La réussite des filles dans les sports collectifs

La réussite des filles dans les sports collectifs

INTRODUCTION

 Nous sommes deux maîtres d’éducation physique (15 et 25 ans de pratique) et avons constaté que dans les établissements où nous travaillons, il n’y avait pas la même répartition des périodes mixtes et non mixtes en éducation physique (EPS). En effet, entre Préverenges,Morges et Aubonne, les trois périodes d’EPS ne sont pas organisées de la même manière. A Préverenges les élèves de 9 à 11ème Harmos, ont la période unique d’EPS en mixte et les deux périodes en non mixte. A Beausobre, les trois périodes sont mixtes (par classe). Et àAubonne, en 9H, les élèves restent en mixte, et dès la 10H, ils se regroupent par sexe. Pour les classes de 7 et 8H, tout le monde travaille en mixte. Pourquoi ne pratiquons-nous pas une politique commune à ce sujet dans un même canton, alors que nous aboutissons aux mêmes évaluations ? Nous pensons que s’il existait une réelle bonne solution, tous les établissements l’adopteraient. Si tel n’est pas le cas, il se peut que les problèmes liés à la mixité à l’école, et en particulier en éducation physique, ne soient pas totalement résolus. Il sera donc utile de faire un éclairage théorique sur cette question. Nous nous sommes ensuite questionnés sur les domaines où la mixité avait le plus grand impact. Nous constatons, dans nos classes de 7ème année que ce paramètre est moindre, car à 10 ans, ni les filles ni les garçons n’ont réellement entamé leur changement physique, lié à la puberté. Par contre, dès la 8ème, pour certain(e)s, quelques modifications s’opèrent déjà. La mixité devient alors un facteur encore plus important, puisque dans notre branche, le développement physique (force, vitesse) représente une part importante des capacités de l’élève, ainsi que la « matière première » de notre branche.D’ailleurs, Jacques Gleyse (revue Tréma, 32/ 2010) nous dit que l’histoire de l’éducation physique est étroitement liée à la question du genre, par son rapport direct au corps et pose la question de la co-instruction et co-éducation (véritable prise en compte des différences sexuelles dans l’éducation commune des filles et des garçons). Il relève aussi que la mixité (terme plus large, qui consiste à éduquer ensemble les deux sexes et qui contribue à analyser les stéréotypes de genre et à les mettre à distance), acceptée depuis les combats féministes des années septante, était parfois rediscutée à cause de l’accroissement des discriminations qu’elle produit, autant envers les garçons que les filles. « C’est dans ce cadre que le monde de l’éducation physique scolaire, fondé sur des pratiques corporelles, est un excellent analyseur pour étudier l’histoire de la mixité dans l’école », (p.71).

LA MIXITE EN EDUCATION PHYSIQUE.

  La Suisse, patrie des pédagogues ? Oui, l’un d’eux, le cordelier Grégoire Girard est l’un des principaux créateurs de l’école publique en Suisse. Il y 250 ans, il s’est battu pour l’enseignement pour tous, y compris les filles et les mendiants. Ce religieux progressiste va révolutionner l’éducation, en particulier à Fribourg. Il va convaincre les plus aisés à scolariser leurs enfants à l’école publique. Cela crée un « brassage » de toutes les couches sociales. Pour faire face à l’afflux d’élèves dans les classes, il applique une méthode d’enseignement novatrice : la méthode mutuelle mixte. Le maître fait un enseignement frontal et il y a un groupe d’élèves doués (moniteurs), qui vont expliquer aux autres ce qu’ils doivent apprendre. C’est graduel (d’un groupe à l’autre) en fonction de l’avancement de chacun.Cette méthode, où l’on apprenait à raisonner, fût interdite car les conservateurs la jugèrent dangereuse. Or le peuple à cette époque (1820) n’était pas là pour gouverner, mais pour travailler, prier et obéir. La classe dirigeante pense pour le peuple.Aujourd’hui encore le Père Girard reste un précurseur : il prônait déjà l’enseignement des langues nationales et de l’anglais (P. Sciboz, C. Reinmann et D. Mettraux pour la RTS, 2015). Dans la revue, qui traite de l’éducation physique comme analyseur de l’histoire de la mixité dans les écoles, Jacques Gleyse nous dit qu’en 1850, malgré les lois Falloux, qui mettent officiellement en œuvre une éducation des filles, en réalité, l’Etat n’a aucune influence sur leur alphabétisation, et leur pratique du sport est quasiment inexistante. Pourtant, en 1882, les lois Ferry rendent obligatoire l’éducation physique pour les deux sexes, et peu après, le Baron Pierre DE COUBERTIN, en 1908, constate que l’enseignement secondaire résiste aux pratiques d’exercices physiques pour les filles. La principale raison est que les premiers héros sportifs sont tous des hommes. Il considère que : « …Une Olympiade femelle serait inintéressante, inesthétique,…l’exaltation solennelle de l’athlétisme mâle…et l’applaudissement féminin pour récompense. » (1912). D’autres plus modérés, ainsi que la plupart des médecins, vont prôner une gymnastique « eugénique » pour les femmes, afin d’être plus robuste dans la maternité. Cette vision va perdurer jusque dans les années trente. « En cultivant la valeur physique et physiologique de la femme, c’est toute la race qu’on améliore avec elle » (LABBE, 1930). Evidemment il n’est pas question de mixité, même s’il est question d’éduquer physiquement les filles.

Perception différenciée entre filles et garçons en EPS

  Comme nous l’avons vu précédemment, l’enseignant consacre plus de temps aux garçons (feed-back) et selon la théorie de la motivation à la compétence (Harter, 1978), ceci est lié à la compétence physique perçue et de la performance de l’élève. Certains pensent que les différences de perception à l’intérieur d’une même catégorie de sexe (faible vs fort) sont plus importantes que les différences entre les garçons et les filles (Hurtig et Pichevin, 1985).Suite à l’étude précitée (filles et garçons en EPS), les garçons disent recevoir plus de feedbacks négatifs (donc plus de temps de l’enseignant) et se perçoivent plus compétents que les filles en EPS. Plus l’élève reçoit de feedbacks « positifs » (encouragements, techniques) et plus il se sent compétent. Il en est de même pour un feedback « négatif » en situation d’échec, car l’enfant pense que l’on attend mieux de lui et donc ce n’est pas si néfaste que l’on pense.En fait, il vaut mieux un feedback négatif que pas de feedback du tout. Pour Bem (1981), il faut tenir compte de la variable genre, qui va au-delà du sexe. Pour lui, c’est dans l’éducation et la socialisation que l’enfant organise la représentation qu’il a de luimême et devient « typé sexuellement ou non ». D’ailleurs, la même étude montre que, en situation d’échec, les garçons faibles se perçoivent plus désavantagés que les filles faibles.Finalement ce résultat soutient l’idée de Hurtig et Pichevin (1985) qui est de s’intéresser également à la variabilité à l’intérieur des catégories de sexe en plus de l’intérêt que l’on porte aux différences de sexe.Une autre étude (Lungren et Rudawsky, 1998) montre que les feedbacks négatifs ont un impact néfaste moindre sur les garçons, et ils y attribuent moins d’importance, ceci est d’autant plus vrai en EPS, domaine où ils se perçoivent plus compétents que les filles.

LE DEVELOPPEMENT DE L’ADOLESCENT

  Il nous paraît important de parler du développement de l’enfant entre 10 et 16 ans, puisque notre recherche s’applique aux élèves de la 7ème à la 11ème année. Nous allons donc considérer l’évolution physique et psychique du jeune et mettre ainsi en évidence les différences entre les filles et les garçons, durant ce processus de « maturation ».

Développement biologique
Pour parler du développement de l’enfant, E. Van Praagh utilise, dans son livre sur la physiologie du sport, les termes « croissance » ou « maturation », considérés comme synonymes, bien qu’ils se réfèrent chacun à une activité biologique spécifique. La croissance fait référence à l’augmentation de la taille corporelle alors que la maturation représente les changements d’une personne jusqu’à l’âge adulte sur le plan osseux, sexuel et somatique et donc très variable d’un individu à l’autre. Le « développement », souvent associé à ces deux termes, recouvre à la fois des aspects biologiques et comportementaux. Avant la puberté, la taille et le poids augmentent de manière similaire chez les garçons et les filles. Au cours de la phase pubertaire, il y a une accélération de la croissance. Au début de l’adolescence, les filles sont plus grandes et plus lourdes que les garçons, montrant qu’elles démarrent plus tôt leur phase pubertaire. Pour les garçons le même processus se met en place environ deux ans plus tard. Dans cette phase, ceux- ci développent plus de tissu musculaire (Tanner, 1982) et de densité minérale osseuse (Drinkwater et al., 1984), alors que les filles augmentent davantage leur masse graisseuse (Sempé et al., 1979).

Système neuromusculaire
Le système neuromusculaire subit de profondes transformations durant la croissance (E.Van Praagh, physiologie du sport, 2008), dans les quatre domaines suivants: La force augmente en même temps que la masse corporelle. Avant la puberté, elle n’est pas très différente entre les filles et les garçons, mais après, elle augmente beaucoup plus chez ces derniers. Le pic de croissance de la force se situe vers 12 ans chez les filles (en même temps que le pic de croissance) et pour les garçons vers 14 ans (un an après leur pic de croissance) et la force maximale se stabilise vers 18 ans chez les filles et entre 20 et 30 ans chez les garçons (Bar-Or, 1989). Il en est de même pour la puissance (par rapport au poids) qui augmente très progressivement chez le garçon jusqu’à l’âge de 19- 20 ans, alors que chez les filles, il a tendance à plafonner à partir de 14 ans (Crielaard & Pirnay, 1985). Très peu d’études analysent l’évolution de la vitesse mais on peut dire qu’il n’y a pas de différence marquée entre la vitesse gestuelle (mouvement simple contre résistance faible) des filles et des garçons, surtout lors de l’enfance et de l’adolescence (Farfel, 1979).La fatigabilité est aussi un déterminant du système neuromusculaire. Ce paramètre définit la capacité du système neuromusculaire à maintenir un niveau de force ou de puissance prédéterminée (Gandevia, 2001). Plusieurs travaux montrent que la capacité de résistance à la fatigue est relativement similaire chez l’enfant et l’adulte lorsqu’un seul groupe musculaire est mis en jeu. Lorsque l’effort implique plusieurs groupes musculaires, il semble que la fatigabilité soit systématiquement plus élevée chez l’enfant pré-pubère (Ratel et al., 2002). En 1993, Hebestreit et al. ont montré que les enfants récupèrent plus rapidement que les adultes après un exercice intense. Les études à ce sujet montrent qu’il existe au cours de la croissance et de la maturation, une transition progressive dans la capacité à résister à la fatigue au cours d’épreuve intense intermittente. L’aptitude à maintenir constante la production de puissance au cours de ce type d’exercice (par ex. répétition de sprints) est d’autant plus élevée que le sujet est jeune.Dans son livre sur le développement de l’adolescent (L’adolescent à la recherche de son identité), C. Cannard défend une approche développementale de ce processus, qu’elle considère comme continu et complexe et dépendant des facteurs biologiques, psychologiques,familiaux, sociaux et culturels. La puberté, qui se manifeste de plus en plus tôt, est un temps de disharmonie et le développement psychique ne suit pas toujours. Certains adolescents ont quelques difficultés à s’adapter aux transformations physiques de leur propre corps. Ces modifications modifient l’image corporelle de l’adolescent et peuvent avoir des répercussions psychologiques et sociales (Cloutier, 1996). L’apparence physique est une préoccupation autant chez les filles que chez les garçons et le corps est de plus en plus dépendant du standard esthétique véhiculé par les médias (Ledoux, 1997 ; Tiggemann, 2005).  Socialement, les enfants moins attirants recevraient moins de gratifications que les autres et ils en viendraient à intérioriser cette image et à se comporter en conformité avec elle (Cloutier et Renaud, 1990). On se situe alors au centre des stéréotypes sociaux liés à l’apparence.A un âge où l’activité physique et le sport prédominent chez la majorité des adolescents, il est important de leur rappeler que l’exercice et le sport ont un impact positif sur le bien-être et la santé physique, mais améliorent également l’estime de soi et le sentiment de compétence personnelle. A l’adolescence, on trouve une plus faible estime de soi chez les filles, du en particulier aux modifications pubertaires. Elles se déprécient beaucoup plus que les garçons (Oubrayrie, de Léonardis et Safont, 1994) et présentent plus de difficultés de contrôle émotionnel et sont généralement plus insatisfaites de leur image corporelle à l’adolescence que les garçons (Bearmann et al., 2006 ; Harter, 1999 ; Jones, 2004 ; Ledoux, 1997).

Effet du genre sur la motivation

  Dans notre société, de nombreuses pratiques sociales sont sexuellement typées (MACCOBY,1990), le sport ne fait pas exception à ce marquage sexuel. Même si le sport évolue et devient ouvert aux femmes, il n’en reste pas moins très masculin. Certains auteurs ont vu là une des explications aux différences de participation et d’investissement entre les garçons et les filles (Eccles et Harold, 1991 ; Deeter, 1989,1990). Notre environnement nous inculque aussi, dès notre plus jeune âge, ce qu’il faut faire en fonction de notre sexe.Différents travaux montrent l’existence « d’activités masculines, féminines ou appropriées aux deux sexes» (Fontayne, 1999 ; Fontayne, Sarrazin, et Famose, sous presse). Selon les auteurs ci-dessus, il y a aussi le typage sexuel qu’il est important de préciser. Les personnes avec une forte identité de genre marquent une préférence pour les activités sportives en relation avec cette identité, tandis que ceux qui sont indifférents à cette dichotomie du masculin et féminin pratiquent plus facilement des activités non-conformes aux stéréotypes de leur sexe. La motivation des filles et des garçons peut donc être liée à leur identité sexuelle plus ou moins marquée, et aux types d’activités proposées (à connotation masculine ou féminine).Du point de vue de la psychologie sociale, ceci expliquerait le rejet des filles pour les activités connotées plutôt masculines : boxe, rugby (David, 1995), et réciproquement, le rejet, encore plus fort peut-être, des garçons pour les activités connotées féminines : gymnastique rythmique, danse… (Motta, 1999). L’enseignant en éducation physique peut influencer énormément sur l’envie des élèves à pratiquer du sport. De nombreux auteurs montrent que l’existence de différences dans les rapports au corps et au sport des élèves filles et des élèves garçons pose problème dans la mesure où le système scolaire valorise plutôt le modèle sportif masculin (Davisse , 1999). Il faut permettre aux filles de réduire leurs difficultés rencontrées, en changeant les conditions d’enseignement et en adaptant le choix des programmes (Bergé, Croiset, Marion et Pézelier, 2000) On peut dire alors que la motivation des filles et des garçons en éducation physique peut être liée à plusieurs facteurs : les attentes, les stéréotypes, les différences de représentations des activités enseignées, ainsi que par les effets des programmes et des modes d’intervention des enseignants.Si l’on prend l’exemple du volley-ball, qui est un sport collectif dit à faible connotation sexuée (Fontayne, 1999), Tanguy (1992) souligne que les filles s’efforcent simplement de se passer la balle par-dessus le filet. Elles jouent avec les adversaires, et non pas contre. Selon cet auteur, l’important pour les garçons, c’est de faire le point, de voir tomber la balle et d’avoir du plaisir dans la durée et la continuité de l’échange. Une étude, faite sur les dynamiques différentielles des interactions didactiques selon le genre en éducation physique (Verscheure, Amade-Escot, 2004) et plus précisément sur la construction d’une attaque placée, a mis en évidence ce qui est dit ci-dessus. En majorité les garçons ont une intention  qui se dirige vers “taper fort” et “gagner”, tandis que les filles préfèrent privilégier l’envoi et l’échange. Les stéréotypes de motivation selon le genre se retrouvent confirmés dans une ngrande mesure.

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Table des matières

1 INTRODUCTION
2 LA MIXITE EN EDUCATION PHYSIQUE
 2.1 Perception différenciée entre filles et garçons en EPS
3 LE DEVELOPPEMENT DE L’ADOLESCENT
 3.1 Développement biologique
 3.2 Système neuromusculaire
4 LA MOTIVATION DES ELEVES EN EDUCATION PHYSIQUE
 4.1 La dimension sociale de la motivation
 4.2 Effet du genre sur la motivation
 4.3 Intérêt en situation
5 LES JEUX COLLECTIFS
 5.1 Aspect social et éducatif
 5.2 La mixité
 5.3 La réussite des filles dans les sports collectifs
6 DEMARCHE DE RECHERCHE
 6.1 Question de recherche
 6.2 Hypothèses de recherche
 6.3 Population
 6.4 Méthode
 6.5 Analyse des résultats
 6.6 Outils
7 RESULTATS
 7.1 Sentiment de PLAISIR
 7.2 Sentiment de COMPETENCE
 7.3 Sentiment d’APPARTENANCE
 7.4 Bilan de notre tableau de mise en situation
 7.5 Autres résultats
8 DISCUSSION
 8.1 La motivation de nos élèves, renforcée par le jeu à niveau
8.2 Le sentiment de compétence
8.3 L’influence de l’âge des élèves sur la motivation à se mélanger avec l’autre sexe
8.4 Les raisons du plaisir en fonction de son niveau
8.5 La mixité selon la discipline sportive
9 CONCLUSION
10 LIMITES ET PERSPECTIVES
11 BIBLIOGRAPHIE
12 ANNEXES

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