Maurice HAURIOU fonde lโexistence de lโรtat sur une thรฉorie institutionnaliste. En effet, lโรtat est une institution dotรฉe de la personnalitรฉ juridique. En tant que telle, il doit avoir un statut : la Constitution.
Lโรtat en tant que personne morale ne saurait exister sans son statut. Dโailleurs, lโรtat franรงais, sous lโAncien Rรฉgime, nโest apparu quโau moment oรน lโon a dรฉcouvert, ร lโaube du XVIรจme siรจcle, que le pouvoir royal est enfermรฉ dans un certain nombre de rรจgles baptisรฉes ยซ les lois fondamentales du Royaume ยป. Ces derniรจres ont constituรฉ la premiรจre Constitution franรงaise. Kรคgi affirmera ร ce titre que la ยซ Constitution est le fondement juridique fondamental de lโรtat ยป.
Par rapport ร la dรฉfinition, le terme de Constitution a deux acceptions. Dโun cรดtรฉ, le sens matรฉriel qui dรฉfinit celle-ci comme un ensemble de normes juridiques fondamentales, รฉcrites ou non, qui dรฉtermine tout ce qui relรจve de lโorganisation, du fonctionnement et de la structure de lโรtat ainsi que lโexercice du pouvoir politique ร lโintรฉrieur de celui-ci. De lโautre cรดtรฉ, le sens formel faisant de la Constitution le document dont le nom peut varier (Constitution ou Loi Fondamentale) qui a reรงu une forme distincte et qui est constituรฉ par des dispositions qui ont une supรฉrioritรฉ formelle sur toutes les autres normes juridiques en vigueur dans un รtat quel que soit leur objet. Mais le postulat classique va rapprocher le plus possible le sens matรฉriel et le formel de la Constitution.
ร la lumiรจre de ces dรฉfinitions, la Constitution est ร la fois un moyen dโorganiser lโรtat, dโune part, et un moyen de limiter le pouvoir du monarque , dโautre part. En outre, elle est considรฉrรฉe comme la norme fondamentale dans lโรtat, supรฉrieure ร toutes les autres normes existantes dans lโรtat. Mais cette suprรฉmatie nโest garantie que dans la mesure oรน la Constitution est assurรฉe dโune certaine stabilitรฉ, cโest-ร -dire quโelle doit รชtre ร lโabri dโune modification ร tout vent. Or, une Constitution ne saurait prรฉtendre ร lโimmutabilitรฉ, elle doit รฉvoluer par rapport au contexte politique, social, รฉconomique et mรชme culturel du pays. Dโautant plus que ยซ ce ne saurait รชtre quโร lโexpรฉrience que lโon apprend si une Constitution รฉtait bonne ou mauvaise ยป . Lโerreur est humaine et le Constituant doit avoir la possibilitรฉ de revoir sa copie. La rรฉvision permet ainsi dโรฉviter lโadoption dโune nouvelle Constitution ร tout moment et permet dโadapter cette derniรจre aux รฉvolutions qui peuvent rendre nรฉcessaire une modification. Rรฉviser une Constitution, cโest la modifier en supprimant certains articles ou en rรฉdigeant de nouvelles dispositions. La rรฉvision de la Constitution nโest pas ร confondre avec le changement de Constitution, lequel a pour objet de remplacer une Constitution toute entiรจre par une toute nouvelle Constitution. La rรฉvision porte sur le contenu de la Constitution, alors que le changement porte sur son contenant.
LA REVISIBILITE DE LA CONSTITUTION
Les notions gรฉnรฉrales
Le pouvoir constituant
La distinction entre pouvoir constituant et pouvoirs constituรฉs
Dans son ยซ Esprit des lois ยป, Montesquieu divise la puissance รฉtatique en trois pouvoirs : exรฉcutif, lรฉgislatif et judiciaire. Il examine les titulaires de ces pouvoirs en prenant ceux-ci tels quโil les trouve historiquement constituรฉs. Mais lโauteur ne se pose pas la question de savoir ยซ dโoรน ces autoritรฉs tirent-elles leur puissance? Comment sโopรจre entre elles lโattribution des pouvoirs ร sรฉparer ? ยป .
Ce sera Raymond Carrรฉ de Malberg apportera qui des รฉlรฉments de rรฉponses ร ces questions. Il indique seulement que la thรฉorie de la sรฉparation des pouvoirs devait nรฉcessairement dรฉboucher sur la thรฉorie du pouvoir constituant. Il constate aussi que la sรฉparation est impossible ร condition quโil nโy ait une autoritรฉ supรฉrieure capable dโopรฉrer un tel partage. Cependant, cโest Sieyรจs qui a dรฉcouvert, le premier, la notion de pouvoir constituant, un pouvoir supรฉrieur et distinct des trois autres. Selon Sieyรจs, les pouvoirs crรฉรฉs par la Constitution sont multiples et divers, mais ils รฉmanent tous de la volontรฉ gรฉnรฉrale, du peuple ou plus prรฉcisรฉment de la Nation. Ils รฉmanent donc dโune autoritรฉ supรฉrieure et unique.
ร travers la Constitution, Sieyรจs conclut alors ร une distinction entre les ยซ pouvoirs constituรฉs ยป et le ยซ pouvoir constituant ยป. Ainsi ยซ dans chaque partie, la Constitution nโest pas lโouvrage du pouvoir constituรฉ, mais du pouvoir constituantยป. Bref, le pouvoir constituant est celui ยซ de faire la Constitution ยป et les pouvoirs constituรฉs sont ยซ les pouvoirs crรฉรฉs par la Constitution ยป.
Pour les rapports entre les deux pouvoirs, en principe, il y a une hiรฉrarchie entre ceux-ci : le pouvoir constituant est supรฉrieur aux pouvoirs constituรฉs. Cette supรฉrioritรฉ du pouvoir constituant est liรฉe ร lโhistoire constitutionnelle de la France. ร la suite de la Rรฉvolution franรงaise, les rรฉvolutionnaires ont voulu limiter les pouvoirs constituรฉs notamment ceux du lรฉgislatif pour assurer la garantie des droits de lโHomme . En effet, le Parlement dรฉtenait de grands pouvoirs. Pour ce faire, chaque organe constituรฉ ne peut exercer que la compรฉtence qui lui est attribuรฉe dans la Constitution par le pouvoir constituant.
Aprรจs avoir vu la distinction entre le pouvoir constituant et les pouvoirs constituรฉs, voyons maintenant le distinguo fait entre le pouvoir constituant originaire et le pouvoir constituant dรฉrivรฉ.
La distinction du pouvoir constituant originaire du pouvoir constituant dรฉrivรฉ ou instituรฉ
On distingue gรฉnรฉralement ยซ le pouvoir constituant originaire ยป du ยซ pouvoir constituant dรฉrivรฉ ยป. La distinction est classique mais la doctrine constitutionnelle nโest pas unanime sur ces appellations . Il reste que ce sont les plus utilisรฉes.
La mise en ลuvre de la distinction nโest apparue que rรฉcemment. Cโest au XXรจme siรจcle que Carrรฉ de Malberg mettra en exergue cette distinction. Georges Burdeau reprendra ensuite cette distinction dans sa thรจse, mais avec seulement des appellations diffรฉrentes, appellations qui nโont cependant pas รฉtรฉ retenues par la doctrine constitutionnelle. Ce sera ร Roger Bonnard que reviendra le mรฉrite de la distinction entre les deux pouvoirs constituants. Dans un article publiรฉ dans la Revue de Droit Public, en 1942 , il distingue entre le ยซ pouvoir constituant originaireยป et le ยซ pouvoir constituant dรฉrivรฉ ยป. Depuis Roger Bonnard, la distinction entre ces deux pouvoirs constituants, originaire et dรฉrivรฉ, est devenue classique en doctrine constitutionnelle franรงaise.
La conception formelle
Nous retiendrons ici le critรจre posรฉ par Roger Bonnard dans son article paru dans la Revue de droit public en 1942. Selon lโauteur, le pouvoir constituant originaire est celui qui existe ยซ en dehors de toute habilitation constitutionnelle ยป. Il intervient ยซ pour faire une Constitution alors quโil nโy a pas… ou quโil nโy a plus de Constitution en vigueur. Ce qui se produit au moment de la crรฉation dโun nouvel รtat ou aprรจs une rรฉvolution qui a renversรฉ la Constitution existante ยป .
Par contre, ยซ le pouvoir constituant instituรฉ est celui qui existe en vertu dโune Constitution et qui a รฉtรฉ รฉtabli pour venir, le cas รฉchรฉant, rรฉviser cette Constitutionยป. Ainsi, le pouvoir constituant instituรฉ ยซ suppose une Constitution en vigueur, ร la diffรฉrence du pouvoir constituant originaire qui existe en dehors de toute Constitution ยป. Les auteurs positivistes dont Roger Bonnard utilisent comme critรจre de la distinction entre les deux pouvoirs constituants la situation dans laquelle ils sโexercent. Le pouvoir constituant originaire est le pouvoir dโรฉtablir une Constitution lorsque celle-ci nโexistait pas et le pouvoir constituant dรฉrivรฉ est celui qui permet de rรฉviser une Constitution en vigueur.
En partant de cette dรฉfinition, les auteurs positivistes vont dรฉgager un certain nombre de points qui permettent de distinguer les deux pouvoirs. Il sโagit :
โคย Des circonstances de leur exercice
Le pouvoir constituant originaire sโexerce en cas de vide juridique, quโil sโagisse dโun vide juridique existant (naissance dโun nouvel รtat) ou crรฉรฉ (changement de rรฉgime dans un รtat dรฉjร existant).
โคย De leur nature
Le pouvoir constituant originaire est un pouvoir de nature extrajuridique, qui ne peut pas faire lโobjet dโune qualification juridique. Le droit nโexistant pas avant la naissance de lโรtat, les juristes ne pourraient apprรฉhender un tel pouvoir. Par contre, le pouvoir constituant dรฉrivรฉ est un pouvoir de nature juridique. Il en est ainsi, car ce pouvoir est organisรฉ par la Constitution.
โคย De leur titulaire
Pour le pouvoir constituant originaire, le titulaire est celui qui dispose de la force ร la suite dโun bouleversement politique (rรฉvolution, coup dโรtatโฆ). Pour le pouvoir constituant dรฉrivรฉ, le titulaire est dรฉterminรฉ par la Constitution.
โคย Du caractรจre limitรฉ ou illimitรฉ
Le pouvoir constituant originaire est un pouvoir illimitรฉ. Il en est ainsi, car lors de la construction dโune nouvelle Constitution, le titulaire ne se trouve pas limiter par aucune rรจgle. รtant donnรฉ quโon se trouve dans un vide juridique, aucune rรจgle ne peut sโimposer au titulaire du pouvoir constituant originaire. En revanche, le pouvoir constituant dรฉrivรฉ est limitรฉ notamment par certaines rรจgles dans sa mise en ลuvre. Ces limites sont le plus souvent prรฉvues dans la Constitution. Mais il reste ร dรฉterminer si ces rรจgles sont impรฉratives ou non. La doctrine est divisรฉe sur la question.
โคย Des modalitรฉs dโexercice
Le mode dโรฉtablissement dโune nouvelle Constitution est pur. Ce mode ne peut รชtre qualifiรฉ juridiquement. Puisque le pouvoir constituant originaire est inconditionnรฉ, il ne peut รชtre limitรฉ par aucune procรฉdure. Par contre, les modes de rรฉvision de la Constitution sont dรฉterminรฉs par cette derniรจre. Ce sont des modes juridiques.
En dรฉfinitive, le pouvoir constituant originaire est celui dโรฉtablir une Constitution alors quโil nโy a pas ou quโil nโy a plus de Constitution en vigueur. Ce pouvoir apparaรฎt sโil y a vide juridique. Il est de nature non juridique et illimitรฉe. Son titulaire et les modes de son exercice se dรฉterminent par les circonstances de force.
Par contre, le pouvoir constituant dรฉrivรฉ est le pouvoir de rรฉviser la Constitution suivant les rรจgles fixรฉes par celle-ci ร cet effet. Ce pouvoir sโexerce dans le cadre dโune Constitution en vigueur. Il est de nature juridique. Son titulaire et ses modes dโexercice sont dรฉterminรฉs par la Constitution.
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Table des matiรจres
INTRODUCTION
PARTIE I โ LA REVISIBILITE DE LA CONSTITUTION
I โ Les notions gรฉnรฉrales
I.1 โ Le pouvoir constituant
I.2 โ La distinction entre la Constitution rigide et la Constitution souple
II โ La mise en ลuvre de la rรฉvision de la Constitution
II.1 โ Pourquoi rรฉviser la Constitution ?
II.2 โ La procรฉdure explicite de rรฉvision de la Constitution
II.3 โ La procรฉdure implicite de rรฉvision de la Constitution
PARTIE II โ LA PORTรE DE LA REVISION DE LA CONSTITUTION
I โ Lโรฉtendue de la rรฉvision de la Constitution
I.1 โ Le constat : une inflation paradoxale des rรฉvisions
I.2 โ De la rรฉformette ร la fraude ร la Constitution
I.3 โ La possibilitรฉ de limiter le pouvoir constituant
II โ Les limites au pouvoir de rรฉvision de la Constitution
II.1 โ Les donnรฉes thรฉoriques
II.2 โ La valeur juridique des limites ร la rรฉvision inscrites dans la Constitution
II.3 โ Deux questions particuliรจres
CONCLUSION