La responsabilité médicale, une réalité plurielle

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Irresponsabilité du médecin jusqu’au XIXème siècle

Le médecin, jusqu’au XIXe siècle, est dans une situation d’irresponsabilité en raison du caractère spécifique de la médecine. En effet, elle était considérée durant une période de longue durée comme un art occulte, incompréhensible pour les Hommes. Cette explication trouve une signification pertinente par la croyance qu’avaient les Hommes dans le pouvoir de guérison de Dieu. La pratique de la religion est une donnée nécessaire qui explique l’irresponsabilité des médecins jusqu’au XIXe siècle, à l’heure où des courants de pensée tels que le scientisme émerge. La vie de l’Homme ne repose pas tant dans les mains du médecin que dans celles de Dieu. C’est Dieu qui décide de la vie ou de la mort d’un malade. Au cours du Moyen-Âge, les médecins appartenaient, pour la plupart, au clergé, ce qui témoigne du lien entre la médecine et la religion. Ainsi, au XVIIème siècle, Molière critique cette impunité du corps médical dans sa pièce de théâtre Le Médecin malgré lui, dans laquelle il dépeint, de manière satirique, l’irresponsabilité des médecins en affirmant qu’ils peuvent « gâter un homme sans qu’il n’en coûte rien. Les bévues ne sont point pour nous ; et c’est toujours de la faute de celui qui meurt9 ». Ce métier était considéré comme « le meilleur de tous, la méchante besogne ne retomb[e] jamais sur notre dos ».
Dès lors, comment a émergé la responsabilité médicale ? Elle a émergé par l’existence du droit écrit et la rédaction du Code civil, en 180410, sous Napoléon Ier. Le Code civil1 a permis l’uniformisation des premières règles en matière de responsabilité médicale. Auparavant, la France obéissait aux coutumes qui différaient selon les territoires de France. La Normandie disposait de coutumes différentes de celles qui régissaient d’autres lieux. Par voie de conséquence, des affaires mettant en cause les médecins apparaissent au XIXe siècle, amorçant la fin de l’irresponsabilité médicale. Il convient de les rappeler.

Une brèche dans l’irresponsabilité médicale : les affaires HELIE, THOURET-NAUROY et LAPORTE

Ces trois litiges sont intéressants à rappeler, même s’ils ont déjà été relatés dans la littérature médicale, parce qu’ils attestent d’une brèche dans l’irresponsabilité des médecins, traduisant l’évolution de la responsabilité médicale au XIXème siècle. La responsabilité médicale est en mouvement.
• L’affaire du docteur HELIE11 : Cette affaire est symptomatique des choix que doit opérer le médecin lors d’un accouchement au XIXe siècle puisque le docteur HELIE a dû choisir entre sauver la vie de la mère ou de l’enfant. Il a choisi de sauver la vie de la mère, croyant l’enfant mort, et lui ampute les deux bras. Or, l’enfant a vécu après l’accouchement et survécu à l’amputation. L’Académie de médecine a reconnu, en 1832, la responsabilité du médecin, lequel a été condamné
à verser une rente viagère à vie à l’enfant amputé de ses deux membres supérieurs. Il est intéressant de noter que la peine prononcée est une peine pécuniaire et non, une peine privative de liberté.
• L’affaire du docteur THOURET-NAUROY12 : Cette jurisprudence de la Cour de cassation du 18 juin 1835 est un des premiers arrêts de principe de matière de responsabilité médicale. En l’espèce, le docteur THOURET-NAUROY avait, au cours d’une saignée, sectionné l’artère humérale de son patient, le sieur X, ce qui l’avait conduit à l’amputation du bras droit du patient. Le docteur THOURET-NAUROY a formé un pourvoi en cassation suite à sa condamnation en appel. La plus haute juridiction de l’ordre juridictionnel judiciaire a affirmé, dans son considérant de principe : « du moment que les faits reprochés au médecin sortent de la classe de ceux qui, par leur nature, sont exclusivement réservés aux doutes et aux discussions de la Science, du moment qu’ils se compliquent de négligence, de légèreté ou d’ignorance des choses que l’on devrait nécessairement savoir, la responsabilité de droit commun est encourue et la compétence de la justice est ouverte ». Il est important de préciser que c’est la responsabilité civile qui a été mise en œuvre et non la responsabilité pénale, lesquelles seront appréhendées ci-après.
• L’affaire du docteur LAPORTE 13 : En 1893, le docteur LAPORTE a été condamné, à la suite d’un accouchement qui s’est mal déroulé, à une peine d’emprisonnement par le Tribunal de grande instance de Paris en considérant le rapport d’experts judiciaires qui reprochaient au médecin « une impéritie notoire et l’absence d’appel à un confrère plus compétent ». Il sera, néanmoins, fait droit à ses prétentions en appel. Il apparaît nécessaire de préciser que la peine prononcée par la juridiction de première instance est une peine privative de liberté contrairement à celle prononcée en 1835 dans celle du docteur HELIE, une évolution semble-t-elle poindre ? A l’aune du XIXe siècle, ce litige a permis la création du Sou médical, en 1897, qui correspond à la création d’une société d’Assurances du corps médical. La MACSF, quant à elle, ne verra le jour qu’en 1935, lors des grandes réformes sociales.

L’avènement de la responsabilité médicale par l’arrêt Mercier

Des hypothèses casuistiques de responsabilité médicale ont été mises en exergue ci-dessus. Il convient, cependant, d’introduire un des arrêts fondateurs de la responsabilité médicale qu’est l’arrêt Mercier de la Cour de cassation rendu le 20 mai 193614.
En l’espèce, la patiente, Mme Mercier était atteinte d’une affection nasale. Elle se rendit auprès du docteur Nicolas, radiologue, lequel lui administra un traitement par rayon X. Au cours de ce traitement, la patiente développa une radiodermite des muqueuses de la face. Les demandeurs, M. et Mme Mercier, introduisirent une action en justice aux fins d’obtention de dommages et intérêts de la part du médecin, parce que ce dernier avait abusé des rayons X sans recourir à des précautions minimales. La Cour de cassation fit droit aux prétentions de ces derniers et considéra que :
« L’obligation de soins découlant du contrat médical et mise à la charge du médecin est une obligation de moyen ; le médecin ne pouvant s’engager à guérir, il s’engage seulement à donner des soins non pas quelconques mais consciencieux, attentifs et conformes aux données acquises par la science15 ».
Cet arrêt comporte plusieurs apports, lesquels permettent de dessiner les contours de la responsabilité médicale durant la première moitié du XXème siècle :
• La responsabilité médicale civile est une responsabilité civile dite contractuelle.
Comme le précise l’arrêt, l’obligation de soins découle d’un « contrat médical », lequel est néanmoins tacite. Auparavant, il s’agissait d’une responsabilité dite délictuelle fondée sur une faute, un dommage et un lien de causalité entre les deux.
Elle était prévue aux articles 1382 et 1383 du Code civil2.
• Le contrat de soins tacite entre le médecin et son patient conduit le premier au respect d’une « obligation de moyen » et non de résultat. Il s’agit pour le médecin de mettre en œuvre tous les moyens acquis par la science, qu’ils soient humains ou techniques, afin de fournir au patient le traitement le plus adapté. Il n’y a pas d’obligation de guérison, fort heureusement. A l’inverse, le patient s’engage à suivre les prescriptions médicales données par le médecin et à lui verser des honoraires.
Ces deux apports de l’arrêt Mercier sont essentiels parce qu’ils attestent d’une part, d’un changement de type de responsabilité, d’autre part, de la persistance à croire que l’obligation qui incombe au médecin est une obligation de moyen. En est-il toujours ainsi ? Afin de préciser de poursuivre l’étude de la responsabilité médicale, il est opportun de s’intéresser aux évolutions récentes du droit de la santé.

Contextualisation des évolutions récentes du droit de la santé

Les évolutions récentes du droit de la santé sont nécessairement corrélatives au contexte dans lequel elles s’insèrent. Pour les appréhender, il convient de porter une attention particulière à des phénomènes qui affectent le monde médical. A ce titre, il convient de s’intéresser à la vision qu’ont les patients de la médecine, caractérisée par sa toute-puissance (1.), à la médiatisation des scandales sanitaires (2.) et enfin, à l’altération de la relation médecin-patient (3.).

Une médecine « toute-puissante16 » ?

Le monde médical est marqué par de profondes avancées scientifiques, lesquelles se développent dès le XXème siècle. Ces progressions médicales, dans le domaine thérapeutique, peuvent s’illustrer par des progrès successifs comme l’insuline, le développement de la chirurgie ou encore la découverte des antibiotiques. Les progrès technologiques et techniques permettent, quant à eux, d’améliorer les diagnostics des médecins par le développement, par exemple, des techniques d’imageries. Les avancées médicales concourent-elles alors à l’augmentation de l’espérance de vie des Hommes ? En effet, les connaissances se diversifient et se multiplient, lesquelles permettent un traitement plus efficace des maladies.
Par conséquent, le médecin dispose-t-il d’une palette d’instruments variés afin de soigner le patient même si ces innovations sont sujettes, parfois au risque. Le technique du « bénéfice-risque » apparaît et consiste à opérer une balance entre l’avantage d’un traitement et le risque de l’aggravation de l’état du patient si le traitement échoue.
Le patient voit alors son Salut, en la médecine. Les prouesses médicales laissent espérer que toute pathologie peut être soignée. La mort n’est alors pas admise dans un univers où les progrès scientifiques sont grandissants. Dans l’esprit des hommes, la médecine est la science de l’exactitude et ne peut se tromper.
Aussi s’agit-il de comprendre comment les patients en sont-ils arrivés à croire que la médecine était toute puissante ? Que la mort relevait nécessairement d’une erreur médicale commise par le médecin.
La première analyse est celle qui consiste à affirmer le recul de la foi des Hommes. En effet, en France, il y a un recul de la pratique de la religion. Lorsque le patient mourrait, autrefois, il était considéré que : « Dieu ne pouvait plus rien pour assurer la guérison, le patient devait mourir parce qu’il en était ainsi ».
La seconde analyse consiste à affirmer que les Hommes ont foi en la médecine parce qu’elle peut ôter la douleur et permettre la guérison. La loi n° 2016-87 du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, interroge sur la sédation profonde et continue.
Cette perception de la médecine permet de comprendre la multiplicité des hypothèses de responsabilités médicales. De surcroît, les évolutions du droit de la santé sont également le résultat de scandales de santé publique.

La médiatisation des scandales sanitaires

L’évolution de la responsabilité médicale est le reflet de la perception qu’ont les citoyens, de la médecine. Or, les relais de l’information que sont les médias, jouent un rôle sine qua non dans la crainte des poursuites judiciaires par le médecin généraliste. Les scandales de santé publique du XXème siècle ont été relatés par les médias voire amplifiés17. La véracité d’une information nécessite de s’interroger sur ses pourvoyeurs et de leur intégrité. Cette diffusion instantanée de l’information est également permise par le développement des moyens de télécommunications. Il y a eu une gradation progressive dans l’accès à l’information : la télévision puis internet et le développement des réseaux sociaux. Ces éléments permettent de constater que les médias sont un des responsables du changement de la vie qu’a le patient sur son médecin, au vu des risques sanitaires qui ont eu lieu durant les dernières décennies. A ce titre, il convient de mentionner les affaires les plus retentissantes :
• L’affaire du Distilbène : Le Distilbène est une hormone de synthèse qui a été prescrite à plusieurs millions de femmes dans le monde, à l’après-guerre, afin de prévenir les fausses couches. Or, en 1953, bien qu’efficace, cette hormone a démontré des effets indésirables qui ont été reconnus en 1971. Elle entraînait des malformations chez les enfants dont les mères avaient pris le traitement. Le scandale résulte du fait que le France a attendu jusqu’en 1977, pour la retirer du marché contrairement aux Etats-Unis18 qui eux, ont effectué le retrait dès la découverte des effets secondaires de l’hormone de synthèse. Cette affaire a introduit une première défiance à l’endroit du corps médical.
• L’affaire de l’hormone de croissance19 : Depuis les années 1980, une centaine de personnes ont succombé à la maladie incurable de Creutzfeld-Jacob après avoir suivi un traitement destiné à favoriser leur croissance. Cette maladie est une dégénérescence du système nerveux central. Le prélèvement de l’hormone de croissance avait été effectué à partir des hypophyses prélevées sur des cadavres dont certains étaient infectés par ladite maladie neurologique. Les familles des victimes ont formé des recours en justice qui n’ont abouti que dans les années 2010.
• L’affaire du sang contaminé20 : Ce scandale douloureux reste dans la mémoire de tous depuis qu’un rapport émis par l’Evénement du jeudi a émis la preuve que le Centre national de transfusion sanguine (acronyme CNTS) a, en connaissance de cause, distribué, en 1985, des produits sanguins contaminés entraînant la contamination d’hémophiles par le VIH. Outre le corps médical, ce sont également les politiques qui ont été mis en cause dans cette affaire, à l’instar du Premier ministre de l’époque, Laurent Fabius, et ses ministres, Georgina Dufoix et Edmond Hervé. Ils ont comparu devant la Cour de justice de la République, le 2 mars 1999, pour « homicide involontaire ». En 2003, deux sont relaxés, un est condamné mais dispensé de peine.
Cela introduit une double défiance dans l’esprit des citoyens : d’une part, l’irresponsabilité des médecins, d’autre part, l’irresponsabilité des politiques.
Plus récemment, d’autres affaires sanitaires ont été médiatisées. En effet, l’affaire du Mediator ou encore celle de la Dépakine s’ajoutent à la liste.
Outre la médiatisation des scandales sanitaires, le contexte de l’évolution du droit de la santé résulte aussi, d’une relation médecin-patient altérée.

Une relation médecin-patient altérée

Les relations entre le médecin et le patient ont subi une évolution, laquelle peut être une cause ou une conséquence, selon le point de vue dans lequel on se place, de l’évolution du droit de la santé. C’est la vision qu’a le patient du médecin qui a changé. Jusqu’à aujourd’hui, le médecin répondait à une figure d’autorité bienveillante. En ce sens, la relation entre le patient et son médecin était inégalitaire et asymétrique. Cela se comprend parce que le médecin jouit d’une connaissance scientifique de la pathologie de son patient, doublée d’une objectivité et d’une expérience pratique. A contrario, le patient ignore tout de la maladie qui l’affecte si ce n’est les symptômes qui l’affectent.
Autrefois, il n’y avait pas un devoir d’information du patient tel qu’il est prescrit par la loi parce que le médecin disposait de la confiance de son patient22. Cette relation de confiance était établie et solide, ce qui le dispensait de justifier les actes médicaux que le médecin effectuait.
Les événements susmentionnés que sont les scandales sanitaires dans la seconde moitié du XXème siècle, ont conduit à une remise en question de la parole du médecin. Le lien de confiance s’effrite voire disparaît peu à peu. La relation entre le médecin et son patient est altérée et devient davantage égalitaire23. Les évolutions de la médecine la rendent complexe, technique, lointaine. La décision d’un traitement innovant ou non n’appartient plus seulement au médecin mais également au patient. A titre d’illustration, la gestion de la fin de vie voit un renversement du rapport médecin-patient par la rédaction par le patient, de directives anticipées. De surcroît, le médecin a, désormais, un devoir d’information envers son patient afin de lui proposer différentes options quant au traitement à prendre. Certes, la relation médecin-patient ne s’est pas inversée (faut-il le saluer) pour faire du patient le décideur de sa santé mais ce dernier n’est plus dans une position passive. Il est pleinement acteur lorsqu’il s’agit de sa santé.
Désormais, il est nécessaire de s’intéresser à la jurisprudence relative au droit de la santé.

L’apport de la jurisprudence

La jurisprudence joue un rôle sine qua non dans le droit de la responsabilité médicale ce qui a conduit les instances juridictionnelles à voir leurs exigences accrues envers les médecins (1.). Cela s’est traduit par une inversion de la charge de la preuve (2.), à l’extension du devoir d’information (3.) et à la prise en compte du bénéfice-risque (4.).

Les exigences accrues des instances juridictionnelles

Les apports de la jurisprudence en matière de responsabilité médicale sont essentiels parce que le cadre juridique, établi par la loi, est volontairement large. Cela donne à la jurisprudence donc aux juges, un pouvoir d’interprétation conséquent pour apprécier les affaires pendantes devant eux. Cette largesse du cadre légal peut apparaître comme un point négatif parce qu’il peut laisser s’épanouir des situations d’insécurité juridique. Le patient et le médecin seraient alors laissés dans l’insécurité, ne sachant pas à l’avance l’issue du litige avant que les juges aient rendu leur verdict. Or, le caractère délibérément large du cadre juridique fixé par la loi est bénéfique, parce qu’il permet aux juges d’apprécier chaque situation dans une liberté, toutefois contrôlée. Chaque affaire obéit à sa propre logique et lorsqu’il est question de la vie, la situation est délicate. Sans affirmer que le droit de la responsabilité médicale s’est construit de manière prétorienne, des arrêts fondateurs, à l’instar de l’arrêt Mercier, rendu par la Cour de cassation dont il a été question auparavant, vont dessiner les contours de la responsabilité médicale. Un arrêt faisant jurisprudence pourra ensuite être confirmé par l’adoption d’une loi comme ce fut le cas pour la loi du 4 mars 2002.
De plus, les instances juridictionnelles et notamment la Cour de cassation, a amorcé un mouvement jurisprudentiel favorable aux victimes, ce qui a accru le niveau d’exigence du patient envers le médecin. Cela a contribué, de surcroît, à faire émerger de nouveaux types de responsabilité.
Il convient alors de s’intéresser aux conséquences des exigences accrues des instances juridictionnelles parmi lesquelles l’inversion de la charge de la preuve est un exemple pertinent.
En principe, le défaut d’information qui incombe au médecin envers son patient est considéré comme une faute simple soumise au régime général de l’administration des preuves. Selon ce régime, la charge de la preuve incombe au patient parce que ce dernier est le demandeur d’une action en justice.
Or, le patient éprouvait, le plus souvent, des difficultés dans l’obtention de cette preuve. C’est la raison pour laquelle, la première Chambre civile de la Cour de cassation, dans son arrêt rendu le 25 février 199725, a opéré un revirement de jurisprudence en considérant que, désormais, la charge de la preuve incombait au défendeur, autrement dit au médecin. En l’espèce, il s’agissait d’un litige opposant un patient et son médecin, lequel avait manqué à son devoir d’information sur les potentiels risques d’une coloscopie. La coloscopie avait engendré, chez le patient, une perforation colique. La première Chambre civile estima alors que « le médecin est tenu d’une obligation particulière d’information vis-à-vis de son patient et qu’il lui incombe de prouver qu’il a exécuté cette obligation ». Cette jurisprudence atteste d’un mouvement en faveur de la victime parce que si la preuve est difficile à rapporter pour le patient, le sera-t-elle moins pour le médecin ?
C’est sans doute à cette crainte que la Cour de cassation répond dans son arrêt du 14 octobre 199726 en précisant que la preuve qui doit être rapportée par le médecin, peut l’être par tous moyens. Une preuve écrite par le biais d’un document n’est alors pas requise. Il convient de rappeler les faits de ce litige. En l’espèce, une laborantine était décédée d’une embolie gazeuse au cours d’une cœlioscopie exploratrice effectuée dans le bilan d’une stérilité. La famille de la victime a introduit une action en justice contre le gynécologue pour défaut d’information des risques d’une telle intervention. La Cour ne fit pas droit à leur demande parce qu’ils ont pris en compte le métier de la victime, dans le monde médical ; le nombre de consultations antérieures effectuées avec ce praticien, le temps de réflexion de la patiente. Ces éléments constituent un faisceau d’indices nécessaires à prouver l’information de la patiente qui incombe au médecin. La Cour a alors décidé que le médecin n’avait pas manqué à son obligation d’information.
Cette jurisprudence de la Cour de cassation est destinée à rassurer le médecin quant à la preuve qu’il peut être susceptible de rapporter afin de prouver l’accomplissement de son devoir d’information. En effet, force est de rappeler que le médecin ne peut employer tous les moyens de preuve mis à la disposition des victimes, parce qu’il appartient au monde médical. Néanmoins, il lui est possible de rompre le secret médical si ce dernier est mis en cause devant la justice.
La fin des années 1990 est une source importante du contentieux médical. Les scandales sanitaires ont conduit à la méfiance des patients envers leur médecin. La jurisprudence a alors renforcé le devoir d’information qui incombe au médecin par deux arrêts rendus, le 7 octobre 1998.
En principe, le médecin ne devait informer que des risques fréquents qui pouvaient surgir à la suite de l’accomplissement d’un acte médical. Désormais, ce dernier doit également étendre son devoir d’information aux risques graves même si ceux-ci sont rares. Les deux arrêts ont alors précisé :
• « Hormis les cas d’urgence, d’impossibilité ou de refus du patient d’être informé, un médecin est tenu de lui donner une information loyale, claire et appropriée sur les risques graves afférents aux investigations et soins proposés et qu’il n’est pas dispensé de cette obligation par le seul fait que ces risques ne se réalisent qu’exceptionnellement28 ».
• Néanmoins, lorsque l’état du patient s’améliore globalement alors qu’une complication est survenue, le patient ne peut obtenir réparation de son préjudice, pour défaut d’information de ladite complication.
Alors que le premier arrêt est de nature à inquiéter le corps médical par l’étendue de l’obligation d’information qui lui incombe, le second arrêt le dédouane d’une responsabilité, lorsqu’il est parvenu à améliorer, de manière générale, l’état de santé du patient.

Quid du devoir de sécurité ?

L’obligation de sécurité est intéressante à mentionner parce qu’il a été précédemment affirmé que le médecin n’est tenu que d’une obligation de moyens. Or, la jurisprudence admet, dans certains cas, que le médecin est débiteur d’une obligation de résultat.
Cette solution jurisprudentielle a été dégagée dans le cadre de plusieurs affaires :
• En matière de prothèses – Les prothèses doivent être dépourvues de défaut selon les juges de la Cour de cassation.
• En matière de produits de santé – les produits sanguins et les médicaments sont soumis à une obligation de conformité.
• En matière de matériels – Le matériel qui est utilisé par le médecin pour l’exécution d’un acte médical d’investigation ou de soins est également, soumis à une obligation de moyens.
• En matière d’infections nosocomiales – Il s’agit généralement d’une obligation de moyens.
La jurisprudence a contribué de manière conséquente à l’établissement du droit de la responsabilité médicale. Les solutions dégagées par elle ont été consacrées, par la loi du 4 mars 2002, qu’il convient d’appréhender désormais.

La loi KOUCHNER du 4 mars 2002

La loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 est la consécration par la loi des solutions jurisprudentielles antérieures. Ses dispositions ont été codifiées aux articles L. 1142-1 et suivants du Code de la santé publique. Elle a pour but d’unifier les règles applicables en matière contractuelle et délictuelle, qu’il s’agisse du secteur privé ou public. Elle est entrée en vigueur le 5 mars 2002 lorsqu’elle a été publiée au Journal officiel de la République française (JORF).
Outre la consécration de la jurisprudence antérieure, le législateur a également institué, en 2002, l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM). Cet Office permet la réparation des préjudices du patient, au titre de la solidarité nationale, si ce dernier a subi un accident médical, une infection iatrogène ou une infection nosocomiale. La procédure doit se réaliser par l’intervention d’une commission régionale de conciliation et d’indemnisation qui, dans les six mois de sa saisine, émet un avis sur les causes, les circonstances, la nature et l’étendue du préjudice. Elle détermine également le régime d’indemnisation applicable, autrement dit :
• soit l’indemnisation par l’assurance du responsable,
• soit l’indemnisation par un recours à l’ONIAM.
Telle est l’évolution de la responsabilité médicale qui a oscillé, au cours de l’Histoire, entre responsabilité et irresponsabilité du médecin. A l’heure où le cadre juridique est en faveur de la réparation du préjudice des victimes, il est nécessaire d’appréhender la responsabilité pénale, la quelle recouvre une réalité plurielle.

La responsabilité médicale, une réalité plurielle

La responsabilité médicale représente une réalité plurielle dans la mesure où il existe de multiples hypothèses de responsabilité du médecin. A ce titre, il convient de rappeler certains types de responsabilités mais de les exclure de l’objet de notre recherche (A.). A contrario, il est nécessaire d’appréhender successivement la responsabilité civile (B.), la responsabilité pénale (C.), puis la responsabilité ordinale (D.).

L’exclusion de certaines responsabilités

L’étude qui est la nôtre concentre son attention sur les médecins libéraux. S’il est parfois fait mention des praticiens hospitaliers du secteur public, la responsabilité administrative doit être mentionnée (3.). Toutefois, appréhender la responsabilité des médecins ne relève pas nécessairement du domaine juridique, la conscience (1.) et la société (2.) peuvent jouer un rôle déterminant.

La conscience du médecin

« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » – Tels sont les mots prononcés par Rabelais au XVème siècle. Lorsque le médecin prescrit un traitement à son patient, réalise un acte de soin, il le fait en toute conscience. Lorsqu’une faute de la part de celui-ci a entraîné une complication sur le patient, le médecin, indépendamment de toute intervention de la justice, se sent responsable. Il se pose la critique question du bien ou mal-fondé de son action ou de son omission. Il s’interroge indubitablement sur les manquements, les oublis éventuels qu’il a pu commettre. En ce sens, il s’agit d’une responsabilité morale et personnelle du médecin30, laquelle est parfois plus répressive que toute autre forme de sanction judiciaire ou disciplinaire.
C’est la raison pour laquelle, parfois, l’intervention du juge ou des instances ordinales, lorsqu’elles déclarent le médecin non-coupable, est d’autant plus salvatrice. L’absence de poursuites aurait laissé planer le doute dans l’esprit du médecin alors que la poursuite judiciaire permet-elle enfin de laisser l’esprit au repos. Cela se vérifie également dans le cas d’une condamnation du médecin. Il va exécuter la peine à laquelle il a été condamné et peut faire table rase du passé. En cela, la responsabilité morale que s’inflige le médecin lui-même peut être plus destructrice que la réponse judiciaire ou disciplinaire.
Outre la conscience du médecin, il y a également la responsabilité sociale et sociétale à laquelle ce dernier est confronté.

La responsabilité sociale du médecin

Le plus grand de tous les accusateurs n’est pas le juge mais le peuple. La vindicte populaire est celle qu’il faut craindre, en comparaison avec les juges. A titre d’exemple, les jurés d’assise sont, la plupart du temps, beaucoup plus sévères que le juge lui-même. Ils prononcent des peines lourdes, le juge intervenant alors, pour calmer l’esprit vengeur du peuple.
Aussi, la responsabilité du médecin dépasse le cadre juridique lui-même. Il n’est pas certain qu’au terme d’une affaire judiciaire, le médecin, même s’il est dédouané de toute responsabilité, puisse reprendre son activité normalement. La relation avec ses patients peut s’en trouver altérée, de même que le regard que portent sur lui ses confrères, peut être modifié. Par conséquent, la responsabilité médicale recouvre une réalité plurielle qui dépasse le champ du droit.

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Table des matières

Introduction
I. Avant-propos
II. Délimitation du sujet
III. Intérêt de la recherche et questionnement
Première partie : Cadre juridique
I. La responsabilité médicale, son évolution
A. Historique de la responsabilité médicale
1. Première trace de la responsabilité médicale dans le Code d’Hammourabi
2. Irresponsabilité du médecin jusqu’au XIXème siècle
3. Une brèche dans l’irresponsabilité médicale : les affaires HELIE, THOURET-NAUROY et LAPORTE
4. L’avènement de la responsabilité médicale par l’arrêt Mercier
B. Contextualisation des évolutions récentes du droit de la santé
1. Une médecine « toute-puissante » ?
2. La médiatisation des scandales sanitaires
3. Une relation médecin-patient altérée
C. L’apport de la jurisprudence
1. Les exigences accrues des instances juridictionnelles
2. Une charge de la preuve reposant sur le médecin
3. Un devoir d’information étendu
4. Un devoir de sécurité
5. La loi KOUCHNER du 4 mars 2002
II. La responsabilité médicale, une réalité plurielle
A. L’exclusion de certaines responsabilités
1. La conscience du médecin
2. La responsabilité sociale du médecin
3. La responsabilité administrative médicale
B. La responsabilité civile
1. Les principes de la responsabilité civile médicale
2. Les conditions de mises en oeuvre de la responsabilité civile médicale
3. La procédure devant les juridictions civiles
C. La responsabilité pénale
1. Propos liminaires
2. Les conditions de mise en oeuvre de la responsabilité pénale médicale
3. Les fautes pénales de droit commun
4. Les fautes pénales spécifiques
D. La responsabilité disciplinaire ou ordinale
1. Propos liminaires sur le Conseil de l’Ordre des médecins
2. La faute déontologique
3. La procédure disciplinaire
4. La sanction disciplinaire
III. La responsabilité médicale et la judiciarisation de la médecine
A. Le phénomène de la « judiciarisation de la médecine » : mythe ou réalité ?
1. Contexte
2. Des chiffres épars du contentieux médical
3. La judiciarisation de la médecine, un mythe ?
B. Les conséquences de la « judiciarisation de la médecine »
1. Un patient « roi »
2. L’émergence de la médecine dite défensive
Deuxième partie : Matériel et méthodes
I. Bibliographie
II. Choix méthodologique
III. Questionnement
IV. Population cible
V. Recueil des données
VI. Analyse statistique
Troisième partie : Résultats
I. Résultats relatifs à l’ensemble des médecins
A. Répartition des plaintes déposées sur la période de l’étude
B. Pourcentage des médecins mis en cause sur la période de l’étude
C. Répartition du contentieux en fonction de la qualification des faits
D. Répartition du contentieux en fonction de la sanction prononcée
II. Résultats relatifs à la zone géographique
A. Répartition des médecins mis en cause en fonction du département
B. Répartition des faits qualifiés en fonction du département
C. Répartition des sanctions disciplinaires en fonction du département
D. Brève comparaison avec la Basse-Normandie
1. Nombre de plaintes déposées dans chaque région sur la période 2009-2014
2. Nombre de sanctions prononcées dans chaque région sur la période 2009-201
III. Résultats relatifs aux seuls médecins généralistes
A. Pourcentage de médecins généralistes poursuivis sur la période de l’étude
B. Pourcentage de plaintes déposées à l’encontre de médecins généralistes en fonction de l’espace géographique
C. Répartition des plaintes déposées à l’encontre des médecins généralistes en fonction du sexe
D. Répartition du contentieux des médecins généralistes en fonction de la qualification des faits opérée
E. Répartition du contentieux en fonction de la sanction disciplinaire prononcée
Quatrième partie : Discussion
I. Critiques générales
A. L’exhaustivité de l’étude, gage de sa qualité
1. L’exhaustivité par l’étude de toutes les plaintes
2. L’exhaustivité par les méthodes d’analyse
3. L’exhaustivité par la durée de la période étudiée
B. Les biais de l’étude, n’entravant pas sa qualité
1. Le biais relatif à l’objet d’analyse : l’absence de recensement des poursuites judiciaires
2. Le biais relatif à la zone géographique ciblée : une impossible généralisation des conclusions au niveau national
II. Analyses avancées des résultats
A. L’augmentation du nombre de médecins généralistes mis en cause, une réalité erronée
1. Un argument irréfutable
2. Une tendance stable
B. Une mise en cause similaire des médecins généralistes en fonction de la zone géographique, un constat vérifié
C. Une plausible corrélation entre le contentieux de la qualité des soins et l’obligation de résultat
1. Qualité des soins et information
2. Qualité des soins et compétences médicales
D. Un modèle paternaliste perceptible par le contentieux des certificats
1. Une confusion des notions à éviter
2. Un manque d’information des médecins eux-mêmes
3. Une résurgence du modèle paternaliste ?
III. Réflexions approfondies
A. Une médecine judiciarisée par la sacralisation sociétale des victimes
1. La sacralisation sociétale de la victime
2. Le voile levé sur l’opacité de la médecine
B. Le Conseil de l’Ordre des médecins, une instance médiatrice avérée
1. Un rôle éthique, moral et déontologique
2. Un rôle administratif
3. Un rôle social
4. Un rôle consultatif
5. Un rôle juridictionnel
C. Une pratique de la médecine générale en mutation ?
1. Le phénomène de l’hyperspécialisation de la médecine
2. Les conséquences de l’hyperspécialisation de la médecine
Conclusion
Bibliographie

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