de rébellion face à cet état de guerre dans le pays qui entraine le départ des hommes sur le front.
Les titres féodaux et généalogiques brûlés : le cas précis de la ville d’Angers
Le sort des archives dans la région de la Vendée militaire suit aussi les décrets de la Convention nationale. Ainsi, cela permet d’aborder une vision différente du vandalisme sur les archives pendant la guerre de Vendée. Dans le cas développé ci-dessous, les brûlements d’archives ne sont en aucun cas en relation avec le contexte guerrier de la région mais reflète la volonté de détruire tous les titres féodaux, ce qui est paradoxalement ce contre quoi se battent les généraux catholiques vendéens. Comme nous avons pu le voir, la Convention réglemente précisément le sort des archives au fil de la période Révolutionnaire. Suivant le décret promulgué le 17 juillet 1793 à la Convention, la nation fait le choix de s’acquitter de tous les droits qu’elle avait pu accumuler grâce aux propriétaires des domaines confisqués quelques mois plus tôt.
Ces titres provenaient des différentes couches de la société, on y retrouvait donc les droits des propriétaires laïques comme ecclésiastiques. Les articles 6 à 9 de ce même décret, « voté sous le fallacieux prétexte d’effacer toute trace du passé »80, nous explique François Uzureau, entraînèrent inéluctablement la perte conséquente et « irréparable »81 de millions de documents. Ces documents que la Convention condamne, par le feu la plupart du temps, constituaient dans le contexte de l’époque des fonds précieux servant à caractériser sociologiquement une catégorie de personnes. A les caractériser selon leurs propres droits et devoirs, mais aussi à les distinguer dans leur société d’ordre. Si l’on se positionne aujourd’hui, la perte irréparable de ces papiers constitue un manque important de « sources précieuses et véridiques »82, témoins irréfutables du passé. De plus, l’ampleur de la tâche qui incombe aux municipalités de détruire l’ensemble de ces titres féodaux ne tarda pas à faire surgir les dérives poussées par l’esprit révolutionnaire.
Ainsi, les municipalités de la France entière n’hésitèrent pas à jeter au feu des chartriers complets ou presque, par conviction politique mais aussi plus souvent qu’il n’est avoué par manque de temps et de patience au triage. De plus, la Convention nationale charge les municipalités d’exécuter ces décrets sans l’intermédiaire des corps administratifs. L’assemblée législative l’avait légiféré, ne restait plus à la Convention qu’à la réglementer. De fait, en fixant un jour précis pour le brûlement de ces titres féodaux, la Convention confortait sa position dans les destructions d’archives inaugurées depuis le début de la Révolution. La date choisie fut celle du 12 mai 1792, et l’engouement des brûlots débuta avec l’incendie des papiers déposés aux Augustins de Paris, concernant les ordres de chevalerie et la noblesse. La traçabilité de ces deux précédents décrets dans le département du Maine-et-Loire est très compliquée. Néanmoins, le décret du 17 juillet 1793 reçut toute son application dans le département du Maine-et-Loire, et plus particulièrement dans la ville d’Angers. Aux archives départementales de Maine-et-Loire, tout un dossier d’archives est consacré à la liste des titres dépendant des propriétés nationales qui devaient être brûlés. La ville d’Angers, située sur le territoire des guerres de Vendée, ne fut pas exemptée de l’application de ces décrets.
Néanmoins, la particularité de la ville d’Angers, même si cela n’en fait pas un cas à part, est qu’elle se trouve sur un territoire géographique troublé et que les autorités angevines optèrent pour la solution de conserver au maximum les titres féodaux plutôt que de se livrer au vandalisme de ces documents jugés utile. Ainsi, seules les séries d’actes ou les registres dont le caractère féodal était indiscutablement prouvé furent brûlés.
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Table des matières
INTRODUCTION
L’IMPACT DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE SUR LES ARCHIVES : ENTRE CRÉATION ET DESTRUCTION
1- UNE RÉORGANISATION DES ARCHIVES POUR UN NOUVEAU RÉGIME
1.1. La naissance des Archives nationales
1.2. La loi du 7 Messidor an II
1.3. L’application par « le triage des titres »
2- ANÉANTIR LA FÉODALITÉ PAR LA DESTRUCTION DES ARCHIVES
2.1. Effacer toutes traces de royauté
2.2. Des destructions légitimées par une législation précise
2.3. Détruire les titres féodaux
3- LA RÉVOLUTION FRANÇAISE ET L’INVENTION DU VANDALISME
3.1. L’invention de la notion de « vandalisme »
3.2. L’historiographie de la notion
3.3. Le vandalisme sur les archives : l’inégal impact sur les régions françaises
BIBLIOGRAPHIE
ETAT DES SOURCES
L’EXEMPLE VENDEEN (1789-1795
1- LA VOLONTÉ DE SAUVEGARDER LES PAPIERS PUBLICS
1.1. Transférer les papiers publics par mesure de sécurité
1.2 Préserver les titres féodaux en Vendée : arrêté des chefs vendéens du 29 mai 1793
1.3 Le paradoxe des transferts infructueux d’archives
2- LES MODES DE DESTRUCTIONS : LA RÉCURRENCE DES BRÛLEMENTS D’ARCHIVES
2.1 Des comportements précurseurs
2.2 Les titres féodaux et généalogiques brûlés : le cas précis de la ville d’Angers
2.3 Les conséquences d’assauts
3- LE DÉVELOPPEMENT DES « ARCHIVES PARALLÈLES »
3.1. Le besoin d’une mise en place de nouveaux registres
3.2. L’apparition des registres clandestins de catholicité
3.3 Ces nouveaux registres à l’épreuve du temps
CONCLUSION
TABLE DES ANNEXES
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